Dans l’essai « De la ressemblance des enfants aux pères » ( II, 37), Montaigne étaie son propos sceptique d’histoires de ressemblances auxquelles « tout le monde s’est trompé » :
Nous n’avons que faire d’aller trier des miracles et des difficultés étrangères: il me semble que parmi les choses que nous voyons ordinairement, il y a des étrangetés si incompréhensibles, qu’elles surpassent toute la difficulté des miracles. Quel monstre est-ce, que cette goutte de semence, de quoi nous sommes produits, porte en soi les impressions, non de la forme corporelle seulement, mais des pensements et des inclinations de nos pères? Cette goutte d’eau, où loge-t-elle ce nombre infini de formes? Et comme portent-elles ces ressemblances d’un progrès si téméraire et si déreglé, que l’arrière-fils répondra à son bisaïeul, le neveu à l’oncle? En la famille de Lepidus à Rome, il y en a eu trois, non de suite, mais par intervalles, qui naquirent un même oeil couvert de cartilage. A Thèbes il y avait une race qui portait dès le ventre de la mère, la forme d’un fer de lance, et qui ne le portait, était tenu illégitime. Aristote dit qu’en certaine nation, où les femmes étaient communes, on assignait les enfants à leurs pères, par la ressemblance.
(éd. C. Journel, Paris, 1659, p. 780-781.)
(voir aussi « la nature produit des ressemblances »)