Selon La Mothe le Vayer, les miracles, de même que les superstitions et la confiance dans les pouvoirs de la magie, font partie des croyances publiques, bien représentées dans la religion païenne :
Tous les livres des gentils sont remplis de miracles qui les entretenaient dans leur fausse religion. Je sais bien qu’il y en avait de supposés dont les hommes de jugement et d’esprit déniaisé se moquaient. Polybe fait une raillerie de cette Diane Cyndiade, sur laquelle on disait qu’il ne neigeait ni ne pleuvait jamais, bien qu’elle n’eût nulle couverture qui l’en pût garantir. Il rend ridicule Théopompe d’avoir écrit que le corps de ceux qui prenaient la licence de mettre le pied dans un temple d’Arcadie consacré à Jupiter et dont l’entrée était défendue, ne faisaient plus d’ombre après cette action, encore qu’ils s’exposassent au soleil. Il faut pardonner, dit-il, aux mensonges pieux, pourvu qu’ils aient quelque vraisemblance ; sentence qui montre ce qu’il pensait des créances populaires de son temps en de semblables matières;
(« Parallèles historiques », Nouveaux Petits Traités, 1659, éd. des Oeuvres de 1756, VII, 1, p. 294)
L’idée est de celles que le Père Garasse attribuait aux libertins dans sa Doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps (1624) :
Méchante maxime des athéistes et libertins : il faut entretenir la populace par des miracles controuvés et des prodiges supposés, etc. ; cette verité étant supposée que la populace est un animal remuant, factieux et bizarre, ç’a été toujours l’avis des plus sages mondains, qu’il faut endormir les mulots et entretenir les esprits brouillons par quelque divertissement, afin qu’ils ne s’échappent de la main, et ne s’ entretiennent en quelques mauvais desseins préjudiciables à l’état.
(Livre VIII, Section VI, p. 984)
Les miracles s’expliquent souvent en examinant comment « la nature produit des ressemblances » et comment « quelques imposteurs ont pris droit d’abuser » (Amphitryon, III, 1) de la crédulité de la population pour établir des religions ou des gouvernements, selon les Considérations politiques sur les coups d’état de Gabriel Naudé (1667) :
La seconde invention de laquelle ont usé les politiques pour se prévaloir de la religion parmi les peuples a été de feindre des miracles, controuver des songes, inventer des visions, et produire des monstres et des prodiges :
Quae vitae rationem vertere possent
Fortunasque omnes magno turbare timore.
Ainsi voyons-nous qu’Alexandre, ayant été avisé par quelque médecin d’un remède souverain contre les flèches empoisonnées de ses ennemis, il fit croire que Jupiter le lui avait révélé en songe, et Vespasian attitrait des personnes qui feignaient d’être aveugles et boiteuses, afin qu’il les guérit en les touchant. C’est aussi pour cette raison que Clovis accompagna sa conversion de tant de miracles ; que Charles Sept augmenta le crédit de Jeanne la Pucelle, et l’empereur d’à présent celui du père à Jésus Maria ; sous espérance peut-être de gagner encore quelque bataille non moindre que celle de Prague.
( p. 250-252)
Des opinions semblables sont défendues dans le traité des Conformités des cérémonies modernes avec les anciennes,où il est prouvé par des autorités incontestables que les cérémonies de l’Eglise romaine sont empruntées des païens, paru anonymement en 1667 :
Cependant, si on y prend garde de près, on trouvera que ceux qu’ils nous débitent ne sont pas de meilleur aloi ni moins burlesques, ni moins douteux que ceux dont les Gentils se glorifiaient. Car ce sont ou des impostures inventées par les moines, qui aussi nous les font venir la plupart des Indes et des lieux fort éloignés ; les terres de par-deça et surtout celles où il y a des réformés en sont fort stériles. Ou des illusions d’un peuple ignorant qui, en matière de superstition ne voit pas même ce qu’il regarde, comme dit Monsieur de Marolles au sujet d’une enseigne de Notre Dame à Paris qu’on disait avoir versé du sang d’une blessure qu’un hérétique lui avait fait en déchargeant son pistolet, ce qu’il trouva être fabuleux étant allé sur le lieu, quoique force gens en parlassent comme témoins oculaires, ajoutant que cinquante mille personnes l’avaient vu avec eux. Ou ce sont des prestiges de l’Esprit malin, comme ceux que l’on peut lire en la vie de Sylvestre II, de Gregoire VII et de quelques autres papes. Ou enfin ce sont des tours de souplesse, comme quand on a fait pleurer une image d’un crucifix en la trouant par derrièrem et faisant passer un sarment de vigne qui répondait aux yeux de la statue, et qui versait des larmes au temps qu’on taille les vignes, comme cela arriva à Muret proche de Toulouse. Chacun sait les fourberies des jacobins de Berne qui furent punis par le magistrat, et celles des Cordeliers d’Orléans. Ce n’est pas d’aujourd’hui que l’imposture est mise en usage, il y a quelques siècles que Nicolas de Lira se plaignait, que le plus souvent on fait des grandes tromperies en l’Eglise Romaine par les miracles contrefaits des prêtres.
( p. 329-331)