Le Nouveau Festin de pierre

Table des matières

ROSIMOND, Le Nouveau Festin de pierre ou l’Athée foudroyé, Paris, Pierre Bienfait, 1670

Ce texte constitue la version imprimée de la comédie jouée au Théâtre du Marais au cours de l’année 1669 et qui s’inspire en partie de Don Juan ou le Festin de pierre de Molière.

 

 

LE NOUVEAU FESTIN DE PIERRE,
OU
L’ATHÉE FOUDROYÉ.

 

TRAGI-COMÉDIE.

 

Du Sieur ROSIMOND, Comédien du Roi.

 

Représenté sur le Théâtre Royal du Marais

 

A PARIS,
Chez PIERRE BIENFAIT, Libraire Juré, dans la Cour du Palais, à l’Image S. Pierre, proche l’Hôtel de M. le Premier President.

 

M. DC. LXX.

 

AVEC PRIVILEGE DU ROI.

 

 

PERSONNAGES

 

DOM JUAN.
CARRILLE, Valet de Dom Juan.
DOM LOPE, Débauché, ami de Dom Juan.
DOM FELIX, Débauché, ami de Dom Juan
LEONORE, Demoiselle de Séville.
ORMIN, Hôte d’un Bourg.
PAQUETTE, Fille d’Ormin.
THOMASSE, Fille d’Ormin.
Le PREVOT.
ARCHERS.
L’OMBRE de Dom Pierre.
THOMAS, Paysan.
ROLLIN, Paysan.
AMARILLE, Fille de Thomas.
DEUX VOIX.

 

La scène est à Séville et dans quelques lieux proches de la Ville.

 

AU LECTEUR.

 

Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on t’a présenté ce sujet. Les comédiens italiens l’ont apporté en France, et il a fait tant de bruit chez eux que toutes les troupes en ont voulu régaler le public. Monsieur de Villiers l’a traité pour l’Hôtel de Bourgogne, et Monsieur de Molière l’a fait voir depuis peu avec des beautés toutes particulières. Après une touche si considérable, tu t’étonneras que je me sois exposé à y mettre la main ; mais apprends que je me connais trop pour m’être flatté d’en faire quelque chose d’excellent, et que la troupe dont j’ai l’honneur d’être étant la seule qui ne l’a point représenté à Paris, j’ai cru qu’y joignant ces superbes ornements de théâtre qu’on voit d’ordinaire chez nous, elle pourrait profiter du bonheur qu’un sujet si fameux a toujours eu. Tu t’étonneras encore des fautes qui sont dans cet ouvrage, mais excuse une première pièce, et sache qu’il est impossible de mettre celle-ci dans les règles, que même j’ai donné deux amis débauchés à Dom Juan pour remplir davantage la scène, que mon dessein n’a été que de te divertir, et que pour ta satisfaction je tâcherai d’en faire une autre qui réparera tous ses défauts. Fais-moi la grâce cependant de ne point confondre ce Festin de Pierre avec un que tu as pu ou pourras voir sous le nom de Monsieur Dorimond ; nos deux noms ont assez de rapports pour t’empêcher de lire celui-ci, croyant que c’est le même, et quoique le sien soit infiniment meilleur, ne me refuse pas un quart d’heure de ton temps. Adieu.

 

 

ACTE I

 

SCENE I

 

CARRILLE, LEONOR.

 

CARRILLE Oui, l’affaire est conclue, et moi-même j’enrage
Qu’il me veut malgré moi forcer à ce voyage.

 

LEONOR Quoi ! Dom Juan ainsi me manquerait de foi ?

 

CARILLE Oui.

 

LEONOR Mais quoi, les serments l’attachaient tout à moi.

 

CARRILLE Ses serments ! si c’est là que votre espoir s’arrête,
Madame, votre Hymen n’est pas encore chose prête,
Il en prodigue assez, mais il n’en tient jamais.

 

LEONOR Tu le dis, mais…

 

CARRILLE Je sais un peu trop de ses faits.
Vous n’êtes pas la seule à qui même aventure
A mis honneur et biens en mauvaise posture,
Il prend de tous cotés ce qu’il peut attraper
Et sans scrupule aucun fait gloire de tromper ;
Tout pour son appétit est d’un égal usage,
Il met impunément belle ou laide au pillage,
Et soul de leur honneur, il cherche en d’autres lieux
S’il pourra rencontrer qui le contente mieux.
En peu de mots voilà son portrait véritable,
Jugez de quoi mon maître envers vous est capable.

 

LEONOR Qui l’eût pu croire, hélas ?

 

CARRILLE Il fallait s’en douter.
Peste, que votre sexe est facile à tenter !
Il ne faut pas toujours croire les apparences,
Et l’on doit mûrement prévoir les conséquences,
C’est trop facilement se laisser enflammer.

 

LEONOR Hélas ! que tu sais peu ce que c’est que d’aimer ;
À voir mille transports d’une flamme assidue,
Quelle fierté, dis-moi, ne se serait rendue ?
Il est bien mal aisé dans ces empressements
Qu’un coeur n’ait tôt ou tard de tendres sentiments,
Et l’amour qu’on nous montre, en paraissant extrême,
Fait que sans raisonner on y répond de même :
Quelque doute qu’on ait de sa sincérité,
L’amour malgré la crainte est toujours écouté,
Et comme les soupçons semblent lui faire injure,
On le flatte aisément d’une ardeur toute pure.

 

CARILLE Et c’est ce qui vous perd. En matière d’amour
Il faut que la raison vous gouverne à son tour.
Tant d’infidélités, dans le siècle où nous sommes,
Ne déclarent que trop quelle est l’humeur des hommes ;
Car pour un qui dit vrai, mille autres plus trompeurs
Volent impunément les dernières faveurs.
Pour peu que votre sexe écoute leurs promesses,
Ils savent profiter de toutes vos faiblesses,
Et faisant grand fracas de leur fidélité,
Surprennent aisément votre crédulité.
Et puisqu’il faut ici vous faire tout connaître,
Pour ne vous rien celer de l’humeur de mon maître,
C’est qu’il est mille fois plus perfide qu’eux tous.

 

LEONOR L’ingrat me promettait qu’il serait mon époux.

 

CARRILLE Mon maître épouserait ma foi toute la terre.

 

LEONOR Mais quoi ! ne craint-il pas les éclats du tonnerre,
Et qu’il ne soit puni de son manque de foi ?

 

CARRILLE Vous le connaissez mal, il n’a ni foi ni loi,
Madame, et n’admet point de dieux que son caprice,
Et sans cesse du Ciel il brave la justice.

 

LEONOR Tel qu’il soit, je prétends aujourd’hui lui parler ;
Son ardeur envers moi pourra se réveiller,
L’amour produit souvent des retours dans une âme.

 

CARRILLE Vous ferez un grand coup s’il y consent, Madame.

 

LEONOR J’en veux être assurée, et s’il me quitte enfin,
Pour laver cet affront j’ai le remède en main,
Ma mort en éteindra la funeste mémoire.

 

CARRILLE Toujours sur cet article il ne faut pas s’en croire :
Quoique l’honneur soit cher, vivre est encore plus doux,
Et loin de vous pleurer, on se rirait de vous.
N’affectez point ici la vertu de Lucrèce ;
Je sais que ce malheur cause de la tristesse,
Mais en pareil sujet on n’agit pas fort bien
Si l’on ne veut s’en taire et n’en témoigner rien.
Mais puisque vous voulez en être plus certaine,
Mettez-vous, s’il vous plaît, dans la chambre prochaine :
Mon maître doit venir dans un moment ici,
Et je vais lui parler de vous ; mais le voici.

 

 

SCENE II

DOM JUAN, CARRILLE.

 

DOM JUAN Ah, Carrille ! sais-tu ce que je viens de faire ?

 

CARRILLE Quelque malheur nouveau ?

 

DOM JUAN Coquin.

 

CARRILLE C’est l’ordinaire.
Depuis que je vous sers, je ne vois pas un jour
Qui se passe, Monsieur, sans crime et sans amour.

 

DOM JUAN Quels crimes ai-je fait ?

 

CARRILLE Faire mourir son père,
Ce n’est rien ?

 

DOM JUAN Son humeur était par trop sévère,
Carrille, et pour son bien j’ai dû m’en dépêcher.
Qui ne se fût lassé de l’entendre prêcher ?
Contre mes moeurs sans cesse il armait sa censure,
Sans cesse il me chantait quelque nouvelle injure,
Et… mais n’en parlons plus, sache donc qu’aujourd’hui…

 

CARRILLE Et Dom Pierre, Monsieur, assassiné chez lui ?
Ce Commandeur fameux qui gouvernait Séville,
Et que pour ses vertus on pleure dans la ville,
N’est-ce donc rien, Monsieur ?

 

DOM JUAN J’en demeure d’accord,
Mais de sa main aussi j’aurais reçu la mort ;
Les beaux yeux de sa fille à mes yeux surent plaire,
Et pour en mieux jouir il fallait s’en défaire ;
L’obstacle était trop grand pour en venir à bout,
Et pour l’objet aimé l’amant hasarde tout.

 

CARRILLE Et de tous les côtés des filles abusées,
Dont les familles sont partout scandalisées ?
Bon, ce sont des chansons ; quels crimes a-t-il fait ?
Monsieur, au grand galop vous courez au gibet,
Et…

 

DOM JUAN Quoi ! toujours parler, et sans vouloir m’entendre ?
Sans craindre mon courroux oses-tu me reprendre ?
Hé ! que t’importe-t-il si je fais bien ou mal ?
L’un ou l’autre pour toi n’est-il pas [bien] égal ?
Laisse-moi suivre en tout cette ardeur qui m’anime ;
J’obéis à mes sens, il est vrai, mais quel crime ?
La nature m’en fait une nécessité,
Et notre corps n’agit que par sa volonté.
C’est par les appétits qu’inspirent les caprices,
Qu’on court différemment aux vertus comme aux vices.
Pour moi, qui de l’amour fais mes plus chers plaisirs,
J’ose tout ce qui peut contenter mes désirs,
Je n’examine point si j’ai droit de le faire,
Tout est utile pour moi quand l’objet me peut plaire,
Et ne prenant des lois que de ma passion,
J’attache tous mes soins à sa possession.

 

CARRILLE. Et sur le fondement de ces noires maximes,
Vous n’avez point d’horreur de commettre des crimes ?

 

DOM JUAN Apprends qu’il n’en est point pour un coeur généreux.
La lâcheté de l’homme en fait le nom affreux.
Si tous ces coeurs étaient et grands et magnanimes,
Ces crimes qu’on nous peint ne seraient pas des crimes ;
Mais ce n’est qu’un effet d’un courage abattu,
Dont la timidité veut passer pour vertu.
Il n’est rien qu’un grand coeur ne se doive permettre,
Et le crime est vertu pour qui l’ose commettre.
Juge donc…

 

CARRILLE Oui, je crois que tout vous est permis ;
Mais quittons-nous l’un l’autre, et soyons bons amis.

 

DOM JUAN Pourquoi ?

 

CARRILLE Pourquoi, Monsieur ? c’est que Dame Justice
Me rendrait tôt ou tard quelque mauvais office :
Sous prétexte qu’on dit tel maître, tel valet,
Elle pourrait me faire une passe au collet.

 

DOM JUAN Dois-tu craindre où je suis ? et peut-on…

 

CARRILLE Tout peut être,
Et souvent on punit le valet pour le maître.

 

DOM JUAN Tu me suivras partout, ou la mort à l’instant
T’est sûre.

 

CARRILLE S’il vous plaît, ne vous pressez pas tant,
Je veux vivre.

 

DOM JUAN Suffit, parlons de ma conquête.

 

CARRILLE De qui ? de Léonor ?

 

DOM JUAN Ne m’en romps plus la tête.
Faut-il te dire cent fois que je ne puis la voir ?
J’ai joui d’un objet qui passait mon espoir,
D’Oriane en un mot.

 

CARRILLE D’Oriane !

 

DOM JUAN Oui, Carrille.

 

CARRILLE Quoi ! de ce rare objet l’honneur de sa famille ?
Fille du Commandeur ?

 

DOM JUAN Elle-même.

 

CARRILLE Et comment ?

 

DOM JUAN J’avais su m’introduire en son appartement,
Et malgré ses efforts ma flamme est satisfaite,
Et dans le même instant que je faisais retraite,
Dom Bernard son amant a péri par mes coups.

 

CARRILLE Après tant de forfaits, où vous sauverez-vous ?

 

DOM JUAN Tu sais que je devais abandonner Séville,
Qu’aux pays étrangers j’allais chercher asile ;
Mais avec mes amis ayant tout consulté,
J’ai trouvé que sur mer j’ai plus de sûreté,
Dom Lope et Dom Felix en ont pris la conduite,
Et cherchent un vaisseau pour hâter notre fuite,
Ainsi sans perdre temps allons nous préparer.

 

CARRILLE J’aperçois Léonor.

 

DOM JUAN Et qui l’a fait entrer ?
Suis-moi.

 

 

SCENE III

LEONOR, DOM JUAN, CARRILLE.

 

LEONOR Quoi ! Dom Juan évite ma présence ?
D’où vient ce changement ? Est-ce votre inconstance ?
Ne connaissez-vous plus ce qui vous sut charmer
Et pour tout dire enfin, cessez-vous de m’aimer ?
Après tant de serments…

 

DOM JUAN Oui, j’avouerai, Madame,
Que vos attraits ont eu du pouvoir sur mon âme,
Mais…

 

LEONOR Achevez.

 

CARRILLE Ce Mais ne promet rien de bon.

 

DOM JUAN Je ne vous aime plus.

 

LEONOR Et par quelle raison ?
Tu devais m’épouser, je n’ai ta foi pour gage,
Ingrat…

 

DOM JUAN N’en parlons pas, Madame, davantage.
En vain vous faites fond sur le don de mon coeur.
Le bien dont on jouit ne cause plus d’ardeur,
Et la possession, plus elle a fait d’envie,
Du plaisir de jouir est bientôt assouvie.
J’ai prodigué des soins, j’ai fait mille serments
Mais jusqu’où ne va pas l’audace des amants ?
Dans l’espoir d’un bonheur leur transport autorise
Les serments continus, les détours, la surprise,
La plainte, les dédains, les pleurs et le courroux ;
Bref, j’eusse encore plus fait pour avoir tout de vous,
Mais que ces grands ressorts qu’anime l’espérance
Fassent mouvoir mon âme après la jouissance,
Ne l’espérez jamais : je veux me contenter,
Et tout autre que vous a droit de me tenter.

 

LEONOR Et tu peux sans remords violer ta promesse ?
Perfide, souviens-toi de toute ma tendresse,
Songe que j’ai commis à ta mauvaise foi
Le trésor qu’une fille a de plus cher en soi.

 

CARRILLE Pauvre fille !

 

LEONOR Ah, cruel ! remets dans ta mémoire
Les efforts que j’ai faits pour conserver ma gloire,
Que le crime sur moi n’a pris aucun pouvoir,
Que mes plaisirs ont eu pour règle mon devoir,
Et que si ma vertu succomba sous tes charmes,
Tout autre à tes serments leur eut rendu les armes :
Mais las ! pour mon malheur, tu feignais de m’aimer,
Quand à voir tant de feux je me laissai charmer ;
Ta bouche me jurait une amitié sincère,
Quand ton perfide coeur pensait tout le contraire ;
Tes yeux par leur douceur me montraient ton amour,
Les miens par leur langueur t’en marquaient à leur tour ;
Et cependant ingrat, après tant de promesses,
Qui m’ont tant arraché d’innocentes caresses,
Après mille serments d’une immuable foi ;
Tu dédaignes ma flamme et te moques de moi ?

 

DOM JUAN Sans vous tant affliger ayez recours au change,
C’est ainsi qu’aisément de l’un l’autre on se venge.

 

CARRILLE Mais chacun comme vous n’en veut pas tant tâter,
Et Léonor, Monsieur, devrait vous contenter ?
Elle a beaucoup d’esprit, elle est noble, elle est belle,
Et de moins dégoûtés s’accommoderaient d’elle.
Après de si grands maux, faites un peu de bien.

 

DOM JUAN Hé ! dois-je suivre ici ton avis ou le mien ?

 

LEONOR Dom Juan, si mes pleurs…

 

DOM JUAN Encore un coup, Madame,
Vous espérez en vain du pouvoir sur mon âme.

 

LEONOR Après ta lâcheté le Ciel ni son courroux,
Ne t’intimident point ?

 

DOM JUAN Il songe bien à nous.

 

LEONOR Va, fuis l’emportement de ton âme infidèle,
Les dieux embrasseront cette juste querelle,
Et…

 

DOM JUAN Ne les régler point suivant votre intérêt,
Laissez-les, s’il en est, agir comme il leur plaît,
Et sans les attacher à vos moindres caprices,
Remettez-leur le soin de vous être propices.

 

LEONOR Ah ! crains leur châtiment…

 

DOM JUAN, s’en allant.
Vous m’en parlez en vain,
J’en attends les effets pour en être certain.

 

LEONOR O vous qui prenez soin d’appuyer l’innocence,
Accordez à mes pleurs une prompte vengeance !

 

 

SCENE IV

DOM JUAN, CARRILLE.

 

DOM JUAN Enfin, m’en voilà quitte.

 

CARRILLE Et fort impunément, :
Belle commodité de fausser son serment !
Vous vous en acquittez assez bien, mon cher maître,
Et ne rougissez point de passer pour un traître,
Mais trêve à ce discours. Vos fidèles amis
S’embarquent-ils aussi ?

 

Dom Juan fait signe de l’oeil que ce discours le choque.

 

DOM JUAN Tous deux me l’ont promis.

 

CARRILLE Ne vous voilà pas mal, vous allez faire rage,
Trois débauchés en diable : ah, le bel assemblage !

 

DOM JUAN Dom Lope et Dom Felix…

 

CARRILLE Ma foi, ne valent rien,
Et sans eux vous feriez un fort homme de bien,
Vous n’auriez jamais eu tant d’habitude aux crimes,
Si vous n’aviez suivi leurs coupables maximes ;
Mais depuis qu’ils se sont attachés près de vous,
Toujours on vous a vu faire de méchants coups.
Mais je les vois venir.

 

 

SCENE V

DOM JUAN, CARRILLE, DOM LOPE, DOM FELIX.

 

DOM JUAN Eh bien ?

 

DOM LOPE L’affaire est faite,
Nous avons un vaisseau prêt pour notre retraite.

 

DOM JUAN Va quérir notre argent, Carrille, et nos habits.

 

Carrille sort.

 

DOM LOPE Nous pouvons nous sauver malgré nos ennemis ;
Mais en quelqu’autre endroit que nous prenions asile,
Il nous faut gouverner autrement qu’à Séville.

 

DOM FELIX Ne nous contraignons point du tout dans nos plaisirs,
Que chacun à son gré contente ses désirs,
Goûtons diversement les plaisirs de la vie.

 

DOM LOPE Ce n’est pas mon dessein de régler votre envie ;
Mais pourquoi ces transports ? pourquoi ces vanités ?
On peut dans l’apparence être moins emporté
Et donner à ses sens une pleine carrière ;
Notre coeur en secret en a la joie entière,
Et goûtant les plaisirs, on s’applaudit tout bas,
De ce qu’on est content et qu’on ne le sait pas.

 

DOM FELIX N’importe, je ne puis souffrir cette méthode ;
Soit humeur ou raison, je la trouve incommode :
Que seraient les plaisirs, s’ils ne font quelque bruit ?
Le silence toujours est ce qui les détruit ;
Comme de ces transports on aime à faire gloire,
Il faut les faire voir pour les mieux faire croire ;
C’est les désavouer que les cacher ainsi.

 

DOM LOPE Mais regardons un peu comme on en use ici.

 

DOM JUAN Il est vrai, Dom Felix, qu’en ce siècle où nous sommes,
Pour vivre il faut savoir l’art d’éblouir les hommes,
Et sur un beau prétexte acquérir du crédit,
Paraître plus qu’on n’est, faire plus qu’on ne dit,
Couvrir ses actions d’une belle apparence,
Se masquer de vertu pour perdre l’innocence,
Etre bon dans les yeux et méchant dans le coeur,
Professer l’infamie et défendre l’honneur,
D’un faux jour de vertu donner lustre à la vie,
Se montrer fort content quand on crève d’envie,
Et si l’on aime, enfin, parer toujours les feux
Du prétexte brillant d’un sentiment pieux.
C’est ainsi qu’aujourd’hui se gouverne le monde,
Et pour n’en point mentir l’adresse est sans féconde,
Je ne condamne point cette façon d’agir,
Et je m’en trouve bien, quand je veux m’en servir.

 

DOM LOPE Aussi risque-t-on moins, suivant cette manière :
On a, dans les plaisirs, sûreté tout entière,
Le vice continue en manquant de témoins,
L’on vous croit innocent quand vous l’êtes le moins ;
Dans le doute qu’on a, si quelqu’un vous accuse,
Vingt autres plus dupés soutiendront qu’il s’abuse,
Et l’affectation d’un mérite apparent
Impose le silence à tel qui nous reprend.

 

DOM JUAN Cependant que chacun se gouverne à sa mode
Pour moi qui n’ai d’égard qu’a ce qui m’accommode,
J’agis différemment suivant l’occasion,
Et je ne suis jamais la même opinion ;
Par force, ou par douceur, je sais me satisfaire,
Et je crois que pour tout c’est le plus nécessaire.

 

DOM FELIX J’approuve votre avis : mais Carrille paraît.

 

 

SCENE VI

CARRILLE, DOM JUAN, DOM LOPE, DOM FELIX.

 

CARRILLE Vous n’avez qu’à partir votre équipage est prêt.
Pour moi qui ne veux pas qu’un caprice d’Eole
Me ballote à son gré de l’un à l’autre pôle,
Trouvez bon, s’il vous plaît, que je demeure ici.

 

DOM LOPE Quoi ! Carrille nous quitte ? Ah, tu viendras aussi !

 

DOM FELIX Qui pourrait se passer du fidèle Carrille ?

 

CARRILLE Il ne reste que moi de toute ma famille !
Si je viens à périr ma race manquera.

 

DOM LOPE Au péril de ses jours chacun te sauvera.

 

CARRILLE Chacun dans le danger ne songe qu’à sa vie.

 

DOM LOPE Ne crains rien, viens Carrille.

 

CARRILLE Hé ! Messieurs, je vous prie,
Souffrez que, vous partis, je garde la maison.

 

DOM FELIX Tous les refus ici ne sont pas de saison ;
Nous voulons t’emmener.

 

CARRILLE Songez un peu, de grâce,
Qu’on n’est point assuré d’une pleine bonnace,
Que tantôt aux Enfers et tantôt dans les Cieux,
On voit de tous cotés la mort devant les yeux,
Qu’on est à la merci d’un vent impitoyable,
Qu’un vaisseau peut périr sur quelque banc de sable,
Qu’il peut crever encore par un autre danger,
Et quel péril pour moi qui ne sais point nager.
Non, je ne vous suis pas, Messieurs, si nécessaire,
Et vous pouvez sans moi….

 

DOM JUAN Voici bien du mystère.
Résous-toi de me suivre et sans tant raisonner,
Autrement…

 

CARRILLE Ah, Carrille ! à quoi t’abandonner ?
Suivre un maître taché de vices détestables,
Voilà le grand chemin d’aller à tous les diables.

 

 

ACTE II

 

SCENE I

 

L’acte s’ouvre par une mer agitée, CARRILLE au milieu.

 

CARRILLE à la nage,
PAQUETTE sortant du logis d’ORMIN.

 

CARRILLE Ah, ah !

 

PAQUETTE D’où vient ce bruit ?

 

CARRILLE Hélas, je suis perdu !

 

PAQUETTE C’est quelqu’un qui se noie.

 

CARRILLE Ah ! Je n’ai que trop bu
Qu’on ne m’en donne plus ! Fantasque dieu de l’onde,
C’est assez pour un coup.

 

PAQUETTE Ma peur est sans seconde ;
Il pourrait bien se perdre.

 

CARRILLE À la fin m’y voilà.
Sans ce morceau de mât je serais resté là,
Je t’en rends grâce, ô Ciel ! Mais qui vois-je paraître ?
Se mettant à genoux.

N’auriez-vous point ici par hasard vu mon maître ?
Quoiqu’à dire le vrai, c’est un coup de bonheur
S’il a pu se sauver.

 

PAQUETTE Est-ce quelque seigneur ?

 

CARRILLE Oui

 

PAQUETTE L’on vient de sauver trois hommes du naufrage.

 

CARRILLE Mais où sont-ils ?

 

PAQUETTE Chez nous.

 

CARRILLE Quel en est l’équipage ?

 

PAQUETTE Ils sont fort bien vêtus.

 

CARRILLE Et sont-ils loin d’ici ?

 

PAQUETTE Non dans cette maison ; mais vous voilà transi :
Venez vous y sécher et savoir votre affaire,
Et prendre un doigt de vin.

 

CARRILLE Cela m’est nécessaire,
Et je suis résolu pour me remettre enfin,
Ayant bien bu de l’eau de boire bien du vin.

 

 

SCENE II

 

ORMIN, PAQUETTE, CARRILLE entrant à la maison, THOMASSE.

 

ORMIN Rentrez à la maison, vite.

 

PAQUETTE J’y vais mon père.

 

ORMIN D’où vient que vous sortez d’auprès de votre mère ?
Vous n’aimez qu’à courir et c’est le vrai moyen,
De vous perdre, ma fille, et de ne valoir rien.

 

PAQUETTE Les cris de ce garçon au fort de la tempête…

 

ORMIN Vous n’aurez jamais tort ; mais rentrez, bonne bête,
Et qu’on n’approche point des gens qui sont chez nous,
Car ces plumets de Cour font toujours de leurs coups.

 

THOMASSE Mon Dieu, qu’ils sont bien faits ! et qu’ils ont bonne grâce !

 

ORMIN Que vous importe-t-il, notre fille Thomasse ?
Vous jugez par l’habit et souvent ce n’est rien.
Peut-être qu’aucun d’eux n’a pas cinq sols de bien,
Et je ne suis pas mal s’ils payent leur dépense.
Ces fanfarons pour nous sont fort petite chance,
Pour du bruit ils en font assez passablement,
Bonne mine toujours, mais point de paiement.
On ronge cependant le pauvre hôte à bon compte,
Et s’il veut de l’argent aussitôt on l’affronte :
Avec un passager nous avons plus de gain,
Et s’il dépense peu notre argent est certain.

 

THOMASSE Non, non, ne croyez pas que des gens de la sorte…

 

ORMIN Ouais ! D’où vient que pour eux ton estime est si forte ?

 

THOMASSE Je crois….

 

ORMIN N’en parlons plus, as-tu vu gros Lucas ?

 

THOMASSE Oui.

 

ORMIN Que t’en semble ?

 

THOMASSE Rien.

 

ORMIN Ne l’aimerais-tu pas !

 

THOMASSE Moi, l’aimer ! Et pourquoi ?

 

ORMIN Tu dois être sa femme.

 

THOMASSE Moi, sa femme ?

 

ORMIN Toi-même, il est fils de Pirame,
Pour du bien il en a deux fois autant que toi,
Et son père a conclu l’affaire avec moi.

 

THOMASSE Pourquoi me marier ?

 

ORMIN Pourquoi ? Belle demande !
À quoi sert un mari quand une fille est grande ?

 

THOMASSE Hélas ! Je n’en sais rien.

 

ORMIN Tu le sauras bientôt.

 

THOMASSE Mais qu’il est mal bâti !

 

ORMIN Mais, ma fille, il le faut ;
C’est ton fait, je le veux.

 

THOMASSE Hélas ! Laissez-moi fille,
Plutôt que…

 

ORMIN Non, j’ai trop de charge en ma famille,
Vous êtes d’un gibier qui se gâte aisément,
Et tout homme d’esprit s’en défait promptement :
On risque à tant garder chose si chatouilleuse,
Et tu peux te flatter sûrement d’être heureuse.

 

THOMASSE Mais ma soeur…

 

ORMIN Votre soeur a même sort que vous,
Et je lui donnerai Philémon pour époux.
Cependant va trouver ta tante Dorothée,
Et lui dis que l’affaire est enfin arrêtée,
Moi je vais convier nos parents, nos amis,
Et ne tarderai pas à me rendre au logis.

 

THOMASSE Si c’était à mon choix…Mais qui vois-je paraître ?
C’est un de ces Messieurs.

 

 

SCENE III

CARRILLE, DOM JUAN, THOMASSE.

 

CARRILLE Eh bien ! Monsieur mon maître,
Ce que je vous disais était mal raisonné ?
Et c’était sans sujet que j’étais obstiné,
Où, sans ce paysan, étiez-vous ?

 

DOM JUAN Je l’avoue,
Et sa réception mérite qu’on le loue :
Mais encor que dis-tu de sa fille ?

 

CARRILLE Qui, moi ?
Qu’en dirais-je, Monsieur, elle est belle, ma foi,
Et dans l’occasion que le sort vous envoie,
Je ne vous crois pas homme à lâcher votre proie.

 

DOM JUAN J’en suis content.

 

CARRILLE Déjà ! C’est ne s’endormir pas.
À peine être arrivé…

 

DOM JUAN Mais que vois-je là-bas ?
La personne est jolie ; où courez-vous, la belle ?

 

CARRILLE Voici pour mon patron une dîme nouvelle.

 

THOMASSE voulant s’en aller, Dom Juan la retient.
Ah ! ne m’arrêtez pas.

 

DOM JUAN Laissez-vous admirer.
L’ayant un peu regardée.
Non, rien à vos beautés ne se peut comparer.
Ah, Carrille !

 

CARRILLE Monsieur, cela va bien, courage.

 

DOM JUAN Vois ! Qui n’aimerait pas un si charmant visage ?

 

CARRILLE Je vois plutôt un loup qui court une brebis.

 

DOM JUAN Ah, que d’amour pour vous mon coeur se sent épris !

 

THOMASSE Quoi ! vous pourriez songer aux filles de village ?
Vous voulez me surprendre avec un tel langage,
Adieu, Monsieur.

 

DOM JUAN Un mot.

 

THOMASSE Non, je veux m’en aller,
Monsieur, je ne dois pas me laisser cajoler.
Vous autres, vous avez toujours tant de finesse,
Qu’il faut se défier de toutes vos caresses.
À qui voudra vous croire il ne manquera rien ;
Mais on n’est pas si bête et l’on vous connaît bien.

 

DOM JUAN Non, mon amour est juste et tend au mariage.

 

THOMASSE O Dieux ! s’il disait vrai, que j’aurais d’avantage !
Parlez-vous tout de bon ?

 

DOM JUAN Sans doute.

 

THOMASSE Quel bonheur !

 

CARRILLE Peste !

 

DOM JUAN Et pour entre nous confirmer cette ardeur,
Baisez-moi.

 

THOMASSE Fi, Monsieur ! comment baiser les hommes ?
C’est un péché mortel dans le siècle où nous sommes,
Ma mère me l’a dit, je ne le ferai pas.

 

CARRILLE Recule tout ton soul, tu passeras le pas.

 

DOM JUAN Quand vous avez ma foi, qu’avez-vous lieu de craindre ?
Pouvez-vous soupçonner ?

 

THOMASSE Les hommes savent feindre,
Vous pouvez me tromper.

 

DOM JUAN Non, non, ne craignez rien.

 

CARRILLE Mon maître vous tromper ! C’est un homme de bien.
Oh, qu’il n’a garde, non.

 

DOM JUAN Oui, ma belle, je jure…

 

CARRILLE tirant son maître à quartier.
Monsieur, ne jurez pas, de peur d’être parjure.

 

DOM JUAN Faquin, te tairas-tu.

 

 

SCENE IV

 

DOM JUAN, THOMASSE, PAQUETTE, CARRILLE

 

DOM JUAN Je jure et je promets
De vous prendre pour femme.

 

THOMASSE Et quand ?

 

CARRILLE Et quand ? Jamais.

 

DOM JUAN Insolent !

 

PAQUETTE Il promet ! Fausse-t-il sa parole ?

 

CARRILLE Monsieur, vous allez voir jouer un autre rôle.

 

PAQUETTE tirant Dom Juan à quartier.
Quoi donc ! après m’avoir engagé votre foi,
Vous en voulez un[e] autre et vous moquer de moi ?
Pouvez-vous lui promettre à moins qu’être infidèle ?

 

THOMASSE tirant Dom Juan.
Que vous veut donc ma soeur ? Et de quoi se plaint-elle ?

 

DOM JUAN à Thomasse.
Elle se plaint à moi que je ne l’aime point.

 

THOMASSE Et que n’apaisez-vous son esprit sur ce point ?

 

DOM JUAN Je lui vais dire aussi que vous serez ma femme
Et qu’elle espère en vain du pouvoir sur mon âme,
Et pour mettre le calme à son esprit jaloux,
Que je vous l’ai promis.

 

PAQUETTE tirant Dom Juan.
Monsieur, que dites-vous ?
Ma soeur a-t-elle lieu plus que moi d’y prétendre ?

 

DOM JUAN Plus que vous, point du tout, je lui faisais entendre,
Que c’était temps perdu de s’arrêter à moi,
Et que vous avez seule et mon coeur et ma foi.

 

THOMASSE tirant Dom Juan.
Que parlez-vous de foi ?

 

DOM JUAN Je parlais de vous-même !
Je disais que vous seule étiez celle que j’aime,
Que c’était temps perdu de s’arrêter à moi,
Et que vous possédez et mon coeur et ma foi.

 

PAQUETTE tirant Dom Juan.
Mais Thomasse, Monsieur, se rend bien importune.

 

DOM JUAN Elle a lieu de pleurer sa mauvaise fortune,
Et doit se plaindre au Ciel de n’avoir pas ces yeux,
Qui font de mon bonheur les Maîtres et les Dieux,
Elle aura du dépit de vous voir mon épouse.

 

THOMASSE tirant Dom Juan.
Votre entretien a droit de me rendre jalouse.

 

DOM JUAN Quoi ! vous pourriez douter de l’ardeur de mes feux ?

 

THOMASSE Mais aussi sans façon prenez l’une des deux.

 

DOM JUAN Et ne voyez-vous pas que je veux m’en défaire ?
C’est en vain que ses soins s’attachent à me plaire,
Vous seule me charmez, et malgré son dessein,
Je prétends en un mot vous épouser demain.

 

PAQUETTE Mais, ma soeur, après tout ce n’est pas mal t’y prendre ?
Tu penses donc l’avoir ?

 

THOMASSE Tu pourrais bien l’attendre,
Car je l’aurai sans doute.

 

PAQUETTE Hé, s’il te plaît, pourquoi ?

 

THOMASSE Parce que je sais bien qu’il n’aime rien que moi.

 

PAQUETTE Tu te flattes beaucoup.

 

THOMASSE J’ai sujet de le faire.

 

PAQUETTE Ton extrême beauté sans doute a pu lui plaire ?

 

THOMASSE Ne raille point, j’en ai du moins autant que toi.

 

PAQUETTE Tu le dis, mais peux-tu te comparer à moi ?
Ah, la rare beauté ! vaut-elle pas la mienne ?

 

THOMASSE Je ne changerais pas encore avec la tienne.

 

PAQUETTE Que chacun[e] se tienne avec le bien qu’elle a.

 

THOMASSE Mais tu dois sans façon me céder ce prix-là,
Et je crois que Monsieur le sait bien reconnaître.

 

PAQUETTE Oui, me faisant sa femme.

 

THOMASSE Oui, si tu le peux être.

 

DOM JUAN à toutes les deux.
Oui, oui.

 

PAQUETTE Tu n’entends pas qu’il vient de dire oui.

 

THOMASSE Bon pour moi.

 

PAQUETTE Mais pour moi, car je l’ai bien ouï,
Il lui faut demander : Monsieur, sans raillerie,
De ma soeur ou de moi, dites nous, je vous prie,
Qui sera votre femme ? et détournez les yeux
Sur celle de nous deux que vous aimez le mieux.

 

THOMASSE Bon, il m’a regardée.

 

Dom Juan serre la main à Paquette et regarde Thomasse en même temps.

 

PAQUETTE Et moi, j’en suis contente.

 

DOM JUAN Pour vous mettre d’accord chacune en votre attente,
Je veux épouser celle à qui je l’ai promis.
Toi, Carrille, attends-moi, je ne vais qu’au logis.

 

 

SCENE V

CARRILLE, PAQUETTE, THOMASSE

 

CARRILLE Quel abominable homme ! hélas, mes pauvres filles,
À qui croyez-vous vendre à présent vos coquilles ?
Connaissez-vous mon maître, et vous y fiez-vous ?
Vous le croyez sincère, avec ces propos doux,
Mais si je vous disais l’humeur du personnage,
Vous verriez que son coeur…

 

PAQUETTE À quoi bon ce langage ?
Et quel est son dessein ?

 

CARRILLE De vous désabuser
De ce que vous croyez qu’il veut vous épouser.

 

THOMASSE Que viens-tu nous conter et devons-nous te croire ?
Tout ce que tu nous dis n’offense point sa gloire,
Tel qu’il est je le veux.

 

PAQUETTE Oui, si tu peux l’avoir.
Je ne t’empêche pas d’y faire ton pouvoir.
Mais que t’importe-t-il, valet causeur et traître,
S’il sera mon mari ? Parle mieux de ton maître,
Je le crois honnête homme.

 

CARRILLE Et c’est un scélérat,
Un Loup, un Diable, un Chien, un Renard, un vrai Chat.
Un Loup pour vous piller vos trésors, un vrai Diable
Pour vous mettre en Enfer, un Chien insatiable,
Qui n’applique ses soins qu’à mordre la pudeur,
Un Chat qui met la patte aux quartiers de l’honneur,
Un Renard qui ne tâche, avecque ses finesses,
Qu’à vous accommoder, belles, de toutes pièces,
Et sans vous ennuyer de noms jusqu’à demain,
En un mot l’épouseur de tout le genre humain.

 

PAQUETTE Va, nous ne croyons point ce que tu viens de dire.

 

CARRILLE Vous n’aurez pas, ma foi, toutes deux, lieu d’en rire ;
Souvenez-vous qu’ici je dis la vérité.

 

PAQUETTE C’est plutôt un effet de ta méchanceté,
Je suis sûre qu’il doit me tenir sa promesse.

 

THOMASSE Et je suis sûre aussi que je suis sa maîtresse.

 

CARRILLE Croyez-le assurément, ce sera pour un jour.
Que ce sexe est facile à prendre de l’amour !
Mais je vois Dom Felix qui vient avec mon maître.

 

 

SCENE VI

 

DOM FELIX, DOM JUAN, CARRILLE.

 

DOM FELIX Si vous m’aimez, il faut me le faire connaître.
Vous savez que Dorinde avait su me charmer ?

 

Il paraît un Temple.

 

DOM JUAN Quoi ! celle que son père avait fait enfermer ?

 

DOM FELIX Elle-même, et tantôt, examinant le temple
Que l’on voit en ces lieux et qui n’a point d’exemple,
J’ai su que cet objet qui fit naître mes feux
Etait prête demain d’y faire quelques voeux,
Et je veux l’enlever par force ou par adresse.
Voulez-vous seconder cette ardeur qui m’empresse ?

 

DOM JUAN Vous me connaissez trop pour en pouvoir douter,
Je fais pour un ami gloire de tout tenter,
Je n’examine point quel péril y peut être,
Dans les plus grands dangers l’amitié doit paraître,
Et quand je serais sûr d’y trouver le trépas,
La crainte de périr ne m’arrêterait pas :
Jugez après cela si je veux l’entreprendre.

 

DOM FELIX Comment me revenger d’une amitié si tendre ?
Ah ! si l’occasion s’offre de vous servir,
Vous verrez…

 

DOM JUAN Regardons comme il nous faut agir.

 

DOM FELIX À vous dire le vrai, la chose est difficile,
Je ne sais quel moyen nous y peut être utile.
Le temple est bien fermé, les murs sont élevés,
Il n’est aucun endroit que je n’aie observé ;
À moins que s’y glisser par quelque stratagème,
Ou de for

Ressources complémentaires

Les spectacles et la vie de cour selon les gazetiers
Chronologie moliéresque
Textes du XVIIe siècle en version intégrale
Textes de Molière en version diplomatique

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