L’argument selon lequel « l’esprit veut du relâche » et donc le divertissement est nécessaire, avait été avancé, en faveur du théâtre, dans
– les Brevi discorsi intorno alle commedie, commedianti e spettatori (1621) du comédien dell’arte Pier Maria Cecchini (voir également « bannie de Rome ») (1)
– dans le Discorso familiare intorno alle commedie moderne (1628), que le comédien dell’arte Niccolo Barbieri avait dédié à Louis XIII (2)
– la conférence « La comédie. Si elle est utile à un état » (Recueil général des questions traitées dans les conférences du bureau d’adresse (1666) (3)
– le « Discours » de Paul Pellisson qui précède les Oeuvres de Monsieur Sarasin (1656) (4)
Il avait été combattu par Pierre Nicole dans le Traité de la comédie et des spectacles (1667) (« Que la nécessité de se divertir ne peut excuser la comédie » ; éd. des Essais de morale de 1678, p. 291 et suiv.) et partiellement admis par
– le Père Jean Cordier dans l’édition de 1666 de sa Famille sainte (5)
– le Père Le Moyne dans La Dévotion aisée (1652) (6)
Les divers points de vue sont présentés dans une des conférences du Recueil général des questions traitées dans les conférences du bureau d’adresse (1666) : « Octante-cinquième conférence : « Des spectacles », p. 392)
(1)
Avvertimento che tocca a chi governa
Non di dee già negare che l’uomo non facesse bene a spender tutto il suo tempo in servitio di dio; ma se pur l’è conceduto o si gli è lecito in qualche hora della sua vita, lo sottraersi dalle contemplationi, o da i negotii e dar riposo alla mente, non veggo ne conosco ove meglio lo possi fare che nello star presente ad una graziosa rappresentazione, la quale da honeste persone sia honestamente rappresentata, et ch’il riso in essa derivi da qualche gratio artificio, e non da parola o d’atto che tenghino dall’impuro o del dishonesto.
(p. 9)
(2)
Io non intendo di lodar la commedia per azzione spirituale per onesta che sia, perchè dico che è un passatempo, e dico che si puo far meglio e peggio a non l’udire.
(p. 38)
Se lo spasso non è concesso, è male l’udir commedie ; e se nell’ora della commedia il popolo è in orazione, è malissimo a distorlo dal ben fare ; ma se si concede lo spasso, la commedia è degna d esser veduta e se non toglie il ben fare, ma piuttosto distoglie dal mal operare, la commedia deve esser anteposta ad ogni passatempo.
(p. 54)
(3)
La vie humaine est traversée de tant de chagrins que non seulement les législateurs politiques, mais aussi les ecclésiastiques ont jugé entièrement nécessaire de lui donner quelque divertissement pour servir de relâche aux esprits et aux corps incapables d’un travail continu. A faute de quoi ils s’affaissent sous le poids des affaires. Or, entre ces relâches, il n’y en a de plus agréable que la comédie.
(t. V, p. 39)
(4)
Mais après lui avoir donné ces louanges, ne répondrons-nous point à ce qu’on peut dire en général contre ses Ouvrages ? Ce n’est pas mon dessein de prévenir en ce lieu tout ce que l’Envie ou l’Ignorance lui pourront opposer. Aujourd’hui qu’on déchire impunément les plus célèbres Auteurs vivants ; qui s’étonnera si l’on traite les morts de la même sorte ? Il n’y a point de plus agréable concert, a dit un Poète Grec, que celui de deux personnes, dont l’une dit des injures, et l’autre les écoute sans y répondre. Que notre Siècle ait le plaisir tout entier d’une si douce Musique, et que rien ne l’interrompe, ni pour les vivants, ni pour les morts. Je ne parlerai donc ici qu’à trois sortes de gens qui agissent de meilleure foi, et dont les actions sont plus importantes.
Les premiers sont ceux qui voulant nous faire passer leur chagrin pour solidité, et pour vertu, et sachant que notre Auteur a été principalement célèbre pour les Ouvrages purement divertissants, rebuteront ses Ecrits, même sans les lire, et l’accuseront de s’être amusé à des choses inutiles.
Ces Juges sévères, plus sages que Dieu et que la Nature qui ont fait une infinité de choses pour le seul plaisir des hommes, voudraient que l’on travaillât sans cesse sur la Jurisprudence, sur la Médecine, et sur la Théologie, et nous diront que rien ne mérite d’être estimé s’il ne tend à l’utilité publique. En e dernier point je suis à peu près de leur avis, mais je ne puis croire qu’on travaille inutilement quand on travaille agréablement pour la plus grande partie du Monde, et que sans corrompre les Esprits on vient à bout de les divertir et de leur plaire. Appelons-nous inutiles des Ouvrages où le père de famille se délassera des soucis domestiques, le Prince et le Ministre, des soins de l’Etat, le Magistrat, du tumulte et de l’embarras du Palais, le Soldat, de ses fatigues, l’Artisan même de son travail ; qui feront oublier pour un temps, à l’un sa pauvreté, à l’autre ses maladies, à un troisième ses cruelles passions, à tous généralement leurs infortunes ? Ceux qui en jugent ainsi se trompent grossièrement, comme il est aisé de le montrer, et prennent les moyens pour la fin, faute d’aller assez avant, et de pénétrer jusqu’aux fondements des choses.
(éd. de 1663, p. 36-38)
(5)
Ce n’est point que je veuille retrancher aux chrétiens les occasions d’une juste réjouissance, ils sont hommes aussi bien que les autres et les divertissements raisonnables ne leur doivent point être défendus.
(p. 463)
Si la comédie est de même nature, si elle n’a rien dans son appareil qui puisse déplaire à Dieu, si elle n’a ni farce ni danse qui tire au libertinage ou à la lasciveté, on y peut donner un petit temps par manière de récréation ; mais d’en faire coutume, c’est de n’entendre pas ce que veut dire le mot divertissement.
(p. 466)
(6)
Livre second.
Chapitre IV.
Que la dévotion ne condamne point les divertissements ; qu’elle s’accommode en cela aux besoins de la nature, à l’ordre de la police et à l’usage des saints.
On dira qu’il y a trop de discours en ces concerts et trop de philosophie en ces spectacles ; qu’il leur faut des oreilles trop intelligentes et des yeux trop spirituels ; et que tout le monde n’étant pas capable de se réjouir si sérieusement et d’une si haute manière, on voudrait que la dévotion s’accommodât au plus grand nombre et qu’elle permît des divertissements où il fallût moins d’esprit et moins d’étude.
Elle en permet encore de cette sorte ; elle sait qu’il y a une nécessité de divertissement comme il y a une nécessité de repos et de nourriture. Elle peut même avoir ouï dire que le divertissement est le repos et la nourriture de l’âme, qui a ses lassitudes et ses défaillances, qui s’abat et qui s’épuise par la dissipation des esprits servants et matériels qui l’assistent en ses fonctions.
(éd. de 1652, p. 100-102)
Il faut donc que le temps des divertissements soit réglé, et on ne peut y rapporter de plus justes règles que celles qui se prennent de la nécessité, de la bienséance, de la charité et de la coutume.
(p.121)