Je me vais d’un rocher précipiter

« Je me vais d’un rocher précipiter moi-même,
Si dans le désespoir dont mon coeur est outré
Je puis en rencontrer d’assez haut à mon gré.
Adieu, Monsieur. »
Dépit amoureux, III, 11 (v. 1126-1129)

L’Arlequin Domenico Biancolelli s’était fait une spécialité des lazzi de « suicide impossible ».

 

On en retrouve la trace dans ses notes relatives aux spectacles des Comédiens italiens de France dans les années 1660 :

 

– « Les quatre Arlequins » :

je lui dis que, puisqu’elle est inexorable, je veux me tuer; elle rentre et m’apporte une épée et une corde, et me dis que voilà de quoi finir mes jours; […] j’attache la corde à une fenêtre, je me la mets au col, je la tiens dans ma main, je fais des lazzi d’un homme qui s’étrangle; ensuite, j’ôte la corde de mon col, je dis que cette mort est trop ignoble, que je veux me tuer d’un coup d’épée; je prends celle que Diamantine m’a apportée et je mets mon chapeau par terre, afin en tombant de ne pas me casser le nez. Diamantine rit : « Courage, Arlequin ! » me dit-elle; je veux me percer, je m’aperçois que l’épée est dans le fourreau, je l’en tire et feins de vouloir me tuer avec le fourreau; Diamantine ramasse l’épéer nue et me la présente; « ah, quelle peine on a à mourir » lui dis-je alors. « Si je me perce par devant j’aurai peur; si c’est par derrière, j’attraperai quelque nerf et j’en resterai estropié le reste de ma vie ». Enfin, après plusieurs lazzi, je demande à la cantonade s’il n’y a personne qui veuille me passer mon épée à travers le corps, sans me faire de mal; mais auparavant je dis que je veux faire mon testament et composer mon épitaphe.
(éd. D. Gambelli, Arlecchino a Parigi. Lo scenario di Domenico Biancolelli, Rome, Bulzoni, 1993, t. II, p. 188-9)

 

– « Arlequin cochon par amour » :

je viens dans la résolution de me tuer; je dis que je veux me passer mon épée à travers le coeur; « Mais Diamantine est dans mon coeur, je pourrais la blesser, il y aurait trop de cruauté à cela. Voyons ce pistolet, j’y mettrai une balle, je me la tirerai dans le ventre, et j’en mourrai infailliblement; mais le trou que fera la balle sera rond, et si mon âme se trouve carrée, elle ne pourra pas passer par ce trou (je jette alors l’épée et le pistolet). Faisons mieux. Je vais monter sur la marelle de ce puits et je veux m’y jeter la tête la première, comme fit Olympe pour Birène. Oui, mais s’il y a de la vase au fond de ce puits, ma chute troublera l’eau et mes voisins qui en viennent tirer à tous moments auront sujet de se plaindre de moi; je ne veux pas leur faire de la peine. Je vais acheter une demi-douzaine de gros fagots, je me placerai dessus, j’y mettrai le feu et je me brûlerai. Mais cela ne réussira pas, le feu que je porte dans mon coeur est plus fort que celui de ces fagots, d’ailleurs l’agent n’agit pas sur son semblable, je n’en mourrais pas. Il faut plutôt finir mes jours avec cette corde.
(ibid., p. 678)

 

– « Arlequin hotte et maçon » :

je fais des lazzi pour me procurer la mort. Octave survient qui me dit : « Courage, mon ami, tiens, prends mon épée »; je la prends, je regarde la pointe de sa lame, et je dis : « Cela ferait une ouverture trop petite, mon âme, qui est assez grossière, ne pourrait passer par le trou que me ferait cette épée »; enfin, Eularia arrive, je renouvelle mes lazzi pour me tuer, elle rit de mes folies et sort; je reste quelque temps sur la scène et prends enfin le parti de ne plus vouloir mourir.
(ibid., p. 790).

 

Molière donnera une autre version de ce jeu de scène à la scène II, 6 de L’Etourdi (« je m’en vais me tuer ») et dans La Princesse d’Elide (« me percer le coeur »).

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