Pour louer ses vers, je suis son serviteur

« Je louerai, si l’on veut, son train, et sa dépense,
Son adresse, à cheval, aux armes, à la danse ;
Mais, pour louer ses vers, je suis son serviteur. »
Le Misanthrope, IV, 1, v. 1149-1151

L’obstination d’Alceste évoque la résistance courageuse de Philoxène, dont le récit figure dans Diodore de Sicile (1)

 

L’anecdote est mentionnée

– dans le « petit traité » « Des poètes » (Derniers Petits Traités, 1660) de La Mothe le Vayer (2)
– dans les Nouvelles Oeuvres (1672) de l’auteur mondain René Le Pays (3)

 

 


 

(1)

En Sicile le tyran Denys délivré des Carthaginois jouissait d’un grand repos et d’un grand loisir. Il se remit à faire des vers et il y apportait beaucoup de soin et de travail. Il assemblait dans son palais tous ceux qui avaient de la réputation en ce genre et il se soumettait à leur jugement et à leurs avis. Enflé des louanges que ses présents ne manquaient point de lui attirer de leur part, il mettait la gloire de son talent poétique bien au-dessus de celle que ses exploits guerriers lui avaient acquise. Entre les poètes admis dans sa familiarité, Philoxène homme célèbre dans le genre dithyrambique, ayant entendu la lecture qu’on venait de faire en pleine table d’un mauvais poème de Denys, le tyran lui en demanda son jugement. Philoxène le lui ayant dit avec un peu trop de sincérité, Denys irrité de sa réponse lui reprocha qu’il n’en parlait ainsi que par jalousie et donna ordre sur le champ à ses officiers de mener Philoxène aux Carrières. Dès le lendemain les amis du poète obtinrent sa grâce et il lui fut même permis de se présenter à la table du tyran. comme la veille. Quand le vin eut un peu animé la conversation, Denys exaltant toujours ses vers récita un morceau dans lequel il croyait avoir particulièrement réussi. Après quoi il demanda à Philoxène comment il le trouvait. Celui-ci ne lui répondit rien : mais regardant les officiers qui servaient à table, il leur dit, remmenez-moi aux Carrières.
(XV, 6)

 

(2)

Philoxène ne put jamais approuver la mauvaise veine de ce Roi de Syracuse, qui lui demandait son avis d’une élégie plaintive, et d’une description de quelque grande calamité ; il lui répondit avec équivoque que la première était véritablement très pitoyable, et qu’à l’égard de l’autre, son expression de tant de misères était sans doute fort misérable.
(éd. des Oeuvres de 1756, VII, 2, p. 196)

 

(3)

Chacun sait que Denys le Tyran était un méchant homme, mais chacun ne sait pas qu’il était aussi un méchant poète et que sa tyrannie allait jusqu’à tyranniser les gens par la lecture de ses vers qu’il fallait louer absolument, ou s’exposer à toute sa cruauté. Cependant Philoxène ne voulut jamais forcer son esprit jusqu’à les approuver. Il disait qu’à la vérité les vers de Denys étaient très misérables et ne voulut jamais les louer autrement, quoique Denys l’en sollicitât, quoiqu’il le menaçât de le faire punir.

 

C’est en vain, lui dit-il, que tu veux entreprendre
De me faire approuver tes vers faits de travers;
Tu pourras bien me faire pendre,
Mais tu ne pourras pas me faire aimer tes vers.
(éd. A. de Bersaucourt, Paris, Bossard, 1925, p. 138)

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