Vous vous imaginez cela

« Vous m’avez aussi fait faire des souliers qui me blessent furieusement. – Point du tout, Monsieur. – Comment, point du tout ? – Non, ils ne vous blessent point. – Je vous dis qu’ils me blessent, moi. – Vous vous imaginez cela. – Je me l’imagine, parce que je le sens. Voyez la belle raison. »
Le Bourgeois gentilhomme, II, 5

Dans ses Principes de la philosophie (1647), Descartes avait mis en cause le lien entre la douleur ressentie et sa manifestation dans l’âme, en mettant la sensation sur le compte de l’imagination :

67. Que souvent même nous nous trompons en jugeant que nous sentons de la douleur en quelque partie de notre corps.

La même prévention a eu lieu en tous nos autres sentiments, même en ce qui est du chatouillement et de la douleur. Car encore que nous n’ayons pas cru qu’il y eût hors de nous, dans les objets extérieurs, des choses qui fussent semblables au chatouillement ou à la douleur qu’ils nous faisaient sentir, nous n’avons pourtant pas considéré ces sentiments comme des idées qui étaient seulement en notre âme ; mais nous avons cru qu’ils étaient dans nos mains, dans nos pieds et dans les autres parties de notre corps, sans que toutefois il y ait aucune raison qui nous oblige à croire que la douleur que nous sentons, par exemple au pied, soit quelque chose hors de notre pensée qui soit dans notre pied, ni que la lumière que nous pensons voir dans le soleil soit dans le soleil ainsi qu’elle est en nous. Et si quelques-uns se laissent encore persuader à une si fausse opinion, ce n’est qu’à cause qu’ils font si grand cas des jugements qu’ils ont faits lorsqu’ils étaient enfants, qu’ils ne sauraient les oublier pour en faire d’autres plus solides, comme il paraîtra encore plus manifestement par ce qui suit.

 

68. Comment on doit distinguer en telles choses ce en quoi on peut se tromper d’avec ce qu’on conçoit clairement.

Mais afin que nous puissions distinguer ici ce qu’il y a de clair en nos sentiments d’avec ce qui est obscur, nous remarquerons en premier lieu que nous connaissons clairement et distinctement la douleur, la couleur et les autres sentiments, lorsque nous les considérons simplement comme des pensées ; mais que quand nous voulons juger que la couleur, que la douleur, etc., sont des choses qui subsistent hors de notre pensée, nous ne concevons en aucune façon quelle chose c’est que cette couleur, cette douleur, etc. Et il en est de même lorsque quelqu’un nous dit qu’il voit de la couleur dans un corps, ou qu’il sent de la douleur en quelqu’un de ses membres ; comme s’il nous disait qu’il voit ou qu’il sent quelque chose, mais qu’il ignore entièrement quelle est la nature de cette chose, ou bien qu’il n’a pas une connaissance distincte de ce qu’il voit et de ce qu’il sent. Car encore que, lorsqu’il n’examine pas ses pensées avec attention, il se persuade peut-être qu’il en a quelque connaissance, à cause qu’il suppose que la couleur qu’il croit voir dans l’objet a de la ressemblance avec le sentiment qu’il éprouve en soi, néanmoins, s’il fait réflexion sur ce qui lui est représenté par la couleur ou par la douleur, en tant qu’elles existent dans un corps coloré ou bien dans une partie blessée, il trouvera sans doute qu’il n’en a pas de connaissance.
(éd. de 1651, p. 49)

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