L’idée concorde avec celle exprimée par La Mothe le Vayer dans
– le Petit traité sceptique sur cette commune façon de parler : « N’avoir pas le sens commun » (1646) (1),
– les Soliloques sceptiques (1670) (2),
– l’un des « petits traités en forme de lettres » intitulé « Des habitudes vertueuses » (Derniers petits traités, 1660) (3),
– ainsi que dans La Prose chagrine (1661) (4).
– dans le dialogue « De l’opiniâtreté » (5)
Egalement dans une épigramme du Nouveau Recueil de diverses poésies (1671) du Chevalier d’Aceilly (6)
La question « Pourquoi chacun est-il jaloux de ses opinions, n’y eût-il aucun intérêt ? » sera traitée au tome premier du Recueil général des questions traitées ès conférences du bureau d’adresses de 1666 (p. 49sq).
Dans L’Ecole des maris, Sganarelle déclare ne suivre que sa fantaisie (« ma fantaisie à suivre »); Célimène, dans Le Misanthrope, évoque également « ce grand aveuglement où chacun est pour soi ».
Dans Don Garcie de Navarre, Elise constate que « nous jugeons de tout chacun diversement ».
(1)
Dans son Petit traité sceptique sur cette commune façon de parler : « N’avoir pas le sens commun », La Mothe le Vayer explique pourquoi les divergences d’opinion sont interprétées, de part et d’autre, comme des folies :
…le plus ordinaire emploi de notre paroemie est à l’égard de ceux que nous croyons avoir des opinions extravagantes, quand elles ne s’accordent pas aux nôtres ; parce que cet amour de nous-mêmes est si puissant que nous ne considérons nos pensées qu’à partir de notre être, sans les examiner davantage ; comme une folle mère qui ne trouve rien de si beau que son enfant, quelques défauts qu’il ait, parce qu’il est sien. De là vient cette animosité ordinaire contre ceux qui nous contrarient, et qu’aussitôt que quelqu’un s’écarte de notre sens, pris pour notre jugement, nous disons qu’il a perdu le sens commun, c’est-à-dire qu’il ne raisonne ni ne discourt plus comme le reste des hommes raisonnables.
( p. 19 et suiv.)
N’est-ce pas une chose étrange de voir la diversité ou même la contrariété des jugements à l’égard de l’opération des sens tant internes qu’externes et de considérer comme chacun demeure si satisfait du sien, qu’il le préfère toujours à tout autre.
( p. 144)
(2)
Ce qu’il déplore dans les Soliloques sceptiques :
Theognis a eu raison d’appeler dès son temps l’opinion un de nos plus grands maux […]. Certes c’est une chose pitoyable de voir d’un oeil exempt de prévention comment chacun prend les choses à sa mode.
(XI, I, p. 79-80).
(3)
et dans la lettre « Des habitudes vertueuses » :
Chacun se flatte et peu de personnes s’examinent comme il faut pour en profiter
(Oeuvres, éd. de 1756, VII, 2, p.32)
(4)
Le thème est également développé dans la Prose chagrine (1661) :
Il faut que je m’interroge ici moi-même d’où peut procéder cette grande animosité que chacun ou presque fait paraître à maintenir ses opinions autant de fois qu’elles lui sont contestées. N’est-ce pas qu’aimant naturellement comme nous faisons tout ce qui vient de nous, et prenant par ce même instinct la protection de tout ce qui nous appartient, il ne se peut faire que nous ne soyons portés à défendre avec obstination nos sentiments et nos opinions, parce que nous les considérons comme des productions de notre âme et comme des fruits de notre jugement que nous mettons au jour par le moyen de notre discours intérieur. Cela présupposé de la sorte, ce n’est pas merveille qu’on voie des personnes si entêtées de leurs fantaisies, quelques extravagantes qu’elles soient […]. Eloignons-nous, si faire se peut, d’un vice si commun. […] En effet nous ne saurions trop nous défier de ce qui vient de nous. Nous devenons presque insociables et incapables de conversation par cet amour-propre, qui maîtrise presque tous les Dogmatiques. Et je pense que la secte Sceptique ne nous trompe point, quand elle se vante de donner seule par le moyen de son Epoque, ou de sa suspension d’esprit, l’ataraxie aux opinions et la métriopathie en ce qui touche les passions. En quoi consiste, humainement parlant, la tranquillité de notre vie.
(Oeuvres, éd. de 1756, III, 1, p. 318)
(5)
La plupart des objets de notre esprit font le même effet que ces images plissées, qui nous représentent des figures toutes différentes, selon l’endroit d’où nous les regardons. La raison nous fait voir d’une manière ce que la passion nous crayonne d’une autre ; l’amour nous fait trouver beau ce que la haine nous rend difforme ; il y a peu de choses que nous ne revêtions ainsi de nos propres qualités au même temps que nous les envisageons.
(« De l’opiniâtreté », Cinq dialogues à l’imitation des Anciens, éd. de 1716, p. 201)
(6)
CHACUN RIT DE SON COMPAGNON
Un des plus grands plaisirs qui soient en ce bas monde,
C’est de voir qu’en son sens chaque personne abonde ;
Chacun, de son côté, croit qu’un autre est un sot :
Gillot se rit de Pierre, et Pierre de Gillot.
( p. 173)