Il vaut mieux de prendre un vieux mari

« […] il vaut mieux pour vous, de prendre un vieux mari, qui vous donne beaucoup de bien. »
L’Avare, III, 4

La comparaison des mérites et des défauts respectifs du vieux mari et du mari jeune, le plus souvent au détriment du premier qu’on condamne (voir « jeter mon âge au nez »), est un lieu commun de la littérature mondaine.

 

On, le retrouve, entre autres, dans

– la partie IX d’Artamène ou le Grand Cyrus (1649-1653)(1) et dans l’Almahide (1661) des Scudéry (2)
– une épître (1658) de Segrais (3)

 

Dans sa comédie Les Barbons amoureux et rivaux de leurs fils (1662) (4), Chevalier avait déjà tiré matière à plaisanterie des conclusions de ce débat.

 

 


 

(1)

A une dame qui aimait un vieillard.
Epître galante

Philis, de tant d’amants qui sont sous votre empire,
N’aurez-vous eu le choix que pour prendre le pire ?
Vous verrai-je toujours préférer à mes soins,
Les vieux ans de celui que je craignais le moins ?
[…]
Ah, considérez mieux le tort que vous vous faites,
Il lira vos poulets avecque des lunettes.
[…]
Passe encore s’il tâchait, par de riches présents,
Par des dons excessifs, solides et présents,
De vous faire trouver dans sa riche vieilesse
Ce qu’on ne trouve guère avec de la jeunesse.]
[…]
Mais c’est tout autre chose : il aime, il a du bien,
Il peut et doit donner; mais il ne donne rien.
Et quand votre dessein ne serait pas tout autre,
Son avarice peut me venger me venger de la vôtre
[…]
(Oeuvres, 1658, p. 52-55, repris dans le Recueil de pièces galantes en prose et en vers, par Madame la comtesse de la Suze et Monsieur Pelisson, 1668, p. 191sq)

 

(2)

[…]
C’est une question bien problématique : et s’agissant de savoir lequel doit choisir une dame, ou d’un amant fort jeune, ou d’un autre un peu plus avancé dans l’âge, ce choix n’est pas sans difficulté. Il est même impossible de prendre conseil de personne sur une résolution si délicate, ni d’en recevoir jamais d’entièrement désintéressé : car tout le monde étant jeune ou vieux […] Les vieux diront qu’il faut choisir les vieux ; les jeunes soutiendront qu’il faut préférer les jeunes […] : et de cette sorte, la chose demeurera toujours indécise […]
(Almahide, vol. V, II, 2, 1661, p. 1750-51.)

 

En effet, la laideur de la vieillesse a trop peu de rapport avec la beauté d’une jeune personne pour les assembler : et un homme qui laisse tous les soirs ses cheveux et ses dents sous sa toilette ; qui n’est blond que par de la poudre ; ou qui n’est noir que par la teinture de son poil, est une mauvaise figure de galant […]. Car quelques jolies choses que dit une dame, un amant décrépit n’en oserait rire, de peur de montrer ses dents noires en riant : c’est un spectacle ridicule, de ne pouvoir lire sans lunettes, les billets doux d’une maîtresse : et de ne lui en pouvoir écrire que par ces yeux empruntés. Tout de même un amant goutteux n’a garde de la divertir au bal : puisque bien loin de pouvoir danser, il ne marche qu’avec peine : puisqu’au lieu de lui donner la main, il a besoin qu’elle la lui donne : et qu’elle soit son bâton de vieillesse, au lieu qu’il devrait être son écuyer. […] Au reste, ce vieux galant est toujours malpropre : ou s’il arrive qu’il ne le soit pas, sa propreté est d’une autre cour, et d’un autre siècle : et son ajustement à l’antique le rend le ridicule de notre siècle et de notre cour. En effet, sa manière de parler n’est plus la nôtre ; son éloquence est aussi vieille que lui, et que la mode de ses habits.
(ibid., p. 1753-1756)

 

[…] Il est certain que les jeunes gens s’aiment beaucoup plus, qu’on ne leur voit aimer leur maîtresse […]
Cependant il est certain que cette prétendue beauté qui les charme ainsi, ne plaît pas tant aux dames qu’elle leur plaît […]
Que la véritable beauté des hommes est la bonne mine : et que ces Adonis qui ne paraissent que des femmes déguisées, ne l’ont point ; ne la peuvent jamais avoir ; et manquent de cet air noble et martial, qui est l’ornement de leur sexe, et l’inclination de l’autre.
(ibid., p. 1768-1769.)

 

(3)

Il est vrai, dit la Princesse des Lindes, qu’à parler raisonnablement, l’amour est une ridicule chose à un vieil homme […] A peine Eumetis eut-elle dit cela que, toute la compagnie tombant d’accord de ce qu’elle disait, on se mit à faire une plaisante peinture d’un vieil amant que tout le monde connaissait. – En mon particulier, dit une de ces dames, je ne lui vis jamais d’habit à la mode, quoiqu’il en change souvent ; de plus, il veut marcher comme s’il était jeune, et il marche pourtant comme un vieil honme qu’il est. Il dit des galanteries qu’on n’entend plus ; et il parle enfin comme un homme qui ne saurait plus guère parler ; et cependant il parle d’amour, et ne peut parler d’autre chose. – Je voudrais bien savoir, dit Eumetis, s’il se trouve quelque dame qui l’écoute. – Il s’en trouve sans doute qui l’écoutent pour se moquer de lui, répliqua Cleobuline, mais il ne s’en trouve sans doute point qui lui répondent favorablement.
(Partie IX, p. 6211-6212)

 

(4)

CLIDAMANT
Nos pères amoureux ? cela n’est pas croyable,
Un amant à leur âge, est toujours méprisable,
Les soupirs des vieillards sont soupirs superflus,
Ils ont beau soupirer, on ne les entend plus;
Mais pour les jeunes gens il n’en est pas de même
Enfin, tu sais Guillot, ma passion extrême…
(I, 1, p. 2)

 

Comment donc, ces vieux fous, cadets à barbe blanche,
Veulent tâter d’amour encore quelques tranches.
C’est bien à vous, ma foi, trop débiles Barbons.
De vous amouracher, froids comme des glaçons.
Ah! Monsieur Policarpe, et Monsieur Boniface.
Pour de l’amour, je crois que l’on vous en fricasse
Cessez donc vos ardeurs, car il est peu d’objets
Qui veuillent s’enroller avec de tels cadets.
Et qui diable seraient les pauvres créatures,
Qui se voudraient charger de vos vieilles […]
Celles qui vous auraient seraient tous leurs efforts
A vous faire passer promptement chez les morts.
(I, 6, p. 8)

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