Le Médecin volant de Biancolelli

Domenico BIANCOLELLI, « Medico-volante / Le Médecin volant », in Thomas-Simon Gueullette, « Traduction du scenario ou du recueil des scènes que Joseph Dominique Biancolelli jouait en habit d’Arlequin, dans les pièces italiennes de son temps, rédigé et écrit de sa main », Ms Bibliothèque de l’Opéra de Paris, cote Rés. 625 1-2, p. 124-136
(éd. moderne établie par D. Gambelli, Arlecchino a Parigi. Lo scenario di Domenico Biancolelli, Roma, Bulzoni, 1997, Parte prima, p. 211-219).

 

La troupe italienne de Paris possédait à son répertoire, durant les années 1660-1670, un Medico volante (Médecin volant).

 

Les seules indications que nous possédons sur le contenu de ce spectacle sont celles que nous fournit le manuscrit de Thomas-Simon Gueullette (1683-1766), qui a traduit les notes personnelles de l’Arlequin Domenico Biancolelli (Dominique) (voir également « Notes de Biancolelli sur le Festin de pierre »).

 

On relève plusieurs points de rencontre entre ce texte et Le Médecin volant :

D’où cela vient
Hippocrate dit
Il faut aller à mes malades
Je n’en prendrai pas
L’urine
Le père et la fille
Le plus docte médecin
Sans l’ordonnance du médecin

 

 

LE MEDECIN VOLANT

 

 

ACTEURS:

Arlequin

1er Amoureux

2e Amoureux

Pantalon

Le Docteur

Le Zani

Eularia

Diamantine

 

J’arrive sur la scène et je dis que sitôt que Diamantine m’a vu, elle a dit: « C’est lui-même », qu’Eularia, et Aurelia ont témoigné beaucoup de joie de me voir; que la première, qui est la maîtresse d’Octave, mon maître, m’a donné une lettre pour lui ; Octave me demande où est cette lettre ; après le lazzi de la cher­cher, il la trouve à ma ceinture par derrière, je lui dis qu’elle sort de chez le parfumeur, je la lui fais baiser, et à Cinthio. Après plusieurs lazzis, ils me proposent de faire le médecin, je les refuse, je me rends ensuite à leurs prières, et je sors avec gravité en leur disant: « Portez honneur au plus habile médecin de cette ville ».

 

Dans cette scène, j’arrive habillé en médecin, et mon maître vêtu de noir m’accompagne comme un de mes élèves; je tiens beaucoup de papiers dans les mains, et je dis que mes malades ne s’avisent pas de mourir avant que je leur aie rendu ma visite. Pantalon vient à moi, je fais des lazzis d’épouvante, ensuite je lui dis qu’il a apparemment entendu vanter ma capacité, Pantalon me demande quelle est ma profession, mon élève répond que je suis le médecin le plus habile, et le plus employé de dix lieues à la ronde.

 

Pant. Et quel est votre nom?

 

Arl. Le médecin Olivastre, surnommé Tête d’Ane.

 

Pant. Ma fille est malade, Monsieur, et je me flatte que vous la guérirez.

 

Arl. Sans doute, avez-vous jamais lu cet aphorisme d’Hippocrate qui dit Gutta cavat lapidem, etc., c’est-à-dire, que l’eau qui tombe goutte à goutte, perce le plus dur rocher ? Je tomberai goutte à goutte sur votre fille, et par le moyen de ce remède anodin, je lui procurerai une guérison certaine.

 

Pant. Oh, Monsieur, cela n’opérera pas, je compte que ma fille est opilée (opilata).

 

Arl. Ou Pilate, ou Caïphe, je la guérirai, vous dis-je (je lui tâte le poux). Mais Mr, vous me paraissez être fort mal!

 

Pant. Vous vous trompez, Mr le médecin, c’est ma fille qui est malade et non pas moi.

 

Arl. N’avez-vous jamais lu la loi Scotia sur la puissance paternelle qui dit « Tel est le père, tels sont les enfants « ? Votre fille n’est­-elle pas votre chair, votre sang?

 

Pant. Oui, Monsieur.

 

Arl. Et bien, le sang de votre fille étant échauffé, altéré, le votre le doit être aussi.

 

Pant. Ce raisonnement est spécieux, mais…

 

Arl. Seigneur Pantalon, votre fille est-elle légitime ou bâtarde? (Eularia arrive) Je baise les pieds de cette belle rose qui fleurit tous les mois. Vous vous appelez ?

 

Eul. Eularia

 

Arl. Mon élève, allez dans mon cabinet, etc…

 

Eul. Je me sens l’estomac plein.

 

Arl. Je voudrais être de même. Comment va l’appétit ?

 

Eul. J’en ai fort peu.

 

Arl. Et moi beaucoup.

 

Eul. Je vous dis, Monsieur, que j’ai l’estomac chargé.

 

Arl. Et bien, prenez pour cela un empan de racine d’âne, frottez­-vous en gaiement près du nombril, et pressez-la fortement. Galien dit que pour votre maladie cet exercice est très bon et vous rendra la santé.

 

Arl. Comment dormez-vous?

 

Eul. Je n’entends rien à cette question.

 

Arl. En dormant sur le côté gauche, qui est celui du coeur, les poumons souffrent; sur le côté droit, le foie s’échauffe. Il faut donc que vous dormiez à la florentine, le nez en dessous et couchée sur le ventre; ensuite vous mangerez un petit oison rôti, vous le tournerez tout doucement, tout doucement, et quand vous verrez qu’il commencera à rendre son jus, vous irez vite vite (il y a ici une équivoque sur le mot menare en italien, qui est fort obscène ; et je ne comprends pas comment Dominique, que l’on disait un homme si sage, ait jamais osé employer cette phrase-ci, ni en Italie, ni à Paris).

 

Eul. Je ressens une extrême mélancolie.

 

Arl. Cela se passera, mais comment va le ventre? Les matières sont-elles dures ou liquides? Hippocra­te dit que lorsque l’on a le cours de ventre, on a la foire.

 

 

 

Arl. Avez-vous des battements de coeur?

 

Eul. Oui Mr

 

Arl. Cela marque que vous avez le coeur gangrené, mais cela ne sera rien, pour vous guérir, il faut prendre six onces d’eau rose en poudre, et trois onces de limaille de corne de limaçons vous en ferez un onguent dont vous vous frotterez

 

Eul. En quel endroit?

 

Arl. Où il vous plaira, mais il faut que je voie de l’urine de la malade. Madame savez-vous uriner? Je vois bien que la maladie de madame vient d’opilation ; eh bien il faut qu’elle fasse une petite promenade à pied, comme vous pourriez dire d’ici à Lyon, etc.

 

 

Eularia rentre, je dis à Pantalon que nous avons considéré avec attention la nature de cette fille, et j’ordonne à mon élève de m’apporter de son urine, Diamantine un moment après en apporte et me dit que sa maîtresse se porte plus mal, « Je ne m’en étonne pas, – lui réponds­-je – elle est de nature humide et venteuse, humide du côté du levant et venteuse du côté du ponant »; je porte l’urine sous mon nez et je dis: « Si la chair est d’aussi bon goût que le bouillon sent bon, j’en voudrais bien une bonne tranche », puis je bois l’urine, et je la souffle au nez de Pantalon; après quelques lazzis Pantalon veut me payer, je le refuse en tendant la main, il me donne trois écus, je lui demande s’il y a encore de l’argent dans la bourse, il me dit que oui, je la prends et la mets dans ma poche et finis cet acte par une scène à ma fantaisie.

 

Dans la temps que je suis en médecin, le Capitan et Trivelin m’abordent, le dernier me demande pourquoi je sens si mauvais, je lui réponds, qu’il faut que ce soit ma barbe qui sente ainsi, parce que quand un malade fait un pet, il ne manque pas de dire: « C’est pour la barbe du médecin », et l’on m’en a apparemment envoyé beaucoup dans ma barbe; le Capitan me demande un remède pour le mal de dents, je lui enseigne le secret du poivre, de l’ail et du vinaigre dont je lui dis qu’il faut qu’il se frotte le derrière; et celui d’un quartier de pomme que l’on met dans sa bouche, qu’ensuite on se met la tête dans un four chaud jusqu’à ce que la pomme soit cuite.

 

Je frappe ensuite à la porte d’Eularia, elle me dit qu’elle a fait un songe qui l’a fort tourmentée; je lui dis que le pré dont elle a rêvé est son lit, que les montagnes sont les cheminées de la maison; les fleuves, les débordements de son ventre; le serpent qui l’a piquée, c’est le mal qu’elle souf­fre; et que la blanche colombe qui a chassé le serpent c’est moi qui détruirai la cause de tous ses maux.

 

Ils me demandent d’où proviennent les songes, je réponds: « Du sommeil » « Et le sommeil ? » « De l’envie de dormir » etc.; ils s’en vont, je reste sur la scène.

 

Arrive Pantalon avec le Docteur, je demande qui est ce dernier, Pantalon me dit que c’est un Docteur, à ce mot je m’effraie, et je dis: « Mrs, mes malades m’attendent »; je demande à Pantalon de quelle espèce de Docteur il est, il me répond: « De loi » « Vous n’êtes donc pas médecin »  lui dis-je, « Non Mr » me répond-il, « En ce cas mes malades peuvent attendre » « Mais – dit le Docteur – j’ai aussi étudié en médecine », aussitôt je dis: « Mes malades m’attendent. Adieu, Messieurs ».

 

Alors je dis à Pantalon qui me retient: « Je veux un peu interroger ce Docteur », et je lui demande qu’est-ce que la logique, il m’en donne la définition, je répète les dernières paroles à Pantalon, en lui disant: « Cela est vrai », le Docteur à son tour me demande ce que c’est que la philosophie, je réponds en riant: « Ah, ah, à moi me demander ce que c’est la philosophie, à moi ? », alors je feins d’avoir la colique et dis: « Mes malades m’attendent ». Il recommence son interrogatoire, je lui dis que je suis surpris qu’il veuille interroger un homme comme moi qui a été le coryphée des universités de Padoue, de Bologne, et de Malalbergo; que c’est m’insulter, et je me promène fort en colère sur la scène, il se promène à mes côtés. « me demander à moi de pareilles fadaises, à moi qui ai étudié Hippocrate, Galien, Avicenne et Barthole ! Cela est bon à demander à des savetiers ! Répondez vous, Pantalon, de pareilles questions sont bonnes pour vous qui ne les savez pas, mais à moi, ce que c’est que la philosophie! » Après une pareille scène, j’ajoute: « Il y a des ignorants qui prétendent que c’est le soleil qui est le principe de la génération, je suis d’une opinion très contraire . Par exemple, un jeune homme devient amoureux d’une jeune fille, il l’épouse, on fait la noce, la nuit arrive, ils se couchent, la femme le lendemain matin se trouve grosse, je demande si le soleil a fait quelque impression sur cette femme-la ? C’est donc une erreur et il faut dire qu’un homme et une femme engendrent un autre homme », j’entame ensuite un autre discours et je dis: « La majeure c’est le vin blanc ; la mineure c’est le vin rouge » et après beaucoup de galimatias je finis l’acte.

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