Un conflit de valeurs identique opposait deux personnages d’une scène de L’Ecolier de Salamanque (1655) de Paul Scarron :
DOM FELIX
[…]
Il t’a sauvé la vie, il s’en est fait honneur :
Mais il ravit le tien, l’insolent suborneur.
Vengeons, vengeons, mon fils, vengeons notre infamie.
DOM PEDRE
Mon père, je lui dois ma parole, et ma vie.
Vous me l’avez donnée ; il me l’a pu ravir.
Chez lui contre moi seul, il a pu se servir
De sa rare valeur à ma perte animée,
Par le sang répandu d’une personne aimée :
Il a pu se servir de valets contre moi,
Et vous étiez sans fils, s’il eût été sans foi.
DOM FELIX
Préfère une parole à la hâte donnée,
A ta gloire flétrie, à ta soeur subornée.
Va, va, sauve la vie à ton conservateur.
[…]
Enfin donc, fils sans coeur, à quoi te résous-tu ?
DON PEDRE
A croire mon honneur, à croire ma vertu,
A garder ma parole, à venger mon offense.
DOM FELIX
Tu mets donc l’une et l’autre en égale balance?
Tu lui fais perdre un frère, il suborne ta soeur ;
L’un, est un déplaisir, l’autre, est un déshonneur ;
L’un ne veut qu’un combat, l’autre veut une vie ;
L’un fait porter le deuil, et l’autre l’infamie.
Vois, vois, comme je sais me venger, et sans toi.
(III, 5, p. 48-49)
L’argument qu’invoque Don Alonse fait écho à celui qu’avait avancé le jésuite Lessius, cité par Pascal dans sa « Septième provinciale » :
L’honneur est plus cher que la vie. Or, on peut tuer pour défendre sa vie. Donc on peut tuer pour défendre son honneur.
( p. 8) (source : indication aimablement fournie par F. Rey)
La dénonciation de Lessius sera reprise dans La Morale des Jésuites, extraite fidèlement de leurs livres (1669) :
Le péril de perdre l’honneur est égal à celui de perdre la vie. Or il est permis de tuer pour éviter le péril de perdre la vie ; et par conséquent aussi pour éviter le péril de perdre l’honneur. Parce que, comme il a dit peu auparavant, les hommes estiment à bon droit l’honneur plus que le bien et l’argent ; et par conséquent si on peut tuer, comme il le dira ci-après, de peur de perdre son argent, on le peut aussi de peur de recevoir un affront.
( p. 312)