Les Lois de la galanterie

Table des matières

[Charles Sorel], « Les Lois de la galanterie, de nouveau corrigées et amplifiées par l’Assemblée générale des Galants de France », Recueil des pièces en prose les plus agréables de ce temps, Paris, Charles de Sercy, 1658, p. 45-97

Ce texte à dimension parodique est édité pour la première fois dans un recueil destiné au public mondain, le Nouveau Recueil des pièces les plus agréables de ce temps (Paris, Sercy, 1644). Il constitue en partie une réponse aux propos de La Mothe le Vayer (notamment au discours « Des habits et de leur mode différente »).

 

Plusieurs points de rencontre avec le texte des comédies de Molière peuvent être relevés :

 

Les Précieuses ridicules

furieusement
holà, porteurs, holà
Mesdames
La renommée accuse juste
après s’être peigné
ils me rendent tous visite
avant tous les autres
l’un des ces jours à la comédie
ma petite-oie
as-tu là ton carrosse
ayons donc les violons pour danser
et du galant, et du bien tourné

 

L’Ecole des maris

à la mode il faut m’assujettir
Suivre ce que l’usage y fait de changement
les sottises qu’on porte
en dépit de la mode

 

L’Avare

Dans mon carrosse

 

Le Tartuffe

il est bien gentilhomme
Fagotin et les marionnettes

 

Le Bourgeois gentilhomme

pour vous régaler
deux révérences

 

Les Femmes savantes

traînés dans les ruisseaux des halles

 

Don Juan ou le Festin de pierre

voilà votre marchand

 

La Comtesse d’Escarbagnas

des poires de son jardin
Monsieur Tibaudier

 

 

LES LOIS DE LA GALANTERIE,

De nouveau corrigées et amplifiées par l’Assemblée générale des Galants de France.

 

I.

Nous Maîtres Souverains de la Galanterie, À tous ceux qui mettront nos Préceptes en pratique, ou qui les auront en estime et vénération ; Nous leur donnons le Salut, et leur souhaitons joie et prospérité, Nous faisons savoir, Que notre coutume étant de nous assembler plusieurs fois l’année, pour la réformation de nos Lois, qui sont quelquefois changées plus souvent que tous les jours, il a été jugé à propos d’en faire maintenant une réunion solennelle, pour autoriser les augmentations, les retranchements, et les variétés qui s’y trouvent : C’est pourquoi, après quelques Séances tenues entre Nous par forme d’États, de l’avis des Galants les plus habiles et les plus qualifiés, soit d’Épée, soit de Robe, Nous avons conclu et arrêté, qu’aucune autre Nation que la Française, ne se doit jamais attribuer l’honneur de la Galanterie, les préceptes n’en pouvant être observés excellemment que par cette Nation qui est la nôtre, d’autant que la plupart des autres Nations sont d’humeur grossière ou mesquine, fort contraire à la subtilité, à la gentillesse, à la somptuosité, et à toutes les vertus nécessaires ; Nous avons aussi ordonné que ce ne sera que dans Paris, Ville capitale en toutes façons, qu’il faudra chercher la source et l’origine de la vraie Galanterie, et où l’on croira que sont les vrais Galants, Que les Provinciaux ne pourront jamais avoir l’air du grand Monde, s’ils n’ont demeuré quelque temps dans ce superbe lieu, qui est un abrégé du Monde universel, et sans y avoir fait leur cours en Propreté, Civilité, Politesse, Éloquence, Adresse, Accortise, et Prudence mondaine, et s’être acquis toutes les autres habitudes dont la Galanterie se compose, ayant écouté pour cet effet plusieurs Leçons des plus doctes Professeurs, et suivi ponctuellement leurs exemples. Encore avec tout cela ne pourront-ils exercer noblement et dignement notre Art illustre dans leurs Villes éloignées, pour ce qu’il n’a cours véritablement que dans Paris, Ville incomparable et sans pair, de laquelle lorsque les vrais Galants s’absentent, ils se trouvent comme les grands Poissons de la Mer, dans une petite Mare où ils ne peuvent nager faute d’eau ; si bien que celui qui prétend conserver cette dignité, ne doit s’éloigner que le moins qu’il lui sera possible de ce lieu, qui est son vrai Élément.

 

II.

Nous n’entendons point qu’aucun soit si hardi de prétendre en Galanterie, s’il ne vient d’une Race fort relevée en Noblesse et en honneurs, et s’il n’a l’esprit excellent, ou s’il n’a beaucoup de richesses qui brillent aux yeux du Monde pour l’éblouir et l’empêcher de voir les défauts ; Néanmoins cela n’empêchera pas qu’il n’y ait des Galants de divers étages, comme il y en peut avoir de différentes conditions, lesquels tant qu’il seront en cet état, se devront pourtant contenter d’une gloire basse et obscure parmi des gens de leur sorte ; car il ne se faut point imaginer qu’il n’y ait aucun moyen de paraître véritablement, sans être logé dans des Palais somptueux, sans être superbement vêtu, et suivi de quantité de Valets, et même sans être nommé de quelque haut titre, soit de Dignité, soit de Seigneurie.

 

III.

La Noblesse s’étant attribué principalement cette prérogative de s’élever au-dessus des autres Hommes, il n’y a point de doute que la Galanterie lui sied mieux qu’à qui que ce soit, principalement lorsqu’elle s’est conservée de temps immémorial par l’exercice des armes ; de sorte que les enfants des Hommes de robe et des riches Financiers, n’ont point tant de grâce à faire les Galants, et ce leur est une vertu moins naturelle : Néanmoins quelque antiquité de race qu’aient les Seigneurs et Gentilshommes, s’ils n’ont beaucoup de bien avec cela, leur galanterie sera fort basse, pour ce que leur condition les obligeant à faire plus de dépense que toutes les autres, et n’étant pas instruits à faire valoir leur bien par le trafic, le prêt d’argent, ou les partis, et par autres moyens qui ne sont pas honnêtes pour eux, plusieurs d’entre eux seront sujets à tomber dans l’indigence, et à n’avoir pas les choses nécessaires à la vie, tant s’en faut qu’ils aient ce qui ne doit servir que de parade et d’ornement : Mais nous y avons mis un bon ordre en les avertissant d’emprunter de tous côtés, et d’appuyer leurs crédits par tous les artifices imaginables, les assurant que c’est une des marques de Noblesse d’en faire ainsi ; et qu’encore qu’ils ne soient ni Ministre d’État, ni Généraux d’Armées, ils ne laisseront pas d’avoir quantité de gens à leur lever qui formeront une grosse Cour, dont il y en aura même qui leur prêteront de nouveau, soit argent, soit marchandise, quelque fois en aussi grande quantité qu’auparavant, pour les obliger par cette bonté à leur donner satisfaction des premières dettes. Que s’il leur arrive de se battre en duel, ou de se trouver en une bataille et en un assaut de Ville, ils seront assurés qu’il y aura force gens qui prieront Dieu continuellement pour leur conservation, et qui souhaiteront de les voir bientôt de retour en bonne santé, plutôt que d’ouïr la nouvelle de leur mort ; parce qu’étant morts ils auraient de la peine à tirer quelque chose de leurs héritiers, leurs biens étant possible mis en décret, ce qui est long à terminer ; Et que si les marchands ont prêté à ceux qui n’étaient pas en âge, le paiement leur en sera refusé par les parents ; au lieu qu’eux vivant, les créanciers ont toujours espoir en leur bonne fortune, et en la bonne conscience de ceux qui leur doivent.

 

IV.

Il faut que chacun sache que, Le Parfait Courtisan, que le Comte Balthazar de Châtillon a voulu décrire en langage Italien, et l’Honnête Homme, que le sieur Faret a entrepris de dépeindre en Français, ne sont autre chose qu’un vrai Galant ; mais tous les crayons qu’on en a faits, n’ont pas une entière ressemblance à l’original ; Outre que toutes les bonnes qualités qu’on a souhaitées à d’autres séparément, doivent être réunies en lui, il doit avoir les vertus particulières, qui sont la Somptuosité, la Magnificence, et la Libéralité, en degré souverain, et pour y fournir il doit avoir un grand revenu. Que s’il y a eu des Philosophes qui mettant la Richesse entre les biens externes, ont dit qu’elle n’était point nécessaire à rendre l’homme vertueux ni heureux, nous leur soutiendrons que ce sont des Pédants et mélancoliques, qui ne savent en quoi consiste le bien de la vie, et même qui mériteraient d’être punis, de ne pas suivre leur grand Maître Aristote, qui nomme la Beauté du Corps, la bonne Fortune, et la Richesse, entre les choses nécessaires à la Félicité. Nous enseignons à tous ceux qui voudront observer nos Ordonnances, de faire ainsi leur profit des bons Livres, lorsqu’ils seront conformes à nos opinions, et de corriger ceux qui en seront trop éloignés. Ils souffriront bien que l’on les appelle parfaits Courtisans, ou honnêtes Hommes, et qui savent ce que c’est des bonnes moeurs et des règles de la vie, pourvu que l’on entende que cela est ordonné selon leur Morale particulière ; et si l’on les appelle Hommes du Monde, l’on sait de vrai que tous les autres hommes sont du Monde comme eux ; mais l’on voudra dire qu’ils sont du grand Monde, qui est celui dont l’on doit faire état.

 

V.

S’il arrive qu’un Homme qui ait l’esprit propre à la Galanterie, n’ait pas néanmoins assez d’argent pour y fournir plusieurs années, nous lui permettons de manger tout son bien en un an, si le cas y échet, plutôt que de laisser échapper toute occasion de paraître : Il suffira qu’il se réserve l’espérance comme Alexandre le Grand, qui a été un Prince des plus Galants que l’antiquité ait produit. Quelque fois il arrive des successions ou des donations lorsque l’on n’y pensait pas. Une Veuve pécunieuse peut épouser celui qui n’est riche qu’en bonne mine ; et faisant sa Cour avec assiduité auprès des plus Grands, l’on obtient d’eux des emplois et des pensions qui remettent un Homme dans le haut lustre ; et s’il ne s’était point hasardé de paraître tout le plus qu’il pouvait, il n’y fût pas parvenu, étant tenu pour un Homme mesquin et de peu de considération.

 

VI.

Il y a une adresse fort louable pour ceux qui ne sont pas capables de faire d’eux-mêmes tout ce qu’ils désireraient, C’est de se joindre de compagnie à ceux qui ont de quoi faire une grande dépense, et de les y engager insensiblement, mais d’une telle sorte, que l’on croit que ce soit eux qui la fassent. Ainsi quelques-uns donneront des inventions de Ballet, et feront faire quelques parties à leurs associés dont ils auront l’honneur, pour ce qu’ils s’entremettront de tout, et que les autres ne seront pas assez hardis pour aller publier que c’est leur bourse qui fournit à l’appointement.

 

VII.

Lorsque la Mode a voulu que les Seigneurs et Hommes de condition allassent à cheval par Paris, il était honnête d’y être en bas de soie sur une housse de velours, et entouré de Pages et de Laquais. On faisait alors mieux voir sa taille et ses beaux habits, et son adresse à manier un cheval : Mais maintenant que les crottes s’augmentent tous les jours dans cette grande Ville avec un embarras épouvantable, nous ne trouvons plus à propos que nos Galants de la haute volée soient en cet équipage, et aillent autrement qu’en Carrosse, où ils seront plus en repos, et moins en péril de se blesser, ou de se gâter. Nous savons qu’autrefois pour parler d’un Homme qui paraissait dans le Monde, soit Financier ou autre, on disait de lui, il ne va plus qu’en housse : Aujourd’hui cela n’est guère propre qu’aux Médecins, ou à ceux qui ne sont pas des plus relevés. De quelque condition que soit un Galant, nous lui enjoignons donc d’avoir un Carrosse, s’il en a le moyen, d’autant que lorsqu’on parle aujourd’hui de quelqu’un qui hante les bonne Compagnies, on demande incontinent, A-t-il Carrosse ? et si l’on répond qu’oui, on en fait beaucoup plus d’estime : C’est aussi une chose très utile à un Homme qui veut être dans la bonne réputation, d’entretenir un Carrosse, voire deux, quand ce ne serait que pour faire plaisir à quelques Dames qui n’en ont point, ou de qui les chevaux sont malades et leur en prêter quelquefois pour leur promenade et leurs visites ; ce qui les oblige de telle sorte, que l’on est après beaucoup mieux venu chez elles ; et entre les bonnes qualités d’un Homme, l’on ne manque pas de dire toujours d’abord, il a un bon Carrosse, ce qui vous met incontinent dans l’honneur et dans le crédit.

 

VIII.

Si les Galants du plus bas étage veulent visiter les Dames de condition, ils remarqueront qu’il n’y a rien de si laid, que d’entrer chez elles avec des souliers crottés, spécialement s’ils en sont logés fort loin ; car quelle apparence y a-t-il qu’en cet état ils aillent marcher sur un tapis de pied, et s’asseoir sur un fauteuil de velours ? C’est aussi une chose horrible, de s’être coulé de son pied d’un bout de la Ville à l’autre, quand même l’on aurait changé de souliers à la porte, et quoi que l’on ait des Mules que l’on ait laissées au bas de l’escalier ; il ne se peut faire que le bas de chausse n’ait quelque petite crotte, qui vous accuse d’être venu là sur vos pauvres jambes, et qui ne vous reproche votre pauvreté, qui n’est pas moins un vice aujourd’hui en France que chez les Chinois, où l’on croit que les pauvres soient maudits des Dieux, à cause qu’ils ne prospèrent point. Quiconque vous soyez donc qui vous trouvez dans la nécessité, vous saurez que pour cacher votre défaut, il faut vous lier d’amitié avec quelqu’un qui ait Carrosse, et qui vous charrie en beaucoup de lieux où vous aurez à faire, à la charge que vous lui céderez par tout et que vous serez son Flatteur éternel ; ou bien il faudra au moins aller à cheval, non pas avec des housses de cuir pour garder vos Bottes, ou votre Bas (car cela sent son Solliciteur de procès, et son Opérateur) mais avec une housse de serge grise, ou de quelque autre couleur ; ou pour montrer que cela se fait à l’improviste, vous vous servirez d’une casaque de Laquais. Vous pouvez aussi pour le plus sûr vous faire porter en Chaise, dernière et nouvelle commodité si utile, qu’ayant été enfermé là-dedans sans se gâter le long des chemins, on peut dire qu’on en sort aussi propre, que si on sortait de la boite d’un Enchanteur ; et comme ces Chaises sont de louage, l’on n’en fait la dépense que quand l’on veut : au lieu que, depuis qu’on a un cheval à soi, il lui faut donner tous les jours de quoi manger, encore qu’on ne s’en serve pas. Or pour avoir toujours une Chaise propre, il est bon d’en avoir une à soi qui nous fasse remarquer dans les Rues par ses armes ou ses chiffres ; cela est plus honnête que de se servir des Chaises des carrefours, où se mettent toutes sortes de gens. Quand votre Chaise sera vue aussi en quelque endroit de votre maison, elle y servira de parade ; et ceux qui la remarqueront se pourront imaginer que vous vous y faites porter presque tous les jours, quoi que cela ne vous arrive pas une fois le mois, et que ce soit le moins que vous pouvez, afin de sauver la dépense des Porteurs.

 

IX.

Ne vous figurez pas qu’ayant placé le Galant dans son Carrosse, sur son Cheval, ou dans sa Chaise, nous l’ayons par ce moyen équipé de toutes pièces. On a mis ceci en ce lieu, après avoir parlé en général de sa dépense, à cause qu’il n’y a presque rien qui lui soit plus nécessaire. Or l’ayant conduit par la Ville, il le faut voir en l’état qu’il doit être pour entrer dans les Maisons de qualité, si bien que notre ordre est assez raisonnable : Et pour parler premièrement de ce qui concerne la Personne, on peut aller quelquefois chez les Baigneurs pour avoir le corps net, et tous les jours on prendra la peine de se laver les mains avec le pain d’amande. Il faut aussi se faire laver le visage presque aussi souvent, et se faire raser le poil des joues, et quelquefois se faire laver la tête, ou la dessécher avec de bonnes poudres ; car si l’on a tant de soin de faire nettoyer des habits, et même de tenir des chambres nettes, et tous les meubles d’une maison, à plus forte raison se doit-on soucier de son propre corps. Vous aurez un Valet de chambre instruit à ce métier, ou bien vous vous servirez d’un Barbier qui n’ait autre fonction, et non pas de ceux qui pansent les plaies et les ulcères, et qui sentent toujours le pus ou l’onguent. Outre l’incommodité que vous en recevez, il y a danger même que venant de panser quelque mauvais mal, ils ne vous le communiquent : tellement que vous ne les appellerez que quand vous serez malade ; et en ce qui est de vous accommoder le poil, vous aurez recours à leurs compétiteurs, qui sont Barbiers barbants, quelques défenses et Arrêts qu’il y ait eu au contraire. Celui que vous emploierez à ceci, étant très propre et très adroit, vous frisera les cheveux, ou les laissera enflés, et vous accommodera la barbe selon qu’elle vous siéra le mieux, car c’est un ornement naturel le plus excellent de tous, et dont il faut tenir le plus de compte. Les uns portent les moustaches comme un trait de sourcil, et fort peu au menton ; les autres ont une moustache à coquille. D’une façon ou d’autre, on est toujours bien, pourvu qu’on reconnaisse que cela n’est point négligé ; mais cela est encore plus estimable, quand l’on voit que cela vous donne plus de grâce. À ce propos on a beaucoup loué un Barbier de la vieille Cour, de qui la Boutique et la Salle étaient ornées de portraits d’Hommes qui avaient la Barbe d’une manière différente, afin que ceux qui se la voulaient faire faire, n’eussent qu’à regarder ceci pour choisir la Mode qui leur plairait le plus : Mais il suffit pour le présent de dire que vous voulez porter la Barbe comme Tels ou Tels des Galants de la Cour. En ce qui est des cheveux, il les faut avoir les plus longs qu’on peut, et presque jusques à la ceinture : C’était au temps jadis qu’on ne laissait croître qu’un des côtés qu’on appelait une Moustache, ou Cadenette ; maintenant ce n’est point paraître Galant, d’avoir les cheveux courts, il les faut avoir très longs. Si la Nature ne vous a point fait ce don, il faut y pourvoir, portant une Perruque faite de ces cheveux coupés sur le champ d’une personne qui est en vie, lesquels on ne fait point bouillir et passer par le feu, et que pour ce sujet on appelle des cheveux vifs. Il y a pourtant quelque liberté de s’accommoder à sa fantaisie, les uns portant une Perruque entière, les autres n’ayant que des coins. On choisit en ceci ce qui est le plus propre à chacun selon les cheveux qui lui restent : Il n’importe, pourvu que les cheveux soient de chaque côté de longueur raisonnable.

 

X.

Après ceci on doit avoir égard à ce qui couvre le corps, et qui n’est pas seulement établi pour le cacher et le garder du froid, mais encore pour l’ornement. Il faut avoir le plus beau linge et le plus fin qu’on pourra trouver. On ne saurait être trop curieux de ce qui approche si près de la personne. Quant aux habits, la grande règle qu’il y a à donner, c’est d’en changer souvent et de les avoir toujours des plus à la mode ; et nous entendons par les habits, tout ce qui sert de principal vêtement, avec ses dépendances qui ferment en quelque partie du corps que ce soit. Il faut prendre pour bons Gaulois et gens de la vieille Cour, ceux qui se tiennent à une mode qui n’a plus de crédit, à cause qu’elle leur semble commode. Il serait ridicule de dire ; je veux toujours porter des Fraises, pour ce qu’elles me tiennent chaudement ; Je veux avoir un Chapeau à grand bord, d’autant qu’il me garde du Soleil, du vent, et de la pluie ; Il me faut des Bottes à petites genouillères, pour ce que les grandes m’embarrassent ; Je ne veux pas porter de grands Canons aux jambes à cause qu’ils m’empêchent de marcher : C’est n’entendre pas qu’il se faut captiver un peu pour être toujours bien mis. Ne dit-on point qu’il ne faut point penser avoir toutes ses aises en ce Monde ? On a beau dire qu’il n’est rien de si inconstant que le Français ; Que tantôt il porte des Chapeaux hors d’escalade, et tantôt de bas ; Tantôt de grandes basques, et tantôt de petites, des chausses longues, et après des courtes, et que la description de cette bizarrerie ayant été faite par quelqu’un en ce qui est des Collets, on a publié qu’au lieu que nos pères en portaient de petits tous simples ou de petites Fraises semblables à celles d’un Veau, nous avons au commencement porté des Rotondes de carte forte, sur lesquelles un Collet empesé se tenait étendu en rond en manière de théâtre ; Qu’après on a porté des espèces de Piguoirs sans empeser, qui s’étendaient jusqu’au coude ; Qu’ensuite on les a rognés petit à petit pour en faire des Collets assez raisonnables, et qu’au même temps on a porté de gros tuyaux gaudronnés, que l’on appelait encore des Fraises, où il y avait assez de toile pour les ailes d’un Moulin à vent ; et qu’enfin quittant tout cet attirail, l’on est venu à porter des Collets si petits, qu’il semblait que l’on fût mis une Manchette autour du col. Ce sont de belles pensées que l’on se forme pour exprimer le changement d’un contraire à l’autre, et le progrès différent de nos Modes ; mais quoi que cela soit pris pour une censure de nos Coutumes, nous ne devons pas laisser de garder notre variété, comme la plus divertissante chose de la Nature. Si quelques-uns disaient encore autrefois qu’ils se formalisaient de ce rond de Bottes fait comme le chapiteau d’une Torche, dont l’on avait tant de peine à conserver la circonférence, qu’il fallait marcher en écarquillant les jambes, comme si l’on eût en quelque mal caché ; et si depuis ayant quitté l’usage des Bottes, et porté de simples Canons de la grandeur d’un Vertugadin, on en a fait de pareilles plaintes, c’était ne pas considérer que des gens qui observent ces modes vont à pied le moins qu’ils peuvent. D’ailleurs quoi qu’il n’y ait guère que cela ait été critique, la mode en est déjà changée. Les genouillères rondes et étalées n’ont été que pour les grosses Bottes, les Bottes mignonnes ayant été depuis ravalées jusques aux éperons et n’ayant eu qu’un bec rehaussé devant et derrière. Quant aux Canons de linge qu’on étalait au-dessus, nous les approuvions bien dans leur simplicité quand ils étaient fort larges et de toile Baptiste bien empesée, quoi que l’on ait dit que cela ressemblait à des lanternes de papier et qu’une lingère du Palais s’en servit ainsi un soir, mettant sa chandelle au milieu pour la garder du vent. Afin de les orner davantage, nous voulions dès lors que d’ordinaire il y eut double et triple rang de toile, soit de Baptiste, soit de Hollande ; et d’ailleurs cela était encore mieux, s’il y pouvait avoir deux ou trois rangs de point de Gênes, ce qui accompagnait le jabot qui devait être de même parure. Vous savez que comme le cordon et les aiguillettes s’appellent la petite oie, on appelait un jabot l’ouverture de la chemise sur l’estomac, laquelle il fallait toujours voir avec ses ornements de dentelle, car il n’appartient qu’à quelque vieil penard d’être boutonné tout du long. Étant aussi avertis qu’à cause que les Hommes ne portaient plus alors de Collets à passement, ou de point coupé, plusieurs les avaient mis à leur chemise, nous leur défendîmes ce ménage qui sentait trop sa mesquinerie, pour ce qu’il faut qu’un vrai Galant n’ait rien qui ne soit neuf et bau, et fait exprès. Pour retourner aux Bottes, il a été de vrai un temps que l’on en pouvait porter dix ans durant sans monter à cheval, et sans que personne s’en étonnât. Or il était besoin de les avoir à long pied, encore que l’on ait dit qu’il se fallait conformer à la Nature, et garder ses mesures. On sait bien qu’au même temps que les longs pieds ont été mis en usage, on a aussi porté des Chapeaux forts hauts, et si pointus, qu’un téton les eût couverts. La mode de ces Chapeaux se changea soudain en forme plate et ronde, qui néanmoins ne s’est pas conservée, et l’on revient insensiblement à la porter pointus et hauts ; Les Bottes et les Souliers à long pied nous sont aussi demeurés, ce qui montre l’estime qu’on en a fait. On ficha bien une fois un clou à quelqu’un dans ce bout de Botte, cependant qu’il était attentif à quelque entretien, de telle façon qu’il demeura cloué au plancher ; mais tant s’en faut que cela en doive faire haïr l’usage, qu’au contraire si le pied eût été jusqu’au bout de la botte, le clou eût pu le percer de part en part, et voilà à quoi cela servit à ce Galant. Après les Bottes, songeant aux éperons, on les portait d’argent massif, et on leur faisait changer souvent de façon, sans plaindre le coût. Depuis l’usage des Bottes étant aboli, si ce n’est pour aller à la guerre, ou se promener aux champs, les grands Canons ont été en crédit, soit de toile simple, ou ornés de belles dentelles, à quoi il a fallu que les vrais Galants se soient accoutumés, pour ce que c’était un équipage magnifique, et que d’ailleurs cela servait grandement à cacher la défectuosité de quelques jambes cagneuses ou trop menues : mais s’il arrive que maintenant la mode de ces Canons se passe, il faut que chacun porte des Bas de soie ou de fine laine, avec des jarretières si grosses, que leur ornement supplée aux autres défauts. Et l’on a aussi porté des Canons d’étoffe, au lieu de ceux de toile ; et quelques-uns ne se pouvant accoutumer aux grosses Jarretières, ont orné leurs jambes d’un simple Ruban. Or nous ordonnons que ceux qui seront ainsi en bas de soie, n’en auront point d’autres que d’Angleterre, et des plus fins, et que leurs Jarretières et noeuds de Souliers seront tels que la Mode en aura ordonné ; et l’on sera averti en général, que dès aussitôt qu’il y a quelque nouveauté introduite, il y a de l’honneur à l’observer, afin qu’il semble quasi que l’on en soit l’Auteur, et craignant que l’on ne s’imagine que l’ont ait seulement le reste des autres. Pour ce sujet il faut avoir soin de faire dépêcher les Tailleurs, car il y en a de si longs, et au contraire il y a des modes qui durent si peu, qu’elles sont passées avant qu’un habit soit fait. En général il faut être averti de rendre les choses convenables, et quand on aura des habits de belle étoffe, d’avoir aussi des Collets et des Manchettes de belle dentelle, de bien assortir la couleur des bas de soie et des Galants ou Rubans, et savoir quand il faut porter des Cordons de soie, d’argent, ou d’or : Bref il faut se savoir accommoder selon le temps, et selon la condition dont l’on est, ou de laquelle l’on veut persuader que l’on a l’honneur d’être.

 

XI.

Il y a de certaines petites choses qui coûtent peu et néanmoins qui parent extrêmement un Homme, faisant connaître qu’il est entièrement dans la galanterie, d’autant que les mélancoliques, les vieillards, et les sérieux, n’en ont guère de même : Comme par exemple de porter des Plumes ou des Rubans de couleur au Chapeau. Depuis que les Aiguillettes du bas des chausses furent quittées, on mit des Rubans des deux côtés jusqu’à la pochette, ce qui était un grand ornement : mais considérant que quelques-uns n’en changeaient pas assez souvent, et que quelques autres ayant porté plusieurs Garnitures de différente couleur, ils les entremêlaient après, pour les faire paraître nouvelles, en conséquence de cela nous étions sur le point de faire de très expresses défenses d’user de telle tromperie, qui n’était bienséante qu’aux Valets de Chambre seulement, lorsqu’ils se voulaient parer des défroques de leurs Maîtres ; Et nous allions enjoindre à tous ceux qui feraient profession de la vraie Galanterie, de ne jamais faire mettre de Garniture à leurs chausses qui ne fût entièrement neuve ; mais délivrés d’une partie de ce soin, lorsqu’on fut restreint par Édit à ne plus porter si grand nombre de Rubans : Néanmoins nous déclarâmes qu’il ne fallait pas manquer à en porter en tous les lieux où ils étaient permis, et que même, si l’on pouvait, on en devait étendre les limites ; et notre avertissement profita si bien, qu’en peu de temps les défenses furent mises en oubli, et l’on porta des Rubans plus que jamais en tous les endroits où l’on avait accoutumé d’en mettre. Or parce que cette manière d’ornement continue, vous observerez qu’il faut toujours choisir vos Rubans des couleurs les plus éclatantes qui se voient : On a beau dire que c’est faire une boutique de sa propre personne, et mettre autant de Mercerie à l’étalage, que si on en voulait vendre, il faut observer néanmoins ce qui a cours ; et pour montrer que toutes ces manières de Rubans contribuent beaucoup à faire paraître la galanterie d’un Homme, ils ont emporté le nom de Galants par préférence sur toute autre chose. Depuis même voyant que la plupart des Dames au lieu de bracelets de perles, d’ambre, ou de manicles de geais, se contentent d’entourer leur poignet d’un simple Ruban noir, nous avons trouvé bon que les jeunes Galants y en portent aussi pour faire paraître leurs mains plus blanches quand ils ôteront leurs gants : Nous ne désapprouvons pas non plus l’intention de ceux qui y ont ajouté un Ruban incarnat, ou de couleur de feu, les joignant ensemble, ou s’en servant séparément, à cause que toutes ces deux couleurs s’accordent bien à la blancheur et à la délicatesse de leur peau, et en rehaussent l’éclat ; Mais défenses très expresses sont faites à ceux qui, venant déjà sur l’âge, ou ayant les mains noires, sèches, ridées, ou velues, en voudraient faire de même, d’autant que cela ne tournerait qu’à leur confusion et moquerie. Il sera encore permis à nos Galants de la meilleure mine, de porter des mouches rondes et longues, ou bien l’emplâtre noire assez grande sur la temple, ce que l’on appelle l’Enseigne du mal des dents : mais pour ce que les cheveux la peuvent cacher, plusieurs ayant commencé depuis peu de la porter au-dessous de l’os de la joue, nous y avons trouvé beaucoup d’agrément et de bienséance. Que si les Critiques nous pensent reprocher que c’est imiter les Femmes, nous les étonnerons bien lorsque nous leur répondrons ; Que nous ne saurions faire mieux, que de suivre l’exemple de celles que nous admirons et nous adorons, et que même c’est suivre la doctrine de Platon, qui dit, Que l’Amant se doit transformer s’il peut en la chose aimée.

 

XII.

Nos Galants étant ajustés en la sorte que nous avons figuré, ne tâcheront à faire autre chose tout le reste du jour, que de se trouver aux lieux où ils croiront avoir meilleur moyen de se faire voir ; et quoi que d’ordinaire ils aient assez de peine à être dévots, ils ne laisseront pas de fréquenter les Églises, spécialement celles où il y aura quelque Fête, quelque Musique, et quelque Prédicateur excellent et nouveau, et dans lesquelles la présence de quelque Prince ou Princesse, attireront quantité de gens, surtout de ceux qui ne sont pas de petite considération, et du nombre du vulgaire, mais qui sont des plus remarquables ; car ce n’est que devant ceux-là qu’il faut paraître. Et comme c’est aux Dames que l’on désire plaire le plus, ne donnant que de l’envie aux autres Hommes, il faut chercher l’endroit où elles se rangent : Mais pour ce qu’à dire la vérité les trop grands témoignages de galanterie font du scandale dans les Temples consacrés à Dieu, et destinés à l’oraison, l’on doit chercher tous les rendez-vous qui sont hors de là, où le beau Monde se trouve ; et les vrais Galants seront curieux de dresser un Almanach où ils verront en quelle saison l’on va promener à Luxembourg, et en quelle autre aux Tuileries ; Quand commence le Cours hors la Porte S. Antoine, et dans le Bois de Vincennes et quand c’est que le Cours de la feue Reine Mère a la vogue (qui est depuis la Porte de la Conférence jusqu’à Chaliot) où il y a quatre rangées d’arbres plantés exprès ; Quelle longueur de jour peut permettre de visiter les belles Maisons d’autour de Paris, et à quelle heure il faut partir pour toutes ces promenades. Lorsque l’Hiver ne permettra plus de sortir de la Ville, les plus adroits de notre Profession doivent savoir où sont les beaux Réduits dans lesquels l’on passe le temps, soit à jouer, soit à deviser, et il feront leurs efforts pour y avoir de l’accès : Ils sauront aussi pratiquer les Jeux qui auront le plus de cours, comme le nouveau Hoc, et n’ignorent pas celui de l’Homme, ni le Reversis et le Piquet, ni le Trictrac, pour ce qu’il se trouve toujours quelqu’un qui veut jouer à l’un ou à l’autre de ces Jeux, et en ce cas il faut adhérer non seulement aux Dames, mais à leurs frères, leurs cousins, et autres personnes proches, afin de les gagner par la complaisance de telle sorte qu’il faut jouer avec eux, quand on n’aimerait point le Jeu, et quand on y serait malheureux. En ce qui est des longues nuits de cette froide saison, il

Ressources complémentaires

Les spectacles et la vie de cour selon les gazetiers
Chronologie moliéresque
Textes du XVIIe siècle en version intégrale
Textes de Molière en version diplomatique

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