Ce sont coups du hasard, dont on n’est point garant

« Ce sont coups du hasard dont on n’est point garant
Et bien sot, ce me semble, est le soin qu’on en prend ».
L’Ecole des femmes, I, 1 (v. 13-14)

L’idée selon laquelle on ne peut se garantir du cocuage, et qu’il est sot de s’en inquiéter, appartient à une tradition satirique du début du XVIIe siècle(1) (2), également représentée dans l’opuscule tabarinique du Bonjour et bon an à Messieurs les cornards de Paris et de Lyon (1620).

 

Elle est revivifiée, dans les années 1660 :

– *dans L’Ecole des femmes, où cette conception sera développée à la scène 8 de l’acte IV (« ce cas fortuit »).

– *dans une nouvelle de La Fontaine tirée de l’Arioste, « La Coupe enchantée » (1669) (3).

 

Cette attitude de soumission au destin s’oppose à l’acharnement inutile d’Arnolphe (« on ne prendra pas votre avis là-dessus »). Dans sa version comique, elle donne lieu à de véritables éloges du cocuage (« en toute douceur laisse aller les affaires ») ou du moins, comme chez le Sganarelle du Cocu imaginaire, au refus de considérer le cocuage comme un déshonneur (« nous sommes les sots »).

 

 


 

(1)

« Satire sur la crainte du cocuage », par le sieur de Sigognes (1617) :

Plusieurs craignent comme prison
De vivre aux lois de mariage,
Et n’en sais point autre raison
Que la crainte du cocuage.
Crainte dont l’esprit est atteint,
D’un travail presque insupportable ;
Car c’est bien en vain que l’on craint
Si le mal n’est inévitable
,
C’est alambiquer son cerveau,
Que d’empêcher le cours du Tibre :
Car le con fait passage à l’eau,
Et l’eau veut son passage libre.
Cette crainte d’être cocu,
Rend l’homme si sot et si bête,
Que le con va d’auprès du cul,
Lui porter le mal à la tête.
Il tremble, il frémit de douleur,
Chaud comme feu, froid comme glace,
Faisant son roi et son bonheur,
De bien conserver cette place.
Doute il que quelqu’un la fout,
Qui mette en garde cette femelle,
Il craint qu’on n’en vienne à bout,
Qu’il place garde et sentinelle.
La tient-il ore entre ses bras,
Elle ne peut être plus sûre,
Il est même jaloux des draps,
Du lit et de la couverture.
Bref je crois fort assurément
Que l’homme en cette rêverie,
Ne pense en son entendement,
Que C. que V. que fouterie.
On ne saurait dire en effet,
La cause de ces craintes nôtres,
Fors qu’on dit qu’il nous sera fait
Comme nous avons fait aux autres.
Mais si cela se peut prouver,
Beaucoup courent même fortune ;
Car à peine peut-on trouver
Quelqu’un qui n’ait foutu quelqu’une
Par là donc étant convaincus
Sans chercher d’autres témoignages,
Ceux qui auront fait des cocus
Seront sujets aux cocuages.
(Recueil des plus excellents vers satyriques de ce temps, trouvés dans les cabinets des sieurs de Sigognes, Regnier, Motin, qu’autres, des plus signalés poètes de ce siècle , Paris, Antoine Estoc, 1617, f.12)

 

(2)

« Satire contre un cocu jaloux, sot et fâcheux, par le sieur Morin  » (1617)

Quel horrible démon vous a l’âme tentée,
Et fait qu’aux traits d’un fol vos discours soient pareils,
Vous pensiez voir deux corps comme faisait Panthée,
Qui troublé de fureur pensait voir deux soleils.
Votre femme était seule, et l’apparence étrange
Vous a troublé les yeux, car cela n’était rien,
C’étaient illusions venant du mauvais ange,
Que vous devez fuir pour être homme de bien,
Père de tout mensonge, esprit je t’exorcise
De quitter ce pauvre homme et de ne troubler son heur,
Car étant fait ainsi comme l’on peint Moïse,
Tu le vas instruisant que c’est un déshonneur :
Retirez vos pensées loin de cette imposture,
De peur de voir punir votre crédulité,
Croyant que votre femme est de chaste nature,
Tant pour votre repos que pour la vérité :
Et si par aventure autre que vous elle aime,
En prenant tout au pis comme on fait aujourd’hui,
Pensez que chacun doit répondre de soi-même,
Et qu’on n’est point damné par les péchés d’autrui.
Je vois bien que s’en est une ombre imaginaire,
Un honneur vous déçoit et vous rend glorieux,
Vous péchez, mon ami, comme fait le vulgaire :
Car on n’est point jaloux sans être ambitieux.
Mais si le mal secret dont votre coeur soupire
A des braves guerriers autrefois surmonté,
Et d’autres de ce temps que je ne veux pis dire,
Endurés par exemple et par nécessité.
Cet illustre César qui dompta tout le monde
Sous l’effort merveilleux de son bras invaincu,
Encore que sous lui fussent la terre et l’onde,
Sa femme n’y fut pas car il était cocu.
Bien que ce brave enfant de Mars et de victoire
Fut la peur et l’honneur des plus braves guerriers,
Sur son front couronné par les mains de la gloire
Les cornes s’élevaient à l’envie des lauriers.
Vous n’en avez pas plus mais vous êtes moins sage,
Pour en porter le faix, et pour n’en dire mot,
Vous avez moins de coeur, il eut plus de courage,
Et ne fut moins cocu, mais vous êtes plus sot.
Bienheureux toutefois, car le ciel pour vous plaire,
Vous donne belle femme à contenter vos ans,
Si vous l’eussiez eu laide, il était nécessaire
Que pour se faire aimer elle eut fait des présents.
Il ne vous coûte rien de la voir bien servie,
Elle veut au repos votre âge réserver :
Puis on dit que l’amour accourcit notre vie,
Quand elle a des amants c’est pour vous conserver.
Sa douceur au contraire allume votre audace,
La couleur de son teint vous rend pâle et défait,
La grâce de ses yeux vous ôte toute grâce,
Et ses perfections vous rendent imparfait.
Vous devenez bourreau, pour un mari fidèle,
Vous la payez d’injure et non pas d’amitié,
La beauté, don du Ciel, est un malheur en elle,
Qui vous sert d’une esclave et non d’une moitié.
En la traitant si mal vous êtes homicide,
Par amour on contraint ce qu’on ne peut dompter.
La femme est comparable au cheval fort en bride,
Il faut lâcher la main afin de l’arrêter.
Je pardonne à l’amant tenté de jalousie,
Quand il voit un rival ses plaisirs retenant,
Encore qu’un plus fin n’en ait l’âme saisie,
A cause que l’amour est un lien revenant.
Ne vous en fâchez plus, c’est à la vieille mode,
Suivez la destinée, et prenez tout au mieux,
Faut-il qu’à vos humeurs le destin s’accommode,
Plutôt que vos humeurs s’accommodent aux cieux
?
O coeur lâche et défait venez à vous connaître,
Et ne vous donnez plus vous-même de tourment :
Bien vous êtes cocu, mais ne pensez pas l’être,
Car l’être et le penser c’est l’être doublement.
(Recueil des plus excellants vers satyriques de ce temps trouvés dans les cabinets des sieurs de Sigognes, Regnier, Motin, qu’autres, des plus signalés poètes de ce siècle, Paris, Antoine Estoc, 1617, f.103-106)

 

(3)

Jean de La Fontaine, « La Coupe enchantée », tirée de l’Arioste :

Que doit faire un mari quand on aime sa femme ?
Rien

Voici pourquoi je lui conseille
De dormir, s’il se peut, d’un et d’autre côté :
Si le galant est écouté,
Vos soins ne feront pas qu’on lui ferme l’oreille ;
Quant à l’occasion, cent pour une. Mais si
Des discours du blondin la belle n’a souci,
Vous le lui faites naître, et la chance se tourne.
Volontiers où Soupçon séjourne
Cocuage séjourne aussi.
[…]
[On propose au personnage de Renaud de boire la coupe lui permettant de savoir s’il est cocu : ]
[…] Grand merci de la coupe:
Je crois ma femme chaste, et cette foi me suffit.
Quand la coupe me l’aura dit,
Que m’en reviendra-t-il ? Cela sera-t-il cause
De me faire dormir de plus que de deux yeux ?
Je dors autant, grâces aux dieux.

(Contes et nouvelles en vers, 1669, Voir l’ensemble du texte)

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