Voilà de mes religieuses

« Ah! voilà justement de mes religieuses,
Lorsqu’un père combat leurs flammes amoureuses. »
Le Tartuffe, IV, 3 (v. 1301-1302)

Au livre IV, 1 du roman Tarsis et Zélie (1665) de Le Vayer de Boutigny, l’héroïne veut se faire daphnide (autrement dit « religieuse ») par dépit amoureux; on lui révèle que c’est le cas de la plupart de ses consoeurs (1)

 

Dans la Clarice (1641) de Rotrou, une tirade du père de famille était consacrée à dénoncer l’artifice de ces fausses vocations (2)

 

 


 

(1)

Cette jeune fille ne répondant à ce discours que par deux ou trois soupirs, la vieille daphnide la pressa de lui avouer si elle sentait quelque répugnance à l’action à laquelle elle se préparait ; et, voyant aussitôt mille larmes tomber de ses yeux :

 

— Qu’est ceci, ma fille ? continua-t-elle ; où est cette belle résolution que vous me témoigniez dans les commencements ? D’où vient qu’à l’heure que je vous demande le plus de générosité et de force, vous ne me montrez plus que de la faiblesse ?

 

— Pardonnez, Madame, lui repartit la jeune fille, pardonnez ces larmes aux derniers efforts d’une affection mourante ; mais ne croyez pas qu’elles marquent encore quelque reste d’attachement au monde, puisqu’au contraire je n’ai que des occasions de le haïr.

 

À ces mots, elle s’arrêta quelques moments pour essuyer ses yeux, puis elle reprit ainsi

 

— Madame, j’espère que si la Déesse m’a pour agréable, elle m’inspirera tout le courage nécessaire pour achever mon entreprise, et le seul scrupule qui me reste, c’est que le motif qui m’a amenée en ce lieu ne soit pas assez épuré, se trouvant mêlé de quelques considérations humaines. Car enfin, Madame, comme je vous l’ai déjà dit, je n’apporte pas à votre grande Déesse un coeur qui ait toujours été exempt de cette passion dont elle a été si ennemie. Celui que je lui offre n’est, à mon grand regret, que le reste malheureux d’une affection pleine d’infortune, et je crains que mon dessein n’ait été plutôt l’effet du mécontentement que j’en ai reçu, que celui d’un zèle religieux et d’une véritable dévotion.

 

— Ma fille, lui répliqua l’Ancienne, je loue votre scrupule, et j’avoue qu’il serait, de vrai, à souhaiter que notre seul amour pour les Dieux nous donnât à eux, sans qu’elle fût aidée par d’autres considérations, et que nous leur plairions bien plus si nous leur pouvions offrir un coeur qui n’eût jamais brûlé d’un autre feu, qu’en ne leur donnant que le reste d’une affection profane et mondaine. Mais encore que cette amour épurée ne se soit pas rencontrée en vous, il ne faut pas pour cela que vous vous rebutiez. Le service de notre bonne Déesse serait désert il y a longtemps, si l’on en éloignait toutes celles que de pareils motifs y ont amenées. Je vous dirai bien même davantage, pour votre consolation. Nous sommes ici soixante filles, et comme leur Ancienne, je sais par quels mouvements elles sont toutes venues ici ; mais sachez, ma chère enfant, que de tout ce grand nombre, il n’y en a quasi pas une qui n’y ait été conduite par quelque considération humaine. Les unes y ont été dévouées par l’avarice de leurs parents et pour la décharge de leurs familles ; les autres par quelque décadence arrivée dans leurs biens et dans leur fortune ; d’autres encore par vanité et par ambition, c’est-à-dire parce qu’elles n’avaient pas assez de bien pour soutenir leur naissance et le vol qu’elles avaient pris ; et plusieurs par le déplaisir du mauvais succès qu’elles ont eu dans leurs affections. Je pourrais vous en donner plusieurs exemples, mais je ne veux que celui de cette grande et jeune daphnide qui est la plus belle des quatre que vous avez vues dans le bois sacré. Elle avait été aimée six mois durant par un berger de cette vallée, avec tant de correspondance de part et d’autre qu’ils étaient enfin d’accord de leur mariage. Le jour propre qu’ils devaient épouser, une première maîtresse, qui jusqu’alors avait méprisé ce berger, le voyant près d’être marié à celle-ci, se ravisa, et, l’ayant envoyé quérir le matin, lui témoigna qu’elle était résolue de l’épouser s’il voulait abandonner la seconde. Comme cette première affection était la plus forte, ce berger, ou trop volage ou trop constant (car c’est ce qu’il est difficile de décider), accepta le parti, laissa là son autre maîtresse, qui l’attendit inutilement tout le jour, et qui, ayant su cette infidélité sur le soir, se vint rendre le lendemain parmi nous. Mais il ne vous faut pas imaginer que nous en soyons moins agréables aux Dieux ou aux Déesses auxquels nous nous consacrons, puisque ce sont ces mêmes Dieux qui nous inspirent ces dégoûts du monde pour nous attacher à eux. Il suffit qu’après cela nous nous donnions entièrement à leur service, que nous ne revenions point à nos anciennes faiblesses, et que nous ne partagions plus notre coeur entre le ciel et la terre.
(IV, 1, p. 53-54)

 

(2)

HORACE à Clarice.

Vous, épouser un cloître! O le plaisant caprice!
J’ai les yeux assez bons pour voir votre artifice.
Otez à vos refus ce voile spécieux;
Votre dévotion ne va pas jusqu’aux cieux.
La fille qui s’ajuste avecque tant de peine
Estime encor le monde et ne l’a pas en haine:
On ne se pare point quand on veut s’enfermer,
Et pour aimer le ciel il ne faut plus s’aimer.
Quand les faibles esprits de ces jeunes coquettes
Se sont embarrassés de quelques amourettes,
Et que leur fol espoir ne peut avoir de lieu,
Lors au défaut du monde elles songent à Dieu,
Et tournent leurs pensers devers des monastères :
Visible hypocrisie, et vrai piège des pères
Qui se laissent gagner pour retenir leurs pas,
Ou les perdent plutôt pour ne les perdre pas !
Mais moi, qui blanc de soins, d’expérience et d’âge,
Prétends en votre endroit paraître et père et sage,
Et qui, dedans le monde expert et consommé,
Sais quel saint est le bien et comme il est chômé,
J’entends vous voir ranger au choix que je désire.
(III, 2)

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