Je le laisserais mourir

« Si j’étais que des médecins je me vengerais de son impertinence, et quand il sera malade, je le laisserais mourir sans secours. Il aurait beau faire et beau dire, je ne lui ordonnerais pas la moindre petite saignée, le moindre petit lavement; et je lui dirais: « crève, crève, cela t’apprendra une autre fois à te jouer à la Faculté ». »
Le Malade imaginaire, III, 3

L’idée que les médecins auraient, par vengeance, laissé mourir leur contempteur est largement représentée dans l’abondante production poétique qui accompagne la disparition de Molière (1)

 

Elle fait l’objet d’une allusion dans Le Comédien poète (1674) de Montfleury (2)

 

Le motif de la vengeance des médecins est un lieu commun qu’on retrouvera dans les Mémoires de d’Arvieux (publiées en 1730) (3)

 

 


 

(1)

« C’est donc là le pauvre Molière..
Qu’on porte dans le cimetière ? »
En le voyant passer, dirent quelques voisins.
Non, non, dit un apothicaire,
Ce n’est qu’un mort imaginaire
Qui se raille des médecins.
(Le Mercure galant, 1673, t. IV, p. 275)

 

Ci gît qui savait l’art de rire
Aux dépens de tout l’univers,
Et d’assaisonner ses bons vers,
Du sel piquant de la satire,
D’un style agréable et bouffon
Qui ne fut jamais trouvé fade ;
Il a joué sain et malade,
Homme, femme, jeune et barbon,
Le cocu, le jaloux, le plaisant, le critique,
Le gentilhomme et le bourgeois,
Le marquis et le villageois,
Ont été le sujet de sa veine comique;
Heureux, s’il n’avait point enfin
Attaqué l’hypocrite, avec le médecin,
Ces derniers lui gardant une haine intestine,
L’ont laissé sans secours descendre au monument.
Le médecin sans médecine,
Et le bigot sans sacrement.
(Jaulnay, L’Enfer burlesque, 1677, p. 104-105)

 

Dans le même temps que mourut
Ce grand, cet illustre Molière,
On dit que la Parque voulut
Lui donner un apothicaire ;

 

Un médecin mourut aussi,
D’une science assez profonde,
Un procureur en fit ainsi,
Allant plaider en l’autre monde.
[…]
Le médecin voyant Molière,
Lui dit d’un ton de goguenard,
« Eh bien, malade imaginaire ?
Vous voilà pris comme un renard.

 

Survint aussi l’apothicaire,
Qui lui dit, mais d’un ton plus doux,
Si vous aviez pris un clystère,
Vous ne seriez point avec nous.
[…]
(Jaulnay, L’Enfer burlesque, 1677, p. 101-102)

 

Doctes médecins outragés
Par le satirique Molière,
La mort, qui l’a mis dans la bière,
Ne vous a-t-elle pas vengés ?
(« Recueil de Tralage », Bibliothèque de l’Arsenal, ms 6543, t. III, p. 198 ; cité d’après G. Mongrédien, Recueil des textes du XVIIe siècle relatifs à Molière, éd. du CNRS, 1965, t. II, p. 458)

 

(2)

1. ACTEUR
Et surtout ne parlez point de ces Messieurs les médecins, car cela porte malheur.

 

3. ACTEUR
Ah, je n’ai garde de choquer cette compagnie.
(« Suite du prologue », p. 31)

 

(3)

Le motif de la vengeance des médecins est un lieu commun qu’on retrouve dans les Mémoires de d’Arvieux (publiées en 1730) :

Un jeune Gentilhomme Marchand de la même Nation (Anglais) fort riche, mourir quelque temps après ce service. Son mal était une fluxion de poitrine accompagnée d’une grosse fièvre, qui lui porta bientôt à la tête. Le Médecin le condamna d’abord à une diète rigoureuse, à laquelle il n’était point du tout accoutumé. Il lui défendit encore le vin sous peine de la vie. Le malade accepta la première partie de l’ordonnance, et s’y soumit, quoique avec peine, parce que le mal lui avait ôté l’appétit ; mais comme il était accoutumé à avoir toujours soif, et que ce n’était pas son ordinaire de l’étancher avec de l’eau, il se faisait apporter du meilleur vin dès que le Médecin le perdait de vue, et il en buvait largement. Le Médecin le sut, il en fut irrité, il appela la mort à son secours pour venger le mépris que ce malade désobéissant faisait de ses ordonnances. Elle le servit en amie, et entraîna avec elle le malade en un peu moins de trois jours. Par politesse pourtant, elle lui donna le temps de faire son testament
(t. 1, p. 134-135).

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