L’ambiguïté des oracles antiques, en particulier celui d’Apollon à Delphes, est un lieu commun, évoqué, entre autres, par
– François Rabelais dans Le Tiers Livre (1532) (1).
– La Mothe le Vayer, dans ses Petits traités (1659) (2).
– Pierre Le Moyne, dans son traité De l’histoire (1670) (3).
– François Bernier, dans l’Abrégé de la philosophie de Gassendi (1678): « De la Liberté, de la fortune, du destin et de la divination », « des oracles » (4).
Elle est condamnée par un des personnages du roman Tarsis et Zélie (1665) de Le Vayer de Boutigny (5).
Sur les subterfuges qui permettent de forger ces oracles, voir Les Amants magnifiques, IV, 3: « l’admirable ingénieur ».
(1)
J’ai lu qu’au temps passé plus véritables et sûrs oracles n’étaient ceux qui par écrit on baillait, ou par parole on proférait. Maintefois y ont fait erreur ceux, voire qui étaient estimés fins et ingénieux, tant à cause des amphibologies équivoques et obscurités des mots, que de la brièveté des sentences. Pourtant fut Apollon, Dieu de vaticination, surnommé Loxias.
(livre III, chapitre XIX, « Comment Panurge loue le conseil des muets », éd. 1659, p. 370)
(2)
Voilà plus d’exemples que je ne m’étais proposé de vous rapporter, de l’obscurité captieuse des Oracles, et des subtiles réponses d’un Dieu qui ne biaise pas tant dans son Zodiaque, qu’il ne faisait dans cette sorte de révélation des choses futures. Mais le nombre était bien plus grand de ses prophéties où l’on entendait rien du tout, et qui n’eurent jamais aucun succès, quelque fine interprétation qu’on leur peut donner.
(Edition des oeuvres de 1756, t. VII, 1, p. 184)
(3)
Je finis par ces Oracles, qui ne font ni si équivoques, ni si trompeurs que ceux de Delphes.
( p. 320)
(4)
Je remarque seulement quelques Chefs qui nous font voir la vanité de la chose. Le premier est cette affectation de rendre les Oracles en Vers, et non pas en prose. […] Le second Chef est cette Amphibologie, ou manière de dire les choses à double entente dans laquelle se rendaient les Oracles, ce qui marque et ressent une certaines finesse qui n’est poins plus qu’humaine.
(t. VIII, chap. III, 4, Livre III, p. 579-580).
(5)
Les bergères firent aussi tout ce qui leur fut possible pour tourner le sens de l’oracle à l’avantage et à la consolation de Tarsis ; il n’y avait que Philiste qui ne pouvait rien dire, tant elle était affligée elle-même de la perte de sa soeur et du peu d’espérance que les Dieux semblaient lui donner de la retrouver. Ergaste n’avait aussi voulu rien dire de sa pensée à cause des prêtres ; mais quand ils les eurent quittés :
Voulez-vous que je vous parle franchement ? leur dit-il ; voilà un oracle qui est comme tous les autres, c’est-à-dire un franc galimatias.
Ah ! parlons avec respect des choses saintes, répliqua Agamée.
Mais parlons-en aussi sans prévention, reprit Ergaste. Si vous voulez que nous nous en taisions, à la bonne heure ; mais si vous vous mêlez d’y raisonner, il faut donc les examiner par raison. Or y a-t-il de la raison à croire que les Dieux donnent si obscurément des conseils aux hommes ? Quiconque parle, le fait ou pour être entendu, et en ce cas c’est ignorance à lui de ne se pouvoir faire entendre, ou il parle pour n’être pas entendu, et en ce cas c’est ou malice ou folie. Or, ni l’ignorance, ni la malice, ni la folie ne se peuvent présumer dans les Dieux. Ce qui pourrait bien être, c’est de deux choses l’une : ou que les prêtres nous abusent, ou que les Dieux se moquent de nous. Aussi, de tous les oracles, y en a-t-il un seul qui ne puisse cadrer à toute sorte d’événements ? Je pourrais vous en dire mille exemples étrangers, mais il n’en faut que celui-ci : Cherche la mort, et tu la trouveras. Vraiment, voilà une merveilleuse prophétie ! Est-ce la mort ou Zélie que l’on trouvera ? Si c’est la mort, le grand miracle, qu’on la trouve en la cherchant ! Si c’est Zélie, il faudra bien aussi qu’on la rencontre en cherchant la mort, puisqu’elle doit tôt ou tard mourir et se trouver au commun rendez-vous de tous les hommes.
(éd. de 1720, p. 356 et suiv.)