Ce qu’ont dit les autres avant eux

« Il semble à trois gredins, dans leur petit cerveau,
Que pour être imprimés, et reliés en veau,
Les voilà dans l’État d’importantes personnes;[…]
Et qu’en science ils sont des prodiges fameux,
Pour savoir ce qu’ont dit les autres avant eux,
Pour avoir eu trente ans des yeux et des oreilles, […]
Gens qui de leur savoir paraissent toujours ivres;
Riches pour tout mérite, en babil importun,
Inhabiles à tout, vides de sens commun. »
Les Femmes savantes, IV, 3 (v. 1363-1380)

Le plagiat est dénoncé, comme une caractéristique de la pédanterie, dans le traité De la sagesse (1601) de Pierre Charron, en même temps que le formalisme (« dans les formes ») et la superstition (« zèle ») :

Enfin pour montrer combien grande est notre misère, je dirai que le monde est rempli de trois sortes de gens qui y tiennent grande place en nombre et réputation : les superstitieux, les formalistes, les pédants, qui bien que soient en divers sujets, ressorts, et théâtres (les trois principaux, religion, vie ou conversation, et doctrine), si sont-ils battus à même coin, esprits faibles, mal nés, ou très mal instruits, gens très dangereux en jugement, touchés de maladie presque incurable.
[…]
Les pédants clabaudeurs, après avoir quêté et pilloté avec grand étude et peine la science par les livres, en font montre, et avec ostentation, questueusement et mercenairement, la dégorgent et mettent au vent. Y a-il gens au monde plus ineptes aux affaires, plus impertinents à toutes choses, et ensemble plus présomptueux et opiniâtres ? […]Ce sont gens qui ont la mémoire pleine du savoir d’ autrui, et n’ ont rien de propre. Leur jugement, volonté, conscience, n’en valent rien mieux ; malhabiles, peu sages et prudents, tellement qu’il semble que la science ne leur serve que de les rendre plus sots, mais encore plus arrogants, caqueteurs, ravalent leur esprit et abâtardissent leur entendement, mais enflent leur mémoire. Ici sied bien la misère que nous venons de mettre la dernière en celle de l’entendement.
(éd. de 1797, p. 46-47)

 

Dans La Comédie des Académistes (vers 1650) de Saint-Evremond, Chapelain est présenté comme plagiant Théophile :

Je ne vois point qu’une déesse
Nous éclairât d’un tel flambeau
.
Tout le troisième vers est pris de Théophile.
On peut bien dérober, car c’est le même style.
(II, 1 ; éd. J. Truchet, Théâtre du XVIIe siècle, 1986, t. II, p. 502)

 

Dans Le Combat des auteurs (1668) de Guéret, Balzac formule la même accusation contre Costar :

Balzac le surprenant au pillage, et se ressouvenant d’ailleurs de leur ancienne querelle : C’est aujourd’hui, lui dit-il, qu’il faut rendre ce que vous avez pris : On sait, continua-t-il, que vous n’avez point fait d’autre métier toute votre vie que de butiner sur les Anciens, et sur les Modernes ; Vous les avez mis en pièces dans vos Ouvrages, et je puis dire sans hyperbole, que dans un Volume entier, à peine trouve-t-on une feuille entière qui soit de vous.
( p. 172)

 

De même encore dans une lettre de Théophile de Viau à Guez de Balzac, publiée dans les Oeuvres de 1629 :

Vous savez la grammaire française, et le peuple pour le moins croit que vous avez fait un livre : les Savants disent que vous pillez aux particuliers ce que vous donnez au public, et que vous n’écrivez que ce que vous avez lu. Ce n’est pas être savant que de savoir lire. S’il y a de bonnes choses dans vos écrits, ceux qui ne les connaissent pas ne vous en peuvent point louer : et ceux qui les connaissent savent qu’elles ne sont pas à vous.
(éd. de 1662, p. 248)

 

Deux épigrammes de Cotin en font également leur sujet :

Docteurs en lieux communs sont chez moi sans crédit,
Je ne prends pas la peine de les lire,
Ces gens-là n’auraient rien à dire
Si les autres n’avaient rien dit.
(Oeuvres galantes, 1663, p. 347)

 

LE PLAGIAIRE
Tout ce qu’il dit est emprunté,
Il pille les sujets qu’il traite ;
Et sans avoir rien inventé,
Il veut passer pour un poète.
( p. 373)

 

Ainsi qu’une épigramme du chevalier d’Aceilly :

SUR LE LIVRE
d’un Rhapsodiste.

Ne dis point tant qu’Artus va nous donner son livre,
Et que son manuscrit est déjà chez Courbé :
Dis plutôt qu’untel, pour mieux vivre,
Rend tout ce qu’il a dérobé.
( p. 21)

 

Et une de Gombauld (Epigrammes, 1657) :

XXVIII
AUTEUR RICHE DES DEPOUILLES D’AUTRUI

Ce volume fameux dont la beauté consiste
Aux trésors empruntés des Grecs et des Romains
Vous acquérant l’honneur d’un insigne copiste
Est proprement nommé l’ouvrage de vos mains.
( édition de 1657, p. 53)

 

Et un passage des Nouvelles Nouvelles (1663) de Donneau de Visé :

Ils ne produisent rien d’eux-mêmes, puisqu’ils tirent tout ce qu’ils font de leurs grandes et profondes méditations et que tous leurs ouvrages ne sont qu’un souvenir confus et embarrassé qu’ils rappellent de la quantité de lectures qu’ils ont faites et des choses qu’ils ont apprises.
( t. II, p. 199)

 

La Mothe le Vayer en condamne le principe

 

– dans ses Considérations sur l’éloquence française de ce temps (1638) :

A la vérité, s’il en composait un discours de la façon de ceux que les Latins ont nommé Centons, et que ce ne fussent que des textes de différents Auteurs attachés les uns aux autres, comme Lipse les a mis dans ses six livres de Politique, j’avoue qu’un tel travail ne pourrait pas passer pour une pièce d’Eloquence. Il y a de la retenue, et quelque bienséance à observer en cela.
(éd. des Oeuvres de 1756, II, 1, p. 282)

 

– dans les Jugements sur les anciens et principaux historiens grecs et latins (1646)

Il se contente de dire dans sa préface, qu’il s’est servi de quelques Commentaires étrangers ou relations Grecques, sans nommer celui, dont il est le simple et assez mauvais traducteur, par un oubli affecté qu’on ne saurait trop condamner. Nous avons déjà déclamé dans nos Sections précédentes contre ceux, qui supposent des livres, en les attribuant à des Auteurs, qui n’ont jamais songé à les faire. Et véritablement il y a de l’infidélité bien grande à tromper de la sorte, autant qu’on peut, tout le genre humain. Mais si ce vice est le plus méchant, je trouve celui de Plagiaire, qui lui est opposé, et qui ôte au lieu de donner, beaucoup plus honteux, parce qu’il n’y a rien de plus vil ni de plus infâme, que de dérober, et que ceux qui s’attribuent les travaux d’esprit des autres, font paraître leur impuissance à produire quelque chose de valeur.
(éd. des Oeuvres de 1756, IV, 1, p. 161-162)

 

– dans les « petits traités »

 

– * « De quelques compositions » :

Ce que celui-ci a de meilleur, parce qu’il n’est pas de lui, ne laisse pas de dégoûter, à cause de sa mauvaise manière de débiter ce qu’il tient des autres. Il les transcrit plutôt qu’il n’écrit, et sa plume est simplement un canal, qui vomit la liqueur telle qu’il l’a reçue, sans lui rien communiquer du sien que son impertinente application, accompagnée de quelque méchante pointe. Componimenti si fatti sono libidini del genio non parti del ingenio. Si pecca cosi, non si scrive. Je ne blâme ni les citations, ni l’adresse à se prévaloir des pensées de ceux, qui nous ont précédés. Il y a plus de deux mille ans que le plus ancien des Orateurs Grecs à déclaré, que c’était la plus courte voie pour réussir dans toute sorte de Compositions ; ce qui doit être bien plus véritable aujourd’hui, que nous avons recueilli, comme par droit de succession, les sentiments de tant de grands personnages, qui ont été depuis lui. Comme tous les animaux ne ruminent pas, tous les esprits ne sont pas capables d’une profonde méditation, sans quoi ils ne peuvent rien produire de leur chef ; et peu de personnes peuvent imiter l’Aigle, s’il est vrai, qu’il ne se nourrisse que de sa propre proie ; sans jamais toucher à celle des autres. Mais encore faut-il contribuer quelque chose du sien, et assaisonner ce qu’on tient d’autrui de telle sorte, qu’on lui donne une grâce, qui ait quelque air de la nouveauté. Autrement c’est être voleur, et Plagiaire de dérober comme fait celui-ci ; Furti species est de alieno largiri, dit la Loi, et l’on peut soutenir d’un Livre tel que le sien, que c’est l’ouvrage de ses mains plutôt que celui de son esprit.
(VII, 1, p. 131-133)

 

– * « Des compositions studieuses » :

Ce défaut procède indubitablement des fréquents larcins, que vous y avez observé, où il s’est voulu attribuer grossièrement et de mauvaise foi ce qu’il tient des autres, sans jamais nommer personne. Il les entasse comme siens sans jugement, et avec si peu d’adresse, qu’on remarque toujours, avec le vol qu’il fait, son ingratitude, et la mauvaise intention qu’il a, de se parer du bien d’autrui sans reconnaissance. Cela m’a fait considérer tout son écrit comme un grand Chêne tortu tout couvert de Gui, et qui n’a de verdure en hiver que celle qu’il emprunte de cette demi-plante qui lui est étrangère.
(VII, 1, p. 198)

 

– * « Des scrupules de grammaire »

Autant qu’une belle imitation est louable, le crime de Plagiaire, contre lequel j’ai si déclamé, est tout à fait diffamant. Le surnom de klattès ou de larron, que Mercure, comme dieu du bien dire, a reçu, ne lui a pas été donné pour autoriser de semblables larcins; ç’a été seulement pour faire comprendre qu’un diseur éloquent et persuasif est capable de nous surprendre, et de se rendre insensiblement maître de nos affections. En effet, l’on peut dérober à la façon des abeilles, sans faire de tort à personne ; mais le vol de la fourmi, qui enlève le grain entier, ne doit jamais être imité. Je sais bien que le cinquième livre des Saturnales de Macrobe fait voir avec quelle hardiesse Virgile a pillé sur les Grecs la plupart de ses poésies et que le sixième met en évidence ce qu’il a même volé aux Latins, prenant des vers entiers ou des hémistiches tantôt à Ennius ou à Lucrèce, tantôt à Catulle et à plusieurs encore, se parant ainsi des plumes d’autrui. Il n’y a pourtant point d’exemple qui puisse justifier un larcin honteux, principalement s’il se fait sur des auteurs du temps s’attribuant injustement et avec impudence leur travail et leur industrie. Prendre des Anciens et faire son profit de ce qu’ils ont écrit, c’est comme pirater au-delà de la ligne ; mais voler ceux de son siècle, en s’appropriant leurs pensées, c’est tirer la laine au coin des rues, c’est ôter les manteaux sur le Pont-Neuf. Jamais Aristote ne put souffrir qu’on fît auteur de ses livres de Rhétorique son disciple Théodocle ; ce qui obligea le maître à les citer lui-même comme les siens, selon la remarque de Valère Maxime. Sans mentir, l’effronterie est extrême de prendre le bien d’autrui de la sorte, sans lui en passer une petite reconnaissance en le nommant ; et c’est une chose étonnante, comme en parle Pline l’aîné, qu’il se trouve des gens qui aiment mieux deprehendi in furto quam mutuum reddere.
(VII, 2, p. 141-143)

 

– * « De la lecture des livres » :

Il faut pourtant que j’ajoute un mot à ce que j’ai dit dans le même ouvrage touchant les citations, puisqu’il s’est trouvé des gens que l’amour propre rend si contraires à l’honneur qu’on rend aux Anciens en les alléguant. Aristote remarque fort bien dans ses Topiques, que la plupart des hommes font mine de n’être pas laborieux, afin de paraître plus spirituels en ce qu’ils font. Voilà le fondement de la peine que plusieurs prennent de déguiser comme un larcin ce qu’ils prennent des Anciens, croyant qu’il leur est plus glorieux de paraître avec beaucoup de naturel, qu’avec beaucoup d’acquis. J’avoue qu’il n’est pas impossible que diverses personnes ne tombent dans de mêmes sentiments sur un même sujet : Et que comme les terres produisent en des lieux fort éloignés de situation, de semblables métaux, et des plantes de pareille espèce ; il peut encore arriver que divers esprits se rencontreront dans de mêmes pensées, et formeront de mêmes raisonnements, sans se les être communiqués les uns aux autres. Mais il ne laisse pas aussi d’être véritable, que le plus grand nombre de ceux qui paraissent si ennemis des citations et des autorités dont ils ne se servent jamais, sont portés d’une vanité pareille à celle qu’avait Epicure, qui n’écrivit pas moins de trois cents volumes sans faire aucune allégation, à dessein de se montrer tel qu’il se disait être, autodidatie, et sans avoir reçu instruction de personne. Or quoi qu’il y ait de certaines compositions, comme nous l’avons observé, où cette façon d’écrire en s’appuyant sur les Anciens, principalement lors qu’on produit leur textes, serait très vicieuse : il s’en trouve d’autres au contraire, telles que sont les Dogmatiques ou instructives, qui ne peuvent être traitées autrement qu’avec un notable préjudice. Qu’on lise ce qu’ont fait Cicéron, Sénèque, et Plutarque, de Philosophique, il n’y a page où les noms et les sentiments de tous ces grands hommes qui les avaient précédés ne soient rapportés. Et certes l’affectation de n’exposer au jour que ce qui est nouveau et de son cru, est fort ridicule, rien ne pouvant être dit, surtout en ce genre de lettres, qui ne l’ait été auparavant.
(II, 2, p. 514)

 

Cyrano de Bergerac pensait de même, si l’on en croit l’auteur de la préface des Etats et empires de la lune (1657) :

Beaucoup de nos modernes ne lui semblaient que les échos d’autres savants, et que beaucoup de gens passent pour très doctes, qui auraient passé pour très ignorants si des savants ne les avaient précédé. De sorte que, quand je lui demandais pourquoi donc il lisait les ouvrages d’autrui, il me répondait que c’était pour connaître les larcins d’autrui; et que, s’il eût été juge de ces sortes de crimes, il y aurait établi des peines plus rigoureuses que celles dont on punit les voleurs de grands chemins ; à cause que la gloire étant quelque chose de plus précieux qu’un habit, qu’un cheval et même que l’or, ceux qui s’en acquièrent par les livres qu’ils composent de ce qu’ils dérobent chez les autres était comme des voleurs de grands chemins qui se parent aux dépens de ceux qu’ils dévalisent ; et que si chacun eût travaillé à ne dire que ce qui n’eût point été dit, les bibliothèques eussent été moins grosses, moins embarrassantes, plus utiles.
( n. p.)

 

Boileau reprend à son tour la dénonciation dans la satire IV « A La Mothe le Vayer » (1666) :

Un pédant, enivré de sa vaine science, .
Tout hérissé de grec, tout bouffi d’arrogance »
Et qui, de mille auteurs retenus mot pour mot,
Dans sa tête entassés, n’a souvent tait qu’un sot,
Croit qu’un livre fait tout, et que, sans Aristote,
La raison ne voit goutte, et le bon sens radote.
(Satires du Sieur D***, 1666, p. 31)

 

De même que Charles Sorel dans son traité De la connaissance des bons livres (1671) :

Il nous reste de voir quels sont les livres mêlés. Il s’en trouve quelques uns desquels, si on avait ôté ce qui est de Plutarque ou Sénèque ou d’autres semblables auteurs, il ne resterait presque rien qu’on leur pût attribuer. Ces ouvrages sont des amas de plusieurs choses qu’on appelle à bon droit des lieux communs, pource qu’ils sont communs à tout le monde. L’auteur de L’Examen des Esprits dit fort à propos, que dans les états bien policés, on devrait défendre d’écrire à ces gens qui abondent en mémoire, sans avoir l’imagination assez forte pour inventer quelque chose d’eux-mêmes, ni du jugement pour le bien régler : il prétend que ces écrivains ne faisant que des recueils de ce qu’ils ont lu, c’est abuser du loisir de ceux à qui ils veulent donner leurs livres à lire, ne leur faisant voir que ce qu’on voit en d’autres lieux. Quand ces faiseurs de recueils ont été assez adroits pour mettre une excellente liaison à leurs discours, et qu’ils y ont ajouté de nouvelles réflexions de leur invention propre, alors on en peut faire de l’estime.
( p. 55)

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