Point de lunettes

« Elle veut tout au moins qu’on soit sexagénaire; et il n’y a pas quatre mois encore, qu’étant prête d’être mariée, elle rompit tout net le mariage, sur ce que son amant fit voir qu’il n’avait que cinquante-six ans, et qu’il ne prit point de lunettes pour signer le contrat. »
L’Avare, II,5

Au XVIIe siècle, le port de lunettes est l’indice certain de l’extrême décrépitude. L’idée est attestée entre autres

– dans un discours facétieux intitulé De la réformation des mariages (1614) (1)
– dans la troisième partie de L’Astrée (1631) d’Honoré d’Urfé (2)
– dans l’Almahide (1661)des Scudéry (3)
– dans le Polyandre (1648) de Charles Sorel, où le port de lunettes sert à caractériser une amante décrépite (récit du valet)(4)
– dans une des Nouvelles galantes, comiques et tragiques (1669) de Donneau de Visé (5)

 

 


 

(1)

Quiconque se veut marier et s’employer à son devoir, il faut qu’il soit d’un âge médiocre, fort et bien sain en tous ses membres, bonne vue et point sujet à ce reproche, pourtant lunettes, d’être banni du bas métier, comme disait un jouvenceau de ce temps:
Vieillard qui portez des lunettes,
Retirez-vous loin des fillettes,
Et permettez-nous que l’amour
De chacun se serve à son tour:
Car, si vous prenez ma maîtresse
Pour vos biens et votre richesse,
Cela n’est rien: il faut un point
Pour conserver son embonpoint.
(Variétés historiques, textes mineurs réunis par Fournel, éd. de 1856, t. IV, p. 15-16.) (source : Couton, t. II, p. 1390)

 

(2)

Eh! Pauvre berger, que je vous plains, puis que vous en êtes réduit à ce point! Vous pouvez de bonne heure faire provision de lunettes pour voir sa beauté en ce temps-là, car je ne pense pas que l’âge que vous aurez alors vous permette de la voir sans quelque aide.
(livre XI, p. 611)

 

(3)

[…] Car quelques jolies choses que dit une Dame, un amant décrépit n’en oserait rire, de peur de montrer ses dents noires en riant : c’est un spectacle ridicule, de ne pouvoir lire sans lunettes, les billets doux d’une maîtresse : et de ne lui en pouvoir écrire, que par ces yeux empruntés.
(Almahide, vol. V, II, 2, p. 1754-55.)

 

(4)

Ses lunettes lui sont tombées du nez, et ayant sauté jusqu’en bas, ont été cassées très malheureusement contre les pavés de la rue; tellement que je m’en vais chez le lunettier lui en quérir d’autres; car elle ne s’en saurait non plus passer que de ses yeux propres.
(t. I, p. 135-136.)

 

(5)

Alcidiane […] était éperdument aimée d’un vieillard nommé Alceste qui, sachant l’aversion qu’elle avait pour ses semblables, tâchait de ne point paraître vieux devant elle. […] Un jour qu’il était chez cette charmante personne, on parla des gens qui lisaient avec des lunettes et Alcidiane dit qu’elle ne pouvait les souffrir, et que, dès qu’on en était venu à cet âge-là, on devait se cacher et n’avoir plus de commerce avec les hommes. Alceste lui repartit qu’elle avait raison, qu’il était de son sentiment et que, dès qu’il ne pourrait plus lire dans lunettes, il renoncerait à la galanterie. Chacun rit bas de cette repartie et l’on eut bien de la peine à ne pas éclater, car toute la compagnie n’ignorait pas qu’il ne pouvait lire sans lunettes.
(« La transfusion du sang », t. I, p. 291-292)

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