La condamnation des « esprits hauts » et des femmes auteurs est à rapporter, dans les traités moraux, à une méfiance plus générale vis-à-vis de l’instruction des femmes, conçue comme pernicieuse :
– Le personnage d’Eudoxie, dans L’Ecole des filles en dialogues (1659), cherche à modérer la passion de sa jeune interlocutrice pour la lecture, et pour les manifestations trop éclatantes de son esprit (1).
– Les romans, particulièrement pernicieux pour les jeunes filles, sont prohibés dans les traités d’éducation chrétienne comme celui qu’Alexandre-Louis Varet publie en 1666 (2).
– L’idée qu’une femme ne doit pas savoir composer, tout comme celle qui veut que la femme sache uniquement se consacrer à des activités domestiques (« prier Dieu, m’aimer, coudre et filer ») sont attribuées, dans les milieux mondains, à des esprits « opiniâtres » (3).
L’héroine de la Zélinde (1663) de Donneau de Visé, s’emportera contre ce vers de L’Ecole des femmes (4).
Dans les Maximes du mariage qu’Arnolphe imposera à Agnès, il est précisé qu’ « il ne faut écritoire, encre, papier, ni plumes ». Lorsqu’il découvre qu’Agnès a envoyé un billet à Horace, Arnolphe s’exclamera encore : « à quoi l’écriture te sert ! ».
(1)
Dans L’Ecole des filles en dialogues (1659), Eudoxie s’adresse en ces termes à la jeune Parthénie, qui lui demande conseil :
Eudoxie :
Ce n’est pas que je trouve mauvais qu’une fille donne une partie de son temps à la lecture : mais c’est qu’il est bien difficile qu’elle en use avec la modération qui doit être inséparable des personnes de son sexe : Et comme elle ne doit pas lire toute sorte de livres, il faut qu’elle n’en lise pas un que par le conseil de quelque homme d’esprit qui s’intéresse à sa conduite. […] [Mon ami] me disait aussi que la lecture trop assidue à des filles d’une médiocre force produisait le même effet que l’étude dans les hommes qui n’étaient pas nés pour les sciences ; et qu’au lieu d’ajouter quelque chose à la nature, elle corrompait ce qu’il y avait de bon : de sorte qu’une fille qui était du moins capable des occupations ordinaires des filles devenait incapable de toutes choses, quand elle s’attachait trop fortement à la lecture.
( Dialogue premier : Parthénie, ou la fille à marier, p. 53-55).
Elle lui déconseille également d’adopter des habitudes liées à la trop grande fréquentation des livres, en particulier dans son langage :
[…] si elles ont employé leur temps à la lecture des romans et des comédies, on le reconnaît facilement dans leur conversation ; et comme si les paroles ne devaient pas servir à se faire entendre de tout le monde, elles affectent des façons de parler si peu communes, qu’il y a bien souvent des personnes dans la compagnie qui sont obligées de demander l’explication.
(Ibid., p. 55-56)
Et elle conclut :
Son sentiment [de mon ami] ni le mien ne sont pas qu’une fille qui n’a pas l’esprit admirable ne lise jamais, mais seulement qu’elle lise avec choix, et qu’elle ne lise pas trop.
(Ibid., p. 57)
(2)
Le traité d’Alexandre-Louis Varet, De l’éducation chrétienne des enfants (1666), est plus radical. Il traite ici de l’éducation des jeunes filles :
Vous voyez comme [les lectures] leur inspirent de l’amour et de l’estime pour toutes les vanités du siècle, comme elles leur apprennent à rechercher les moyens de plaire au monde, de flatter leurs sens, de se parer, de se rendre agréable, d’arrêter et de tromper les yeux […].
( p. 185-186)
Souvent on est surpris de voir des jeunes filles élevées dans une grande retenue et dans une grande modestie prendre tout d’un coup un air plein de vanité et de galanterie, et ne faire paraître de l’ardeur que pour ce qui est en estime parmi le monde, et ce qui est en abomination devant Dieu. On s’étonne de ce déplorable changement, et comme elles n’ont point encore vu les compagnies, on ne sait à quoi l’attribuer. C’est bien souvent que les pères et les mères n’ont point veillé sur elles pour les empêcher de s’occuper à la lecture de ces dangereux livres, qui leur ont inspiré cette secrète vanité, et ce désir de faire naître en ceux qui les regardent ces passions, pour lesquelles elles ont conçu tant d’estime, en les voyant exprimées si agréablement dans ces livres.
( p. 186-187)
(3)
Dans Le Nouveau Parnasse ou Les Muses galantes (dans Oeuvres diverses) (1663), on lit :
Quelques uns des plus opiniâtres disaient que c’était une grande imprudence d’avoir communiqué les Sciences à des filles qui en étaient incapables de leur nature, et qui ne devaient être employées qu’à filer et à coudre, non point à parler en public, ou à écrire et à composer des livres. […] Que dans leurs premières applications elles avaient pu embrasser le célibat, mais que depuis qu’elles avaient écouté les douceurs et les fleurettes des Mignons de cour, on ne pouvait plus empêcher qu’elles ne devinssent évaporées, et qu’elles ne se laissassent emporter à de volages amours.
( p. 21-22)
(4)
L’héroine de la Zélinde (1663) de Donneau de Visé, après avoir cité ce vers, commente :
Quoi ! Blâmer le sexe et l’esprit tout ensemble ! Sans doute qu’il veut que nous soyons aussi stupides que son Agnès, mais il ne prend pas garde que l’ignorance et la stupidité font faire des choses à de semblables bêtes dont il n’y a que les personnes d’esprit qui se puissent défendre.
(sc. VIII, p. 103-104)