Vous montrer un sonnet

« Je viens, pour commencer, entre nous, ce beau noeud,
Vous montrer un sonnet, que j’ai fait depuis peu,
Et savoir s’il est bon qu’au public je l’expose. »
Le Misanthrope, I, 2, v. 295-297

La situation par laquelle Oronte vient faire la lecture de son sonnet à Alceste et Philinte correspond au motif du récitateur importun, exploité également dans Les Fâcheux.

 

On trouve deux ébauches distinctes de cette scène dans les Nouvelles nouvelles (1663) de Donneau de Visé (1) (2)

 

Guéret, dans le Le Parnasse réformé (1668) se moque des « marquis qui se piquent de versifier » et des « faiseurs de sonnets à outrance » (3).

 

Dans son « Epitre chagrine » à Monsieur d’Elbène (1659), Paul Scarron faisait le portrait d’un poète importun et flatteur (4) (voir aussi « j’ai conçu, pour vous, une estime incroyable »).

 

La scène de lecture de sonnet sera reprise dans la comédie que donne l’Hôtel de Bourgogne, au sein du Ballet des Muses (5)

 

 


 

(1)

– Il faut avouer, dit Clorante en riant, que les nouvellistes de Parnasse ne sont pas moins fols que les nouvellistes d’État. Il y a quelques jours que je rencontrai un de ces premiers, qui m’arrêta au milieu d’une rue. « Il faut, me dit-il, que je vous montre quelque chose de ma façon et que je vous fasse voir un madrigal de seize vers. Je veux savoir votre sentiment, afin de le suivre ; car je suis tout à fait résolu de faire aveuglément tout ce que vous me direz ». Tant que je le louai, il me dit que j’avais raison, mais lorsque je lui voulus dire mon sentiment et lui faire raccommoder quelques vers et changer quelque mot, il oublia ce qu’il me venait de dire et aima mieux changer de langage que de changer un mot à ses vers. Il combattit tout ce que je lui disais avec une opiniâtreté ridicule ; il me querella même et fut cause que je le quittai en le querellant à mon tour et en lui disant qu’il avait eu tort de me demander mon sentiment, puisqu’il n’avait pas dessein de le suivre, ni même de l’écouter. Je le rencontrai à quelques mois de là dans le Palais, qui récitait le même madrigal à un peloton de nouvellistes. Il le recommença par trois fois, pour se louer lui-même, voyant que les autres ne le louaient pas assez à son gré, et fut après cela dire la même chose à un autre peloton, et de quelque côté que ce jour-là je me tournasse dans le Palais, je le trouvais toujours qui récitait ce madrigal à des gens à qui, pour la plupart, il faisait accroire qu’il ne [le] leur avait pas encore dit.
(t. II, p. 241-243)

 

(2)

Ce crédule nouvelliste, ou plutôt cet admirateur d’une pièce dont il n’avait encore vu que trente vers, ne fut pas plutôt sorti de chez moi qu’il y entra un homme qui n’était pas moins incommode. C’était un de ces auteurs qui font peu de choses, mais qui se louent toujours et qui étourdissent sans cesse de leurs louanges ceux avec qui ils sont.
— Je viens, me dit-il d’un visage riant, vous montrer un madrigal qui m’a coûté un mois de temps.
Après avoir dit ce peu de paroles, il crache deux ou trois fois, et commença à le réciter avec beaucoup de gravité. Il eut à peine dit deux vers qu’il cessa de parler, pour entendre les applaudissements qu’il croyait déjà mériter ; mais comme il vit que je ne faisais qu’un signe de tête :
— Il semble, me dit-il, en me regardant d’un air dédaigneux et qui marquait assez son dépit, que vous doutiez si vous devez louer ces vers.
— Je les trouve beaux, lui répondis-je.
— Vous louez froidement, continua-t-il, encore plus piqué qu’auparavant de ce que je ne m’emportais pas à le louer. Je viens de la cour, où je l’ai récité. Tout le monde l’a trouvé admirable. On m’en a demandé des copies et l’on m’a pressé de le faire imprimer. :Cependant, il semble que vous ne l’approuviez que par force.
— Pour vous parler librement, lui repartis-je, il faut que vous ayez perdu l’esprit, ou du moins que vous ayez mis dans votre madrigal tout ce que vous en aviez, de vouloir m’obliger à dire du bien de deux vers sans avoir vu la suite.
— Vous avez raison, me répondit-il, mais vous pouviez toutefois louer le début ; car je crois avoir bien commencé. Écoutez !
Il récita tout son madrigal, que je ne trouvai ni bon ni méchant. Après avoir achevé :
— Voilà, dit-il, ce que l’on appelle un madrigal ! C’est un madrigal, morbleu, c’est un madrigal ! Voilà comme l’on doit faire un madrigal ! Voilà ce qui se doit nommer madrigal ! Plusieurs croient en avoir fait, qui ne savent pas seulement ce que c’est qu’un madrigal. Aussi ce madrigal m’a-t-il beaucoup coûté. J’ai été longtemps à le faire, mais aussi ai-je l’avantage d’avoir fait un véritable madrigal. N’est-il pas vrai que c’est un madrigal ? N’y remarquez-vous pas toutes les parties d’un madrigal ? Toutes les règles du madrigal n’y sont-elles pas bien observées ? Oui, oui, c’est un madrigal ! c’est un véritable madrigal ! continua-t-il, en me tirant tantôt par le bras, tantôt par mon habit, pour l’obliger à le louer. C’est un madrigal, et vous pourrez dire aujourd’hui que vous aurez vu un madrigal.
— Du moins n’oublierai-je pas, lui repartis-je, que j’en aurai ouï parler.
Je fus toutefois obligé de lui donner plus de louanges que je ne croyais qu’il en méritait, parce que je savais bien qu’il n’attendait que cela pour me quitter. Après que je l’eus excessivement loué, pour le chasser plus honnêtement, il sortit et fut ensuite autre part jouer le même personnage.
( t. III, p. 206-209)

 

(3)

le plus grand mal qui lui [la poésie] soit arrivé ne vient point de là [des esprits libertins], il n’en faut attribuer la cause qu’à certains rimeurs qui font les illustres sitôt qu’ils ont fait un méchant madrigal ou quelque froide épigramme. On ne sait plus, poursuivit-il, aujourd’hui ce que c’est que d’expressions poétiques : pourvu qu’on soit assez heureux pour rencontrer la rime et la mesure, on se persuade que tout le reste n’est rien ; on appelle faire des vers aisés et naturels quand ils sont faibles et languissants ; et tel a composé des recueils entiers de poésies, que si l’on en ôtait les rimes il n’y resterait que des termes fades qui ne seraient pas même une bonne prose. Il n’y a guère de marquis qui ne se pique de versifier, ces esprits prompts et impatients veulent faire une élégie en demi-heure, et ils aiment mieux un impromptu qui ne vaut rien, qu’une bonne pièce qui leur coûterait une matinée. Ce sont des faiseurs de sonnets à outrance ; ils se jettent à corps perdu dans ce genre de poésie, et ils ne se passe point de jour qu’ils n’en donnent un à leurs amourettes. Sitôt que leur mauvaise veine leur a fourni quelque chose, ils le répandent dans toute la cour : deux ou trois coquettes de leur intrigue les appuient de leurs suffrages, et avec cela ils se font passer pour beaux esprits, et les libraires viennent leur demander leurs ouvrages.
(Guéret, Le Parnasse réformé [1668], Seconde édition, 1669, p. 53-55)

 

(4)

J’étais seul l’autre jour dans ma petite chambre
[…]
Quand un petit laquais, le plus grand sot de France,
Me dit, Monsieur un tel vous demande audience,
Bien que Monsieur un tel ne me fût pas connu,
Je répondis pourtant qu’il soit le bienvenu.
Alors je vis entrer un visage d’eunuque,
Rajustant à deux mains sa trop longue perruque,
Hérissé de galons rouges, jaunes et bleus ;
Sa reingrave était courte, et son genoux cagneux ;
Il avait deux canons, ou plutôt deux rotondes,
Dont le tour surpassait celui des tables rondes ;
Il chantait en entrant je ne sais quel vieux air,
S’appuyait d’une canne, et marchait du bel air.
Après avoir fourni sa vaste révérence,
Se balançant le corps avecque violence,
Il me dit en fausset, et faisant un souris,
Je suis l’admirateur de vos divins écrits,
Monsieur, et de ma part quelquefois je me pique,
De vous suivre de près dans le style comique […]
J’ai fait pour le théâtre en l’espace d’un an,
La Mort de Ravaillac, l’Anesse de Bâlam,
La Reine Brunehaut, Marc-Aurèle et Faustine,
Lusignan, autrement l’Infante Mélusine. […]
Balesdens m’a promis place en l’Académie,
Je ne gâterai rien dans cette compagnie,
Je suis marchand mêlé, je sais de tout un peu,
Et tout ce que j’écris n’est qu’esprit et que feu.
J’entreprends un travail pour le clergé de France,
Dont j’attends une belle et grande récompense.
C’est, mais n’en dites rien, les Conciles en vers,
Le plus hardi dessein qui soit dans l’univers. […]
(Scarron, « Epitre chagrine » à Monsieur d’Elbène, 1659, p. 21-24)

 

(5)

La seconde scène est de monsieur Lira qui offre ses sonnets à Silvandre pour la petite comédie qu’il doit faire.
( p. 25)

Le moteur de recherche fonctionne par co-occurence, par exemple, la saisie femmes superstition, affichera uniquement les fiches qui comportent les deux termes, et non toutes les pages qui comportent chacun des termes.