Le principe de la succession de portraits de personnages extravagants se trouvait également
– au livre I (1656) de La Précieuse de l’abbé de Pure (1)
– dans l’ « Histoire de Sapho », au livre X du Grand Cyrus (1649-1653) des Scudéry, où sont catalogués différents types de conversations ennuyeuses (2).
La mode des portraits est également attestée dans la Clélie des Scudéry, par exemple au livre V, 1 ( p. 286 et suivantes ).
(1)
Agathonte allait répondre à ces compliments, quand Sophronisbe et Mélanie entrèrent dans la chambre où toute la conversation s’était passée. Mais quoique l’abord en fût fort gai et fort enjoué, et surtout le premier compliment de Mélanire, qui commença par un grand éclat de rire et par ces mots : « Mon dieu, ma compagne, quelle pauvreté est-ce ci ? comment avons-nous passé l’après-midi ? nous n’avons pas ouï dire une chose raisonnable, c’était la plus grande pauvreté du monde, il n’y avait plus moyen d’y durer; l’impatience nous a prise; Sophronisbe, avec toute sa prudence, a pensé mille fois s’évanouir [..] une forêt où l’on ne voyait que des troncs et des souches éternellement muettes.
(La Précieuse, éd. Magne, 1936, t. I, p. 14sq)
Melanie fit l’ouverture de la seconde [scène] , en demandant des nouvelles du monde, et quelque chose de ce qui s’était passé depuis leur dernière visite. On en dit aussitôt de toutes les parties du monde. Tout ce qui peut être fait, soit de bon, soit de mauvais, fut dit avec exactitude, comme s’il y eût eu préparation à en faire le récit.
(Ibid., p. 100)
(2)
Je voudrais bien, répliqua Phaon, qu’elle voulût nous peindre aussi toutes les autres sortes de conversations bizarres, dont on trouve par le monde. – Il est vrai, ajouta Athys, qu’il y en a qui seraient plaisantes si elle se voulait donner la peine d’en remarquer l’impertinence. – Vous me donneriez trop d’emploi, répliqua Sapho : et il serait bien plus court, et bien plus agréable, que chacun se plaignît de celles dont il a été ennuyé. – Pour moi, dit Erinne, je suis toute prête d’accepter ce parti-là : car il est vrai que je fis hier une visite de famille dont je fus si accablée, que j’en pensai mourir d’ennui. En effet, imaginez-vous que je me trouvai au milieu de dix ou douze femmes, qui ne parlèrent jamais d’autre chose que de tous leurs petits soins domestiques ; que des défauts de leurs esclaves ; que des bonnes qualités, ou des vices de leurs enfants : et il y eut une femme entre autres, qui employa plus d’une heure à raconter syllabe pour syllabe les premiers bégaiements d’un fils qu’elle a qui n’a que trois ans : jugez après cela si je ne passai pas mon temps d’une pitoyable manière. – Je vous assure, répliqua Nicanor, que je ne le passai guère mieux que vous : car je me trouvai engagé malgré moi avec une troupe de femmes que vous pouvez aisément deviner : qui n’employèrent le jour tout entier qu’à se dire du bien, ou du mal de leurs habillements […]. – En mon particulier, reprit la belle Athys, je me suis trouvée depuis quinze jours avec des Dames qui, quoiqu’elles aient de l’esprit, m’importunèrent étrangement : car enfin à dire les choses comme elles sont, ce sont de ces femmes galantes de profession, qui ont du moins chacune une affaire : et une affaire qui les occupe tellement qu’elles ne pensent à autre chose qu’à s’entre-ôter leurs galants par toutes sortes de voies : si bien que quand on n’est point de leurs intrigues, et qu’on se trouve engagé avec elles, on s’y trouve fort embarrassé, et on les embarrasse fort. […] Enfin je vous avoue que de ma vie je n’eus tant d’impatience que j’en eus ce jour-là. – Pour moi, répliqua Cydnon, si j’avais été à votre place, j’aurais trouvé l’invention de me divertir aux dépens de celles qui m’auraient ennuyée : mais je ne trouvai point celle de ne m’ennuyer pas il y a trois jours, avec un homme et une Femme qui ne font jamais leurs conversations que de deux sortes de choses : c’est-à-dire des généalogies entières des maisons de Mytilène, et de tous les biens des familles. Lire la suite …
(Artamène ou le Grand Cyrus, X, 2, p. 6995 et suiv.)