Le manque d’équité qui caractérise l’exercice de la justice est dénoncé par La Mothe le Vayer
– dans sa Prose chagrine (1661) (1)
– dans son discours « De la justice » (Discours ou homélies académiques, 1666) (2)
– dans son petit traité « De la faveur des juges » (Petits traités en forme de lettres,1647) (3).
Plus haut, Alceste déplorait déjà ce type d’injustice (« me faire injustice aux yeux de l’univers »).
(1)
c’est une chose étrange que les lois et leurs formalités, qui n’ont été inventées ni établies que pour le bien des hommes, soient aujourd’hui ce qui les tourmente le plus. La raison voulait que ces mêmes lois fussent tellement supérieures dans toutes sortes de communautés, que chacun les respectant, personne n’osât les contrôler, parce que c’est un crime de vouloir paraître plus sages qu’elles. […] Cependant presque tous les juges […] aujourd’hui […], au lieu d’interpréter simplement la loi, […] se mêlent par un dangereux attentat de la faire. […] quelque outrage qu’on ait reçu en sa personne, ou en ses biens, on ne saurait se promettre de justice, si l’on n’a de l’argent pour faire de ruineuses poursuites ; ce qui paraît absolument injuste. […] J’ai cru autrefois que le scorpion n’avait été mis par les astronomes dans le zodiaque immédiatement après la balance, symbole de la justice, que pour faire comprendre comme la plupart de ses ordonnances sont sujettes à être mal interprétées, par des gens pires que des scorpions, qui répandent souvent le venin de leur calomnie sur ses plus équitables jugements.
(Oeuvres, éd. de 1756, III, 2, p. 268-271)
(2)
il est besoin quelquefois que cet oeil renommé de la Justice, ce dikès ophtalmos, discerne dans la diversité des opinions, laquelle tient le plus de l’équité naturelle, afin que l’ingénieuse malice des hommes ne l’emporte pas, comme elle pourrait faire, sur la plus saine et la plus équitable partie. […] En effet l’équité est la pierre de touche qui fait reconnaître tout ce que la malignité des hommes veut faire passer pour bon, quoi qu’il n’en ait que l’apparence. […] L’équité préserve de toute supercherie […].
(« De la justice », éd. des Oeuvres de 1756, III, 2, p. 266)
(3)
dans Athénée, […] un roi de l’Arabie heureuse faisait mourir les juges, dont on appelait à lui, s’ils étaient convaincus d’avoir donné quelque jugement contre les lois […] Je lisais il y a fort peu de temps dans une Histoire récente de Barbarie, qu’un Cadis Turc fit donner cinquante coups de bâton à celui qui lui avait apporté un présent de quelques fruits ; sur ce fondement qu’il l’avait voulu corrompre, et détourner le cours de la justice. Cependant y a-t-il rien de plus ordinaire parmi les Chrétiens que cette sorte de gratification ?
(« De la faveur des juges », éd. des Oeuvres de 1756, VI, 1, p. 201-202)