L’émétique est fréquemment mentionné dans des textes de la première moitié des années 1660 :
– dans La Muse historique de Loret (1)
– dans la correspondance de Guy Patin, où ses effets mortifères sont régulièrement dénoncés (2)
– dans un texte manuscrit des portefeuilles Vallant, recueillant l’opinion de la marquise de Sablé (1598-1678) sur la médecine (« Discours de Madame contre les médecins ») (3).
Il avait déjà fait l’objet de plaisanteries dans Le Virgile travesti (1648) de Paul Scarron (4).
Les comédiens du Théâtre italien l’évoqueront dans un jeu de scène du spectacle Le Théâtre sans comédie (1668) (5).
(1)
Le vin émétique est mentionné en ces termes par Loret dans sa Lettre XXXIX, du samedi 1er octobre 1661, « Contradictoire » :
Monsieur le Marquis de Soycour,
Noble Courtisan de la Cour,
Est, dans son propre domicile,
Malade en cette grande Ville,
Et, pour ne vous en mentir pas,
A couru risque de trépas :
Mais ayant pris de l’Emétique,
(Vrai remède Tragi-comique)
Son mal s’est senti soulager,
Et n’est plus, dit-on, en danger,
Dont sa belle et sage Marquise,
Dame honorable et bien apprise,
Est réjouie, au dernier point ;
Et moi je dis qu’il ne faut point
Que la Mort si tôt nous dérobe
Un Grand Maître de Garde-robe,
Que j’aime, j’en jure ma foi,
Et qui sert, comme il fait, le Roi.
(2)
Depuis fort peu de temps, et en moins d’un mois, le vin émétique donné de la main de M. Guénaut a tué ici quatre personnes illustres […] Guénaut en est fort blâmé par tout Paris et en a reçu des reproches et des rebuffades à la cour : il est malaisé d’être longtemps bon marchand de mauvaise marchandise.
(Lettre du 4 mai 1663, éd. J. H. Reveillé-Parise, 1846, t. III, p. 433)
M. de Longueville est mort à Rouen, ex duplici quidem febre tertiana, et duabus dosibus vini antimonialis emetici, verius enetici, cum tot homines enecet. Notre M. Brayer, qui y avait été envoyé, lui en a fait prendre malgré le refus et les plaintes des trois médecins de Rouen, qui étaient d’avis contraire. Ce n’est pas qu’il sache fort bien que le vin émétique est un dangereux remède et un pernicieux poison; mais il y en ordonne quelquefois comme cela à cause de Guénaut, qui est son ami, et duquel il espère être avancé à la cour.
(Lettre du 18 mai 1663, ibid., p. 437)
La reine-mère a pris du vin émétique, ex quo longe pejus habuit, et même le médecin de cour m’a dit aujourd’hui, ce 24 juin, que son accès fut encore hier de douze heures. Plures sibi metuunt a sinistro eventu; je crois néanmoins que Guénaut espère qu’elle guérira, de peur de décrier sa marchandise empoisonnée, mais il se gardera bien d’en prendre.
(Lettre du 19 juin 1663, ibid., p. 440)
Je ne sais rien de nouveau de l’Hippocrate de M. van der Linden. Cet auteur est mort à Leyden, âgé de cinquante-trois ans, d’une fièvre avec fluxion sur la poitrine après avoir pris de l’antimoine, et sans s’être fait saigner. Quelle pitié ! faire tant de livres, savoir tant de latin et de grec, et se laisser mourir de la fièvre et d’un catarrhe suffoquant sans se faire saigner !
(Lettre du 8 avril 1664, ibid., p. 462)
Je vis ici, vendredi dernier, en consulte, une femme mordue d’un chien enragé, âgée de trente-cinq ans. Les parents, ayant entendu notre pronostic, qui ne promettait rien de bon, furent chercher le chevalier de Saint-Hubert, qui y vint, mais qui n’avança rien. On leur amena un charlatan, qui lui fit avaler du vin émétique, et après lui donna une pilule, dont elle mourut trois heures après. […] Les charlatans tuent plus de monde que les bons médecins n’en guérissent.
(Lettre du 6 mai 1664, ibid., p. 470)
Nous avons ici un de nos médecins […] qui donne tant de vin émétique dans Paris, per fas et nefas, qu’on lui en a donné le surnom. On dit qu’il le fait pour gagner les bonnes grâces des apothicaires et pour plaire à Guénaut. Il est un de ceux qui en ordonnent le plus, mais il n’en prend jamais.
(Lettre du 6 mai 1664, ibid., p. 474)
M. de Guise est ici mort, ex urinae suppressione cum doloribus et ulceribus ad vesicam, et trois verres de vin émétique, que les médecins courtisans lui ont donnés avec promesse de guérison : sic itur ad astra.
(Lettre du 6 juin 1664, p. 475)
Nous avons ici un honnête homme bien affligé; c’est M. de La Mothe le Vayer, célèbre écrivain, et ci-devant précepteur de M. le duc d’Orléans, âgé de septante-huit ans. Il avait un fils unique d’environ trente-cinq ans, qui est tombé malade d’une fièvre continue, à qui MM. Esprit, Brayer et Bodineau ont donné trois fois le vin émétique et l’ont envoyé au pays d’où personne ne revient.
(Lettre du 26 septembre 1664, ibid., p. 484)
La santé de la reine n’est point encore assurée; l’on murmure du vin émétique; peut-être que les empiriques de la cour et les rabbins de Tartulien en font courir le bruit pour tâcher de donner quelque vogue à leur poison qui a tué tant de monde.
(Lettre du 16 décembre 1664, ibid., p. 498)
M. de Lamoignon, fils aîné de M. le premier président, me fit l’honneur hier, ce 15 mars, que vous m’avez fait autrefois de votre grâce; il me vint hier entendre au Collège royal, accompagné de deux conseillers de la cour; […] Il m’a dit qu’il m’aimait cent fois plus depuis ce temps-là, et après à cause de M. et de madame la présidente de Nesmond, dont il était le neveu; car je parlai modestement contre le vin émétique et le quinquina, dont ils étaient morts.
(Lettre du 20 mars 1665, ibid., p. 518)
Ces Messieurs m’ont quelquefois demandé pourquoi je ne voulais point me servir de ce vin émétique, qui est un si bon remède. A quoi j’ai souvent répondu que je ne mettais point la vie des malades dans des risques si dangereux.
(Lettre du 18 juin 1666, ibid., p. 601)
Nous avons aussi perdu M. d’Aubrai, lieutenant civil. […] On n’a pas bien connu sa maladie, et de plus un charlatan lui a donné deux prises de vin émétique avec lesquelles il a bientôt passé au pays d’où personne ne revient.
(Lettre du 21 septembre 1666, ibid., p. 614)
(3)
Pour ce qui est de l’antimoine, ce remède est venu à la mode comme les robes, les jupes, les collets et les gants. Et pour en rendre l’usage plus fréquent, dès qu’un malade qui a la fièvre rêve le moins du monde, les médecins ne manquent pas à dire que c’est un transport qui se fait au cerveau, afin que cela leur serve de prétexte pour lui faire prendre leur émétique ou saigner du pied […] les médecins modernes ayant cru se rendre recommandables par cette nouveauté, que l’on ignorait auparavant et on commence à en user aussi librement que si c’était de l’eau de rivière […] A cette heure on en donne en toutes rencontres. On a vu par ce remède des estomacs et des boyaux tout fondus et tous dissous, et noirs comme de l’encre. Encore qu’on aime bien sa vie, on ne guérit point de l’abus qui s’y fait.
(N. Ivanoff, La Marquise de Sablé et son salon, 1927, p. 118-119)
(4)
Mais à propos, de l’émétique,
Car il est, dit-on, mirifique,
Et ressusciterait un mort.
(Le Virgile travesti en vers burlesques, 1648, Livre IV, éd. de 1858, p. 163)
Il est vrai que maître Esculape,
A qui l’on croit autant qu’au pape,
Parmi les doctes assassins
Que nous appelons médecins,
Lui donna du vin émétique:
Le remède fut énergique
Et son homme ressuscita.
(Livre VII, p. 280)
(5)
Le Docteur dit que l’accès de fièvre est violent, mais qu’il le guérira avec du vin émétique; il lui en apporte plein un gobelet, le lui fait boire et s’en va ; je reste avec Scaramouche, qui se trouve très mal et que je couche par terre. […] les amoureux surviennent, je leur dis qu’avec du vin émétique le Docteur a tué Scaramouche; Octave, furieux, m’ordonne d’aller rompre tous les vases et fourneaux dont il se sert pour exercer sa chimie
(éd. D. Gambelli, Arlecchino a Parigi. Lo scenario di Domenico Biancolelli, Rome, Bulzoni, 1993, t. II, p. 441)
Cette péripétie est décrite par le gazetier Robinet dans sa Lettre en vers du 7 juillet 1668 :
Ah ! que j’aime le testament
Que dit l’Arlequin malade,
Cet acteur qui n’a rien de fade,
Et son grotesque plaidoyer,
Où nous l’entendons foudroyer
Le Docteur qui, par l’émétique,
A fait faire une fin tragique
À Scaramouche, qui, mourant
Et sur le théâtre expirant,
Fait aussi rire à gorge pleine !