Un situation semblable avait été développée dans Les Visionnaires (1637) de Desmarets de Saint-Sorlin (voir également « Dorante, Damis, Cléonte, et Lycidas » et « c’est d’un autre objet que son coeur est épris »).
Hespérie s’imagine que Filidan, épris d’elle, fait usage, pour l’aborder, d’un détour :
HESPERIE
[…]
Doncques vous vous plaignez d’une ingrate maîtresse ?
FILIDAN
Si c’est quelque pitié naissante en votre coeur
Qui vous fasse enquérir quel trait fut mon vainqueur,
Sachez qu’il vient d’un oeil que j’adore en mon âme.
HESPERIE
Voyez qu’il est adroit à me conter sa flamme.
Quelle est donc la beauté d’où vient votre tourment?
FILIDAN
C’est celle que j’ai vue en ce même moment.
HESPERIE
C’est doncques pour ma soeur que votre coeur soupire?
FILIDAN
Non.
HESPERIE
Ma soeur, pouvait-il plus adroitement dire
Que c’est moi qu’il chérit, car c’est l’une des deux.
Respectueux amant, on accepte vos voeux?
Celle que vous aimez, de ma part vous assure
Qu’elle a pitié des maux que votre coeur endure,
Mais sans rien désirer adorez sa vertu.
FILIDAN
O doux soulagement d’un esprit abattu!
Que je baise vos mains pour l’heureuse nouvelle
Que ma déesse envoie à son amant fidèle.
HESPERIE
Mais vous de qui l’esprit par tant de nobles vers
Du bruit de cette nymphe a rempli l’univers,
Quittez vos déplaisirs, car pour reconnaissance
Sachez qu’elle vous donne une ample récompense.
FILIDAN
Il est vrai que c’est lui qui causa mon ardeur.
AMIDOR
Quel don puis-je espérer digne de sa grandeur?
HESPERIE
Vous allez devenir le plus riche du monde.
AMIDOR
Hélas! sur quoi veut-on que cet espoir se fonde?
HESPERIE
Elle peut pour le moins compter cent mille amants
Qui vivant sous ses lois souffrent mille tourments.
Elle va publier, pour soulager leur peine
Qu’ils n’ont qu’à lui donner des vers de votre veine :
Vous verrez arriver de cent climats divers
Ces pauvres languissants pour avoir de vos vers,
Vous offrir des présents, des innombrables sommes :
Vous voilà dans un mois le plus riche des hommes.
(IV, 4, p. 53)