Les louanges qui lui ont été données

« Madame, je viens un peu tard; mais il m’a fallu lire ma pièce chez Madame la Marquise, dont je vous avais parlé ; et les louanges qui lui ont été données m’ont retenu une heure plus que je ne croyais.
– C’est un grand charme que les louanges pour arrêter un auteur. »
La Critique de L’Ecole des femmes, sc. VI

Un récit d’auteur semblable avait été ébauché au troisième tome des Nouvelles nouvelles de Donneau de Visé (1).

 

La pratique des auteur qui consiste à lire leurs textes en public (voir « lire ma pièce ») pour recueillir des louanges est stigmatisée par La Mothe le Vayer dans un texte intitulé « Du bon et du mauvais usage des récitations » (Opuscules et Petits Traités, 1647) (2).

 

Selon le P. Bouhours (3), une telle pratique et la soif de louanges qui l’accompagne seraient contraires à l’attitude du véritable bel esprit .

 

La Mothe le Vayer formule en outre à plusieurs reprises des réserves sur la fiabilité de ce types de louanges obligées. C’est le cas dans les textes suivants :

– « D’un mauvais déclamateur » (Nouvelle Suite des Petits Traités, 1659) (4)
– « Des louanges » (Homélies académiques, 1664) (5)
– « De la chicane et des louanges » Nouveaux Petits Traités, 1659) (6).

 

 


 

(1)

Ce crédule nouvelliste, ou plutôt cet admirateur d’une pièce dont il n’avait encore vu que trente vers, ne fut pas plus tôt sorti de chez moi qu’il y entra un homme qui n’était pas moins incommode. C’était un de ces auteurs qui font peu de choses, mais qui se louent toujours et qui étourdissent sans cesse de leurs louanges ceux avec qui ils sont. […] – Je viens de la cour, où je l’ai récité. Tout le monde l’a trouvé admirable. On m’en a demandé des copies et l’on m’a pressé de le faire imprimer.
( t. III, p. 206-208)

 

(2)

Puisque vous voulez que je vous dise librement ce que je pense de ces assemblées, où tant de personnes d’honneur et de mérite se trouvent, pour ouïr réciter quelque pièce qui n’a point encore vu le jour, je vous en parlerai avec la même franchise dont j’ai accoutumé de vous parler.
A considérer généralement cette façon de réciter une composition nouvelle, je ne vois nul sujet sur lequel on la puisse blâmer aujourd’hui, puisque nous savons qu’elle était en si grand usage dès le temps des Anciens […].
Mais comme les mêmes Romains et les Grecs encore n’ont pas laissé nonobstant cela de remarquer beaucoup d’abus […] à les considérer selon qu’assez de personnes les pratiquent aujourd’hui, et dans la fin que plusieurs s’y proposent, on ne saurait trop les condamner.
[Il y a]un […] abus dont se sont plaint les Anciens, et que je pense qu’on peut encore reprocher aujourd’hui à la plupart de ceux qui récitent leurs ouvrages. C’est d’avoir trop fait état des louanges qu’on leur donnait dans ces récitations, ce qui a causé et causera toujours un véritable préjudice à la véritable éloquence.[…] Car comme ces assemblées où l’on récite sont composées ne sont guère composées que de personnes qui veulent obliger celui qui parlent, il se voit presque toujours qu’on y rend à tous indifféremment les mêmes louanges qui ne sont dues qu’aux hommes de plus haut mérite. […] Et je ne doute point qu’on pratique tous les jours dans ces lieux de lecture ou de récit ce que Pline blâmait aux causes Centumvirales de son temps, où les moindres déclamateurs recevaient ordinairement les plus grand applaudissements. […] En effet on n’est guère appelé en de semblables réduits que pour y apporter son approbation, et celui-là n’eut pas mauvaise grâce de se plaindre qu’on l’avait surpris de l’avoir mené ouir quelque poésie sans l’en avertir, parce qu’il n’avait point préparé de louange pour l’auteur. car il se trouve assez de personnes de l’humeur de ce sophiste Aristide, qui ne pouvait empêcher, à ce que dit Philostrate, de faire paraître sa colère contre ceux qui l’écoutaient sans le gratifier de quelque trait de louange exquise.
[…] D’où je conclus qu’on doit bien prendre garde sur tout de ne s’assurer jamais de la valeur d’une pièce prononcée dans une ruelle de lit, ou dans un cabinet d’ami, sur les louanges suspectes qui s’y distribuent, ni sur les applaudissements de quelques personnes, qui ne sauraient pour lors, quand ils en auraient le dessein, remarquer suffisamment tout ce qu’elle a de bon ou de blâmable. Car j’ai toujours souffert avec impatience l’humeur de ceux qui ne pouvaient permettre qu’on trouvât à dire la moindre chose en leurs ouvrages, sur ce mauvais prétexte qu’ils les avaient fait voir en fort bonne compagnie. Il eût bien mieux valu qu’ils les eussent communiqués séparément à deux ou trois personnes de fidélité et de capacité reconnues.
(« De l’usage des récitations », dans Oeuvres, éd. de 1756, II, 2, p. 69)

 

(3)

Il est d’une autre sorte d’esprits, continua Eugène, qui sont moins mystérieux, mais qui ne sont pas moins entêtés de leur mérite. Ils n’ont pas plutôt fait une bagatelle, qu’ils en régalent tout le monde. Ils sont toujours prêts à réciter leurs madrigaux et leurs odes, pour s’attirer un peu de louange ; ils se louent sans façon, et se donnent de l’encens les premiers. Cependant les vrais beaux esprits sont de l’humeur des vrais braves, qui ne parlent jamais de ce qu’ils ont fait. Ils fuient les applaudissements populaires, et bien loin de se produire mal à propos, ils se cachent autant qu’ils peuvent.[…] Un bel esprit doit, à mon avis, garder le tempérament de la Sophonisbe du Tasse, qui était également belle et modeste.
Non coprì sue bellezze, e non l’espose.
Il ne faut pas qu’il fasse toujours mystère de ses ouvrages ; mais il ne faut pas aussi qu’il les montre partout : il ne doit ni se cacher par affectation, ni se produire par vanité.
(Entretiens d’Ariste et d’Eugène, 1671, p. 206-207)

 

(4)

On ne doit jamais déferer au jugement de gens venus pour applaudir et qui, quand ils le voudraient, ne peuvent prononcer sainement de la beauté ni de la bonté d’un discours […]
(La Mothe le Vayer, « D’un mauvais déclamateur », dans Oeuvres, VI, 2, p. 285)

 

(5)

Il n’y a point de discours qui soit plus volontiers entendu que celui des louanges […] Sénèque, le plus austère des philosophes moraux, a prononcé que ceux mêmes qui les rejettent en sont agréablement touchés et les reçoivent à la fin avec complaisance.
(Sixième homélie académique, « Des louanges » dans Oeuvres, éd. de 1756, III, 2, p.70-71)

 

(6)

[D]isons un mot de cette ridicule façon de s’entrelouer qu’ont ceux que vous dites si bien, qui s’admirent avec raison les uns les autres […] puisque c’est le propre de l’ignorance d’engendrer l’admiration.
Ma première maxime a toujours été sur cette matrice de m’abstenir autant que je pourrais des louanges, qui semblent en exiger d’autres, quand elles se donnent aux personnes vivantes. […] [L]’humeur ambitieuse de la plupart n’est jamais contente, si l’on ne leur donne de ce Grand, et de ce Divin, que nous voyons tous les jours si indignement profanés en de semblables occasions.
(« De la chicane et des louanges », Ibid., VII, 1, p. 220-221)

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