Le motif des animaux que rien ne retient dans leurs élans amoureux (voir également Paissez, chères brebis) provient du monologue d’Amarilli à la scène III, 4 du Pastor fido de Guarini (1).
Il est repris
– par Racan dans Les Bergeries (1625)(2).
– par Mairet dans Chriseide et Arimant (1630) (3).
On le retrouve dans les airs sérieux tout au long du siècle, entre autres dans le Livre d’Airs de Différents Auteurs de 1668 (*)
– dix-septième air : » Que vous êtes heureux, petits oiseaux, dans ce bois solitaire « , poésie anonyme mise en musique par Perdigal (4)
– dix-huitième air : « -Ha-que-vous-etes-heureux / Petits oiseaux amoureux » de Philippe Quinault, mis en musique par Sébastien Le Camus (5).
Il est également cité dans
– les Discours anatomiques (1675) de Guillaume Lamy, en conclusion de l’examen des parties génitales de la femme (6)
– les Pensées diverses sur la comète (1681) de Pierre Bayle, dans le chapitre CLXIV, intitulé « Quels sont, pour l’ordinaire, les véritables causes de la chasteté des femmes ? » (7)
Dans sa tragi-comédie Le Favori, créée par la troupe de Molière en 1665, Mademoiselle Desjardins avait procuré une variation sur ces vers (8)
Les avantages de la seule obéissance à l’instinct avaient été soulignés dans une conversation de la quatrième partie de la Clélie (1656) des Scudéry sur l’intelligence des animaux (9).
(1)
O fortunate voi, fere selvagge,
a cui l’alma natura
non die legge in amar, se non d’amore !
Legge umana inunmana,
che dai per pena de l’amar la morte !
se’l peccar è si dolce
e’l non peccar sin necessario, oh troppo
imperfetta natura
che repugni a la legge !
oh troppo dura legge, che la natura offendi !
(v. 519-529)
Que vous êtes heureux, mais heureux mille fois,
Sauvages habitants des bois,
Et qui, dès le moment que vous venez au jour,
Ne recevez de la nature
D’autre règle en aimant que celle de l’amour.
Nos lois sont bien inhumaines,
D’imposer à l’amour la dernière des peines,
Lorsque le penchant est si doux,
Et que c’est une loi pour nous
De vaincre l’attrait qui nous presse.
Quel parti doit prendre mon coeur ?
La nature a trop de faiblesse,
Et la loi nous condamne avec trop de rigueur.
Vous qui voyez du ciel les peines que j’endure,
Révoquez vos arrêts, ou combattez pour moi,
Grands dieux corrigez la nature,
Ou bien réformez votre loi
(trad. de l’abbé de Torche, 1666 ; éd. de 1672, p. 255)
(2)
ARTENICE
Petits oiseaux des bois, que vous êtes heureux,
De plaindre librement vos tourments amoureux!
Les vallons, les rochers, les forêts et les plaines
Savent également vos plaisirs et vos peines;
Votre innocente amour ne fuit point la clarté;
Tout le monde est pour vous un lieu de liberté.
(I, 3, vv.235-240)
(3)
O vous petits oiseaux, qui toujours amoureux
Vivez en liberté, que vous êtes heureux!
(III, 2)
(4)
Que vous êtes heureux,
Petits oiseau, dans ce bois solitaire :
Vous contez votre amour à l’objet de vos feux,
Sans craindre sa colère ?
Que vous êtes heureux ?
(5)
Ha ! que vous êtes heureux,
Petits oiseaux amoureux ?
S’il est des douceurs parfaites,
C’est pour vous qu’elles sont faites,
L’Amour ajuste ses noeuds
A l’innocence où vous êtes ?
Ha ! que vous êtes heureux,
Petits oiseaux amoureux ?
Ha ! que vous êtes heureux ;
Toujours des moins dangereux,
Il forme vos amourettes,
Et rien que ces plus doux jeux,
N’interrompt vos Chansonnettes,
Ha ! que vous êtes heureux,
Petits oiseaux amoureux,
Ha ! que vous êtes heureux.
(6)
Il ne faut pas décider trop hardiment sur ce point, de crainte d’accuser avec injustice ces belles, qui, malgré leurs feintes, ont tant de peine à résister à l’amour et qui, ennuyées de leur condition, envient la félicité des plus farouches animaux. Ecoutez de la bouche d’une de leurs compagnes, comme elles se plaignent d’une manière éloquente et touchante :
Que votre bonheur est extrême,
Cruels lions, sauvages ours,
Vous qui n’avez dans vos amours
D’autre règle que l’amour même.
Que j’envie un semblable sort
Et que nous sommes malheureuses,
Nous de qui les lois rigoureuses
Punissent l’amour par la mort.
Si l’instinct et la loi, par des effets contraires,
Ont également attaché
L’un tant de douceur au péché,
L’autre des peines si sévères.
Sans doute, ou la nature est imparfaite en soi,
Qui nous donne un penchant que condamne la loi,
Ou la loi doit passer pour une loi trop dure,
Qui condamne un penchant que donne la nature.
( p. 86-88)
L’idée selon laquelle « les bêtes ne sont pas si bêtes » est par ailleurs avancée dans une des lettres liminaires au même volume :
Il est naturellement plus difficile à l’homme d’être heureux qu’à tout le reste des animaux. Cependant on peut avec un peu de réflexion connaître cette vérité. L’avarice et l’ambition, les plus ordinaires bourreaux de l’homme, ne troublent jamais le repos des bêtes […] les lois ni les coutumes ne prescrivent point de bornes à leurs amours.
(« Seconde lettre », n. p.)
(7)
Combien y en a-t-il qui sont l’original de l’Amarillis du Pastor fido, et qui disent dans le secret de leur coeur, ou dans un tête à tête passionné :
Que votre bonheur est extrême,
Cruels lions, sauvages ours,
Vous qui n’avez dans vos amours,
D’autre règle que l’amour même !
Que j’envie un semblable sort,
Et que nous sommes malheureuses,
Nous de qui les lois rigoureuses,
Punissent l’amour par la mort !
[…]Vous voyez bien que la loi qui punit l’amour par la mort n’est pas celle qui fait tant murmurer les coeurs amoureux, et que c’est le châtiment de la renommée que l’on redoute.
(éd. de 1683, t. II, p. 497
(8)
LINDAMIRE
Ces champs, ces bois, cette verdure,
Les plus farouches animaux,
Les doux oiseaux,
Tout aime en la nature.
[…]
Puisque l’amour sait enflammer
Les objets les plus insensibles,
Si nos coeurs en sont susceptibles,
Hélas ! faut-il les en blâmer.
(I, 4, p. 10)
(9)
Mais enfin, reprit Bélinthe, je ne puis souffir que l’on appelle raison aux bêtes, ce qui n’est qu’un instinct aveugle, qui les fait agir malgré elles. – Ah ! ma chère Bélinthe, reprit Climène, que le pouvoir de choisir nous est souvent nuisible, et que cette souveraine raison qui fait tant l’impérieuse, et qui compte l’instinct pour rien, nous fait faire de fautes contre la vertu et même contre nos plaisirs.
( p. 964)