La Guerre comique

Table des matières

[Philippe] de LA CROIX, La Guerre comique ou la défense de L’Ecole des femmes, Paris, Pierre Bienfaict, 1664

Les principaux passages de L’Ecole des femmes et de La Critique de L’Ecole des femmes auxquels fait référence ce texte sont indiqués ci-dessous :

 

L’Ecole des femmes

« les rieurs ont été pour elle »
« nous sommes ici seuls »
« j’ai présentement besoin de cent pistoles »
« un grès que sa main a jeté »
« l’allégresse du coeur s’augmente à la répandre »
« le… »
« maximes du mariage »
« le notaire »
« tout transporté et ne pouvant parler »

 

La Critique de L’Ecole des femmes
« miroirs publics »
« le coeur m’en saigne quelquefois »

 

LA GUERRE COMIQUE

À MONSIEUR

L.P.C.B.D.N.Q.

 

MONSIEUR,

Si les nouveautés ont quelque chose d’agréable cette Lettre ne vous déplaira pas. Vous vous disposez à recevoir les Éloges du [ou] plutôt les flatteries dont on assaisonne les Épîtres dédicatoires, et je me prépare à me plaindre du tort que vous me faites de me rendre Auteur. Il est nouveau de quereller [page suivante] le patron d’un Livre, mais il est aussi extraordinaire de mettre les gens sous la presse malgré leurs dents. Rengainez votre compliment. Outre que ce présent n’est pas digne de vous, je ne puis vous faire civilité quand vous m’engagez dans une querelle, et je veux seulement faire connaître au public la violence que vous me faites en m’obligeant de mettre au jour un Ouvrage que j’avais condamné aux ténèbres. Oui aux ténèbres, MONSIEUR. Je ne vous impose point, je ne suis pas de ces Auteurs qui chantent dans toutes les Préfaces de leurs Livres qu’ils accordent aux prières de leurs Amis, ce qu’un Libraire a imprimé [page suivante] pour se délivrer de leurs persécutions. Considérez donc, MONSIEUR, que c’est mon coup d’essai et qu’il parle d’une chose dont personne ne dit plus mot. Que ce règlement du Parnasse peut faire revivre les troubles Comiques et m’exposer à la fureur des deux parties, pour avoir défendu l’un avec trop de faiblesse, et pour avoir eu la témérité d’attaquer l’autre. Aurait-il pas été plus à propos de demeurer dans le silence ? L’École des Femmes a-t-elle besoin qu’on la défende ? Le succès qu’elle a eu est-il pas un bon garant de sa bonté ? Ceux qui l’ont attaquée sont ceux qui l’estiment davantage, et leur emportement [page suivante] est un témoignage de son mérite. Ah ! Monsieur, la haine des Auteurs, et un déluge de satire contre vous qui me faites Auteur malgré moi et contre moi qui vous ai cru, sont inévitables. Pensez-vous que ces Messieurs qui ont manqué de respect pour une Comédie approuvée de toute la Cour, épargnent un misérable Livre qui la défend et qu’on abandonne à leur fureur. Ah ! Monsieur, encore une fois, quel orage ! Quelles persécutions ! Que d’injures ! Vous leur répondrez, dites-vous ; Et vous Monsieur, après m’avoir engagé dans ce mauvais pas vous demeurerez à couvert, et j’essuierai toutes les [page suivante] disgrâces ? Non parbleu j’en jure, vous y aurez part, et je ne fais cette Lettre que pour vous rendre responsable de tout ce qui arrivera. Préparez donc votre Courage, et ne doutez pas après ce que j’ai fait pour vous obéir, que je ne sois,

 

MONSIEUR,

Votre plus obéissant serviteur,
DE LA CROIX.

[page suivante]
PRIVILÈGE DU ROI.

 

LOUIS par la grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre ; À nos amés et féaux Conseillers, les Gens tenant nos Cours de Parlement, Maîtres des Requêtes ordinaires de notre Hôtel, Baillifs, Sénéchaux, Prévôts, leurs Lieutenants, et à tous autres de nos Justiciers et Officiers qu’il appartiendra ; SALUT. Notre cher et bien amé P. DE LA CROIX, Nous a fait remontrer qu’il désirerait faire imprimer un Livre intitulé, La Défense de l’École des Femmes du Sieur Molière, et de sa Critique ; et parce qu’on pourrait contrefaire les exemplaires dudit Livre, ce qui tournerait au grand préjudice dudit Exposant, Nous a [page suivante] requis nos Lettres à ce nécessaires. À CES CAUSES, Nous avons permis et permettons par ces présentes à l’Exposant de faire imprimer, vendre et débiter en tous les lieux de notre obéissance ledit Livre, en telle marge, en tel caractère, et autant de fois qu’il voudra, durant le temps et espace de neuf années, à compter du jour qu’il sera achevé d’imprimer la première fois ; Faisons très expresses défenses à toutes personnes de quelque qualité et condition qu’elles soient, d’imprimer, vendre ni distribuer en aucun lieu de notre obéissance ledit Livre, sans le consentement de l’Exposant, ou de ceux qui auront son droit, à peine de trois cents livres d’amende, payable sans déport par chacun des contrevenants, applicable moitié à Nous, et moitié à l’Exposant, de confiscation d’exemplaires, et de tous dépens, dommages et intérêts, [page suivante] à condition qu’il en sera mis deux exemplaires en notre Bibliothèque publique, et l’un en celle de notre cher et féal le Sieur Séguier, Chevalier Chancelier de France, avant que de les exposer en vente, et que les présentes seront registrées dans le Livre de la Communauté des Libraires de notre bonne Ville de Paris, suivant les Arrêts de notre Cour de Parlement, à peine de nullité d’icelles, du contenu desquelles nous voulons et nous mandons que vous fassiez jouir pleinement et paisiblement l’Exposant, et ceux qui auront droit de lui, sans souffrir qu’il leur soit donné aucun trouble ni empêchement ; Voulons aussi qu’en mettant au commencement ou à la fin de chacun desdits Exemplaires un extrait des Présentes, elles soient tenues pour dûment signifiées, et que foi y soit ajoutée et aux copies collationnées [page suivante] par l’un de nos amés et féaux Conseillers, et Secrétaires, comme à l’original. MANDONS au premier de notre Huissier ou Sergent sur ce requis, de faire pour l’exécution d’icelles tous Exploits nécessaires, sans demander autre permission : CAR tel est notre plaisir. DONNÉ à Paris le treizième jour de Février l’an de grâce mil six cent soixante et quatre ; Et de notre Règne le vingt et unième. Signé, Par le Roi en son Conseil, JUSTEL : Et scellé du grand Sceau de cire jaune.

Et ledit Sieur de la Croix a cédé et transporté son droit de Privilège à Pierre Bienfait, Marchand Libraire, pour en jouir suivant l’accord fait entre eux.

Registré sur le Livre de la communauté des Imprimeurs et Marchands Libraires de cette Ville, suivant et conformément à l’Arrêt de la Cour de Parlement du 8 Avril 1653 aux charges y portées ; et à condition que la vente et distribution du Livre y mentionnées ne se pourra faire que par un Libraire, et non autrement. À Paris ce 13e jour de Mars 1664.

Signé E. MARTIN, Syndic.

Achevé d’imprimer le 17 Mars 1664.

Les exemplaires ont été fournis.
[page 1]

 

 

 

LA GUERRE COMIQUE, OU LA DÉFENSE DE L’ÉCOLE DES FEMMES.

 

Les Comédiens s’entretuaient à coups de vers, les Impromptus et les Portraits étaient en campagne, et une grêle fort épaisse de satire et de médisance volait de part et d’autre, lorsque Mome, ce railleur éternel qui se donne la Comédie aux dépens des Dieux, et qui satirise impunément le Ciel et la [page 2] Terre, aperçut ce désordre épouvantable. Il fit ce que tout le monde a fait aux représentations de ces Pièces ; Il s’y divertit des uns et des autres, et pour profiter d’une occasion si rare et si plaisante, il résolut de railler aussi le Dieu qui préside à la Poésie. Il commença donc avec un geste forcené et un ton de voix capable d’épouvanter Mars ce Dialogue Burlesque.

 

 

 

DIALOGUE BURLESQUE DE MOME ET D’APOLLON.

 

MOME.

Au feu sur le Mont de Parnasse.
Apollon, ah ! tout se fracasse :
Apollon au feu, ton secours
Peut seul en arrêter le cours.
Apollon daigne donc paraître,
Mets donc la tête à la fenêtre ;
Apollon.

[page 3]

 

APOLLON.
D’où viennent ces cris ?

 

MOME.

Hé jette les yeux sur Paris
Apollon, Apollon.

 

APOLLON.

Que diable
Veut ce crieur épouvantable ?

 

MOME.

Apollon.

 

APOLLON.

Hé bien double Oison,
Crie incessamment Apollon.
Qu’a-t-il fait ?

 

MOME.

Apollon.

 

APOLLON.

Encore.
Le Diable emporte la pécore,
Peste du fou.

 

MOME.

Tout est perdu.
À quoi diable t’amuses-tu ?
[page 4]
Fais-tu l’amour, fais-tu la guerre,
Dors-tu pendant que sur la terre
Poètes et Comédiens
S’entrebattent comme des chiens ?
Ce ne sont qu’Impromptus, Critiques,
Portraits du Peintre Satiriques.
Au Palais Royal, à l’Hôtel.
Vit-on jamais désordre tel ?
Ils s’entremangent.

 

APOLLON.

Que m’importe !
Faut-il m’étourdir de la sorte ?
Ah le beau début que voilà !
Et n’ai-je à penser qu’à cela ?

 

MOME.

Délivre-les de Molière.
Es-tu pas leur Dieu tutélaire ?

 

APOLLON.

On le dit. Mais je suis ravi
Qu’ils en aient le démenti ;
Ils ont commencé la querelle.

 

MOME.

Vraiment tu nous la donnes belle.
S’ils ont droit, deviens leur support,
Et punis les s’ils ont le tort.
Précipite-les du Parnasse,
Fais d’autres Bourgeois à leur place,
[page 5]
Sois une fois maître chez toi.

 

APOLLON.

Pauvre Idiot ! Est-ce de moi
Qu’on y prend droit de Bourgeoisie ?
Chacun l’est à sa fantaisie.
Tel pour deux Sonnets assez plats
Se dit Poète à tour de bras,
Tel autre pour une Élégie,
L’autre pour une rapsodie,
Et mille pour une Chanson,
Qui n’a ni rime ni raison.
J’en sais qui lisant leur Ouvrage,
Et regardant comme un outrage
Qu’on les écoute avec froideur,
Disent pour sauver leur honneur,
Il est vrai que c’est peu de chose ;
Aussi sans règles je compose,
Ce n’est que pour me divertir ;
Et parce que c’est leur plaisir,
Ils estiment les grosses buses,
Qu’on doit applaudir à leurs muses.
On est maître des plus experts,
Quand on fait bien des méchants vers,
Et quand on sait bien que grenouille
Rime richement à quenouille.

 

MOME.

Laissons, laissons ces rimailleurs.
Je te parle des grands Auteurs
Dont les pièces pleines de charmes
Nous font pleurer à chaudes larmes.
[page 6]
Auteurs d’esprit très grand, très fin,
Qu’on mesure à la toile enfin ?
Défends-les de bonne manière,
Ne souffre pas que Molière
Chasse par son Art de Maugis
Les vieils serviteurs du logis.

 

APOLLON.

Je t’ai dit et te dis encore,
Que je consens qu’il les dévore ;
Quiconque commence a le tort.

 

MOME.

Fais donc par pitié quelque effort,
Trouve l’art de les rendre sages.
S’ils ont tort, rogne de leurs gages,
Retranche leurs appointements.

 

APOLLON.

Ah ! le grand fou. Les Courtisans
Des belles filles de mémoire
N’y gagnent pas de l’eau pour boire.
Ils les servent pour leur beaux yeux ;
Et s’ils n’étaient ingénieux
À cueillir les fruits d’un parterre,
À rapiner sur le Libraire,
À chercher un bon Protecteur
Plus pour l’argent que pour l’honneur,
Au diable qui tirerait maille.
Ceux-là règnent vaille que vaille :
Mais les Poètes de Rondeau
Ont Lettres d’escroc au grand Sceau.
[page 7]
Joignent à la cape et l’épée
Le beau droit de franche lippée,
Et celui d’aller bien ou mal,
Avec honneur à l’Hôpital.

 

MOME.

Tu jases en Jurisconsulte
Au lieu d’apaiser ce tumulte.
Parnasse est en feu.

 

APOLLON.

De l’argent
Calmerait tout ce différend,
C’est la meilleure eau pour l’éteindre.
On ne les verrait plus se plaindre
Si Molière était moins charmant,
Ou bien s’ils en gagnaient autant.

 

MOME.

S’ils en gagnaient autant ? Que diable !
Il faut bien être insatiable
Quand les injures que l’on dit
Ne se donnent point à crédit.
Au lieu de vider leur querelle,
Il vident plutôt l’escarcelle.
Quoiqu’ils se battent ces Messieurs,
Ce n’est que sur les spectateurs
Qu’ils courent à la picorée,
Le Bourgeois leur sert de Curée,
Et parmi tous leurs différends,
Les Juges paient les dépens.
[page 8]
A-t-on jamais vu momerie
Aussi digne de raillerie ;
Et voit-on ailleurs qu’à Paris,
Que les combats des beaux esprits,
Que la plus piquante satire,
De bons écus puisse produire ?
Ma foi le secret en est beau
Autant du moins qu’il est nouveau.
S’il ne tient qu’à de la satire
Pour s’enrichir et faire rire,
J’y veux travailler tout de bon ;
Jupiter avec Apollon
Satirisés à ma manière
Vaudront bien mieux que Molière.
Quand j’aurai bien drapé Jupin,
Je t’empaumerai beau blondin,
Et…

 

APOLLON.

Laissons cette raillerie,
Mome doucement je te prie.

 

MOME.

Termine tous ces différends,
Autrement parbleu, je te prends,
Je te bourre, je t’estocade,
Et te mets en capilotade.

 

APOLLON.

Mais Mome…

 

MOME.

Mome n’entend rien.
Il faut, dis-je, écoute-moi bien.
[page 9]
Etouffer toute leur Cabale,
Ou passer pour un Dieu de balle.

 

APOLLON.

Que tu parles bien aisément !

 

MOME.

Que tu réponds bien lâchement !

 

APOLLON.

Tu ne connais pas leur furie.

 

MOME.

Non pas, mais ta poltronnerie.

 

APOLLON.

S’ils se rebellent contre nous…

 

MOME.

Hé bons Dieux, je les connais ;
Ils ne seront pas si terribles.

 

APOLLON.

Il sont de vrais incorrigibles ;
Quand on les choque en quelques lieux
Ils chanteraient pouilles aux Dieux.
Si tu te trouvais en ma place,
Si tu connaissais leur audace,
[page 10]
Et jusqu’à quelle extrémité
Se porte leur témérité,
Crainte d’attirer leur colère,
Ma foi tu les laisserais faire.

 

MOME.

Ah ! que de discours superflus,
Apollon, ne raisonnons plus ;
Pense à terminer leur querelle,
Autrement, je vais de plus belle
Faire une satire sur toi.

 

APOLLON.

Mome du moins écoute-moi.

 

MOME.

Point de quartier.

 

APOLLON.

Quelle misère !
Holà, messager de mon père,
Valet de pied de tous les Dieux,
Joueur de gobelets des Cieux
Mercure, prends ton Caducée,
Cherche la bande intéressée,
Dans Paris la grande Cité
Assemble gens de qualité,
Comédiens, Marquis, Poètes,
Cocus, Jaloux, Galants, Coquettes,
Conduis-les au Palais Royal,
Place-les au lieu Théâtral,
[page 11]
Va, sors, cours de si belle sorte,
Qu’il semble qu’un Diable t’emporte.

 

Mercure ne se fit pas dire deux fois qu’il fallait aller à Paris et assembler les intéressés pour décider cette affaire. Il partit avec sa vitesse accoutumée, et fit le chemin en si peu de temps, que j’en emploierais davantage à vous le dire. Apollon prit une route bien différente et se rendit sur le mont de Parnasse pour communiquer aux Muses le dessein qu’il avait pris d’apaiser ces troubles comiques. Melpomène, la patronne des Poètes tragiques, fut assez hardie pour dire, qu’on leur ferait injure de les commettre avec Molière, qu’il serait périlleux de le mettre en concurrence avec eux ; et qu’elle estimait plus à propos qu’il ressentît un peu des effets d’une satire qu’il exerce si souvent contre les autres : Mais Apollon ne lui permit pas d’invectiver plus longtemps, [page 12] et lui répondit avec assez de chaleur : « Vraiment, on voit que vous êtes intéressée. Vous parlez de ce voyage comme si je ne l’entreprenais que dans le dessein de favoriser Molière, et vous craignez tellement que vos Auteurs tragiques y perdent, que vous ne feignez point de vous opposer à une action de Justice. Il était en humeur d’en dire davantage, si Melpomène n’eût fait paraître son obéissance en se levant la première. Les autres suivirent son exemple, et aussitôt :

 

Le Troupeau scientifique
Partit sans plus de réplique.
Je ne sais si ce fut par terre, ou par eau,
En carrosse ou bien en bateau ;
Certains Auteurs glosant sur cette phrase,
Disent que le cheval Pégase
Le porta dans les airs d’un vol hautain et fort ;
Les autres que sur une Nue
Cette troupe quitta sa Montagne cornue,
Les Auteurs en ce point ne sont pas bien d’accord.
Elle vint toutefois cher Lecteur, je vous jure ;
Dans Paris elle se montra ;
N’en doutez pas, et quant à sa voiture,
Vous en croirez tout ce qu’il vous plaira.
[page 13]
Ces Filles savantes descendirent donc au Palais Royal dont le Théâtre devait servir de champ de bataille ; et quoique Melpomène fît quelque difficulté d’y consentir parce qu’elle prenait pour mauvais augure qu’on décidât ce différend en un lieu où Molière ne reçoit que des applaudissements, Apollon ne voulut point l’écouter, et dit qu’il n’y a rien de plus juste que de récompenser la vertu où elle a éclaté, et de reprendre les fautes au lieu même où elles ont été commises. Les neufs soeurs le suivirent et montèrent avec lui sur le Théâtre où elles prirent place sur des sièges qu’on leur avait préparés. Mome qui s’était mis de la partie malgré Apollon et contre le sentiment des Muses, ne leur fut pas inutile et leur fit passer le temps assez agréablement pendant que Mercure assemblait les intéressés. Il fit cent singeries à chacune [page 14] de ces filles et dit fort plaisamment à Apollon, que la Dame Mémoire s’était bien oubliée de les confier à un godelureau comme lui. Il s’appliqua ensuite à contrefaire ce Dieu versificateur, et le sut peindre si naïvement qu’il eut bien de la peine à cacher le dépit qu’il en avait et à modérer sa colère.

 

Mome incessamment débitait
Ce que dans Paris on appelle
Douceur, fleurette, bagatelle,
À chaque Muse il en contait ;
De mille petits mots qu’il disait à l’oreille
Et que souvent ne disaient rien,
Il se parait comme d’une merveille,
Le Badinage enfin lui convenait fort bien.
Il se tenait en plaisante manière
Tantôt devant, tantôt derrière,
Courbé, droit, à genoux et jamais arrêté ;
Et des badins d’honneur qui les postures virent,
Pour lui faire justice, dirent
Qu’il avait l’air de qualité.

 

Enfin ce singe fit sur ce Théâtre ce qu’on dit que Molière y fait tous les jours, et il satirisa toute la Troupe d’une manière si bouffonne que [page 15] Clio ne put s’empêcher de dire que Mome était le Molière du Ciel.

 

Cependant Mercure arriva
Crotté comme un porteur de Billets funéraires,
Et maint curieux s’empressa
Pour gagner les places premières :
Je sais même qu’on s’y battit,
Mais avec son bâton holà Mercure mit,
Je veux dire son caducée ;
Il rangea toute l’assemblée,
Quand il eut bien crié «Paix là ».
Le blondin Apollon parla,
Et dit en vers la même chose
Que je vais vous écrire en prose.

 

Il parla donc en maître du logis, il défendit aux spectateurs de se mêler dans la dispute s’il ne leur en donnait la permission ; et à ceux qu’il choisirait pour attaquer ou pour défendre Molière, de tempêter comme on fait au Barreau. Il témoigna enfin qu’il avait plutôt dessein d’entendre quelque chose de divertissant, que du bruit et des injures.
Mercure appela d’abord des Poètes et des Comédiens, mais personne [page 16] ne parut, ce qui surprit tout le monde. Quelques spectateurs dirent qu’on les gardait pour la bonne bouche ; Et Apollon crut qu’en attendant ces Messieurs il était à propos d’entendre des gens de qualité. Il fit monter sur le Théâtre Mélasie et Cléone les plus spirituelles filles du monde, et le Chevalier Philinte qui aimait passionnément la dernière. Mélasie se déclara contre L’Ecole des femmes, Cléone dit qu’elle y trouvait bien des fautes, et Philinte fut presque de même sentiment.
Mais Apollon qui vit qu’il désirait complaire
À l’objet qui l’avait charmé,
Lui dit : « Ne craignez pas d’en être moins aimé »
Pour prendre le parti contraire ;
Cléone y consentit et dans le même instant
On disputa fort plaisamment,
Ou pour mieux dire, on joua fortement.
Je pense pendant qu’ils parlèrent
Que tous les spectateurs sans rien dire écoutèrent,
Que j’écoutai comme eux aussi.
Pour leur laisser encor liberté tout entière,
Pendant leur Dispute première
Souffrez que je me taise ici.
[page 17]

 

 

 

 

DISPUTE PREMIÈRE.

MÉLASIE, CLÉONE, PHILINTE.

 

MÉLASIE.

Que Molière débute agréablement dans cette Ecole des femmes par un personnage inutile ! Ce Chrysalde qui paraît avec Arnolphe ne sert qu’à dire des vers qui ne font rien au sujet.

 

PHILINTE.

Vous appelez un personnage inutile, un homme qui dit tant de bonnes choses à l’avantage de la Confrérie ? Vraiment Madame, ces malheureux [page 18] que tout le monde persécute vous voudront du mal si vous leur ôtez un protecteur si favorable. Mais Chrysalde sert encore à autre chose ; son antipathie avec Arnolphe fait naître de beaux sentiments, et fonde bien le caractère de ce Jaloux.

 

CLÉONE.

Quelle antipathie remarquez-vous entre Chrysalde et ce Jaloux ? Arnolphe est tellement ravi d’entendre ce que lui dit ce railleur, qu’il le prie même à souper. Il le choisit entre tous ses amis pour lui faire voir Agnès qu’il resserre avec tant de soin.

 

PHILINTE.

C’est pour le convaincre absolument du bon choix qu’il a fait et lui faire connaître que la simplicité de [page 19] cette fille qu’il veut épouser le préservera du cocuage dont Chrysalde le menace.

 

CLÉONE.

Je pardonnerais cela à Molière si vous pouviez vous parer de l’endroit des cent pistoles. Arnolphe est autant prodigue de son bien qu’il est avare de son honneur. Prêter son argent sur une lettre d’un ami, avec qui on n’a eu aucun commerce depuis quatre ans ? Devait-il pas entrer en quelque défiance, et craindre une surprise de la part d’Horace ?

 

PHILINTE.

Il est vrai Madame que Molière a tort de n’avoir pas fait Arnolphe un faquin accompli. Ce Jaloux satisferait les Censeurs de cette Comédie s’il montrait beaucoup de défiance, [page 20] et s’il jugeait mal du fils de son ami. Hé, si nous condamnons les maximes de sa jalousie, laissons-lui au moins la liberté de disposer de son bien. Connaît-il pas la main du père de ce jeune homme ? Sait-il pas que son débiteur est solvable ? Et Horace est-il pas assez bien fait pour mériter qu’on lui prête cent pistoles sur sa bonne mine, quand il n’aurait point cette recommandation de son père ?

 

MÉLASIE.

Quoi, vous souffririez comme ce Jaloux que votre rival emportât votre argent pour s’en servir contre vous-même ?

 

CLÉONE.

La fâcheuse pilule !

[page 21]

 

PHILINTE.

Non Madame, je ne le permettrais pas. Après lui avoir prêté de si bonne grâce, je le prendrais à la gorge pour l’obliger de le rendre ; Je perdrais l’occasion de profiter de la confidence qu’il me fait de sa passion, et de l’accès qu’il a auprès d’Agnès ; et je ferais gloire de me dire ce galant homme qui renferme si bien sa fille, et ce Monsieur de la Souche dont il a fait le Panégyrique.

 

CLÉONE.

Ce bel aveu qu’Arnolphe ferait d’être ce Monsieur de la Souche, le ferait paraître aussi judicieux qu’Horace, qui lui découvre si librement toute cette intrigue. Avouez que ce jeune homme est un étrange étourdi.

[page 22]

 

PHILINTE.

J’ai peine à prendre son parti en cette rencontre, moi qui défierais toutes les belles personnes d’avoir autant de bonté pour moi, que j’aurais de secret pour elles : Mais ne pouvait-il point ouvrir son coeur à un ami qui venait de lui ouvrir sa bourse avec une franchise entière ? Il dit lui-même que

 

L’allégresse au coeur s’augmente à la répandre,
Et goûtât-on cent fois un bonheur tout parfait,
On n’en est pas content si quelqu’un ne le sait.

 

Voudriez-vous que cet Amant fût plus circonspect ? La démangeaison qu’Arnolphe témoigne d’apprendre l’aventure de quelque infortuné mari, mérite-t-elle pas bien qu’il mette celle-là sur ses tablettes ? Il n’en pouvait pas désirer une plus récente et qui lui fît mieux prêter l’oreille. Est-il rien de plus naturel [page 23] que cet endroit où son rival le traite de fou et de ridicule en parlant à sa Seigneurie ?

 

MÉLASIE.

Le Récit de l’aventure du grès et du billet me touche encore davantage. Notre Jaloux triomphe de ce qu’Agnès a suivi son ordre, il s’imagine que le grès est toute la réponse que son rival a reçue, et pour s’en divertir il lui demande si plaisamment,

 

Hé bien vos amourettes ?
Puis-je Seigneur Horace apprendre où vous êtes ?

 

Que ce brutal mérite bien ce qui lui arrive ! Que son interdiction est agréable lorsqu’il apprend autre chose que ce qu’il attendait ! Que son ris forcé est divertissant, et que je voudrais de mal à Horace s’il ne lui faisait point ce récit !

[page 24]

 

PHILINTE.

Arnolphe l’en priait de trop bonne grâce pour être refusé. Mais si le revers qu’il reçoit vous satisfait, la froideur avec laquelle il écoute ce récit m’a beaucoup plu, et quoique l’on l’ait condamné, je trouve qu’il la colore agréablement quand il répond à Horace qui lui en demande la cause.

Il m’est vers la pensée
Venu présentement une affaire pressée.

 

CLÉONE.

Nous passons la plus sensible faute qui soit dans L’Ecole des femmes. Peut-on souffrir que cette Agnès qui dans les premières Scènes paraît l’innocence même, se déniaise si promptement ? L’esprit lui vient furieusement vite ! Elle écrit le [page 25] poulet et se sert du stratagème de son jaloux pour le faire tenir à Horace ; Cela est galant, et il y en a beaucoup dans le monde qui seraient plus sottes qu’elle.

 

PHILINTE.

Lorsque Agnès paraît si innocente vous ne découvrez son esprit qu’à travers un nuage qu’il faut que l’amour dissipe. Elle sort d’assez bon lieu pour avoir un fond d’âme fort raisonnable, mais l’éducation en assoupit les plus belles parties, et elle ne produirait pas si tôt ces effets qui vous surprennent si l’amour ne la réveillait. Elle ne paraît niaise qu’au moment qu’Arnolphe ne fait rien contre ses inclinations : mais lorsqu’il lui parle mal d’Horace, elle prend son parti, et témoigne à ce Jaloux qu’elle n’en peut aimer [page 26]d’autre. Elle va jusqu’à la froideur quand il dit qu’il veut l’épouser, et elle résiste trois fois au commandement qu’il lui fait de maltraiter son Amant. Cette résistance fait-elle pas connaître qu’elle cherchera un moyen d’avertir Horace de la violence qu’on lui fait ? Dans quelque simplicité qu’on l’ait nourrie, lui a-t-on pas appris que l’art d’écrire n’a été inventé que pour découvrir ce qu’on pense à ceux à qui on ne peut parler ? Et ne la blâmeriez-vous pas si elle n’avait point recours à ce langage muet, lorsqu’Arnolphe lui ferme la bouche par sa présence ?

 

MÉLASIE.

Elle apprend trop vite ces ruses d’amour.

 

PHILINTE.

Vous vous étonnez que l’amour [page 27] déniaise Agnès ! C’est un Maître extraordinaire. Il ne se contente pas d’ouvrir l’esprit, il en donne quelquefois. Avez-vous pas admiré ces Vers qu’Horace a dit sur le sujet ?

 

Il le faut avouer l’amour est un grand maître,
Ce qu’on ne fut jamais il nous enseigne à l’être,
Et souvent de nos moeurs l’absolu changement
Devient par ses leçons l’ouvrage d’un moment.
De la nature en nous il force les obstacles,
Et ses effets soudains ont de l’air des miracles.
D’un avare à l’instant il fait un libéral,
Un vaillant d’un Poltron, un civil d’un brutal :
Il rend agile à tout l’âme la plus pesante,
Et donne de l’esprit à la plus innocente.

 

Si l’Amour force les obstacles de la Nature, ceux que l’éducation lui oppose seront-ils capables de l’arrêter ? La lettre d’Agnès est-elle pas comme la ferait une fille qui aurait vécu comme elle sans voir le monde ? Est-ce pas un tableau d’une belle âme pleine de simplicité ? Et peut-on désirer quelque chose qui exprime plus parfaitement ce qu’elle pense ?
[page 28]
Mais en termes touchants et tous pleins de bonté,
De tendresse innocente et d’ingénuité ;
De la manière enfin, que la pure nature
Exprime de l’amour la première blessure.

 

MÉLASIE.

Je ne croyais pas qu’on pût défendre Molière sur ce chapitre.

 

CLÉONE.

Peut-être que Philinte ne l’exécutera pas si bien, si je lui propose que cette Pièce se passe toute en récits.

 

PHILINTE.

Un Auteur qui fait une Pièce de Théâtre doit examiner si les narrations peuvent faire un plus bel effet que le spectacle même ; et quand il ne peut pas rendre un incident plus agréable aux yeux du spectateur qu’à son imagination, il faut en faire le [page 29] récit. Les incidents de cette Comédie seraient ridicules sur le Théâtre ; mais on est charmé de les apprendre de la bouche d’Horace, et de voir l’inquiétude où il met le Sieur de la Souche. Pourriez-vous souffrir qu’on fît paraître l’armoire ? Cette nouveauté produirait un plaisant effet ! Arnolphe se promènerait à grands pas, il frapperait sur la table, on entendrait sans doute le débris des vases d’Agnès. L’escalade Nocturne serait encore une bonne chose : On rirait assurément lorsque Alain et Georgette assommeraient une échelle à coups de bâton. Peut-être que Molière pour embellir ce spectacle mettrait adroitement la corde au col d’Horace, comme on faisait à l’Hôtel dans le Dom Pèdre de Carcassonne, où celui qui voulait représenter le père d’une fille qu’on voulait enlever, parlait en Fausset pour contrefaire [page 30] la Donzelle, et étranglait un des ravisseurs que ce beau semblant avait attiré sur l’Echelle.

 

Philinte dit cela d’un air assez plaisant.
Pour faire éclater le Parterre :
Mais une voix perçante et claire
Fit cesser l’éclat promptement.
Derrière le Théâtre on ouït crier «Gare,
Place, gare donc, place, allons, qu’on se sépare ».
On vit paraître en même temps.
Un homme à grands canons et perruque bouffie ;
Bref, puisqu’il faut que je le die,
Un Turlupin des plus galants,
Qui s’adressant au Dieu des rimes
Lui dit familièrement,
Ah ! Vengeance ces tours ne sont pas légitimes.
Quoi ? Prétendre sans nous vider ce différend ?
Quoi ? Sans Marquis morbleu, parler de Molière !
Ah parbleu je ne m’en puis taire
Un pareil procédé Dieu me damne est choquant.
Puis sans autre cérémonie
Il se mit de la compagnie,
Avecque Mome à qui mieux mieux
Il fit des tours facétieux,
Et le bruit aussitôt courut dans le Parterre
Que c’était un Marquis qu’Alcipe on appelait
Sur qui Molière moulait
Ceux de ce galant caractère ;
Homme qui sur la mode enchérissait aussi
Et qui poussait bien loin les nouveautés sans peine ;
Lisez l’autre Dispute ou Scène,
Vous y verrez Alcipe en portrait raccourci.
[page 31]

 

 

 

DISPUTE II.

 

MÉLASIE, CLÉONE, PHILINTE.

 

ALCIPE.

On parle donc ici de Molière, qui est-ce qui en dit du mal ? Morbleu, c’est l’incomparable. Je lui suis obligé, Dieu me sauve, de la moitié de mon embonpoint depuis qu’il a peint cinq ou six de mes amis.

 

Mais je dis traits pour traits.

 

Dorante que j’ai quitté présentement aux Tuileries est heureux à passer son temps par son étamine ; Il y a toujours à refaire après lui ; C’est le meilleur original que Molière trouvera jamais ; Ils sont parsambleu faits l’un pour l’autre, et ce pauvre diable [page 32] a tant de pente à s’en faire jouer, qu’il ne l’a pas si tôt berné sous un habit qu’il en prend un plus ridicule. Est-ce toi Philinte qui tiens contre Molière, est-ce toi ?

 

PHILINTE.

Au contraire je le défends.

 

ALCIPPE.

Morbleu Philinte je t’en aime ; c’est le fait d’un galant homme de se déclarer pour lui. Les rieurs sont de son côté, et il n’y a que les Poètes et les Comédiens qui l’attaquent. S’est-on jamais mieux diverti à la Comédie que depuis qu’il est à Paris ? Il m’a appris à connaître les bouffons, je ne vois plus que des Mascarilles, des Sganarelles, et des Arnolphes.

 

[page 33]

CLÉONE.

Vous serez donc pour son Ecole des femmes, puisque vous estimez tant cet Auteur.

 

ALCIPPE.

Pour L’Ecole des femmes ? Cosi, cosi, ce n’est pas la meilleure de ses Pièces, j’y trouve bien des fautes, mais à cela près le reste est bon. Parbleu son grès fait un effet fort plaisant ! Un grès dans une Comédie ! Ma foi cela est bon. Comment Diable comprendre qu’une fille jette un grès ? Car ce qu’on appelle un grès est un pavé qu’une femme peut à peine soulever. Arnolphe était bien des amis du Commissaire de faire pleuvoir impunément des grès par sa fenêtre en plein jour.

[page 34]

 

PHILINTE.

Il y a des grès de toutes tailles, et Horace dit qu’Agnès avait jeté d’une main celui dont tu parles.

 

ALCIPPE.

Parbleu il a dit aussi que le grès était de taille non petite et capable de l’assommer.

 

PHILINTE.

Aussi gros que le poing de cette marchandise assommerait un Géant.

 

CLÉONE.

Monsieur le Marquis qui fait tant le difficile en matière de grès se contenterait bien de la moitié. Mais n’avouerez-vous pas Philinte, qu’Horace [page 35] perd le jugement de venir chercher une lettre autour de ce grès, ou plutôt quelque bon coup de pavé ? L’amour le rend bien téméraire ?

 

PHILINTE.

Horace ne doit rien craindre, il connaît l’amour d’Agnès, et cette lettre qu’il voit tomber avec ce grès l’assure assez des bons desseins de cette fille. Quand il vous plaira Madame, d’en laisser tomber autant pour moi et qui parle aussi bon Français, vous expérimenterez qu’un Amant passionné ne s’épouvante pas de si peu de chose.

 

ALCIPPE.

Parbleu tu ne serais pas sot, tu ne serais pas dégoûté !

[page 36]

 

PHILINTE.

Je serais aussi sot qu’Horace, j’amasserais le billet.

 

ALCIPPE.

La belle Pièce que cette Ecole des femmes ! Elle se dénoue dans une rue.

 

PHILINTE.

Est-ce pas le lieu de la Scène ?

 

ALCIPPE.

Hé fadaises ! As-tu jamais vu huit personnes s’assembler dans une rue comme à la fin de cette Pièce ?

 

PHILINTE.

Pourquoi non ? Où veux-tu qu’ils [page 37] s’assemblent plus à propos qu’en ce lieu où se passe l’action Théâtrale ? Toutes les Comédies de Plaute et de Térence se passent et se dénouent au milieu des places publiques.

 

ALCIPPE.

Morbleu, je gagerai qu’elles ne s’y passent pas toutes.

 

PHILINTE.

Comment le sais-tu ? Qui te l’a dit, Marquis ? Les as-tu lues ?

 

ALCIPPE.

Moi ? Bon. Jamais. Je l’ai appris d’un Poète fort homme d’honneur et qui ne voudrait pas mentir. Une Comédie au milieu des rues ! Dans un carrefour !

 

 

[page 38]

CLÉONE.

Comment voudriez-vous donc faire ?

 

ALCIPPE.

Comment ? Comme on fait dans Le Menteur. Que le premier Acte se passât aux Tuileries, le second dans une maison particulière, et les autres en différents quartiers de la Ville.

 

MÉLASIE.

Est-ce tout ce que vous pouvez contre cette Comédie ?

 

ALCIPPE.

Ce n’est pas la quatrième partie des fautes. J’y trouve toutes celles que l’Auteur du Portrait du peintre y a remarquées.

 

 

[page 39]

CLÉONE.

Ce Portrait du peintre est joli.

 

PHILINTE.

Il vient de fort bonne main, et je ne trouverais rien plus galant s’il y avait moins d’invectives contre Molière. Il n’y a rien de plus estimable qu’une Critique qui n’attaque que l’Ouvrage, et qui respecte l’Auteur. Quand une personne met au jour quelque chose tout le monde a droit de le censurer ; on peut s’en railler impunément si l’on en trouve l’occasion : Mais cette liberté avec laquelle on peut dire son sentiment de l’Ouvrage, peut servir de prétexte pour injurier l’Auteur, et l’on peut en remarquer les défauts sans se prendre à sa personne.

 

 

[page 40]

ALCIPPE.

Vraiment tu l’entends ! Molière raillera tout le monde et personne n’osera le railler ?

 

PHILINTE.

Sa Comédie est instructive et divertissante, et il n’a point encore porté l’aigreur de ses satires jusqu’à faire connaître les personnes distinctement et par leur nom comme on l’a peint.

 

ALCIPPE.

Ah ! Philinte, mon cher, j’ai pitié de toi. J’ai vu de mes amis aussi bien tirés par Molière qu’on puisse l’être. Je les ai reconnus morbleu, dès la première démarche, et j’en sais bon nombre à qui il ressemblait [page 41] si fort que les plus fins n’auraient bien pu s’y tromper. Tu n’appelles donc pas cela faire connaître les gens avec assez de netteté ?

 

MÉLASIE.

J’ai reconnu chez lui vingt personnes si bien tirées que leurs portraits m’ont paru inimitables.

 

CLÉONE.

Je sais un homme que je ne puis voir sans qu’il me souvienne du Marquis de Mascarille.

 

MÉLASIE.

Ai-je le bien de le connaître ?

 

CLÉONE.

Tu ne vois autre ; bas, c’est Alcippe que voilà.

 

 

[page 42]

ALCIPPE.

Je gage que vous parlez de mon homme des Tuileries, de Dorante.

 

MÉLASIE.

Nous avons parlé au moins de quelqu’un qui lui ressemble.

 

ALCIPPE.

C’est Dorante Dieu me sauve. Vous riez ? Ah Parbleu ! Je l’ai deviné. Philinte tu es convaincu par ces Dames ; dis encore que Molière ne peint pas les gens au naturel.

 

PHILINTE.

Sais-tu pas qu’il ne fait que des portraits généraux qui ne blessent personne en particulier, et que personne
[page 43]
ne prend pour soi.

 

MÉLASIE.

Il est vrai. Mais tout le monde les applique à ceux de sa connaissance.

 

PHILINTE.

Je ne crois pas Madame que cette application qu’on peut faire de ces portraits rende la cause de Molière plus mauvaise. Le portrait que vous ajustez à un homme que vous connaissez, ressemble à mille autres, et il n’est pas plus pour celui-là que pour le reste du monde. Un Peintre qui ne ferait voir dans un Tableau qu’une main ne ferait pas le portrait de la mienne seulement ; on pourrait dire que cette main ressemblerait à l’une des miennes, comme je pourrais présumer qu’elle serait faite sur celles de tous ceux que je connaîtrais, [page 44] et même de tous les autres que je connaîtrais pas. On a fait quelque chose de plus blâmable que ce qu’on impute à Molière quand on a employé tous les artifices imaginables pour exciter les personnes de qualité à le regarder comme un homme qui divertit le Bourgeois à leurs dépens ; et qu’on n’a condamné ses portraits généraux que pour avoir l’occasion de le déchirer par un qui ne ressemble qu’à lui.

 

CLÉONE.

Mais Philinte, ces portraits généraux ont eu un original, et chaque personne à qui ils ressemblent peut croire qu’il a servi de modèle pour les faire.

 

PHILINTE.

Il n’est pas impossible que Molière [page 45] ait travaillé sur quelque original : mais comme ces portraits ressemblent à mille personnes, il y a plus d’apparence qu’ils ont eu pour principes des observations générales. Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons pas les accommoder à une personne seulement, et si quelqu’un s’en offensait, il serait facile de lui faire voir que ce portrait ressemblerait à mille autres. Molière a été joué en plein Théâtre et à découvert, au lieu qu’il n’a fait paraître personne que sous le masque et avec des habits empruntés.

 

ALCIPPE.

À d’autres.

 

MÉLASIE.

Je trouve le sentiment de Dorante fort raisonnable.

 

 

[page 46]

ALCIPPE.

Bagatelle, Madame.

 

CLÉONE.

Mais bagatelle n’est pas une raison.

 

ALCIPPE.

Philinte nous en ferait bien accroire si nous n’avions pas vu L’Impromptu de Versailles. Molière, dit-il, ne s’attache qu’à faire des portraits généraux, et cependant il y en a cinq ou six dans cet Impromptu qui sont des plus beaux qu’on puisse faire après Nature, et que les véritables originaux se sont galamment appliqué.

 

PHILINTE.

Je ne nie pas que ceux à qui ces [page 47] portraits ressemblent ne soient pas les véritables originaux ; Ils seraient bien aveugles s’ils ne se voyaient dans une peinture si parlante et si naïve. Molière ne les a peint qu’après qu’ils l’ont joué sur leur Théâtre ; Il leur a rendu le change, et quand il n’aurait point d’autre raison pour s’en défendre, on ne pourrait pas le blâmer : Mais sais-tu pas qu’il y a travaillé par l’ordre de sa Majesté ?

 

MÉLASIE.

Que Molière les raille tant qu’il lui plaira, c’est la première Troupe de France.

 

CLÉONE.

Il n’ignore pas qu’elle appartient à un grand Monarque ; il sait qu’on ne vit jamais une Troupe plus accomplie pour bien représenter un [page 48] Ouvrage sérieux : mais il pourrait la surpasser dans le Comique.

 

PHILINTE.

Et dans le sérieux aussi. Molière joue un rôle tragique aussi bien qu’aucun Comédien qui soit au monde.

 

ALCIPPE.

Le sérieux n’est pas son grand talent.

 

PHILINTE.

Et moi je soutiens qu’il n’a point d’égal dans le tragique, parce qu’il joue le Comique le mieux du monde.

 

CLÉONE.

La conséquence est mauvaise.

 

 

[page 49]

MÉLASIE.

Qui réussit dans le bouffon n’excelle pas dans le sérieux. Mais que voulez-vous donc nous dire ?

 

PHILINTE.

Que le petit Chat est mort Madame, et que puis Molière joue la Tragédie de L’Ecole des femmes d’une manière inimitable, qu’il n’y a personne qui l’égale pour le tragique.

 

MÉLASIE.

Cela est aussi galant comme il est nouveau que le trépas d’un petit chat fasse donner à une Pièce le nom de Tragédie, comme ferait la mort d’un grand Prince.

[page 50]

 

CLÉONE.

Tu ne sais donc pas Cousine, qu’en matière de Tragédie c’est une maxime dont on ne doute plus.

Que la Pièce est également bonne,
Lorsqu’un Matou trépasse ou quelque autre personne.

Lorsqu’un bon gros Bourgeois appelé Rosimon,
Lassé d’ouïr leur conférence,
Cria du Parterre, je pense
Que vous n’osez attaquer tout de bon
Cet ouvrage de Molière ?
Au lieu de le bourrer d’une forte manière
À peine sent-il le bouton.
Sa hardiesse émut fort Apollon,
Il n’aurait pas retenu sa colère
S’il n’eût été plus nécessaire
De laisser parler ce Jaloux.
Mercure à même temps lui dit approchez-vous ;
Il monta donc, et lors dans le Parterre
Courut un bruit à l’ordinaire
Qu’il était grand ami du Poète Alcidor.
Un de ses voisins sans médire
Daigna bien ajouter encor,
Que ce Jaloux ferait bien rire.
Sitôt qu’il fût monté le Parterre écouta,
Et le Marquis Alcippe débuta ;
Après que ce Monsieur aux déités grégeoises
Avec assez d’adresse eût fait
Force révérences bourgeoises,
Qui firent un fort bon effet.

 

 

 

[page 51]

DISPUTE TROISIÈME.

 

MÉLASIE, CLÉONE, ROSIMON, PHILINTE.

 

ALCIPPE.

Paix-là morbleu, paix-là… Monsieur a quelque chose de nouveau.

 

ROSIMON.

Je ne suis pas assez habile homme pour discerner de moi-même les fautes d’un Ouvrage, mais Monsieur Alcidor qui n’est pas un ignorant m’en a fait remarquer tout plein dans L’Ecole des femmes. Horace est un [page 52] amant bien importun de venir voir Agnès cinq ou six fois en même jour. Il joue aux barres avec Arnolphe.

 

PHILINTE.

La remarque est judicieuse, tous les Amants ne rendent pas des visites si fréquentes à leurs Maîtresses. J’ai pour Cléone plus de tendresse qu’Horace n’en fait paraître pour Agnès, et cependant, je ne vais chez elle qu’une fois chaque jour.

 

MÉLASIE.

Il est vrai, mais vos plus courtes visites durent six heures.

 

PHILINTE.

Celles qu’Horace rendait à Agnès pendant l’absence d’Arnolphe n’étaient pas moins longues. Elle avoue [page 53] ingénument qu’il était toujours avec elle ; et je crois même s’il trouvait l’occasion d’y passer ce jour comme les autres, qu’il ne ferait pas tant de tours inutilement. Vous blâmez ces deux rivaux parce qu’ils ne s’éloignent pas du logis dans lequel Agnès demeure ? L’un est un Amant passionné qui veut s’assurer de sa Maîtresse, et l’autre un Jaloux qui veille pour la conserver, et qui n’ignore pas ce qu’on lui prépare.

 

ALCIPPE, à Rosimon.

Je m’en vais vous donner une comparaison
Afin de concevoir la chose davantage.

Imaginez-vous que vous êtes un Jaloux dont la Maîtresse ou la femme a de la beauté, et que je suis un galant qui la couche en joue. Sans doute…

 

ROSIMON.

À quoi bon des comparaisons [page 54] Monsieur ? Nous ne parlons ni de vous ni de moi, mais d’Arnolphe.

 

ALCIPPE.

Je le sais, et ce n’est que pour vous faire sentir la chose. Est-il pas vrai que vous Jaloux, vous ne la perdriez pas de vue ?

 

ROSIMON.

Je ferais effort pour éviter les surprises.

 

ALCIPPE.

Et moi galant je n’épargnerais rien pour m’emparer de la Donzelle. J’assiègerais la place, vous la défendriez ; je ne lèverais pas le siège, vous ne décamperiez pas.

 

PHILINTE.

C’est justement tout comme.
[page 55]
Est-ce tout ce qui vous déplaît en cette pièce ?

 

ROSIMON.

C’est la plus damnable Comédie, la plus détestable, la plus pernicieuse qu’on puisse voir. Il y a des choses qui blessent si fort les oreilles chastes…

 

CLÉONE.

Doucement Monsieur Rosimon. Ne vous découvrez point de mal dans cette Pièce, nous n’y en avons pas encore trouvé.

 

ALCIPPE.

Est-ce point ce « le… » Que Monsieur veut dire ? Vous ne répondez pas. Est-ce ce « le… » Qui blesse vos oreilles chastes ?

 

 

[page 56]

ROSIMON.

Mon silence fait connaître assez que je n’ose le nommer.

 

ALCIPPE.

Parbleu voilà bien de quoi ! Un mot de deux lettres vous fait peur, que deviendriez-vous donc s’il y en avait davantage ?

 

ROSIMON.

Cela est infâme, cela est épouvantable, on ne peut souffrir des choses si déshonnêtes.

 

PHILINTE.

Vous avez donné des mémoires pour faire Le Portrait du peintre.

 

 

[page 57]

ROSIMON.

Moi Monsieur ?

 

PHILINTE.

Ce que je dis n’est pas sans apparence, car ce « le… » y est expliqué en termes fort intelligibles, et en même sens que vous faites.

 

ALCIPPE.

Ma foi ces Vers du Portrait du peintre me plaisent fort. Ils sont naturels au dernier point ; Et
Il est vrai que ce « le… » charme tous les galants.

 

CLÉONE.

Alcippe, je vous prie…

 

ALCIPPE.

Ce « le… » ne doit pas vous déplaire.

En effet j’en vois peu qui ne donnent dedans.

 

 

[page 58]

MÉLASIE.

Alcippe m’obligerait s’il voulait se taire.

 

ALCIPPE.

Vous auriez grand tort Madame de vous offenser d’une chose si charmante.
La beauté de ce « le… » n’eut jamais de seconde.

 

CLÉONE.

Fi donc Alcipe, fi, voyez-vous pas que cela est infâme ?

 

ALCIPPE.

Ma foi quoi que vous puissiez dire contre lui.
Il est vrai que ce « le… » contente bien du monde.

 

MÉLASIE.

Vous êtes insupportable Alcippe.

 

 

[page 59]

CLÉONE.

Mais Alcippe, taisez-vous donc.

 

ALCIPPE.
Faites moins la sucrée, il n’a que des appâts,
C’est un « le… » fait exprès pour les gens délicats.

 

CLÉONE.

Je vous conseille de dire toujours. Quelle infamie ! J’aimerais autant être à l’Hôtel.

 

MÉLASIE.

C’est reprendre les gens d’une façon fort nouvelle ; et faire une faute plus grande que celle qu’on veut corriger.

 

ROSIMON.

Les belles maximes du mariage [page 60] qu’Arnolphe fait lire par Agnès sont plus pernicieuses que ces Vers du Portrait du peintre. J’ai horreur d’y penser.

 

PHILINTE.

En effet, j’ai toujours blâmé ces maximes, elles sont très pernicieuses, et les Maris doivent prendre garde soigneusement que leurs femmes ne les observent, je ne doute pas que vous n’en donniez à la vôtre d’entièrement contraires à celles que Molière débite dans son Ecole. Vous lui enseignez assurément, au lieu de ces maximes pernicieuses et qui font horreur, que
Celle qu’un lien honnête
Fait entrer au lit d’autrui
Doit se mettre dans la tête
Suivant le train d’aujourd’hui,
Que l’homme qui la prend ne la prend pas pour lui.

 

 

[page 61]

CLÉONE.

Le Jaloux en tient.

 

ROSIMON.

Ah ! Monsieur…

 

CLÉONE.

Pratique-t-elle cette autre maxime. :
La femme se doit parer
Plus que ne peut désirer
Le mari qui la possède ;
Quels que soient son esprit, sa grâce et sa beauté,
Pour rien doit être compté
Si les autres la trouvent laide.

 

ROSIMON.

Ah Madame…

 

ALCIPPE.

Il faut des présents des hommes
Qu’elle s’accommode bien
Car dans le siècle où nous sommes
Un Galant donne tout pour rien.

 

 

[page 62]

ROSIMON.

Mais Monsieur vous me poussez.

 

MÉLASIE.

Ces douces études d’œillades,
Ces eaux, ces blancs, ces pommades,
Et mille ingrédients qui font des teints fleuris,
Ne peuvent à l’honneur être drogues mortelles,
Et le soin de paraître belles
Ne se prend que pour les Maris.

 

ROSIMON.

Mais Madame…

 

PHILINTE.

Des promenades du temps,
Ou repas qu’on donne aux champs
Il est fort bon qu’elle essaie ;
Selon les prudents Cerveaux
Le Mari dans les cadeaux
N’est jamais celui qui paie.

 

ROSIMON.

Un mot, de grâce…

 

 

[page 63]

ACLIPPE.

Encore celle-ci :

Hors de ceux dont au mari la visite se rend
La bonne règle défend
De refuser aucune âme.
Ceux qui de galante humeur
N’ont affaire qu’à Madame,
Accommodent bien Monsieur !

ROSIMON indigné qu’on le poussât à bout
Fit une mine épouvantable,
Et sans rien répondre du tout
Sauta le Parterre et courut comme un Diable.
Dieu sait si l’on rît jamais mieux
Que de ce faux capricieux.
Avant qu’il pût gagner la porte
Il fut daubé de telle sorte,
Tant de coups lui furent donnés
Et sur le dos, et sur le nez,
Qu’en sortant les laquais, les pages,
Au lieu de redoubler ces sensibles outrages
Par un rare effet de pitié,
Ne purent foi d’Auteur le battre qu’à moitié,
Tout le monde achevait de rire
Lorsque le Poète Alcidor
Sur le Théâtre vint encor
Plein d’une gravité qu’on ne saurait décrire.
[page 64]
Se courbant il fit bien et beau
Au Dieu des Vers le pied de Veau ;
Puis chaque Muse eut son aubaine ;
Mais la tonnante Melpomène
Eut outre un gracieux regard,
Trois révérences pour sa part.
On poursuivit la Comédie,
À le bien écouter chacun se prépara ;
Et la charmante Mélasie
Dit ce qu’après ces Vers, l’Ami Lecteur lira.

 

 

 

[page 65]

DISPUTE IV.

MÉLASIE, CLÉONE, PHILINTE, ALCIPPE, ALCIDOR.

 

MÉLASIE.

Remplissez la place d’un de vos intimes Monsieur Alcidor. Rosimon vient de sortir.

 

ALCIDOR.

Il me fait l’honneur de m’aimer et de me croire quelque fois.

 

CLÉONE.

Il profite bien de vos leçons Monsieur Alcidor.
Le compère vous drape, et vous mord en riant ;
Et c’est pour Molière un démon foudroyant.

 

[page 66]
ALCIPPE.

Travaillez-vous Monsieur Alcidor ? Verra-t-on quelque chose de vous ce Carnaval ?

Apollon voulut l’interrompre,
Mais notre Marquis l’emporta,
Et si vivement tempêta,
Qu’il poussa son discours que ce Dieu ne put rompre.
Il dit avec témérité
Qu’il savait de quel air les gens de qualité
Reçoivent souvent les Poètes ;
Et pour avoir des Partisans,
Combien de questions ou plutôt de sornettes
Ils souffrent tous les ans.

 

ALCIPPE.

Avez-vous quelque chose de nouveau, Monsieur Alcidor ?

 

ALCIDOR.

Oui, Monsieur.

 

CLÉONE.

C’est du sérieux.

 

 

[page 67]

ALCIDOR.

Oui Madame.

 

ALCIPPE.

Il y a cinq Actes.

 

ALCIDOR.

Oui, Monsieur.

 

MÉLASIE.

Vous avez achevé.

 

ALCIDOR.

Oui, Madame.

 

ALCIPPE.

Quel sujet Monsieur Alcidor ?

 

ALCIDOR.

Faut-il le demander, c’est une Histoire Romaine.

 

 

[page 68]

ALCIPPE.

Morbleu il faut la choisir belle et la bien conduire, bien ménager ce qui est de l’Histoire, bien préparer les incidents, et surtout faire une belle catastrophe, car c’est la pierre de touche, et les mieux ferrés y sont assez empêchés. Si vous avez quelque Acteur que le spectateur désire entendre à la fin de votre Pièce, ne le faites pas tenir à quatre de telle sorte qu’il ne puisse revenir.

 

PHILINTE, bas.

Ah ! Le grand Docteur. Je donne des leçons qu’il n’entend pas.

 

ALCIDOR, à Alcippe.

Ce que vous dites est fort judicieux et vous entendez le Théâtre.

 

 

[page 69]

ALCIPPE.

Vraiment je crois qu’un homme qui voit la Comédie depuis quinze ans, doit en savoir quelque chose. La Pièce que vous préparez aura grand succès.

 

ALCIDOR.

On est si bizarre à présent que je ne sais ce que j’en dois espérer.

 

ALCIPPE.

Vous êtes bien empêché. Assemblez sept ou huit bonnes têtes de ces gens qui ont le goût fin, et prenez leur avis. Les Vers sont-il beaux, sont-il tendres, sont-ils forts ?

 

ALCIDOR.

On les trouve raisonnables.

 

 

[page 70]

ALCIPPE.

Bon ma foi. Vous y avez mêlé quelque chose de Comique.

 

ALCIDOR.

Elle est toute sérieuse.

 

ALCIPPE.

Hé, le sérieux plaît encore quand il est bien manié ; mais ma foi le Comique accommode mieux les gens. Ne feignez point d’y en mettre.

 

ALCIDOR.

Du Comique bons Dieux dans une Pièce sérieuse ! Si j’étais assez imprudent pour faire une telle faute, Molière ne me la pardonnerait pas. J’aimerais autant avoir fait la scène du [page 71] Notaire de L’Ecole des femmes dans laquelle Arnolphe n’entend pas ce qu’on lui dit, et où le Notaire répond à ce qu’on ne lui dit pas.

 

PHILINTE.

Cette Scène pèche-t-elle contre la vraisemblance ?

 

ALCIDOR.

Pouvez-vous souffrir qu’Arnolphe réponde si à propos à ce Notaire qu’il n’écoute pas ? Qu’il lui donne occasion de parler de toutes les clauses d’un Contrat de mariage ? Et ce discours qu’Arnolphe fait en lui-même doit-il être entendu de ce Notaire ?

 

PHILINTE.

Ce que dit Arnolphe convient mieux à l’état de ses affaires, qu’aux [page 72] clauses d’un Contrat de mariage ; Et ce que vous appelez un discours qu’Arnolphe fait en lui-même, ne doit pas être considéré comme un tableau de ses pensées, mais comme de véritables paroles que la rage et le trouble de son esprit lui font proférer. Cela n’est pas sans exemple chez les Anciens, et vous savez mieux que moi que dans l’Andrienne de Térence, Phamphile que son père veut marier contre sa volonté, dit seul plus de trente Vers de suite touchant l’embarras où le met cette proposition, et qu’une fille entend distinctement tout ce discours que sa douleur lui fait tenir.

 

ALCIDOR.

Dites ce qu’il vous plaira, Molière n’est pas ce qu’on s’imagine. Je veux écrire contre lui, moi. Il y a tant de faute dans…

 

 

[page 73]

Vous aurez assez de sujet pour faire une Comédie en deux tomes.

 

ALCIPPE.

Avec une douzaine et demie de quatrains à cinq Vers, cela l’accommoderait fort bien.

 

ALCIDOR.

Je ne suis pas seul de mon sentiment ; Toutes les personnes qui se connaissent aux ouvrages de Théâtre disent de même.

 

PHILINTE.

Vous pourriez ajouter la meilleure partie de ceux qui les représentent. Leur brigue est forte contre Molière ; [page 74] mais ce qui est avantageux pour lui, personne ne les croit.

 

ALCIDOR.

Les Auteurs n’ont-ils pas intérêt de l’étouffer ? S’ils n’ont pas le talent de réussir dans le comique comme lui, et s’il est cause qu’on méprise les Pièces sérieuses, que deviendront-ils ?

 

ALCIPPE.

Ils le regarderont faire. Ma foi les grands hommes ne travaillent à présent que pour la gloire : Il n’y a plus d’argent pour eux.

 

ALCIDOR.

Cela est sensible au dernier point, quitter les grandes Pièces pour des Farces !

 

 

[page 75]

CLÉONE.

Mais si son comique a plus de charme que le sérieux, pouvez-vous trouver mauvais qu’on s’en divertisse ?

 

ALCIDOR.

Vous ne verrez jamais cela Madame, les esprits raisonnables tiendront toujours pour le sérieux.

 

CLÉONE.

Il faut donc que la raison soit bien étouffée en France, car tout le monde dit comme moi.

 

ALCIDOR.

C’est aux Auteurs a en juger, il n’y a qu’eux qui s’y connaissent.

 

 

[page 76]

MÉLASIE.

Si l’on ne consultait que les Auteurs touchant tous les Ouvrages qui paraissent, il n’y en aurait point qui ne fût plein de fautes. On sait qu’ils ont tous le talent de médire de leurs confrères.

 

PHILINTE.

Je m’étonne comment les Pièces de ces esprits si éclairés réussissent quelque fois si mal. Que n’appellent-ils du Jugement du public ? Puisqu’il ne s’y connaît pas ? Notre argent leur est fort bon, mais ils ne peuvent goûter nos raisons. Vous même Monsieur Alcidor vous n’avez répondu à cet endroit de Térence.

ALCIDOR.

Hé Monsieur, vous désabusera-t-on point ?

 

 

[page 77]

PHILINTE.

Répondez donc à cet endroit de Térence.

 

ALCIDOR.

C’est une faute qu’il a faite.

 

PHILINTE.

Vous aimez mieux condamner un Auteur qui vaut mieux que vous, que de perdre l’occasion de médire de Molière.

 

ALCIDOR.

Je pardonnerais cet aveuglement à un Bourgeois, mais…

 

PHILINTE.

Vous êtes trop charitable, [page 78] Monsieur Alcidor, je me trouve bien de la façon. Je rendrai bien raison de ce que je dis. Nous sommes en un temps où les beaux sujets de Comédie sont un peu rares ; on ne les traite plus à la façon des Anciens ; L’Amour est devenu sage chez nous ; nos valets n’ont point la hardiesse de ceux de l’Antiquité ; On ne dupe plus le bon homme pour favoriser les amourettes de son fils, et c’est une chose surprenante, qu’un Auteur en ait fait paraître neuf comme Molière avec applaudissement. Jamais on ne fut si difficile et si content tout ensemble, et s’il a su nous rendre le goût fin, il a bien trouvé le moyen de nous satisfaire.

 

ALCIDOR.

Vraiment, c’est au dépens des autres que Molière vous plaît tant. Il lit tous les Livres satiriques, il [page 79] pille dans l’Italien, il pille dans l’Espagnol, et il n’y a point de bouquin qui se sauve de ses mains. Il prend dans Boccace, dans d’Ouville, et son Ecole des femmes n’est qu’un pot-pourri de La Précaution inutile, et d’une Histoire de Straparole.

 

PHILINTE.

Je crois que La Précaution inutile et les Histoires de Straparole lui ont fourni quelque chose de son sujet, qu’il lit les Italiens et les Espagnols, qu’il en tire quelque idée dans l’occasion ; mais le bon usage qu’il fait de ces choses le rend encore plus louable. Je voudrais bien savoir par quelle raison un Auteur Comique n’a pas la liberté de se servir des lectures qu’il fait, et pourquoi les Poètes tragiques prennent des sujets entiers, traduisent des centaines de Vers dans une Pièce, et se parent des plus beaux endroits des Anciens. Il [page 80] faut être bien déraisonnable pour établir une pareille inégalité.

 

ALCIDOR.

Il traduit des Comédies entières, il ne tient ses Précieuses que des Italiens.

 

PHILINTE.

Les Italiens les ont reçues d’un Abbé pour qui tout le beau monde a de l’estime. Plaute et Térence accommodaient au Théâtre les Pièces des Grecs, et plusieurs de vos Confrères ont fait beaucoup de voyages en Espagne.

 

ALCIDOR.

Ouvrons les yeux Monsieur, reconnaissons qu’on nous dupe, et que de faux brillants nous éblouirent.

 

CLÉONE.

Que ces Auteurs sont obstinés !

 

 

[page 81]

ALCIPPE.

Vous vous échauffez Monsieur Alcidor.

 

ALCIDOR.

Je me saisis quelquefois quand je considère le progrès d’un Molière, et qu’un homme qui n’est riche que des dépouilles des autres fait la loi à toute la terre. La conduite de ses Pièces est déréglée, ses incidents sont forcés, ses Vers son rampants et faibles, ses catastrophes détestables, il pèche contre les règles d’Aristote et d’Horace, et contre tout ce que l’on a écrit touchant le Poème dramatique…

 

PHILINTE.

À ce bel argument, à ce discours profond,
Ce que Pantagruel à Panurge répond.
De pareilles raisons apportez une botte,
Prêchez, patrociner jusqu’à la Pentecôte,
Vous serez étonné quand vous serez au bout
Que vous ne m’aurez rien persuadé du tout.

 

 

[page 82]

ALCIDOR.

C’est-à-dire que vous ne vous rendrez point à la raison ?

 

PHILINTE.

Si vous n’en avez point de plus forte.

 

MÉLASIE.

Monsieur Alcidor, voulez-vous décrier Molière d’une plaisante façon ? Faites que tous les Auteurs et les Comédiens en disent du bien, car personne ne les croit sur ce chapitre.

Alors le Sieur de la Rancune
Ce Comédien dont Scarron
Peint si bien la malice et l’humeur importune,
Parut dans le dessein d’escrimer tout de bon.

On l’aurait pris pour homme assez traitable et franc,
Mais il suivait toujours son penchant à médire ;
Et pour mieux faire honneur à la satire,
Il avait pris du linge blanc.

 

 

 

[page 83]

DISPUTE DERNIÈRE.

MÉLASIE, CLÉONE, ALCIPPE, PHILINTE, ALCIDOR, DE LA RANCUNE.

 

ALCIPPE.

Parbleu Monsieur de la Rancune, sans façon, mettez-vous là. Nous parlons de Molière et vous nous en direz votre sentiment.

 

DE LA RANCUNE.

Molière est bon Comédien ; mais il serait encore plus fort s’il ne se mêlait que de son métier ; il veut trancher de l’Auteur.

 

 

[page 84]

CLÉONE.

Ce n’est pas son plus petit talent.

 

DE LA RANCUNE.

Ah Madame ! Il faut bien avoir plus de fonds. Molière Auteur ! Il n’y a que de la superficie et du Jeu. Sa présomption est insupportable, il se méconnaît depuis qu’on court à quatre ou cinq Farces qu’il a dérobées de tous côtés. Il traite ses Confrères d’ignorants quand il s’agit de juger d’une Pièce de Théâtre. Je voudrais bien savoir où il en a tant appris, si ce n’a été à la Comédie.

 

CLÉONE.

Il est vrai que c’est un moyen infaillible pour devenir habile homme que de représenter la Comédie [page 85] et je crois que Molière y a appris tout ce qu’il sait. Mais d’où vient que les autres ont perdu tout leur temps, et qu’il n’y en a point qui lui ressemble.

 

DE LA RANCUNE.

Il a rempli la place, Madame, on ne pourrait souffrir les autres quand ils seraient mieux que lui ; on ne trouve rien bon que ce qui vient de Molière, on appelle cela un gâte-métier en bon Français, encore roulait-on auparavant.

 

ALCIDOR.

Cela est damnable qu’un homme seul ruine tous les Auteurs et les Comédiens.

 

PHILINTE.

Que vous importe Monsieur de la [page 86] Rancune ? Vous êtes à la campagne, et Molière ne va pas vous y chercher. Si vous étiez à Paris…

 

DE LA RANCUNE.

Je puis y venir quelque jour. Mais savez-vous qu’à la Campagne on ne parle que de Molière ? Un Campagnard Morbieu qui l’a vu jouer à Paris gâte toute une Ville, et quand on y représente du Comique, on n’entend point autre chose, sinon Molière joue bien autrement. C’est le diable qui l’emporte[,] l’ignorant qu’il est, les Poètes et les Comédiens ont été de grand sots de le laisser prendre racine à Paris, au lieu de former une bonne cabale la première fois qu’il montra son nez, au lieu de publier que sa Troupe était détestable, et de le décrier fortement…

 

 

[page 87]

ALCIDOR.

On prenait Molière pour un oiseau passager.

 

DE LA RANCUNE.

Pendant que les Auteurs étaient dispersés en Province le drôle faisait son coup. Il fallait se ranger à Paris, se fortifier sur le Parnasse, et tenir ferme d’abord.

 

MÉLASIE.

Monsieur de la Rancune dit la vérité, Paris est le véritable Parnasse ; et l’eau d’hypocrène n’a point la douceur des fruits qui naissent au Parterre de l’Hôtel, ni le suc des Épîtres dédicatoires.

 

 

[page 88]
ALCIDOR.

Tous les Auteurs sont maintenant Bourgeois de Paris, et cependant on n’en est pas mieux.

 

DE LA RANCUNE.

Il est bien temps, après la mort le Médecin. Que n’y venaient-ils il y a cinq ou six ans ? Que ne le frondaient-ils comme tous les diables ?

 

ALCIDOR.

Qui aurait pu s’imaginer que le Comique dût supplanter le sérieux ? Molière est heureux et c’est tout.

 

DE LA RANCUNE.

Il peut bien se servir de l’occasion ; la fortune ne lui rira pas toujours. [page 89] Son bonheur éblouit mais…

 

PHILINTE.

Mais il y a peut-être un peu de mérite mêlé avec ce bonheur.

 

DE LA RANCUNE.

Quel mérite Monsieur ? J’enrage quand j’entends vanter un homme que j’ai vu le plus méchant Comédien de Campagne. Ses Pièces sont-elles si belles ? C’est son jeu qui pipe et les fait paraître. Le Bourgeois se lassait de ne voir que les postures et les grimaces de Scaramouche et de Trivelin, et de ne pas entendre ce qu’ils disent. Molière est venu et les a copiés Dieu sait comment ; et aussitôt à cause qu’il parle un peu Français on a crié : « Ah ! L’habile homme, il n’a jamais eu d’égal ! ». Il est forcé en tout ce qu’il fait ; ses grimaces sont [page 90] ridicules, et on peut dire que c’est un fort mauvais copiste des Italiens.

 

ALCIPPE.

Il n’imite pas seulement les Italiens, il copie aussi les Français.

 

CLÉONE.

Il est vrai qu’il les copie, mais tout le monde en rit.

 

DE LA RANCUNE.

On l’a si bien copié lui-même dans Le Portrait du peintre et dans L’Impromptu de l’Hôtel de Condé. Il y avait bien de quoi dire : « ouf ! ».

 

ALCIPPE.

Parbleu, cet ouf de L’Ecole des femmes en achève plaisamment la [page 91] catastrophe ! Au lieu de tempêter comme un démon, il s’amuse à dire « ouf ».

 

PHILINTE.

Il est vrai que Molière a paru en cette rencontre mauvais imitateur de Scaramouche. Au lieu de dire cet « ouf », cinq ou six coups de ceintures a sa maîtresse et à son rival auraient terminé la Pièce agréablement. Mais le spectateur savait tout ce qu’Arnolphe pouvait penser.

 

MÉLASIE.

Vous avez parlé du Portrait du peintre ; on accuse Boursault de n’en être pas l’Auteur.

 

PHILINTE.

Je ne m’arrête pas à tous ces bruits, je crois Boursault très capable de cela.

 

 

[page 92]

DE LA RANCUNE.

Il est impossible que Boursault ne réussisse. S’il a fait Le Portrait du peintre, manquera-t-il de beaux sujets, et d’art pour les conduire ? Et s’il n’en est pas l’Auteur, ceux qu’on soupçonne d’avoir mis la main à cette petite Comédie, sont-ils pas engagés d’honneur de le secourir en toutes les autres ?

 

ALCIDOR.

Non parbleu ils ne l’aideront pas s’ils sont sages. Quoi ? Vous voulez qu’ils mettent encore au monde un Poète comique ? Que serait-ce s’il y en avait deux ? Boursault se poussera bien sans eux ; Ma foi, Molière berne le Bourgeois ; il joue les mêmes choses toute l’année, et personne ne s’en lasse.

 

PHILINTE.

C’est un témoignage que ses Pièces sont mauvaises.

 

 

[page 93]

DE LA RANCUNE.

On aurait peine à souffrir qu’on représentât Le Cid deux fois par an, et l’on irait voir son Cocu imaginaire s’il se jouait tous les jours. Il est heureux.

 

CLÉONE.

Il est vrai que les autres se tueraient plutôt que d’en faire autant. Il n’y a plus que lui qui enrichisse les Comédiens, et quand on a fait Le Portrait du peintre on n’avait pas dessein de diminuer sa réputation, elle est trop bien établie, on cherchait seulement le moyen de gagner de l’argent à la faveur de son nom.

 

APOLLON voyant qu’on ne faisait que chicaner se leva, et toutes les muses l’environnèrent pour délibérer avec lui. On délibéra aussi dans le Parterre, les uns prirent le parti de L’Ecole des femmes et de son Auteur, les autres embrassèrent l’autre. Il y en eut qui considérèrent [page 94] toutes les singeries que Mome fit pendant qu’on reculait les opinions, et qui ne purent s’empêcher de rire lorsqu’il pria Mercure de jouer des gobelets, et de faire quelque tour de gibecière pour divertir la Compagnie. Enfin Apollon prit l’avis de toutes les Muses, et en prononça le résultat que voici.

 

APOLLON grâces aux destins
Du Parnasse Prince divin,
Et les trois fois trois sœurs pucelles,
Grandes d’esprit et de corps belles,
À tous qui ces Lettres verront,
Ceux qui sauront lire liront.
Devant Nous querelle s’est mue
Pour une Pièce assez connue
Et qui vient d’Auteur assez bon
Molière notre Mignon ;
Les uns en ont dit pis que pendre,
Les autres ont su la défendre ;
Bien informés de leurs raisons,
Tout considéré, Nous disons
Que cette Pièce est belle et bonne,
Commandons à toute personne
De bien soutenir son parti
Et donnons un beau démenti
À qui sera si téméraire
D’oser avancer le contraire.
[page 95]
L’Ecole des femmes enfin
Doit passer pour ouvrage fin.
Permettons à chacun d’en rire,
Défendons à Tous d’en médire,
Et déclarons que son Auteur
Dans son style a de la douceur,
De la netteté, de la grâce ;
Qu’avec tant de nature il trace
Les sujets et les passions,
Et débite des mots si bons
Qu’un esprit bien fait quoi qu’on die,
Doit admirer sa Comédie,
Et le prendre tout bien compté,
Pour Térence ressuscité.
Commandons à tous les Poètes
D’être fidèles Interprètes,
De L’Ecole et de sa beauté,
D’en dire bien la vérité,
Et d’en parler en conscience.
Et quoique quelqu’un s’en offense,
Voulons que cette Pièce ait cours
Qu’en ce lieu l’on vienne toujours
Et sans craindre que Molière
Se lasse jamais de bien faire,
Sauf aux Comédiens Royaux
De faire Ouvrages plus loyaux ;
À qui faisant justice entière,
Voulons ainsi qu’à Molière
Qu’on applaudisse fortement.
Qu’on vive plus paisiblement,
Et suivant les volontés nôtres.
Fut fait par Nous et non par d’autres.
Sur le Théâtre où l’on viendra,
Tel jour, tel an qu’il vous plaira.
[page 96]
Cet Arrêt fut reçu diversement ; les uns en furent satisfaits, et les autres en grondèrent ; Mais quoi ? On n’a pas tout ce qu’on désire. Les Muses retournèrent comme elles étaient venues, et il y a bien de l’apparence que je n’y demeurai pas.

Telle fut la Guerre comique,
Et tel fut l’Arrêt juridique
Qui calma la dissension ;
Si chaque Curieux qui voit la Comédie
En vient quérir une copie,
On y mettra bientôt seconde édition.

 

 

LE LIBRAIRE AU LECTEUR.

Je vous avertis que Monsieur de la Croix est prêt de mettre sous la presse une troisième partie du Roman Comique que Monsieur Scarron a commencé si galamment. Vous jugerez par son coup d’essai si l’on peut s’en promettre quelque chose de divertissant.

 

 

(Texte saisi par David Chataignier à partir de l’exemplaire 8-BL-12845 conservé à la Bibliothèque de l’Arsenal)

Ressources complémentaires

Les spectacles et la vie de cour selon les gazetiers
Chronologie moliéresque
Textes du XVIIe siècle en version intégrale
Textes de Molière en version diplomatique

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