Grain de sel

« est-il un esprit si affamé de plaisanterie, qu’il puisse tâter des fadaises dont cette comédie est assaisonnée ? Pour moi, je vous avoue que je n’ai pas trouvé le moindre grain de sel dans tout cela. Les enfants par l’oreille m’ont paru d’un goût détestable ; la tarte à la crème m’a affadi le coeur; et j’ai pensé vomir au potage. »
La Critique de L’Ecole des femmes, sc. III

Les métaphores alimentaires filées, pour qualifier le goût, sont en usage dans le langage précieux.

 

Elles sont particulièrement fréquentes dans La Précieuse (1656-1658) de l’abbé de Pure (1).

 

On les trouve également :

– chez Cyrano de Bergerac, dans une lettre de 1655 (2)
– chez Guez de Balzac, dans le Socrate chrétien (1654) et dans une des dissertations qui accompagnent ce traité dans l’édition de 1661 (3)
– chez l’abbé d’Aubignac, dans la Pratique du théâtre(1657) (4)
– chez le P. Bouhours, dans les Remarques nouvelles sur la langue française (1675) (5).

 

Molière en fait également usage dans sa description de La Gloire du Val de Grâce (« assaisonné du sel »)

 

A la scène VI de La Critique de l’Ecole des femmes, Dorante établira également une comparaison entre le jugement de goût et l’appréciation d’ « une sauce excellente ».

 

 


 

(1)

Il était du pays de sapience, et y avait pris tout le sel, et tout le fin piquant qui peut être agréable dans le monde, et réussir auprès des dames.
(La Précieuse ou le Mystère des ruelles, t. I [1656], 3e conversation, Magne, Paris, Droz, 1938, p. 236)

 

elle est aimée avec des dérèglements qui passent jusqu’à l’importunité, et jusqu’à des douceurs qui sont fades et qui font mal au coeur au lieu de le piquer.
(Ibid., partie III [1658], 1e conversation, p. 33)

 

Ce n’est rien pour moi qu’un bon morceau s’il n’est assaisonné. Il me faut quelque chose de fort et d’agréable pour ma boisson. Le mariage assaisonne ce que la nature a laissé de trop cru, et qui pourrait être indigeste à des gens de mon âge. Il ôte ce goût fade de la jeunesse et de l’innocence, et l’éleve et le raffine par les premiers essais de l’ hymen.
(Ibid., dernière conversation, p. 162)

 

…l’injustice qu’on fait à mon nom, de le mettre dans les romans et surtout dans ces romans malicieux qui n’ont pour objet que la mortification et la peine de ceux dont ils parlent. Quelque douceur et quelque tempérament que les auteurs apportent en ce genre d’ouvrages, le sel y est plus fort que le sucre ; le piquant y emporte le doux ; et les plus respectueuses civilités ne sont point exemptes de malice.
(Ibid., partie IV, livre 1, p. 218-219)

 

Ce n’est pas assez, madame, reprit-elle, il faut que vous me permettiez de les lire, et que mon admiration se soule, puisque ma curiosité est affamée.
(Ibid., livre 2, p. 284)

 

Il me semble au contraire, chère Galathis ! Que la raison est comme un sel qui donne le goût à l’ amour, et qui l’empéche de se corrompre.
(Ibid., p. 297)

 

Il lit les vers des autres ; mais il apprend les siens ; il estime leurs efforts, mais de celui-ci il en adore les ouvrages, et y trouve un sel et une élevation qui donnent un admirable goût à tout ce qu’ il fait
(Ibid., p. 339)

 

(2)

…il ne se donna pas le loisir de lire une page de mes oeuvres, qu’il conclut qu’elles puaient le portefeuille. Mais comment les eut-ils regardées de bon oeil, lui qui ne saurait même regarder le ciel que de travers ? Ajoutez à cela qu’étant poivré comme il est, il n’avait garde qu’il ne me trouvât fade, et pour vous parler franchement, je crois que c’était une nourriture trop forte pour son estomac indigeste.
(Cyrano de Bergerac, Lettres, 1655, p. 155 : « Contre Scarron poète burlesque »)

 

(3)

Sénèque était une de ses grandes aversions : le latin de Pline lui faisait mal au coeur, celui de Tacite lui donnait la migraine. Il n’avait donc garde de goûter celui du missel et du bréviaire ?
(Guez de Balzac, Socrate chrétien, 1652, p. 227, Discours 6)

 

En tout ce grand corps d’épigrammes je ne trouvai pas un grain de sel.
(Guez de Balzac, Socrate chrétien et autres oeuvres du même auteur, 1661, p. 361)

 

(4)

sous Epicharmus et les premiers comiques qui le suivirent, la comedie était rieuse et non pas injurieuse, elle avait des railleries, et non pas des outrages elle souffrait le sel, et non pas le fiel, et le vinaigre.
(d’Aubignac, La Pratique du théâtre, 1657, Livre I, chap. 7, p. 54)

 

(5)

Il faut avoir le goût bien méchant, pour trouver bon un mot de cuisine. Rien ne fait plus mal au coeur que ces allusions fades, qui n’ont ni sel ni grâce.
(P. Bouhours, Remarques nouvelles sur la langue française [1675], S. Mabre-Cramoisy, 1676, p. 511)

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