La question de savoir « si celui qui se conforme à l’objet aimé aime plus que celui qui s’y conforme moins » fait l’objet de l’une des questions d’amour dans les Questions d’amour, ou Conversations galantes, dédiées aux belles (1671) de Charles Jaulnay. La réponse tranche contre les « complaisances déraisonnables » des amants (1).
A l’inverse, la complaisance que l’on doit avoir envers ses amis, et la soumission que l’amant doit à sa maîtresse sont défendues à plusieurs reprises au troisième livre (1657) de la Clélie des Scudéry (2).
Ces questions étaient déjà abordées dans Les Fâcheux (« ce qui peut marquer les plus parfaits amants ») ainsi que dans La Critique de l’Ecole des femmes (voir « je me dédirai, pour l’amour de vous » et « les injures des amants n’offensent jamais »).
Plus haut, Célimène reprochait à Alceste de manifester « un amour si grondeur ».
La Mothe le Vayer, dans son petit traité « De la flatterie et de la correction », fait l’éloge de ceux qui savent recevoir les reproches de leurs amis (3).
(1)
Si celui qui se conforme à l’objet aimé aime plus que celui qui s’y conforme moins ?
R.: Celui qui se conforme non seulement aime moins, mais est beaucoup moins capable de réussir. La grandeur de la passion suffit pour nous faire aimer, sans qu’il soit besoin de toutes ces complaisances déraisonnables, qui attiédissant l’amour peu à peu, lui font perdre ses droits les plus essentiels.
(Questions d’amour, ou Conversations galantes, dédiées aux belles, p. 15)
(2)
Du moins faut-il que vous avouiez, dit Plotine, qu’en amour la complaisance ne saurait être excessive, que plus un amant est complaisant, plus il est aimable.
(Clélie, III, 2, p. 737)
[A propos de Timante] Ce qui rend son amitié très agréable, c’est qu’il a le coeur sincère, qu’aimant sans intérêt, il sert ses amis sans crainte de rien hasarder pour eux ; et qu’ayant naturellement l’humeur gaie, sa vertu n’a rien de sauvage ni de farouche, ni rien qui l’empêche d’avoir une innocente complaisance pour les personnes qu’il aime.
(Ibid., p. 1146)
Je suis persuadé que quand on aime bien, on n’a plus d’autre raison que celle de la personne que l’on aime, et par conséquent plus d’autre volonté. Ainsi quand on lui obéit on le fait avec la même facilité qu’on s’obéit à soi-même, en suivant ses propres désirs. […] il se fait une certaine union de sentiments si indivisible, qu’on ne peut vouloir que ce que veut la personne qu’on aime, et dont on est aimé. […] la désobéissance ne se peut jamais trouver dans le coeur d’un véritable amant. Lire la suite …
(Ibid., p. 1402-1403)
(3)
Venons au second chef de votre plainte, qui regarde la liberté avec laquelle des personnes vous ont dit nettement ce qu’elles trouvaient à redire, soit en vos paroles, soit en vos actions. […] Que s’y l’on s’y est porté avec trop de chaleur, et si la médecine a été plus amère que votre goût ne la désirait, songez que ce trop apparent, et cet excès, qui vous déplaît, ne vous peut pas nuire, et que vous en pouvez profiter ; qu’on ne saurait ôter l’amertume à l’absinthe, sans lui faire perdre ce qu’il a de meilleur, et qu’en matière de corrections, aussi bien que de potions, il y en a de très salutaires, qu’il faut avaler sans mâcher et sans les savourer.
(La Mothe Le Vayer, Oeuvres, VI, 2, p. 353)