Les détours de la justice

« Eh, Monsieur, de quoi parlez-vous là, et à quoi vous résolvez-vous? Jetez les yeux sur les détours de la justice. Voyez combien d’appels et de degrés de juridiction; combien de procédures embarrassantes; combien d’animaux ravissants par les griffes desquels il vous faudra passer, sergents, procureurs, avocats, greffiers, substituts, rapporteurs, juges, et leurs clercs. Il n’y a pas un de tous ces gens-là, qui pour la moindre chose, ne soit capable de donner un soufflet au meilleur droit du monde. »
Les Fourberies de Scapin, II, 5

Dans Le Misanthrope, Alceste s’indignait contre la corruption de l’appareil judiciaire qui « renverse le bon droit et tourne la justice ».

 

Charrosselles, héros du Roman bourgeois (1666) de Furetière, avait été confronté à l’acharnement d’une plaideuse, habile à profiter des « détours de la pratique » (1)

 

Une dénonciation détaillant les composantes de l’univers judiciaire était formulée dans la satire IX (1668) de Boileau (2)

 

 


 

(1)

Le Sergent envoya quérir aussitôt la justice ordinaire du lieu, dont sa soeur le querella fort, lui disant qu’il se mêlât de ses affaires, qu’elle savait assez bien, Dieu merci, les détours de la pratique pour ruiner sa partie de fond en comble : en un mot, qu’elle voulait avoir la gloire toute seule de commencer et de pousser à bout ce procès. Le Bailli venu, elle fit faire en moins de rien de gros volumes d’informations, et elle vérifia alors le dire d’un auteur espagnol qu’il n’y a rien qui croisse tant et en si peu d’heures qu’un crime sous la plume d’un greffier. Elle obtint d’abord un décret de prise de corps; et parce qu’elle n’avait point de véritables blessures, elle se frotta les bras avec de la mine de plomb ; elle se fit mettre quelques emplâtres par un chirurgien, et obtint un rapport de plusieurs échines, (c’est-à-dire égratignures). Ce grand mot donna lieu à deux sentences de provision de 80 livres parisis chacune.
[…]
Quelque temps après, Charrosselles, par je ne sais quel bonheur, fit connaissance avec un procureur du Châtelet, excellent dans son métier, et digne antagoniste de Collantine et de son frère le sergent, quand il les aurait eu tous deux à combattre. Celui-ci, pour lui procurer pleine vengeance, l’adressa à un commissaire, qui lui fit répondre et antidater une requête, du jour que la querelle était arrivée, chose qui se fait sans scrupule, quand ce ne serait que pour donner de la pratique aux officiers royaux, par la prévention qu’ils ont sur les subalternes. Charrosselles fit entendre pour témoins deux de ses laquais, dont il fit déguiser les noms, les ayant produits sous d’autres qualités et habits. Il eut même, je ne sais comment, un rapport de chirurgie tel quel (car ses blessures dont il avait eu bon nombre, étaient guéries). Avec cela il obtint de la part un pareil décret, et deux sentences de provision lui furent données deux fois plus fortes que celles de la justice ordinaire, par une jalousie de juridiction : en sorte que le sergent, qu’il fit comprendre dans le décret aussi bien que sa soeur, fut obligé pour quelque temps d’aller, comme l’on dit, à Cachan. Le remède fut d’obtenir un arrêt, portant défenses aux parties d’exécuter ce décret, et de faire des procédures ailleurs qu’en la cour les provisions compensées, le surplus payé, c’est le style ordinaire; et en vertu de ce surplus, le pauvre sergent quelque temps après, lorsqu’il y pensait le moins, fut constitué injurieusement prisonnier par un de ses confrères, qui pour de l’argent se chargea volontiers de cette contrainte contre lui. La cause fut mise au rôle. Après avoir été longtemps sollicitée et bien plaidée, les parties furent mises hors de cour et de procès : sans aucune réparation, dommages, intérêts, ni dépens. Ainsi qui avait été battu demeura battu ; et tous les grands frais que les parties avaient faits de part et d’autre, furent à chacune pour son compte.
(Livre second)

 

(2)

L’animal le plus fier qu’enfante la nature
Dans un autre animal respecte sa figure,
De sa rage avec lui modère les accès,
Vit sans bruit, sans débats, sans noise, sans procès.
Un aigle sur un champ prétendant droit d’aubaine,
Ne fait point appeler un aigle à la huitaine ;
Jamais contre un renard chicanant un poulet,
Un renard de son sac n’alla charger Rolet;
Jamais la biche en rut n’a, pour fait d’impuissance,
Traîné du fond des bois un cerf à l’audience;
Et jamais juge, entre eux ordonnant le congrès,
De ce burlesque mot n’a sali ses arrêts.
On ne connaît chez eux ni placets ni requêtes,
Ni haut ni bas conseil, ni chambre des enquêtes.
Chacun l’un avec l’autre en toute sûreté
Vit sous les pures lois de la simple équité.
L’homme seul, l’homme seul, en sa fureur extrême,
Met un brutal honneur à s’égorger soi-même.
C’était peu que sa main, conduite par l’enfer,
Eût pétri le salpêtre, eût aiguisé le fer :
Il fallait que sa rage, à l’univers funeste, >
Allât encor des lois embrouiller un digeste ;
Cherchât pour l’obscurcir des glosés, des docteurs,
Accablât l’équité sous des monceaux d’auteurs,
Et, pour comble de maux, apportât dans la France
Des harangueurs du temps l’ennuyeuse éloquence.
( p. 56-57)

Le moteur de recherche fonctionne par co-occurence, par exemple, la saisie femmes superstition, affichera uniquement les fiches qui comportent les deux termes, et non toutes les pages qui comportent chacun des termes.