La légitimité de cette garde que les époux font de leur femme (voir aussi L’Ecole des femmes : « je l’ai mise à l’écart » et Le Sicilien : « toutes les serrures et les verrous du monde ») avait été discutée dans un passage du cinquième livre de la Clélie (1660) (1), après voir été fermement contestée par un personnage féminin du Polyandre (1648) de Charles Sorel (2).
Elle avait fait récemment le sujet d’une pièce d’Agustin Moreto intitulée No puede ser el guardar una mujer (1659). A partir du v. 372 se déroule un long échange où est examinée la possiblité d’empêcher une femme de vivre des aventures amoureuses illégitimes.
Dans son essai III, 5 (« Sur des vers de Virgile »), Montaigne avait lui aussi mis en cause le bien-fondé de la surveillance des femmes à dessein de conserver leur chasteté (3)
(1)
– C’est pourtant une chose étrange, dit le prince, qu’un mari qui garde sa femme.
– C’en est une bien plus étrange encore encore, répondit Pasilie, que de voir un homme qui ferme volontairement les yeux pour ne voir pas que sa femme a plusieurs galants qui la suivent, qui lui écrivent, qui montrent ses lettres, qui se vantent de ses faveurs, et qui se moquent d’elle et de lui.
– Mais que faut-il qu’un honnête homme fasse, reprit Délise, quand il est assez malheureux pour avoir une femme qui n’a ni véritable vertu, ni conduite, car je ne compte pas pour vertueuses, ces femmes qui parce qu’elles ne sont pas tout à fait criminelles, ne font point de scrupule de commencer plusieurs galanteries, qui les exposent à la médisance, et qui les engagent à faire mille folies, qui les font mépriser par ceux même pour qui elles les font.[…] [Q]ue doit faire un pauvre mari qui a le malheur d’avoir une femme de cette humeur ?
– Si j’en suis cru, répliqua le prince, il se divertira de son côté le mieux qu’il pourra, et ne verra que ce qu’il voudra voir.
– Et si j’en suis crue, répliqua Pasile, un mari qui aura une femme de cette espèce, la flattera durant quelque temps, il essaiera de la gagner par la douceur, par la raison, et par l’adresse, il tâchera de lui donner des amies qui auront de la vertu, de faire qu’elle n’ait pas une esclave auprès d’elle qui ne soit vertueuse, de lui faire aimer des plaisirs innocents, et de faire du moins en sorte qu’elle le craigne, si elle ne le peut aimer. Et si tout cela est inutile, je consens qu’il agisse en maître, qu’il règle les visites qu’elle rend et qu’elle reçoit, et qu’il l’envoie même à la campagne. Car enfin je ne veux point qu’un mari endure paisiblement que sa femme soit coquette.
(Clélie, V, 2, p. 798)
(2)
Bref le mari que j’aurai se gardera, s’il lui plaît, d’avoir quelque ombrage de ceux à qui je parlerai et que je fréquenterai, car à quoi bon tous ces soupçons, puisque celles qui ne sont pas nées au mal n’en font jamais, et que si elles en veulent faire, toutes les précautions du monde ne les en sauraient empêcher.
(Seconde partie, p. 584-585)
(3)
Et puis quel fruit de cette penible solicitude? car, quelque justice qu’il y ait en cette passion, encores faudroit il voir si elle nous charrie utilement. Est-il quelqu’un qui les pense boucler par son industrie?
Pone seram, cohibe; sed quis custodiet ipsos Custodes?
Cauta est, et ab illis incipit uxor.
Quelle commodité ne leur est suffisante en un siecle si sçavant?
(Montaigne, essai III, 5)