Les principaux passages de L’Ecole des femmes auxquels fait référence cette comédie de Donneau de Visé sont indiqués ci-dessous :
L’Ecole des femmes
nous sommes ici seuls
femme qui compose en sait plus qu’il ne faut
je vous invite à souper avec elle
faites descendre Agnès
j’ai présentement besoin de cent pistoles
je suffoque
quiconque remuera, je l’assomme
le…
un siège au frais ici
maximes du mariage
à quoi l’écriture te sert
un grès que sa main a jeté
le notaire
l’allégresse du coeur s’augmente à la répandre
La Critique de L’Ecole des femmes
le marquis
Climène
sans s’y connaître
Vous avez tort de défendre ce ‘le’
voici l’auteur, Monsieur Lysidas
Moi, rien. Tarte à la crème
l’approbation du parterre
le respect que l’on doit à nos mystères
Le Misanthrope
qui m’attache à tous vos intérêts
Don Juan ou le Festin de pierre
la passion des honnêtes gens
=== ZÉLINDE ===
=== COMÉDIE ===
ACTEURS.
ORIANE, Amante de Mélante.
MÉLANTE.
CLÉARQUE, Père d’Oriane.
ARGIMONT, Marchand de Dentelles de la rue Saint-Denis.
ZÉLINDE, Femme savante.
ARISTIDE, Poète.
CLÉRONTE, Bourgeois de Paris.
DAMIS, Garçon d’Argimont.
ÉGISTE, Garçon d’un Marchand de la rue Saint-Denis.
LUCIE, Suivante d’Oriane.
CLÉON, Valet de Mélante.
La Scène est dans la rue Saint-Denis, dans la Chambre d’un Marchand de Dentelles.
SCENE PREMIERE.
ORIANE, LUCIE, ARGIMONT.
ARGIMONT.
Si vous voulez avoir un beau Point d’Alençon, je vous en vais montrer un que l’on prendra pour un Point de Venise, tenez.
ORIANE, après l’avoir regardé.
Le Patron ne m’en plaît pas.
ARGIMONT.
Voulez-vous un Point d’Aurillac ?
ORIANE.
Montrez ? les Gens de qualité en portent encor ; mais il faut qu’il soit bien clair.
ARGIMONT, en lui donnant.
Je crois que celui-ci…
ORIANE.
Ah l’épouvantable Dentelle ! elle serait capable de faire évanouir, ceux qui savent ce que c’est que de se bien mettre.
ARGIMONT.
Prenez donc un des Points de Venise, que je vous ai montrés d’abord.
ORIANE.
Je ne saurais me résoudre d’acheter une chose qui ne me plaît point : ce n’est pas que je ne les croie beaux ; mais il y a dans le dessein, quelque chose qui me choque.
ARGIMONT.
Je suis bien fâché de n’avoir rien qui vous puisse accommoder et si je l’avais cru je ne vous aurais pas donné la peine de monter jusques à cette Chambre.
ORIANE.
J’ai une si furieuse délicatesse pour les dentelles, que je m’en veux, quelquefois, mal à moi-même.
SCÈNE II.
ORIANE, LUCIE, ARGIMONT, DAMIS.
DAMIS.
Monsieur, mon Maître m’a envoyé demander, si vous vouliez qu’il retînt une loge, pour aller voir Dimanche La Critique. Il dit que Madame Ariste, et Madame Cléone, lui ont envoyé demander s’il en retiendrait une.
ARGIMONT.
Va lui dire que je le veux bien.
SCÈNE III.
ORIANE, LUCIE, ARGIMONT.
ARGIMONT.
Ce n’est pas que je ne l’aie déjà vue plusieurs fois : la plupart des Marchands de la rue Saint-Denis aiment fort la Comédie, et nous sommes quarante ou cinquante, qui allons ordinairement aux premières représentations de toutes les pièces nouvelles ; et quand elles ont quelque chose de particulier, et qu’elles font grand bruit, nous nous mettons quatre ou cinq ensemble, et louons une loge pour nos femmes ; car pour nous, nous nous contentons d’aller au parterre. Nous y menons dimanche quatre ou cinq marchandes de cette rue, avec la femme d’un Notaire et celle d’un Procureur.
ORIANE, à Lucie à part.
Il faut qu’en attendant Mélante j’amuse ce Marchand, et que je le fasse causer.
LUCIE, à Oriane à part.
Vous ne pouvez mieux faire.
ORIANE, au Marchand.
Puisque vous avez vu tant de fois la Critique, dites-nous ce que vous en pensez ?
ARGIMONT.
Ah ! Madame, ce n’est pas à moi à porter jugement d’une Pièce de cette nature ; les gens de qualité en pourraient mieux parler que moi, et dire s’ils y sont bien ou mal dépeints.
ORIANE.
Ah ! que vous me plaisez de parler de la sorte : n’est-ce pas une chose étrange, que des gens de qualité souffrent que l’on les joue en plein Théâtre, et qu’ils aillent admirer les portraits de leurs actions les plus ridicules ; afin de donner de la réputation au fameux Élomire, et de l’obliger à les dépeindre, une autre fois, avec des traits plus forts, et de plus vives couleurs.
ARGIMONT.
Pour moi Madame, qui n’ai garde de blâmer les gens de qualité, je crois qu’en agissant de la sorte, ils ne font que ce que la prudence leur conseille. Ils voient bien que l’on les joue ; mais ils font bien de tenir cela au-dessous d’eux, et de ne pas témoigner qu’ils le connaissent : c’est assez qu’ils en aient un secret dépit, puisque celui qui le ferait éclater le premier, s’exposerait à la raillerie publique, et ferait croire que c’est lui que l’on joue ; c’est pourquoi ceux qui se voient dépeindre, et qui en rient les premiers, tâchent de faire croire, par leurs applaudissements, que ce n’est pas d’eux que l’on parle (du moins) c’est ma pensée.
ORIANE.
Il est quelque chose de ce que vous dites ; mais encor, que croyez-vous de la Pièce ?
ARGIMONT.
Il y a quinze ou seize marchands dans cette rue qui vous en diraient bien des nouvelles, puisque, depuis trente ans, il ont vu toutes les comédies que l’on a jouées, et que tout ce qu’il y a d’illustres bourgeois à Paris se rapporte au sentiment de ces messieurs. Il faut que je vous avoue une chose qui me surprend : je ne les ai jamais vu condamner une pièce dès la première représentation, qu’elle ne soit tombée, ni dire qu’une réussirait, qu’elle n’ait eu beaucoup de succès ; et ce qui m’étonne est qu’ils se sont toujours trouvés du sentiment des gens de qualité, et que toutes les pièces qu’il ont fait réussir au parterre ont toujours réussi aux loges et au théâtre. Il y en eut même un ces jours passés, qui entra chez une dame de qualité, où il avait affaire, comme plusieurs personnes s’entretenaient d’une pièce nouvelle que l’on jouait alors. L’on lui fit l’honneur de lui en demander son sentiment, qu’il dit d’une manière qui surprit toute l’assemblée, et qui fit avouer que l’on sait bien juger d’une pièce de théâtre à la rue Saint-Denis..
ORIANE.
J’avais déjà ouï dire, que ces Messieurs vont souvent à la Comédie, et qu’une Pièce qui ne leur plaît pas, est en grand danger ; mais laissons-là leur sentiment, et dites-moi le vôtre ?
ARGIMONT.
Ah ! Madame, le mien…
ORIANE.
Oui le vôtre ?
ARGIMONT.
Puisque vous me l’ordonnez…
ORIANE.
Prenons des sièges.
ARGIMONT, après s’être tous deux assis.
Puisque vous voulez savoir mon sentiment touchant la Critique de l’École des femmes, du fameux Élomire, je vous dirai d’abord, que cette Pièce est mal nommée, et que c’est la défense, et non la Critique de l’École des femmes : l’on n’y parle pas de la sixième partie des Fautes que l’on pourrait reprendre, et Lysidas l’attaque si faiblement, que l’on connaît bien que l’Auteur parle par sa bouche. Ah ! que l’on pouvait bien reprendre d’autres choses.
ORIANE.
Vous ne le devez pas blâmer s’il ne les a pas dites, il n’avait peut-être pas de quoi y repartir ; mais je vous prie de me dire celles qu’il a oubliées ? Nous parlerons après de la Critique.
ARGIMONT.
Quoique je n’aie rien à vous dire, que vous ne sachiez sans doute mieux que moi, je vais satisfaire à votre curiosité, et commencer par le nom de l’École des femmes. Son Auteur a avoué lui-même, que ce nom ne lui convient point, et qu’il ne l’a nommée ainsi, que pour attirer le monde, en l’éblouissant par un nom spécieux. Puisqu’il en est d’accord, je n’en parlerai pas davantage, et passerai à la première Scène. Dès l’ouverture de cette Pièce, Chrysalde dit à Arnolphe, qu’ils sont seuls, et qu’ils peuvent discourir ensemble, sans craindre d’être ouïs. Si, comme l’on n’en peut douter, et comme Élomire l’a lui même fait imprimer, toute cette Comédie se passe dans une Place de Ville, comment se peut-il que Chrysalde, et Arnolphe, s’y rencontrent seuls ? C’est une chose que je tiens absolument impossible.
ORIANE.
C’est qu’il a oublié à vous dire, que la Peste était peut-être dans la ville : ce qui l’avait rendue presque déserte, et ce qui empêchait le reste des habitants de sortir de leurs maisons ; mais poursuivez.
ARGIMONT.
Chrysalde, est un personnage entièrement inutile : il vient, sans nécessité, dire six ou sept-vingt vers à la louange des Cocus, et s’en retourne jusques à l’heure du souper, où il en vient dire encore autant, pour s’en retourner ensuite ; sans que ses discours avancent ou reculent les affaires de la Scène. On peut même dire, qu’il est bien incivil d’arrêter si longtemps Arnolphe à l’ouverture de la Pièce, puisque selon toutes les apparences, ce dernier arrive à pied de la campagne, et qu’on le devrait laisser aller prendre du repos. Arnolphe, après avoir dans cette première Scène, fait connaître son humeur défiante et jalouse, jusques au point que chacun sait, dément aussitôt son caractère, en priant Chrysalde, de venir souper avec Agnès. Il n’est pas vraisemblable, qu’un homme qui craint si fort d’être Cocu, prie à souper avec sa Maîtresse, sans aucune nécessité, un railleur qui semble lui prédire, que s’il se marie, son front ne sera pas exempt de porter ce qu’il craint.
ORIANE.
On connaît bien l’artifice de l’Auteur, et qu’il ne fait prier Chrysalde, par Arnolphe, de venir souper, que pour faire voir la durée de sa Pièce, et que pour le faire encore revenir, au quatrième Acte, dire ce qui lui restait à l’avantage des Cocus ; et c’est pourquoi il oblige son Héros à démentir son caractère dès le premier Acte.
ARGIMONT.
Ce que vous dites est très judicieux.
ORIANE.
Je crois que ç’a été la pensée de l’Auteur.
ARGIMONT.
Arnolphe, après avoir quitté Chrysalde, heurte à sa porte ; et comme on tarde longtemps à l’ouvrir, il témoigne son impatience, et dit, que l’on fait des cérémonies pour le laisser dehors ; cependant, loin d’entrer quand la porte est ouverte, il fait descendre Agnès, et l’entretient au milieu d’une place Publique, pendant qu’elle travaille. Il la renvoie quelque temps après, et bien qu’il arrive d’un autre voyage, il n’entre pas chez lui, et ne dit point les affaires qui l’empêchent d’y entrer.
ORIANE.
Pour cette faute, je ne la puis pardonner à l’Auteur. L’on voit bien qu’Arnolphe n’avait que faire à la ville, et qu’il ne demeure que pour jouer le personnage du Comédien, qui doit attendre Horace, et non celui d’Arnolphe, qui devait d’abord entrer chez lui.
ARGIMONT.
Nous voici à l’endroit des cent Pistoles, qui a généralement été condamné. En effet, quelle apparence y a-t-il qu’Arnolphe ait cent pistoles toutes prêtes, et qu’il les donne à un jeune homme, sur un mot de lettre d’un ami, qu’il n’a point vu depuis quatre ans, et avec qui il n’a point eu de commerce depuis ce temps, comme il est marqué dans les vers de la Pièce ? Cet ami n’est pas raisonnable d’emprunter de l’argent, à une personne, après avoir été si longtemps sans lui écrire. Arnolphe devait balancer un peu avant que de le donner, se défier d’un jeune homme, comme Horace, qui pouvait avoir contrefait l’écriture de son père. Horace n’a pas plus tôt reçu l’argent d’Arnolphe, qu’il lui découvre l’amour qu’il a pour Agnès, et lui dit, que l’argent qu’il a emprunté de lui, n’est que pour le faire réussir ; ce qui devrait aussitôt faire connaître à Arnolphe, qu’il a mal donné son argent, et que son ami ne lui en emprunterait pas, pour servir aux débauches de son fils. D’abord ce jeune étourdi, peut bien, quoique imprudemment, par une démangeaison de découvrir sa bonne fortune ; raconter à Arnolphe, les premiers succès de son amour ; mais la froideur avec laquelle ce jaloux l’écoute, devrait l’empêcher d’y revenir : cependant il y revient jusques à cinq ou six fois, bien qu’Arnolphe lui fasse toujours un accueil si froid, que lorsqu’il le vient trouver dans la sixième Scène du quatrième Acte, il lui dit, jusques à quarante vers, et s’en retourne en suite, sans avoir tiré de lui une seule parole ; ce qui le rend ridicule, aussi bien qu’Arnolphe. Ce dernier lui devrait faire meilleure mine, et en feignant de le vouloir servir, lui donner des conseils pour le perdre, ou bien lui jeter de la crainte dans l’esprit : lui dire que l’on l’épie, et lui donner des raisons pour lui faire abandonner Agnès ; c’est ce qu’il fallait faire pour autoriser cette confidence ; c’est que le théâtre demandait ; et c’est ce que tout autre aurait fait, à la place d’Arnolphe, qui se contente de se retourner pour faire des grimaces. Je sais qu’Élomire dira, que cette confidence d’Horace, sert à Arnolphe, pour lui faire mettre ordre au dedans du logis ; mais ce qui ne se voit point n’est pas ce qui est le plus nécessaire au théâtre, et c’est pour cela que l’on a justement blâmé la Pièce, de ce qu’elle se passe toute en récits. Je ne vois pas qu’il soit possible qu’Arnolphe joue aux Barres, toute la journée, comme Élomire le fait jouer, ni qu’un Amant, aille cinq ou six fois, en un jour, voir sa Maîtresse ; qu’à chaque fois il lui arrive des incidents nouveaux, et qu’il aille autant de fois, les raconter à son rival. Je pourrais dire encore, que c’est une chose assez plaisante, de voir un jeune garçon, dire, en parlant de l’amour à un homme déjà sur l’âge, et qui fait le Caton, qu’il le servira à la pareille. Arnolphe, le devrait menacer du fouet, et de tout découvrir à son Père.
ORIANE.
Élomire, n’avait garde de faire parler Arnolphe, comme il devait ; puisque si Horace, eût cessé de voir Agnès, la Pièce eût pu finir dès le premier acte.
ARGIMONT.
Peut-on rien voir de plus forcé que l’incident du Grès, et ne fait-il pas connaître que l’esprit de l’Auteur est à la gêne, lorsqu’il lui faut conduire un sujet ? Toutes les préparations de ses incidents sont forcées, et il ne nous fait jamais rien voir, de tant soit peu raisonnable, que pour le faire paraître, il n’ait auparavant fait des fautes considérables. En même temps, que l’aventure du Grès, nous fait connaître l’esprit d’Agnès, elle nous fait voir combien l’esprit de l’Auteur a travaillé pour faire recevoir une lettre à Horace de la part de cette niaise prétendue.
ORIANE.
Le Grès m’a tellement déplu, non pas pour la lettre qu’Agnès y attache avec beaucoup d’esprit ; mais pour le ridicule commandement qu’Arnolphe lui fait, de le jeter à Horace, que je ne me puis résoudre à vous laisser parler seul, contre ce Grès qu’Arnolphe ne commande pas tant à Agnès de jeter pour blesser Horace, que pour lui donner lieu d’y attacher sa lettre. Mais je voudrais demander à ce M. Arnolphe, ou plutôt à Élomire, s’il sait bien que ce que nous appelons un Grès, est un pavé, qu’une femme peut à peine soulever, et qui, par conséquent, étant capable d’assommer un homme tout d’un coup, ne doit pas être jeté en plein jour par une fenêtre, et surtout, dans une ville qu’il dit être nombreuse en Citoyens. Je ne sais pas comment un homme, à qui l’on a jeté un Grès (qui doit d’abord prendre la fuite, après une telle réception, et qui n’est point averti que son bonheur est attaché à l’instrument, avec lequel on le veut faire périr) revient sous la même fenêtre, s’exposer à de nouveaux périls, pour chercher autour du Grès, une lettre qu’il n’est pas averti qu’on y doit mettre, et qu’il ne doit pas attendre de l’esprit d’Agnès, qui ne lui est pas encore connu.
ARGIMONT.
Vous enchérissez sur ce que j’avais à dire du Grès : toutefois Élomire dira peut-être, qu’il n’a prétendu faire jeter par Agnès qu’une petite pierre ; mais ce serait une chose ridicule que de faire jeter une petite pierre pour épouvanter un homme, et Arnolphe, parle du Grès d’une manière à nous faire croire qu’il n’est pas petit. Horace, dit ensuite lui-même à Arnolphe, lorsqu’il lui vient raconter son aventure, que le Grès était de taille non petite.
ORIANE.
Cela fait voir qu’il faut qu’Élomire avoue qu’il a fait une petite faute, qui en contient plusieurs, puisqu’il ne peut se sauver ni d’un côté, ni de l’autre.
ARGIMONT.
Je crois qu’il serait fâché que le public sût qu’il a fait de semblables fautes ; Mais je passe au reste. La Scène qu’Arnolphe fait avec Alain, et Georgette, lorsqu’il leur demande comment Horace, s’est introduit chez lui, est un jeu de Théâtre qui éblouit ; puisqu’il n’est pas vraisemblable, que deux mêmes personnes, tombent par symétrie, jusques à six ou sept fois, à genoux, aux deux côtés de leur Maître. Je veux que la peur les fasse tomber, mais il est impossible que cela arrive tant de fois, et ce n’est pas une action naturelle. Je ne dirai rien de la comparaison du Potage, sinon, que les personnes d’esprit l’ont trouvée trop sotte ; et ont dit, qu’elle marquait plutôt l’esprit de l’Auteur, que la simplicité du Paysan. Lorsqu’Arnolphe veut faire confesser à Agnès, qu’un inconnu est venu à la maison pendant son absence, il s’y prend d’une manière qui devrait l’empêcher d’avouer la vérité, et lui faire connaître que c’est mal fait, avant qu’elle lui dise rien. Il devrait plutôt pour la faire donner dans le panneau, avec plus de vraisemblance, lui dire qu’il sait tout, et qu’elle a bien fait de recevoir les visites de ce jeune homme ; ce qui était un moyen pour lui faire avouer, au lieu que l’autre en est un pour l’empêcher de tout découvrir.
ORIANE.
Cet endroit est bien repris, et j’en avais déjà ouï parler à d’autres.
ARGIMONT.
Enfin nous voici à ce mot de deux lettres, qui a fait tant de bruit, à ce «le…
ORIANE.
Vous pourriez passer par dessus.
ARGIMONT.
Ce «le…
ORIANE.
Laissez ce «le.
ARGIMONT.
Je prétends faire voir, par les grimaces d’Arnolphe, par les vers qui précèdent, ce «le, par ceux qui le suivent, et par vingt circonstances que…
ORIANE.
C’est assez, je n’en veux pas savoir davantage, et si…
ARGIMONT.
Ah ! Madame, excusez, ce «le, me faisait oublier que je parlais à vous.
À part.
La rougeur qui lui est montée au visage, fait assez voir que ce «le, a perdu sa cause.
Haut.
Je ne dirai point que le sermon qu’Arnolphe fait à Agnès, et que les dix maximes du Mariage, choquent nos mystères ; puisque tout le monde en murmure hautement : mais je parlerai des autres fautes qui s’y rencontrent, dont l’Auteur n’a rien fait dire à Lysidas. Arnolphe n’est-il pas ridicule, de parler en Théologien, à la personne du monde qu’il croit la plus innocente, et de lui parler de moitié suprême, et de moitié subalterne ? Et ne doit-il pas croire qu’elle ne pourra comprendre tout ce qu’il lui dit ? Le même Arnolphe ne soutient pas son Caractère, lorsqu’il lit à Agnès les maximes du mariage ; et qu’il lui dit, de plus, qu’il les lui expliquera. N’est-ce pas lui vouloir faire connaître, en un quart d’heure ce qu’il a, pendant plusieurs années, pris soin de lui faire cacher : et lui enseigner les moyens de le faire Cocu, en lui apprenant comment se gouvernent les femmes Coquettes ?
ORIANE.
Lorsqu’Élomire a fait cette faute, il l’a couverte du brillant de ces maximes : il a cru qu’elles nous éblouiraient, et que les pointes nous empêcheraient de connaître qu’Arnolphe, dément son caractère.
ARGIMONT.
Je ne sais si les louanges que vous lui donnez, lui seront agréables ; mais pour ne vous pas ennuyer ; je passe au Notaire, qui est aussi inutile que Chrysalde, et sans lequel, la Pièce se pourrait bien jouer, sans qu’il fût nécessaire d’y augmenter, ni diminuer rien. La scène qu’il fait avec Arnolphe, serait à peine supportable, dans la plus méchante de toutes les farces ; et bien qu’elle fasse un jeu au théâtre, elle ne laisse pas de choquer la vraisemblance. Il est impossible qu’un homme parle si longtemps derrière un autre, sans être entendu, et que celui qui ne l’entend pas, réponde jusques à huit fois, à ce qu’on lui dit. Je pourrais dire encore, qu’Arnolphe, ne doit pas être entendu, et que ce qu’il dit, doit être pris, comme s’il le disait en lui-même. Je ne vous dirai rien de ce qu’Horace, trouve toujours Arnolphe dans la rue de ce que ce dernier y passe presque toute la journée : et y fait venir un siège, pour prêcher pour Agnès.
ORIANE.
Quoiqu’il dépeigne la ville où sa Pièce se passe, à peu près, comme Paris, il fallait qu’il n’y eût guère de Carrosses, puisque l’on y fait si facilement apporter des sièges, au milieu des rues.
ARGIMONT.
Je laisse la Catastrophe, que l’on a trouvée détestable, et je passe par dessus beaucoup de choses, dont je ne me puis souvenir, sans avoir, ou sans lire la Pièce. Mais je sais bien qu’il y en a encore une fois autant que je vous en viens de dire. Je ne vous parlerai ni des mots impropres, ni des méchants vers, ni des fautes de construction dont on pourrait faire une véritable Critique, que le Chevalier Doriste aurait bien de la peine à combattre.
ORIANE.
Vous m’en avez plus dit que je n’en attendais.
ARGIMONT.
Comme l’on apprend mieux à juger de la Comédie, en prenant souvent ce divertissement, qu’on ne fait par les règles, il ne faut pas s’étonner si…
SCÈNE IV.
ORIANE, LUCIE, ARGIMONT, ÉGISTE.
ÉGISTE.
Monsieur, Madame dit que vous disiez où sont les points de Venise, que l’on a apportés ce matin. Il y a bien du monde là-bas, et je crois que Monsieur Élomire y est aussi ; car il parle avec un autre, qui fait aussi des vers, et j’ai ouï qu’il l’a nommé plusieurs fois.
ORIANE.
Élomire !
ARGIMONT.
Élomire ! Ah ! Madame, permettez que je descende, je meurs d’envie de l’entretenir, et de savoir si sa conversation répond à son esprit.
ORIANE.
Le même désir me presse, descendez promptement, et faites en sorte de l’amener ici-haut. Vous n’aurez qu’à lui dire que la plupart de vos dentelles y sont.
ARGIMONT.
Je ferai mon possible pour vous l’amener.
SCÈNE V.
ORIANE, LUCIE.
ORIANE.
Tout ce que je fais n’est que pour gagner du temps. Je suis dans une inquiétude extrême, et je ne sais pourquoi Mélante, tarde tant à se trouver au rendez-vous.
LUCIE.
Ne craigniez pas qu’il y manque, si vous avez la peine d’attendre, ce n’est que pour ce que vous êtes venue longtemps avant l’heure que vous lui avez donnée.
ORIANE.
Je crois que nous pourrons aujourd’hui entretenir, sans craindre que mon Père nous surprenne, et s’il nous a trouvés plusieurs fois ensemble, c’est que nous étions dans les lieux publics ; comme sont les Temples, et les Jardins.
LUCIE.
Ne vous persuadez pas tant que vous êtes en assurance, on pourrait nous avoir épiées : votre Père est aussi fin que vous ; il était trop en colère la dernière fois qu’il vous trouva avec Mélante ; et bien que vous lui ayez fait croire que vous alliez rendre visite à votre Cousine Orphise, je ne sais s’il aura pris cela pour argent comptant, et s’il ne nous aura point fait suivre.
ORIANE.
Tu t’alarmes en vain, j’irai au sortir d’ici chez ma Cousine. Mais à propos, il me semble avoir ouï dire que l’Oncle de Mélante est bien malade : cette mort avancerait bien mes affaires, et si celui que j’aime avait tous ses écus, je crois que mon Père consentirait bientôt à notre Mariage.
LUCIE.
Je n’en doute nullement. Mais il faut que l’amour vous tourmente bien ; puisqu’il ne vous souvient pas que c’est moi qui vous ai donné cette bonne nouvelle. Ce matin en allant au Temple, j’ai rencontré Géronte qui m’en a fait part.
ORIANE.
Hélas.
LUCIE.
Vous soupirez, est-ce de peur que la santé ne lui revienne ?
ORIANE.
Que je suis malheureuse, de ne pouvoir venir à bout de mes affaires sans le malheur d’autrui.
LUCIE.
Je ne crois pas que ce malheur lui arrive si tôt que vous voudriez : tous les malades ne meurent pas, et il y a souvent bien du chemin, entre la maladie et la mort ; mais voici le Marchand.
SCÈNE VI.
ORIANE, LUCIE, ARGIMONT.
ARGIMONT.
Madame, je suis au désespoir de n’avoir pu vous satisfaire, depuis que je suis descendu, Élomire n’a pas dit une seule parole. Je l’ai trouvé appuyé sur ma boutique, dans la posture d’un homme qui rêve. Il avait les yeux collés sur trois ou quatre personnes de qualité qui marchandaient des dentelles, il paraissait attentif à leurs discours, et il semblait, par le mouvement de ses yeux, qu’il regardait jusques au fond de leurs âmes pour y voir ce qu’elles ne disaient pas : je crois même qu’il avait des tablettes, et qu’à la faveur de son manteau, il a écrit, sans être aperçu, ce qu’elles ont dit de plus remarquable.
ORIANE.
Peut-être que c’était un crayon, et qu’il dessinait leurs grimaces, pour les faire représenter au naturel sur son théâtre.
ARGIMONT.
S’il ne les a dessinées sur ses tablettes, je ne doute point qu’il ne les ait imprimées dans son imagination. C’est un dangereux personnage : il y en a qui ne vont point sans leurs mains ; mais l’on peut dire de lui qu’il ne va point sans ses yeux, ou sans ses oreilles.
ORIANE.
On commence à se défier par tout de lui, et je sais des personnes qui ne veulent plus qu’il vienne chez elles. Mais enfin, qu’est-il devenu ?
ARGIMONT.
À peine, les personnes dont je vous viens de parler étaient-elles sorties, que j’ai ouï la voix d’un homme qui criait à son cocher d’arrêter. Le Carrosse s’est aussitôt arrêté, et le maître qui paraissait un homme de Robe, a crié à Élomire, «Il faut que vous veniez aujourd’hui dîner avec moi ; il y a bien à profiter ; je traite trois ou quatre Turlupins, et je suis assuré que vous ne vous en retournerez pas sans remporter des sujets pour deux ou trois Comédies. Élomire est monté en Carrosse, sans se faire prier, et le Cocher en donnant un coup de fouet à ses Chevaux, a emporté l’espérance que j’avais de l’entretenir. Aristide dont le nom n’est pas moins connu que celui d’Élomire, était, pendant cela occupé à regarder des dentelles. Je lui ai dit que j’en avais de belles ici haut, que je lui voulais montrer et je crois qu’il ne tardera guère à me suivre.
ORIANE.
C’est un galant homme, et je crois que sa conversation doit être fort agréable.
ARGIMONT.
J’oubliais de vous dire qu’Élomire en montant en Carrosse, a laissé tomber de sa poche un papier, que j’ai aussitôt ramassé. Je ne sais pas encore ce qu’il contient.
ORIANE.
L’on peut lire tous les papiers des Poètes sans scrupule ; et je gagerais que ce sont des Vers, ou que c’est le dessein de quelque ouvrage. Lisez-le vite, devant qu’Aristide monte ; et comme nous avons déjà parlé de L’École des femmes, dès que vous l’aurez lu, nous parlerons de la Critique.
ARGIMONT.
Je vais vous obéir.
Il lit.
« Comme je ne voulus pas hier, devant tous ceux qui nous écoutaient, vous découvrir mes véritables sentiments, touchant votre Critique, je me suis résolu de vous les écrire. Ne trouvez pas étrange si je vous dis que votre mérite, avait pour ce coup besoin d’être soutenu de votre bonheur ; puisque c’est une vérité dont je prétends vous convaincre. Je ne crois pas que cette Pièce, qui n’est en beaucoup d’endroits qu’une imitation de celles que vous nous avez déjà fait voir, eût pu réussir, sous le nom d’un autre. Votre Marquis, a bien du rapport avec celui de Mascarille, et avec Lisandre, l’Alcipe, et le Dorante, des Fâcheux. L’on peut dire que tous ces personnages font les mêmes extravagances, et que par les mêmes choses, vous jouez également, dans ces personnes, les gens de qualité. Climène n’est qu’un Marquis de Mascarille, travesti en femme ; et si l’on vous l’a pardonné, ce n’est pas que plusieurs ne s’en soient aperçus. Pour ce qui est des mots précieux, dont votre Pièce est pleine, vous avez beaucoup risqué de les faire encore une fois monter sur le Théâtre, et je crois que sans le bonheur qui vous accompagne, ils auraient déplu aux Français, qui n’aiment pas moins les divertissements nouveaux, que les modes nouvelles. L’on connaît, par là, que vous êtes bon ménager, et que vous n’avez pas voulu perdre, ce qui vous restait des mémoires que l’on vous donna, lorsque vous travaillâtes aux Précieuses. Je n’aurais pas cru, jusques ici, que ceux qui sont en toutes manières, les plus braves de la Cour, fussent si patients que de se souffrir appeler Turlupins, en plein Théâtre, sans en témoigner le moindre ressentiment et je crois que votre bonheur les a empêchés de se plaindre. Pour votre Le, vous savez bien, entre nous, que vous ne le pouvez justifier. Vous dites que vous n’avez rien mis contre la bienséance, j’en demeure d’accord ; mais ce n’est qu’un faux-fuyant, qui ne vous peut servir d’excuse, et vous ne pouvez nier, que vous ne l’ayez mis, pour donner lieu à agir à l’imagination. L’on s’étonne, comment vous l’avez fait condamner par une femme, qui selon son caractère, le devrait approuver, et défendre, par celle qui le devrait condamner. Je n’en sais point d’autre raison, sinon que vous avez voulu traiter de fous, ceux qui ont dit du mal de votre École des femmes. C’est une adresse malicieuse, et qui marque que la vanité est inséparable des personnes d’esprit. »
ORIANE.
Vous me deviez faire la Critique de la Critique ; mais je crois qu’après cela, vous ne vous en donnerez pas la peine.
ARGIMONT.
Ce n’est pas encore tout.
ORIANE.
Lisez donc vite le reste.
ARGIMONT, poursuit.
« Comme vous avez douté de la bonté de votre cause, vous n’avez repris que des bagatelles, et n’avez point parlé des fautes considérables ; et ce qui me surprend, est que vous n’avez pas défendu tout ce que vous avez repris, et que vous avouez qu’Arnolphe a eu grand tort de prêter les cent pistoles, à Horace. Vous deviez en donner quelques raisons apparentes, ou laisser cet endroit sans en parler, comme vous avez fait beaucoup d’autres. Les trois personnes que vous faites parler contre votre École des femmes, sont, un Marquis que vous dépeignez comme un ridicule, et qui avoue lui-même, qu’il n’a pas voulu écouter la Pièce : un Auteur, c’est-à-dire de personne intéressée, ne doit pas être cru : et une femme, que vous faites folle. L’on connaît, par là, que vous avez douté de la bonté de votre Pièce ; puisque si vous l’aviez crue bonne, vous ne vous seriez pas fait attaquer par des personnes, à qui les gens raisonnables ne doivent point ajouter foi ; c’est pourquoi votre Chevalier ne doit pas tirer beaucoup de gloire de la victoire qu’il remporte sur de si faibles ennemis. Pour la conduite du sujet, je crois qu’elle ne vous a pas fait beaucoup de peine : l’on n’avait point encore vu de Comédie de cette manière, et le dénouement en est aussi spirituel que celui de L’École des femmes. Il y a quelques gens délicats qui la trouvent ennuyeuse, et si vous voulez que je vous parle avec franchise, je ne les condamne point d’être dans ce sentiment. Cela n’empêche pas que vous n’ayez de grandes obligations au Chevalier Doriste dont vous avez si bien tourné les Vers en Prose, et si ce galant homme se voulait mêler d’écrire, je crois que vous auriez un redoutable Rival. Vous ne fîtes jamais mieux que de faire publier, avant que de faire jouer votre Critique, que l’on vous avait envoyé un Billet, par lequel on vous menaçait de coups de bâtons, si vous la jouiez. Plusieurs personnes ont cru que cela était véritable, et l’ont été voir, croyant que vous y dépeigniez de certaines gens, à quoi vous n’avez jamais songé. J’oubliais à vous dire que, tout le commencement du Rôle de Lysidas, est tiré des Nouvelles Nouvelles, et que votre Chevalier se divertit aux dépens de Monsieur l’Abbé d’Aubignac, qui s’en est lui-même bien aperçu ; mais comme chacun vous loue, de parler contre ceux qui écrivent contre les grands hommes, je n’ai garde de vous en blâmer. Si vous voulez venir dîner un de ces jours avec moi ; je vous donnerai des mémoires, dont vous vous pourrez facilement servir, dans le sujet que vous m’avez dit que vous vouliez traiter. »
LICASTE.
ORIANE.
Je ne connais personne à la Cour qui s’appelle ainsi. Mais voici Monsieur Aristide.
LUCIE, à Oriane.
Ah ! Madame, c’est un Poète à dentelle, et à grands cheveux !
ORIANE, au Marchand.
Il est dans son humeur rêveuse ; il compose sans doute, et nous ne le pourrons faire parler, jusqu’à ce qu’il ait tourné à sa fantaisie, la pensée qui l’occupe présentement.
SCÈNE VII.
ORIANE, LUCIE, ARGIMONT, ARISTIDE.
ARISTIDE, à demi bas, en rêvant et passant sa main sur son front.
Si je pouvais trouver un mot qui eût assez de force pour exprimer seul… Mais il est impossible. Il faut que… Il se trouve tout contre Oriane. Ah ! Madame, excusez, je… si… je ne vous voyais pas.
ORIANE.
Monsieur, vous n’avez rien fait qui ne soit ordinaire aux personnes d’esprit.
: Au Marchand.N’ai-je pas connu d’abord que son esprit était sur le Parnasse ?
ARGIMONT.
Je ne sais Monsieur, si avant que de vous montrer ce que vous souhaitez de moi, je ne devrais point vous prier de prendre un siège.
ARISTIDE.
Il ne serait pas mal à propos ; je puis, quand je voudrai [voir] vos dentelles, mais je ne trouverai pas toujours l’occasion d’entretenir Madame.
ARGIMONT, à Oriane.
Il y avait longtemps que j’avais envie de savoir comment parlent les Auteurs, et si leur conversation répond à leurs ouvrages.
ORIANE.
Je ne crois pas que celui-ci vous fasse aujourd’hui connaître son esprit, par ses discours, il est déjà retombé dans sa rêverie : ces Messieurs ne parlent pas toujours tant que vous vous imaginez, et ils composent souvent, au milieu de dix ou douze personnes, de même que dans leur Cabinet.
ARISTIDE, en rêvant toujours.
À la fin, j’en suis venu à bout… Mais non, ce mot là ne vaudrait rien.
ORIANE.
Ces Messieurs s’ennuient dans toutes les conversations, où l’on ne parle pas des choses qui leur servent d’occupation. Avec un faiseur de Romans, il faut parler de Romans : avec un Historien, d’Histoires ; et avec ceux qui travaillent pour le Théâtre, il faut parler de Comédie et de Vers, et pour vous en faire voir l’expérience, nous n’avons qu’à nous entretenir de ces matières, et vous verrez que Monsieur Aristide, sortira aussitôt de sa rêverie, et parlera tant, que l’on aura de la peine à le faire taire.
ARGIMONT.
Ce que vous dites me surprend.
ORIANE.
Vous en allez voir l’effet. Il faut avouer que c’est un agréable divertissement que la Comédie.
:Aristide lève la tête et écoute.
Pour moi je l’aime furieusement, et je veux mal à ceux qui ne la peuvent goûter.
ARISTIDE.
Ce que vous dites en faveur de la Comédie est véritable, et ceux qui ne l’aiment point, ne savent pas connaître les belles choses. C’est la passion de tous les honnêtes gens, et c’est le plaisir le plus pur que l’on puisse prendre. La Comédie est aimée de tout le monde ; les personnes de qualité l’aiment passionnément ; et les Bourgeois ne l’aiment pas moins : aussi faut-il avouer que les vers, dont on se sert pour sa composition, ont des charmes qui attirent tout le monde. Ce langage a quelque chose de Divin, et ceux qui ont dit que c’était le langage des Dieux, ne se sont pas trompés. Les grands hommes ont de tout temps estimé les vers, et se sont plus à en faire ; et je vous pourrais nommer vingt Empereurs, et autant de Rois, qui ont pris souvent cette agréable occupation, et nous voyons même présentement, que presque toute la noblesse se mêle d’en faire autant.
ORIANE.
Ce que vous dites est véritable, et pour moi, je trouve que l’on a grand tort d’appeler les Poètes, fous ; puisque Solon qui était un des sept Sages de Grèce, a été le plus grand Poète de son temps. Mais dites-moi, Monsieur, puisque nous sommes sur le chapitre de la Comédie, ne savez-vous point qui est le Lysidas, de La Critique de L’École des femmes ?
ARISTIDE.
Ma foi, je sais bien que si c’était moi, je jouerais autrement mon personnage, et que j’embarrasserais bien le Chevalier de la Critique. Ce Lysidas n’est pas un bon Avocat, il devrait demander la réplique.
ORIANE.
Élomire, y met bon ordre, et ne fait dire que l’on a servi sur table, qu’afin qu’il n’ait pas le temps de répliquer.
ARISTIDE.
L’on peut dire qu’Élomire est un galant homme, et qu’il sait bien nous tromper à son avantage ; puisqu’au lieu de la Critique de L’École des femmes, il nous en fait voir l’apologie.
ORIANE.
Vous pouviez bien croire qu’en s’attaquant lui-même, il ne se ferait pas beaucoup de mal. C’est une chose assez naturelle que de s’épargner ; mais encore, qui est ce Lysidas ?
ARISTIDE.
C’est par ma foi un grand homme ; puisque l’on dit qu’il représente seul, tous les Auteurs qui travaillent pour le Théâtre.
ORIANE.
Les Auteurs se sont fait tort à eux-mêmes, lorsqu’ils ont eu cette pensée. On ne doit sous les personnages de la Critique, regarder que l’Auteur qui l’a faite, et le rôle que joue Lysidas, est un rôle qu’Élomire a souvent joué d’original. Mais qu’entends-je ?
SCÈNE VIII.
ORIANE, LUCIE, ARISTIDE, ARGIMONT, ZÉLINDE, ÉGISTHE.
ZÉLINDE, au garçon d’Argimont.
Ne bougez, mon enfant, je trouverai bien la chambre ; mais je pense que m’y voici.
ÉGISTE, en s’en allant.
Oui Madame.
ZÉLINDE.
Mais que vois-je ? Je pense que c’est Monsieur Aristide ! Ah ! Que je suis aise de vous rencontrer ici : l’on ne m’avait pas dit qu’il y avait si bonne compagnie ici haut, et je croyais n’y trouver que le Maître.
:À Argimont.
Monsieur, vous me permettrez bien de l’entretenir, avant que d’acheter ce qu’il me faut.
ARGIMONT.
Vous le pouvez Madame.
:À Oriane à part.
Connaissez-vous cette Dame ?
ORIANE, pendant que Zélinde s’assied.
C’est un de ces grands esprits du siècle : c’est l’illustre Zélinde qui écrit si bien en vers, et en prose : nous n’avons qu’à écouter, elle va seule entretenir toute la compagnie.
ZÉLINDE.
Vraiment Monsieur, il faut que je vous fasse un reproche, et que je me plaigne de ce que vous ne me venez plus voir.
ARISTIDE.
Ce reproche est des plus obligeants.
ZÉLINDE.
Il faut que vous me veniez voir un de ces jours, j’ai des choses du monde les plus plaisantes à vous donner, et qui produiront de merveilleux effets au Théâtre : ce sont de ces choses du temps qui sont présentement à la mode et qui de plus sont véritables.
ARISTIDE.
Je vous serai beaucoup obligé.
ZÉLINDE.
Attendez, si je pouvais m’en ressouvenir.
ARISTIDE.
Il ne faut qu’un mot pour vous faire ressouvenir de tout.
ZÉLINDE.
Oui, mais il le faut trouver.
En rêvant et portant sa main sur son front.
Ah ! J’avais tantôt une vision…
ARISTIDE.
Si…
ZÉLINDE.
Je tiens quelque chose. Il faudrait dépeindre de ces discrètes médisantes ; de ces femmes de si et de mais, qui disent toujours du bien en médisant ; ou plutôt, qui médisent, en disant du bien. Quoi que l’on leur puisse dire à l’avantage d’une personne, elles l’avouent ; mais elles ne manquent jamais ensuite de se servir du, si, ou du mais. Si l’on leur dit qu’une personne est belle. Oui, diront-elles, elle est belle, elle a de l’éclat, et si, elle a les yeux ronds, la bouche plate et la taille mal faite. Si on dit qu’une autre est vertueuse, elles l’avoueront, encor, et diront ensuite, mais l’on dit telles et telles choses d’elles ; je sais bien que ce sont des faussetés, mais enfin la médisance ne laisse pas que de les publier, et cela nuit beaucoup à sa réputation. Entrez-vous bien dans le sens de ce que je vous dis, et n’y trouvez-vous pas de quoi faire quelque chose de beau, et de bien à la mode ?
ARISTIDE.
Ah ! Je tournerai cela à merveille, et je ne doute point du succès ; puisque les Satires sont à la mode.
ZÉLINDE.
Il faut, si vous voulez réussir, que vous preniez la manière d’Élomire, et que vous tâchiez de le surpasser : c’est pourquoi vous devez, pour ajouter quelque chose de beau, à ce que je vous viens de dire, lire comme lui tous les livres Satiriques, prendre dans l’Espagnol ; prendre dans l’Italien ; et lire tous les vieux Bouquins. Il faut avouer que c’est un galant homme ; et qu’il est louable de savoir si bien se servir de tout ce qu’il lit de bon. Prenez hardiment ; l’exemple d’un homme qui réussit est bon à suivre ; tout ce qui est sur le papier est mort, mais le jeu l’anime, et fait que l’on ne le reconnaît plus. Croiriez-vous que la Scène du Cocu imaginaire, où Sganarelle, dit qu’il devait jeter le chapeau, et crotter le manteau de celui qu’il croit le galant de sa femme, fût toute entière dans Francion ?
ARISTIDE.
Ce que vous dites me surprend !
ZÉLINDE.
Si je m’en pouvais ressouvenir, je vous en dirais bien d’autres. N’avez-vous pas lu les Satires de Régnier ?
ARISTIDE.
Oui.
ZÉLINDE.
Et vous n’avez pas remarqué que le récit que l’on fait dans les Fâcheux de celui qui se prie pour dîner, est une satire de Régnier toute entière ?
ARISTIDE.
Ce que vous dites est véritable, et je n’y puis songer, sans faire paraître la surprise que me cause le bonheur d’Élomire.
ORIANE.
Il est vrai qu’il y a de quoi être furieusement surpris.
ARGIMONT.
Si les morts pouvaient parler, l’on ne les volerait pas, si souvent que l’on fait.
ZÉLINDE.
Pour ce qui est de L’École des femmes, tout le monde sait bien qu’Élomire n’a rien mis de lui dans le sujet, que La Précaution inutile lui en a fourni les premières idées ; et qu’un jaloux y fait élever aussi bien qu’Arnolphe une fille dans un Couvent ; qu’il y est parlé de la vieille, et que l’incident de l’armoire est tiré de cette même Nouvelle. L’on sait bien aussi que la confidence qu’Horace fait à Arnolphe, de son amour, qui comme Élomire avoue lui-même dans sa Critique, est ce qui fait tout le brillant de sa Pièce, est une histoire de Straparole.
ARISTIDE.
Quoique tout ce que vous dites soit véritable, la réputation d’Élomire, est si bien établie, que si un autre avait fait quelques Pièces, sur ces matières du temps, beaucoup plus belles que les siennes l’on dirait, d’abord, que ce ne sont que des Copies.
ZÉLINDE.
Je sais bien que quand vous auriez fait une Pièce infiniment plus belle que celle d’Élomire, que la préoccupation que l’on a pour lui, ferait dire d’abord, que votre pièce serait passable, et que vous pouvez faire quelque chose. Je sais, de plus, qu’il faut que vous en fassiez deux ou trois de suite, pour faire voir que vous savez aussi bien toucher la Satire, que cet Auteur approuvé ; et qu’après cela, l’on commencera à connaître que tout l’esprit n’est pas dans une tête, et que faire des Satires du temps, sans travailler sur les mêmes sujets, n’est point imiter Élomire, mais faire aussi bien que lui.
ARISTIDE.
Je vois bien que ce que vous dites devrait être ; mais je crains que…
ZÉLINDE.
Il me vient de venir une plaisante vision, et je vous vais donner un sujet beaucoup plus satirique, que cela dont je vous ai parlé ; et si vous le traitez bien, vous établirez tout d’un coup votre réputation. Vous savez qu’Élomire a fait l’Apologie de son École des femmes, sous le nom de la Critique.
ARISTIDE.
Oui.
ZÉLINDE.
Il faudrait que vous fissiez la Critique, sous le nom d’Apologie. Ah ! Que ce serait une bonne Pièce ! Si vous laissez échapper cette occasion, vous ne la recouvrerez jamais. L’on pourrait, de son sujet, faire une Satire inimitable, en faisant seulement, que ceux qui défendent L’École des femmes, la combattent ; que ceux qui la combattent, la défendent. Ne serait-ce pas une chose bien divertissante, de voir le Marquis, donner mille louanges à « Tarte à la Crème », et l’entendre crier au lieu de « voilà qui est détestable ». « Tarte à la Crème » est incomparable, morbleu, incomparable ! C’est ce que l’on appelle incomparable ! Et du dernier incomparable ! Cela ne ferait-il pas un plaisant effet ?
ARISTIDE.
Ce que vous dites me surprend et le Marquis de la Critique, que j’avais jusques ici pris pour un ridicule, me paraît raisonnable et il n’y a point de doute qu’il fait paraître plus d’esprit en blâmant « Tarte à la Crème » qu’il ne ferait en le louant.
ORIANE.
La raillerie serait fine, et ferait changer de sentiment à bien des gens.
ARGIMONT.
Il s’en faut peu que ce que Madame a dit, ne me fasse jouer le rôle du Marquis, et que je ne m’écrie, que cela est du dernier incomparable.
ORIANE.
Cela ferait le meilleur effet du monde, après l’aventure de « Tarte à la crème » arrivée depuis peu à Élomire. Je crois qu’elle lui fera dorénavant bien mal au coeur, et qu’il n’en entendra jamais parler, ni ne mettra sa perruque, sans se ressouvenir qu’il ne fait pas bon jouer les Princes, et qu’ils ne sont pas si insensibles que les Marquis Turlupins.
ZÉLINDE.
Vous avez raison et cette aventure fait voir, que ce Prince qui blâma d’abord L’École des femmes, avait plus de lumières que les autres.
:À Aristide.
Mais Monsieur, j’ai bien encore un autre sujet. Si vous vouliez tout de bon, jouer Élomire, il faudrait dépeindre un homme qui eût dans son habillement quelque chose d’Arlequin, de Scaramouche, du Docteur, et de Trivelin, que Scaramouche lui vint redemander ses démarches, sa barbe, et ses grimaces et que les autres lui vinssent en même temps demander ce qu’il prend d’eux, dans son jeu, et dans ses habits. Après cela il les faudrait faire revenir tous, demander ensemble ce qu’il a pris dans leurs Comédies. Dans une autre Scène, l’on pourrait faire venir tous les Auteurs, et tous les vieux Bouquins, où il a pris ce qu’il y a de plus beau dans ses Pièces. L’on pourrait ensuite faire paraître tous les gens de qualité qui lui ont donné des mémoires, et tous ceux qu’il a copiés.
ARISTIDE.
Je crois bien que s’il était obligé de faire une entière restitution, qu’il resterait, non seulement nu ; mais que ses ouvrages seraient aussi dépouillés de ce qu’ils ont de plus beau.
ZÉLINDE.
C’est ce que je voudrais que vous fissiez paraître.
ARISTIDE.
Je n’ai garde de faire une Satire si sanglante, mais quand je la ferais, croyez-vous que les Comédiens la voulussent jouer.
ZÉLINDE.
Je ne crois pas que les Comédiens en dussent faire aucun scrupule ; il les a choqués plus d’une fois, et je ne vois pas qu’il soit besoin d’interprète pour connaître que dans sa Critique, il les appelle ignorants et qu’il veut persuader qu’ils ne savent pas juger d’une Pièce de Théâtre.
ORIANE.
Jamais je ne fus si surprise, que lorsque j’ouïs réciter cet endroit ; si en faisant la Comédie, les Comédiens ne peuvent apprendre à en juger, je ne sais pas où Élomire en a tant appris.
ARGIMONT.
L’on voit en sa personne un exemplaire du contraire de ce qu’il dit contre les Comédiens.
ARISTIDE.
Depuis qu’il a la qualité d’Auteur, il ne croit plus que les Comédiens soient ses confrères.
ZÉLINDE.
Ce que vous dites est véritable ; mais revenons un peu au sujet dont je vous parlais. Si vous croyez que la Satire fût trop piquante, il ne faudrait point nommer Élomire ; et s’il se nommait, lui-même, ce serait une marque que l’on aurait aussi bien fait son Portrait, qu’il a fait celui de beaucoup d’autres.
ORIANE.
Quand cela le choquerait, je ne crois pas qu’il en témoignât rien.
ZÉLINDE.
Il n’aurait garde de s’en plaindre, et je suis assuré qu’il le souffrirait, avec autant de patience, que font ceux qu’il dépeint tous les jours.
ORIANE.
Il ne fait que changer les Comtes en Marquis, quand il veut jouer les autres.
ZÉLINDE.
Il me vient encore de venir une plaisante idée. Je voudrais le faire berner, et faire tenir la couverture par quatre Marquis.
ARISTIDE.
Les Marquis l’aiment trop, et se mettraient peut-être à sa place, afin qu’il les bernât en toutes manières : Je n’ai garde de jouer leur bon ami, je serais perdu si je l’avais fait et je risquerais bien moins à les jouer eux-mêmes. Ceux qu’il dépeint le mieux, font tout ce qu’ils peuvent pour le soutenir de peur qu’un autre ne fît pas si bien connaître ce qu’ils ont de ridicule. Ils aiment mieux s’admirer dans les vivants miroirs d’Élomire, que dans les leurs, et ils trouvent que l’amertume de la Satire, a quelque chose qui leur est utile.
ORIANE.
Elle est utile, à ceux qui s’en corrigent ; mais il me semble que le nombre en est petit.
ZÉLINDE.
Ils seraient bien fâchés de s’en corriger. Élomire, veut tourner en ridicule, un certain air de qualité qui les distingue des Bourgeois ; c’est pourquoi, ils seraient bien fâchés que l’on les obligeât à s’en défaire.
ORIANE.
S’il est ainsi, pourquoi font-ils si bonne mine à Élomire, et pourquoi ceux qu’il dépeint le mieux, l’embrassent-ils lorsqu’ils le rencontrent ?
ZÉLINDE.
C’est pour ce qu’il leur donne sujet de se rire les uns des autres, et de s’appeler, entre eux, Turlupins, comme ils font à la Cour, depuis qu’Élomire a joué sa Critique.
ORIANE.
Cela devrait obliger Monsieur Aristide à travailler.
ARISTIDE.
La réputation d’Élomire n’est déjà que trop bien établie ; je n’ai garde de travailler pour l’affermir davantage, et je suis assuré, que plus on le critiquera, plus on le fera réussir.
ZÉLINDE.
Dites, que plus on le laissera sans Rival, plus il réussira.
ARGIMONT.
En effet, il triomphera toujours tant qu’il n’aura point d’ennemis à combattre, et que ceux qui pourraient travailler, aussi bien que lui, n’oseront faire voir de quoi il sont capables.
ARISTIDE.
Il ne faut jamais se moquer des heureux, ni des misérables, puisqu’il est impossible d’arrêter le bonheur des uns, et qu’un honnête homme ne se doit point moquer des autres. Pourquoi voulez-vous que j’aille ruiner ma réputation, en attaquant un homme que tous les Turlupins de France, assurent que l’on ne pourra jamais imiter ? Et bien qu’ils disent cela sans savoir ce qu’un autre est capable de faire, l’on les doit néanmoins croire, puisqu’ils y sont les plus intéressés.
ZÉLINDE.
Quoi, vous êtes encore dans cette pensée ? Faites rire comme lui, et vous réussirez ? Ils ne prennent son parti, que parce qu’il les divertit : renchérissez sur la satire, accommodez-vous au goût du siècle, et vous verrez si l’on ne dira pas que vous aurez autant de mérite qu’Élomire.
ARISTIDE.
Mais…
ZÉLINDE.
Quoi ? Mais…
ARISTIDE.
Mais il a le vent en poupe.
ZÉLINDE.
Et c’est pour cela qu’il le faut attaquer, afin de faire retourner ce vent. Quoi, si un Prince avait un ennemi puissant, et qu’il eût gagné la moitié de ses Provinces, ne devrait il s’opposer à ses succès qu’après lui avoir laissé prendre le reste de ses États ?
ARISTIDE.
Quoi que vous me puissiez dire, je craindrais de ne pas réussir et de donner, par ma défaite, de l’éclat à la gloire d’Élomire.
ZÉLINDE.
Quoi, vous craignez d’attaquer un homme qui n’épargne pas le sexe ? Et les Auteurs, qu’Élomire joue sous le nom de Lysidas, sont aussi lâches que les Courtisans, qu’il joue sous le nom du Marquis Turlupin. Ah ! Que je ne suis pas si patiente, il m’a voulu jouer par ce vers :
: »Et femme qui compose en sait plus qu’il ne faut. »
Il aura dit vrai, et j’en sais plus qu’il ne faut pour me venger de lui. Je ne vous ressemblerai point Pacifiques poudrés, Courtisans armés de peignes, et de canons, qui faites la Cour à celui que vous joue publiquement, une femme vous enseignera votre devoir : quoi, s’attaquer au sexe !
: »Et femme qui compose en sait plus qu’il ne faut. »
Quoi, blâmer le sexe, et l’esprit tout ensemble ! Sans doute qu’il veut que nous soyons aussi stupides et aussi ignorantes que son Agnès ; mais il ne prend pas garde, que l’ignorance et la stupidité, font faire des choses à de semblables bêtes, dont il n’y a que les personnes d’esprit qui se puissent défendre.
ORIANE, à part.
Si le retardement de Mélante ne me causait point de chagrin, j’aurais ici de quoi me bien divertir.
ZÉLINDE.
Je ferai voir que son École des femmes, est la plus méchante pièce qui ait jamais été faite, et que sans ce « le », cet impertinent « le », qu’il a pris dans une vieille chanson, l’on n’aurait jamais parlé de cette Comédie. Il aurait été bien fâché que l’on ne l’eût pas pris dans le sens qu’on a fait ; mais si ce « le » est cause que l’on a tant parlé de sa Pièce, il a, pour le mettre, été obligé de faire une faute considérable, puisque ce « le » est cause qu’Horace, dément son caractère. C’est un jeune homme qu’il dépeint fort amoureux ; il rencontre une niaise qui lui laisse baiser ses mains et ses bras, et qui avoue qu’elle lui en eût accordé davantage, s’il lui eût demandé ; cependant, au lieu de pousser sa fortune, il se contente de lui prendre un ruban. L’on connaît bien là, que l’Auteur a plus regardé le jeu, que ce « le » faisait au Théâtre, que la vraisemblance.
ORIANE.
Je trouve que les fautes d’Élomire, sont plus pardonnables, que celles des autres ; puisqu’il n’en fait guère qu’il ne les couvre de quelque brillant afin de nous empêcher de les connaître.
ZÉLINDE.
Je les développerai bien, malgré tous leurs brillants. Je sais ce que c’est que la Comédie, et je ne suis pas du nombre de celles qui se laissent duper par le jeu : l’on ne m’éblouit pas de la sorte : et les beautés que le théâtre prête à une Pièce que l’on joue bien, ne m’empêchent pas de l’examiner dans le fond. Est-il possible qu’il y ait des gens qui ne s’aperçoivent pas qu’il n’y a rien de plus inégal que le rôle d’Agnès, et que l’esprit lui vient en vingt-quatre heures ?
ORIANE.
Je crois que l’on pourrait dire qu’il lui vient en douze, puisque ces vingt quatre heures comprenant un jour, et une nuit, il faut qu’elle en donne la moitié au sommeil ; c’est pourquoi, l’on pourrait dire, que l’esprit lui vient en dormant.
ZÉLINDE.
Jamais je ne vis rien de si ridicule, et il faut n’être pas en bonne intelligence avec la raison pour nous vouloir faire approuver des choses, où l’on ne peut rien trouver qui approche de la vraisemblance. Dès qu’Agnès paraît sur la Scène, elle fait connaître qu’elle est aussi niaise qu’Arnolphe la dépeint ; Elle dit que le petit chat est mort ; elle le confesse, qu’un homme l’est venue voir ; qu’il lui a pris les bras ; qu’il lui a pris un ruban, et qu’elle n’a pas voulu le laisser mourir faute d’assistance. Elle dit encore cent autres choses qui font connaître qu’elle est la plus niaise personne du monde ; cependant, deux heures après, elle écrit une lettre qui ne peut vraisemblablement, partir d’une personne qui a joué un semblable personnage, et ce qui est de plus ridicule, est qu’à la fin de la Pièce, elle paraît tout à fait spirituelle, lorsqu’elle dit à Arnolphe, qu’il ne l’a pas bien élevée, et qu’il a bien opéré en la faisant instruire. Cette niaise spirituelle, que je ne sais comment nommer, ne devrait point savoir écrire, et Arnolphe n’en doit pas être quitte pour dire que, contre son dessein l’art lui en fut découvert. Il devait avoir défendu que l’on lui apprît à écrire, cela était de son caractère, afin qu’elle ne pût ni écrire à un Galant, ni recevoir de ses billets, ni lire aucun livre qui la pût instruire de ce qu’il voulait qu’elle ignorât, et qui lui pût mettre l’amour dans la tête. Il n’est pas vraisemblable que l’on lui eût appris à écrire, sans qu’il le sût ; et comme il la faisait élever à ses dépens, il devait savoir si l’on lui contait les mois d’un maître écrivain, ou d’une maîtresse : car ces sortes de gens, ne laissent point passer plusieurs années, sans demander de l’argent. Élomire a fait toutes ces fautes, pour faire paraître l’incident du Grès, et pour faire écrire une lettre à Agnès, qu’une fille telle que l’on nous la dépeint, et telle qu’Agnès paraît dans ses discours, ne devait point écrire ; et l’on ne voit rien dans cette lettre qui approche des naïvetés qu’elle dit sur la Scène, ni de la demande qu’elle avait faite peu de jours auparavant, pour savoir si l’on faisait des enfants par l’oreille. Je pourrais dire, que pendant tout le temps qu’elle paraît niaise, elle s’exprime en bien des endroits, avec des termes qu’il est impossible qu’elle sache ; mais je ne m’attache pas à ces bagatelles.
ARISTIDE.
Je cesse d’admirer Élomire, et vous méritez toutes ces louanges, que je croyais que l’on devait à cet Auteur Comique.
ZÉLINDE.
Horace n’est-il pas ridicule, de mettre sa Maîtresse entre les mains d’Arnolphe, qui est un homme déjà sur l’âge, et de plus un des amis de son père ? Je sais qu’Élomire dira qu’Horace est un étourdi ; mais ce n’est pas une raison, et pour excuser ses fautes, il n’aurait qu’à dire, que tous ses personnages sont fous ; mais s’il est ainsi, il devait appeler sa Pièce, L’Hôpital des Fous, et faire paraître les Petites-Maisons sur le Théâtre, comme a fait autrefois Beys. Horace ne devrait pas être si empêché d’Agnès, il n’y a que trop de moyens de garder des filles, cela se fait tous les jours ; il avait de l’argent, et c’était assez : de plus jeunes que lui n’auraient pas manqué d’invention.
ARGIMONT.
Cette remarque est tout à fait juste.
ZÉLINDE.
Est-il vraisemblable qu’Arnolphe, passe toute une journée dans la rue : que Chrysalde s’y trouve deux fois ; qu’Horace s’y trouve cinq ou six ; que le Notaire s’y trouve aussi, et qu’ils y fassent tous deux toutes leurs postures, et s’y querellent si longtemps. Est-il vraisemblable qu’Alain et Georgette tombent tant de fois à genoux dans les boues, lorsque Arnolphe est en colère ?
ORIANE.
L’Auteur devait, avant cette Scène, leur en faire faire une autre, et les faire venir, avec chacun un Balai pour nettoyer la rue, puisque bien qu’elle fût peut-être assez nette, pour leurs genoux, elle ne la devait pas être assez pour le manteau, et le chapeau d’Arnolphe, qu’il prend la peine d’y mettre, lui-même, forcé par la chaleur où l’excès de sa colère le met.
ARISTIDE.
Élomire est bien malheureux de vous avoir pour ennemies : l’une fait connaître, avec beaucoup d’esprit, les défauts de sa Pièce, l’autre fait paraître le sien dans ses railleries.
ZÉLINDE.
Il ne faut pas avoir beaucoup d’esprit pour reprendre Élomire : puisque ses fautes sont si grossières, qu’elles sautent aux yeux. Mais je poursuis pour interrompre vos louanges. N’est-ce pas une chose ridicule, de voir Arnolphe enseigner en pleine rue, à Alain, et Georgette, comment ils doivent faire, pour empêcher Horace d’entrer à son logis ? Et les postures qu’ils font tous trois, ne devraient-elles pas faire arrêter tous les passants pour les regarder ? Le même Arnolphe, ne perd-il pas l’esprit, et ne dément-il pas son caractère, lorsqu’il fait venir quatre ou cinq fois Agnès dans la rue pour l’entretenir ? Il ne veut pas, comme il dit lui-même à Chrysalde, que personne la voie, et il prend tout exprès une autre maison que la sienne, pour empêcher que ceux qui viendront chez lui ne la voient ; cependant on ne voit autre chose que lui et elle, dans les rues, et il ne lui parle qu’en ce lieu là, sans songer que ses voisins, que les passants, et que ses amis qui le viendront trouver, la peuvent sans cesse voir avec lui ? S’il la voulait ainsi faire voir à tout le monde, il n’avait que faire d’avoir deux maisons. Comme cette Pièce commence dans la rue, et qu’elle s’y passe toute, il est bien juste qu’elle s’y dénoue, afin de garder l’unité de lieu. Si elle finissait par quelque action précipitée, comme par un combat, je ne la blâmerais pas de se dénouer dans la rue ; mais c’est une chose extraordinaire d’y voir huit personnes s’y entretenir, de sang froid, et donner des éclaircissements de toutes choses : ce n’est pas que je blâme les Pièces qui se passent dans les rues, je sais que cela se peut, et que nous en avons qui s’y passent, chez les Anciens ; mais il faut qu’il y ait plus d’action, et que l’on donne des couleurs aux choses que l’on y fait passer ; ce qui n’arrive pas dans L’École des femmes, où Arnolphe ne dit point pourquoi il entretient Agnès dans la rue, bien qu’il fasse plusieurs fois la même faute.
ARISTIDE.
Mais il me semble que la seconde fois qu’Arnolphe parle d’Agnès, il dit qu’il la fait descendre, pour avoir le temps de dire son Alphabet, afin de laisser tempérer sa bile.
ZÉLINDE.
C’est un prétexte bien forcé ; mais quand il serait bon, ce n’est que pour cette seule fois.
ARGIMONT, à part.
Je ne sais plus où j’en suis ! Je croyais avoir remarqué toutes les fautes de L’École des femmes ; cependant je commence à connaître qu’il y en a bien d’autres !
ZÉLINDE.
Il faut que tous ceux qu’Élomire joue, soient bien insensibles, ou ne se reconnaissent pas : cependant ceux qui n’y sont pas intéressés, s’en aperçoivent ; et je vis un Page le jour que je fus voir jouer sa Critique, qui pestait en sortant contre Élomire, et jurait qu’il le ferait repentir de sa témérité. Comment, disait-il, il est bien hardi de jouer les personnes de Naissance, et de s’attaquer à des Auteurs, qui ont mille fois plus de mérite que lui !
ORIANE.
Sans doute que ce page y avait reconnu son Maître, et qu’il n’était pas moins fâché de l’avoir vu bien représenter, que d’avoir vu jouer les Auteurs.
ZÉLINDE.
Cependant toutes ces menaces s’en vont en fumée, et le bonheur d’Élomire est tel, qu’il fait tourner à son avantage, tout ce qui lui devrait nuire.
ARISTIDE.
Mais, Madame, croyez-vous qu’il n’ait pas autant de mérite que de bonheur ? N’est-ce pas être heureux que de prendre hardiment partout, sans qu’on s’en aperçoive ? N’est-ce pas être heureux que de faire valoir ses Pièces soi-même ? N’est-ce pas être heureux, que de représenter toujours les mêmes choses sans que l’on s’en lasse ? Et n’est-ce pas enfin être heureux, que d’avoir rencontré un siècle, où l’on ne se plaît qu’à entendre des Satires ?
ARISTIDE, à part.
Le dépit qu’elle a d’avoir été jouée par Élomire, l’a fait parler avec tant de chaleur.
ZÉLINDE.
Si je croyais que… mais j’entends quelqu’un !
ARGIMONT.
C’est une personne de ma connaissance.
SCÈNE IX.
ORIANE, ZÉLINDE, LUCIE, ARISTIDE, ARGIMONT, CLÉRONTE.
CLÉRONTE.
Si vous avez quelques dentelles à la mode…
ARGIMONT.
À la mode ! Je ne vois pas que vous soyez de ceux qui la suivent.
ZÉLINDE.
En effet, monsieur ne paraît pas un des zélés sectateurs de la mode.
ARISTIDE.
Pour moi je trouve que c’est bien fait que de ne la pas suivre des premiers.
CLÉRONTE, en se regardant.
Qu’ai-je donc ! Ou plutôt, que n’ai-je pas, qui vous oblige à tenir ce discours !
ARGIMONT.
Vous n’êtes point du tout à la mode.
CLÉRONTE.
Je ne vois rien pourtant…
ARGIMONT.
Quoi, vous ne sentez pas que votre tête est chargée d’une Pyramide ?
ARISTIDE.
Argimont a raison et vous paraissez si grand, avec ce chapeau pointu, que l’on ne vous saurait regarder tout entier, sans être obligé de lever la tête.
ARGIMONT.
À quoi songez-vous de porter encore de ces pains de sucre noirs ?
ORIANE.
Il est vrai que la mode des chapeaux ronds est si bien établie, que ceux qui n’en ont point, sont présentement remarqués de tout le monde.
CLÉRONTE.
Il faut donc, enfin, devenir semblables aux Porteurs de blés, puisque la mode le veut : et suivre aveuglément ses caprices, sans examiner, si des pieds, elle passe à la tête. Ô temps ridicule ! Où l’on juge de l’homme par le soulier ; où l’on l’estime par le Chapeau ; et où l’on l’honore par l’habit. L’homme n’est plus que l’image de la mode, et bien qu’elle ne tâche qu’à le ruiner, il ne laisse pas de suivre ses lois avec plaisir. Au commencement d’un Hiver, ou d’un Été, l’on n’ose faire faire des habits ; pour ce que l’on ne sait pas encore ce qui sera à la mode : quand on le sait, il faut encore attendre, à cause qu’il y a des modes qui meurent en naissant. La mode va jusqu’aux Comédies, et de même que l’on ne trouverait pas un rabat bien fait, s’il n’était de la bonne faiseuse, l’on n’approuverait pas présentement une Comédie, si elle n’était d’Élomire. La mode nous oblige à dire du bien de tout ce qui vient de lui, aussi bien qu’à porter des Chapeaux ronds. Je connais des vieillards de quatre-vingt-dix ans qui en portent, et des gens qui n’ont jamais su ce que c’est qu’une Comédie, qui disent du bien de celles d’Élomire, pour ce qu’elles sont à la mode. Il faut cependant faire comme les autres, si l’on ne veut passer pour ridicule ; mais ce qui me console, est que l’on dit, que les fous inventent les modes, et que les sages les suivent. Il faut prendre celle du Chapeau rond ; puisqu’elle est déjà dans son plein. Je sais bien que c’est tout ce que je pourrai faire, que d’en user un, avant que la mode s’en passe ; puisque les gens de qualité ont coutume de quitter les modes, qu’ils ont inventées, dès qu’ils voient qu’elles sont trop communes. Mais je ne songe pas que je suis ici trop longtemps, et que la pointe de mon Chapeau, vous pourrait faire mal aux yeux, si j’y demeurais davantage ; c’est pourquoi je m’en vais de ce pas en acheter un rond.
:Il s’en va.
ZÉLINDE.
Nous parlions de Satires du temps, avant qu’il entrât ; mais il nous en vient de faire une, contre la mode et contre Élomire, à quoi nous ne nous attendions pas.
ARISTIDE.
Cet impromptu… Mais quelqu’un vient ici !
ZÉLINDE.
C’est un homme de qualité qui a tout à fait bonne mine.
ORIANE, à part.
C’est Mélante, c’est lui-même, nous ne nous pourrons parler que des yeux, jusques à ce que nous soyons seuls.
SCÈNE X.
ZÉLINDE, ARISTIDE, ORIANE, LUCIE, ARGIMONT, MÉLANTE.
MÉLANTE.
Je crois que mon bonheur m’a fait venir ici, et je ne croyais pas y trouver une si belle compagnie.
ARGIMONT.
Quand j’aurais vendu, aujourd’hui pour dix mille écus de dentelles, le gain que j’aurais fait, ne me réjouirait pas tant, que l’honneur d’avoir vu aujourd’hui, chez moi, ce qu’il y a de plus beau et de plus spirituel à Paris.
MÉLANTE.
L’avantage est considérable ; mais peut-être que je ne suis venu que pour troubler la conversation.
ZÉLINDE.
Vous devez avoir meilleure opinion de vous-même.
ORIANE.
Pour moi je vous avoue que votre présence m’a causé plus de joie que de chagrin.
ZÉLINDE.
Nous n’avons presque parlé depuis que nous sommes ici que du bonheur d’Élomire.
MÉLANTE.
Quoique ce Peintre se vante de travailler d’après nature, ce n’est toutefois qu’un fort mauvais copiste. Les portraits qu’il fait ne sont pas si ressemblant que le vulgaire se persuade ; et quoique l’on publie qu’il dépeint bien les gens de qualité, je n’ai encore rien vu, dans ses peintures qui leur ressemble. Il nous habille autrement que nous ne sommes ; il allonge nos cheveux, il agrandit nos rabats, apetisse nos pourpoints, augmente nos garnitures ; donne plus de tour à nos canons ; nous fait peigner plus souvent que nous ne faisons ; nous fait faire des contorsions au lieu de révérences ; et s’il nous fait dire un mot, il nous le fait répéter cinquante fois ; et en ajoutant ainsi à nos habits, et à nos actions, il nous veut faire passer pour ce que nous ne sommes pas. Mais, dites-moi, je vous prie, pour peu qu’un Peintre grossît le nez d’une belle personne, qu’il agrandît ses yeux et sa bouche, et qu’il allongeât son visage, ne ferait-il pas un monstre, d’une beauté parfaite ? C’est ce qu’Élomire fait dans ses tableaux de la Cour, et c’est par où il prétend tourner en ridicules, des personnes dont l’ajustement répond à l’esprit ; qui ne font rien que la bienséance n’autorise, et qui n’ont rien que de recommandable : c’est pourquoi ce Peintre doit prendre garde, qu’après avoir voulu jouer les autres, il ne se trouve quelqu’un qui le joue lui-même.
ARISTIDE.
Je crois que tout ce que l’on ferait contre lui, ne servirait qu’à augmenter sa gloire ; et ses Satires, lui ont fait tant d’amis qu’ils ne manqueraient pas d’aller fronder la Pièce, que l’on jouerait contre lui.
MÉLANTE.
Les Frondeurs sont insupportables, et je ne saurais souffrir que l’on fronde, même les Pièces qui ne valent rien. Je m’imagine voir ces perturbateurs des divertissements publics, crier qu’une Pièce ne vaut rien, devant qu’elle commence ; faire les mauvais plaisants, pendant qu’elle dure ; rire à contretemps, faire la grimace aux plus beaux endroits, blâmer sans vouloir entendre ; tirer les autres pour les empêcher d’écouter ; dire cent fois que la Pièce ne vaut rien, sans en pouvoir donner de raisons ; et se faire remarquer de tout le monde, et même montrer au doigt.
ZÉLINDE.
Jamais Élomire n’a fait de Portraits si ressemblants que celui des frondeurs de Pièces, que vous venez de faire ; et si toutes les personnes de qualité avaient autant d’esprit que vous ; ce Peintre des actions ridicules, serait obligé de n’en dire que du bien, ou de n’en jamais parler.
MÉLANTE.
Ce que vous dites n’est qu’un compliment, que votre civilité vous oblige à me faire.
ZÉLINDE.
Je crois n’avoir rien dit qui ne soit véritable mais je ne songe pas qu’il y a longtemps que je suis ici, et que j’ai des affaires à la ville.
:À Argimont.
Monsieur, montrez-moi, s’il vous plaît, un point de Venise.
ARGIMONT.
Il m’en est arrivé ce matin d’admirables, qui sont là bas.
ZÉLINDE.
Je les verrai en passant.
ARISTIDE.
Je vais descendre avec vous et comme j’ai envie d’en avoir un, vous me direz s’ils sont beaux.
SCÈNE XI.
ORIANE, MÉLANTE, LUCIE.
MÉLANTE.
Je crois que vous m’avez attendu avec beaucoup d’impatience ; mais j’étais auprès de mon Oncle, qui est malade à l’extrémité. Tout ce que j’ai pu faire, ç’a été de me dérober, un moment, pour vous venir, moi-même, apporter cette nouvelle. J’ai laissé tous mes gens chez lui, et un de mes laquais doit dans un moment, me venir dire ici de ses nouvelles.
ORIANE.
Vous ne deviez pas le quitter en l’état où il est, et je connais que l’amour, que vous avez pour moi, est bien grand ; puisque vous m’en donnez des preuves, aux dépens de votre prudence.
SCÈNE XII.
ORIANE, MÉLANTE, LUCIE, CLÉARQUE.
LUCIE.
Ah ! Madame, que ferez-vous ? Voilà votre Père !
CLÉARQUE.
Quoi ! Perfide, est-ce ici que demeure votre Cousine Orphise ? Et vous Monsieur…
SCÈNE XIII.
ORIANE, MÉLANTE, CLÉARQUE, LUCIE, CLÉON.
CLÉON, à Mélante.
Monsieur, votre Oncle vient de mourir.
MÉLANTE.
Est-il possible ?
CLÉARQUE.
Qu’entends-je ?
ORIANE.
Ah ! Mon Père, ne vous emportez point contre Mélante, après la perte qu’il vient de faire ; et s’il est encore dans la résolution de m’épouser, consentez plutôt à notre Mariage.
CLÉARQUE.
Puisque son mérite est soutenu du bien de son Oncle, je n’ai plus de sujet de m’y opposer, et s’il y consent, j’en suis d’accord.
MÉLANTE.
J’ai trop d’amour pour la belle Oriane, pour n’y pas consentir.
CLÉARQUE.
Lorsque je vous ai fait épier, et que je suis venu vous trouver ici, je ne croyais pas que ma colère dût être si tôt apaisée.
MÉLANTE.
Vous me permettrez de vous quitter, et d’aller songer à ce que je dois à mon Oncle, avant que de penser à ce que je dois à mon amour.
FIN.
(Texte saisi par David Chataignier à partir de l’exemplaire Rés-Yf-3775 conservé à la Réserve de la Bibliothèque nationale de France reproduit sur Gallica sous la cote NUMM- 72644)