L’indifférence à la médisance est un principe énoncé
– dans une conversation des Nouvelles nouvelles (1663) de Donneau de Visé :
Toutes ces choses me font croire que, bien que l’on doive travailler pour acquérir de la réputation, l’on s’en doit néanmoins peu soucier quand on n’en peut venir à bout ou quand on la perd, et que l’on se doit peu mettre en peine de l’estime du monde pourvu que l’on se satisfasse soi-même et qu’on ait de la vertu. […] Et, de vrai, puisque l’erreur est si commune dans le monde, et que l’on n’a jamais pu trouver de moyens assurés pour la détruire, l’on ne se doit mettre en peine que de se satisfaire soi-même.
( t. II, p. 72-73)
– dans l’avis au lecteur du t. IV de La Précieuse (1658-1659) de l’abbé de Pure :
AUX PLUS MALINS CRITIQUES
Amis ou ennemis lecteurs ! Si la male-faim de médire vous presse trop et vous tourmente, ne vous retenez pas de mordre. Ma liberté vous donne beau jeu ; ma paresse vous flatte et vous invite ; et mon indifférence vous laisse le champ libre. Je souffrirai tout, sans mot dire, quand vous iriez jusqu’à l’os : et plus fort vous me pincerez, et plus fort vous me verrez rire.
[…]
L’opinion d’autrui n’élève pas assez ses rigueurs ni ses sévérités pour pouvoir m’en faire des supplices et me punir. Quand il ne s’agit que de discours, du bruit du monde, d’un arrêt de ruelle, d’une censure de critique, je n’ai guère l’âme émue ; et je trouve les médisants si sots que je crois avoir gagné ma cause de les voir mes ennemis.
( n.p.)
– dans le « petit traité » « Des offenses et des injures » (Opuscules et petits traités, 1643) de La Mothe le Vayer :
Je sais bien que la médisance fait quelquefois perdre le coeur aux plus sages, selon les termes du Prédicateur Hébreu, qui la juge pire que l’Enfer : et qui donne à cause d’elle de l’avantage à ceux qui ne sont plus, sur tous les vivants. Les Romains la nommèrent détraction, comme celle qui nous dérobe autant qu’elle peut la chose du monde que nous devons tenir la plus précieuse, qui est l’honneur. Et néanmoins tous ses efforts seront vains si j’ai assez de générosité pour les mépriser. Marc Antonin compare fort bien l’homme vertueux à une agréable fontaine, dont on a beau troubler l’eau et la souiller d’ordures, elle ne laisse pas d’en jeter toujours de claire, et qui retient toute la pureté de sa source. Qu’on me diffame, et qu’on décrédite mes actions tant qu’on voudra, si j’ai l’âme dans l’assiette où je la souhaite, je n’en ferai jamais que de bonnes, et qui malgré l’envie seront sans reproche. Je puis même profiter de la calomnie, et me la rendre avantageuse en la surmontant. Le cheval échappé des loups devient, ce dit-on, et plus vite et plus courageux qu’il n’était. Celui qui évite une médisance acquiert de l’adresse et des forces, dont il se peut prévaloir en beaucoup de rencontres.
(éd. des Oeuvres de 1756, II, 2, p. 442)
Pratiquons plutôt le précepte d’Epictète, qui ne veut pas seulement qu’on s’amuse à réfuter les médisances, tant s’en faut qu’il en permette le ressentiment. Si quelqu’un, dit-il, a parlé de vous en mauvaise part, au lieu de vous donner de la peine à faire voir la fausseté de l’injure répondez qu’il n’a pas pris connaissance sans doute de tous vos vices, parce que si cela était, il lui serait aisé de vous faire bien d’autres reproches. Aristote se contenta de témoigner le mépris de quelques fâcheux termes qu’on avait tenus de lui en son absence, par la protestation de pardonner même à ceux qui lui donneraient le fouet, pourvu qu’il n’y fût point. Ce n’était pas avoir toute la vertu d’un Stoïcien, puisqu’il semble par là qu’il se réservait la liberté d’en user autrement quand il serait présent. Mais pour le moins nous montra-t-il dans sa secte Péripatétique, combien on doit négliger des offenses verbales, qui ne firent jamais de mal à un homme de bien.
( p. 446)