Qu’ai-je de plus qu’eux tous

« Mais, moi, que vous blâmez de trop de jalousie,
Qu’ai-je de plus qu’eux tous, Madame, je vous prie ? »
Le Misanthrope, II, 1, v. 501-502

Plusieurs textes antérieurs au Misanthrope développent la siutation dans laquelle l’amoureux de la coquette en vient à formuler des exigences de transparence :

– l’ « Histoire de Méréonte et Dorinice », dans la Xe Partie du Grand Cyrus (1649-1653) des Scudéry (1)

– la Chrysolite ou le Secret des romans (1627) de Mareschal (2).

 

 


 

(1)

Le héros de l’ « Histoire de Méréonte et Dorinice », contenue dans la dixième partie du Grand Cyrus, aspire à ce que la coquette dont il est amoureux le « distingue » :

Ah, Madame, m’écriai-je, il n’est pas juste que vous soyez seule dans mon coeur, et que je sois dans le vôtre avec une si grande foule d’amis, que je ne sais comment vous pouvez régler leurs rangs ; du moins ai-je vu des cérémonies chez la reine, où il y avait plusieurs querelles, quoiqu’il n’y eût pas tant de gens à qui il fallût assigner les places qu’ils devaient occuper.
C’est pourquoi, Madame, il faut que je sorte de votre coeur, ou que tous les gens qui m’y pressent en sortent ; car je vous avoue que je ne puis plus y demeurer en repos. Aussi bien, Madame (ajoutai-je sans lui donner loisir de me répondre) y a-t-il beaucoup d’injustice de me confondre avec eux, car je ne suis point de leur rang, et je ne pense rien de ce qu’ils pensent. En effet, bien loin de vous entretenir de mon ambition, je vous déclare que je n’en ai point d’autre que d’être aimé de vous ; que bien loin de vous conter mes intrigues, je vous assure que je n’en veux jamais avoir si vous n’en êtes ; que bien loin de vous entretenir de mes malheurs domestiques, je ne veux vous dire que ceux que vous me causez ; que bien loin de vous divertir par des malices enjouées, je ne veux que vous faire des plaintes des maux que je souffre ; que bien loin d’être de ces oisifs qui n’ont rien à dire qui les regarde, je ne veux vous parler que de ce qui me touche ; et que bien loin enfin de vous raconter l’amour que j’ai pour les autres, je ne veux vous entretenir que de celle que j’ai pour vous.
Après cela, Madame, ajoutai-je, jugez, s’il vous plaît, s’il y a de l’équité que vous me confondiez avec tant de gens à qui je ne ressemble point ?
( p. 7249-7250)

 

Il en vient même à demander une « marque singulière » :

Mais Madame, lui dis-je alors, quelle marque singulière aurai-je donc de votre affection ? car puisque vous n’avez nul attachement particulier dans l’âme, vous n’avez nuls secrets importants que vous me puissiez confier ; et quand vous en auriez, je ne serais pas le seul à qui vous feriez peut-être la grâce de les raconter. Ainsi Madame, je ne vois pas comment vous concevez qu’il soit possible qu’un homme qui vous aime, et qui vous aime avec une passion infiniment tendre, puisse se contenter d’être votre premier ami ; et je pense même que j’aimerais mieux que vous me missiez au dernier rang de vos amants que de me mettre au premier rang de vos amis.
( p. 7260)

 

(2)

Dans la Chrysolite ou le Secret des romans (1627) de Mareschal, la coquette invite deux de ses soupirants à se contenter des faveurs exclusives dont ils bénéficient :

Après cela il fallait tout endurer d’elle, et elle ne voulait rien souffrir de personne ; elle avait été jalouse de Clytiman jusqu’à l’outrage, et lui ne l’ osait être d’ elle, ou pour le moins s’ en plaindre, quoi qu’elle lui en donnât tous les jours mille sujets ; ou bien s’il s’en plaignait ; ne vous souvenez-vous pas, lui disait-elle, que je ne vous ai aimé qu’à condition que vous me laisseriez la liberté de mon humeur ? Ne devez-vous pas être satisfait, de savoir parmi tous ceux qui me voient, que je n’ai des yeux que pour vous, et ne puis rien faire contre vous, quelque chose que je fasse pour eux ? Il fallait que Clytiman goûtât ces raisons, à faute de meilleures, et qu’il confessât qu’ elle faisait bien, encore qu’il ne fît pas mal ; qu’il lui dit qu’elle avait raison, quoi que lui-même n’eût pas tort […].
(p. 111)

 

Il était assuré que Chrysolite n’avait eu aucun dessein qu’ à suivre sa fantaisie en captivant Felismon, qu’elle l’avait fait sans aucune prévoyance, et avait eu encore moins de volonté de rompre avec lui : mais comme elle l’en avait averti du commencement qu’ils entrèrent assez avant en amour, il lui était impossible de s’empêcher de faire caresses à un chacun, quoi que plusieurs l’aimassent, et qu’elle les reçut en apparence, qu’en effet elle n’en aimerait point d’ autre que lui ; et même elle avait eu l’assurance de le prier de la souffrir en cette humeur, et de supporter ce joug qui ne serait point fâcheux, puisque parmi tout cela il serait assuré qu’il était aimé.
(p. 87)

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