Conte de Messire Grillo

L’histoire de Grillo, qui constitue une version parallèle à celle que présente le « Fabliau du Vilain Mire », fait l’objet d’une narration au sein de la dixième des Serées (1584) de Guillaume Bouchet, intitulée « Des médecins et de la médecine »

 

Il y avait ces jours passés une Damoiselle, fille de grande maison, qui était en grand danger de mourir, à cause d’une arête de poisson qu’elle avait en la gorge : et laquelle tous les Médecins, ne leurs remèdes, n’avaient pu mettre hors, ni faire avaler, ni faire pourrir et consumer, quelque peine et diligence qu’ils y eussent mis : soit en faisant avaler à cette pauvre fille un morceau de pain mollet, ou une figue sèche un peu mâchée, ou la faire vomir, avec un porreau huilé, et un peu courbé, lui ayant coupé le bout de la tête, ou lui jetant dans le nez un sternutatoire, ou lui provoquant la toux avec choses aigres, ou lui mettant les pieds nus en eau froide. Les Médecins de tout le pays étant hors de leur Catholicon, Cabale, et réception, dirent aux parents qu’il fallait laisser faire à Nature, et au vouloir de Dieu. Nonobstant cela, l’oncle de la fille s’avise d’appeler un Médecin d’assez loin, qui se nommait messire Grillo : toutefois après avoir enchanté par charmes les arêtes et les petits os arrêtés dedans le gavion et en la gueule, selon que Aetius, excellent Médecin autrement, l’a écrit et pratiqué, ce messire Grillo avait un grand bruit en toute la contrée, et voici comment.

 

Il avait une étude secrète bien près de la porte de sa maison, et par un petit trou voyait venir ceux qui lui apportaient des urines : et étant entrés en la cours, sa femme bien instruite se venait près de l’étude, disant au porteur d’urine que son mari ne demeurerait guère à venir : cependant cette Médecine l’interrogeait du jour de la maladie, en quelle partie du corps était le mal, et conséquemment de tous les effets et signes de la maladie. Parlant ensemble, le Médecin écoutait tout par ce trou de son étude : et sortant par la porte de derrière, entrait par le devant : où ayant regardé l’urine, faisait le discours de la maladie, comme il avait entendu par son étude. Le porteur d’urine étant de retour, contait comme le Médecin avait connu toute la maladie.

 

Or ce messire Grillo ayant acquis ainsi ce bruit, arrivé qu’il fut, alla visiter la pauvre malade, qui n’en pouvait plus. Après avoir entendu son mal, va entreprendre sur sa vie de la guérir, et de faire sortir cette arête de sa gorge. Ce Médecin assura cette malade que ce n’était rien, et que s’il eût été appelé plutôt, qu’il y a longtemps qu’elle ne fût pas là, et que les Médecins qui l’avaient traitée n’y entendaient rien, et si n’étaient qu’ânes. Il va sur l’heure demander du beurre frais, et de ce beurre, sans autre mystère, va oindre et greffer toutes les parties basses et honteuses de cette pauvre fille. Cette pauvre Damoiselle étant près de la mort, et ne demandant que santé, se laisse aisément manier et greffer là où le Médecin voulait. Mais elle voyant que le Médecin ne faisait autre chose que la greffer et frotter en ces parties, où elle n’avait point de mal, se prend si fort à rire, que de force de dire de la sortie du Médecin, et de sa recette, elle mit et jeta l’arête dehors de sa gorge, dont elle fut incontinent guérie : à cause du ris qui échauffa si bien toutes les parties de son corps, que la chaleur dilatant, mêmement la partie où était l’arête, qui est plus émue par le ris qui en sort, qu’autre qui soit : cette chaleur, dis-je, dilata si bien tous les conduits et pores, et furent si ouverts, que l’arête étant émue et poussée par le ris, se laissa aisément pousser hors : les vapeurs et esprits, qui vinrent du ris, remplissant et élargissant de telle sorte les conduits de sa gorge, que l’arête eut moyen de facilement sortir. Et aussi que cette émotion par tout le corps épandue, à cause du ris, émut tellement nature ja affaiblie, qu’elle en recouvra santé : étant rompu le lien, duquel les forces de nature étaient empêchées, par l’impétuosité causée du ris. Aucuns estimaient que ce n’était pas le ris qui était la principale cause de la guérison, mais que c’était l’assurance que messire Grillo avait donnée à cette fille, ayant si bien fortifié sa nature, ja affaiblie, qu’elle fut assez forte pour chasser le mal et l’arête qui était cause de son mal. Les autres disaient que le beurre pouvait bien avoir guéri cette fille, à cause de quelques esprits harmoniques, ou bien à cause d’une similitude et semblance du beurre à l’arête du poisson. Quoi qu’il en soit, va-t-il ajouter, cette onction ayant si bien succédé à messire Grillo, il fut estimé et savant et expert, tellement qu’il était appelé à toutes maladies, principalement des femmes et des filles : auxquelles il ne faisait que greffer leur derrière, et leur je ne sais comment, de beurre frais, quand autrement elles ne pouvaient recouvrer la santé.

(éd. C. E. Roybet, Paris, Lemerre, 1873, p. 192-194)

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