Les injures des amants n’offensent jamais

« Et puis, Madame, ne savez-vous pas que les injures des amants n’offensent jamais ? qu’il est des amours emportés aussi bien que des doucereux? et qu’en de pareilles occasions les paroles les plus étranges, et quelque chose de pis encore, se prennent bien souvent pour des marques d’affection par celles mêmes qui les reçoivent ? »
La Critique de L’Ecole des femmes, sc. VI

En se demandant si les injures font partie de « ce qui peut marquer les plus parfaits amants », Dorante formule une interrogation semblable à celles qui constituent les questions d’amour, comme le confirme l’examen du recueil de Jaulnay (1671) (1).

 

Dans l’Almahide (1661) des Scudéry, un débat s’engageait autour de la question : « lequel témoigne le plus d’amour, ou de l’amant emporté, ou de l’amant respectueux ? » (2).

 

Dans Le Misanthrope, Eliante affirmera encore qu' »une coupable aimée est bientôt innocente ».

 

Voir aussi Don Garcie de Navarre : « un coeur ne peut jamais outrager quand il aime ».

 

 


 

(1)

Qui est plus amoureux, celui qui est extrêmement prudent et circonspect de peur de gâter son affaire, ou celui qui est toujours imprudent, et qui ne craint rien ?
R. Quoique le prudent ait plus de partisans, parce que son ménagement est sûr, on ne peut s’empêcher de décider qu’il est du génie de l’amour d’être emporté, et que par conséquent, celui qui ne craint rien est le plus amoureux.
(Questions d’amour, p. 20-21)

 

le dépit, les murmures, les brusqueries et les emportements des amants font bien voir que rien n’est si naturel à l’amour que l’impatience.
(Ibid., p. 22)

 

S’il est plus doux d’aimer une personne aujourd’hui extrêmement tendre et demain extraordinairement froide, que d’en aimer une médiocrement tendre mais toujours égale.
R. Il est plus doux d’aimer une inégale tendre, parce que ses froideurs qui sont plutôt un effet du tempérament que de véritables froideurs, servent à nous faire mieux goûter ses bons moments.
(Ibid. p. 63)

 

S’il peut y avoir un véritable amour sans délicatesse ?
R. L’amour dans les plus grossiers mêmes est toujours véritablement amour, et a ses délicatesses proportionnées à ceux qui aiment.
(Ibid. p. 70)

 

Si la délicatesse doit être aussi inséparable des paroles que des actions.
R. On peut être maître de ses actions en amour, mais non pas de ses paroles, ainsi la délicatesse n’est pas toujours inséparable des paroles, comme des actions.
(Ibid. p. 72)

 

Si la colère des amants est autre chose que l’amour ?
R. La colère des amants n’est rien qu’amour et malgré les excès où elle nous emporte, lorsqu’on consulte son coeur de bonne foi dans le calme du ressentiment, on se trouve plus amoureux que jamais. […]
– Si les excès où se porte la colère d’un amant sont des marques d’amour, ou des effets de tempérament ?
R. Comme la grandeur ou la médiocrité de l’amour dépend assez du tempérament, on peut dire aussi que la colère de ceux qui aiment est en quelque façon l’effet du tempérament ; mais à regarder les choses de plus près, l’excès de la colère des amants ne vient de l’excès de leur tendresse.
(Ibid. p 120-121)

 

(2)

La violence que je remarque dans l’esprit de Mustapha, dit alors Hyamène, m’oblige à vous demander encore, lequel témoigne le plus d’amour, ou de l’amant emporté, ou de l’amant respectueux ? […] Pour moi, lui répartit le Prince Audala, je trouve que vous comparez le froid au chaud […] En effet, ajouta-t-il, ce froid amant que vous appelez respectueux, et que je nomme insensible, ne peut mieux faire voir la faiblesse de sa passion que par ce procédé égal, sage, concerté, soumis, et patient jusques à la stupidité, dont il se sert en toutes rencontres. […] Mais il n’en est pas de même de l’amant que je défends : car la violence de son emportement, prouve celle de sa passion : ce feu qui paraît en sa colère, vient de celui de son amour […] S’il avait plus de retenue, il aurait assurément moins d’amour. […] Tout le respect que je vous dois, Seigneur, lui répondit Galiane, ne saurait m’empêcher de combattre votre sentiment […] Quoi, Seigneur, parce qu’un homme sera né colère, violent, bouradeux, bizarre, fantasque, extravagant et emporté, il sera parfait amant : ses vices lui tiendront lieu de vertus […] Qui ne respecte point, n’estime point ; qui n’estime point, n’aime point […].
(Almahide, Suite de la 3e partie, livre II, p. 723-728)

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