Le Malade imaginaire, édition des Oeuvres de 1682

Table des matières

Le Malade imaginaire, Comédie mêlée de musique et de danses, Par Monsieur de Molière, Corrigée sur l’original de l’Auteur, de toutes les fausses additions et suppositions de Scènes entières, faites dans les Éditions précédentes. Représentée pour la première fois sur le Théâtre de la salle du Palais-Royal, le 10 février 1673 par la Troupe du Roi in Les Oeuvres posthumes de Monsieur de Molière

tome VIII, imprimées pour la première fois en 1682, Paris, Denis Thierry, Claude Barbin, et Pierre Trabouillet, 1682 (exemplaire : Bibliothèque Nationale, RES-Yf-4178).

Personnages

ARGAN, Malade Imaginaire.
BELINE, seconde femme d’Argan.
ANGELIQUE, Fille d’Argan et Amante de Cleante.
LOUISON, petite Fille d’Argan, et Sœur d’Angelique.
BERALDE, Frere d’Argan.
CLEANTE, Amant d’Angelique.
MONSIEUR DIAFOIRUS, Medecin.
THOMAS DIAFOIRUS, son Fils, et Amant d’Angelique.
MONSIEUR PURGON, Medecin d’Argan.
MONSIEUR FLEURANT, Apotiquaire.
MONSIEUR BONNEFOY, Notaire.
TOINETTE, Servante.

LE MALADE IMAGINAIRE,
COMEDIE
MESLE’E DE MUSIQUE
ET
DE DANSES.
Par Monsieur de MOLIERE.

Corrigée sur l’original de l’Autheur, de toutes les fausses additions et suppositions de Scenes entieres, faites dans les Editions precedentes.

Representée pour la premiere fois, sur le Theatre de la Salle du Palais Royal, le dixiéme Février 1673.
Par la Trouppe du Roy.

LE
MALADE
IMAGINAIRE,
COMEDIE
MESLE’E DE MUSIQUE
ET
DE DANSES

 

 

 

LE PROLOGUE.

Apres les glorieuses fatigues, et les Exploits victorieux de nostre Auguste Monarque  ; il est bien juste que tous ceux qui se meslent d’écrire, travaillent ou à ses loüanges, ou à son divertissement. C’est ce qu’icy l’on a voulu faire, et de Prologue est un essay des Loüanges de ce grand Prince, qui donne Entrée à la Comedie du Malade Imaginaire , dont le projet a esté fait pour le délasser de ses nobles travaux.La Decoration represente un lieu Champestre, et neantmoins fort agreable.

 

 

ECLOGUE

En Musique et en Danse.FLORE, PAN, CLIMENE, DAPHNE’, TIRCIS, DORILAS, DEUX ZEPHIRS, TROUPPE DE BERGERES, ET DE BERGERS.

FLORE.
Quittez, quittez vos Troupeaux,
Venez Bergers, venez Bergeres,
Accourez, accourez sous ses tendres Ormeaux  ;
Je viens vous annoncer des nouvelles bien cheres,
Et réjoüir tous ces Hameaux.
Quittez, quittez vos Troupeaux,
Venez Bergers, venez Bergeres,
Accourez, accourez, sous ces tendre Ormeaux.

CLIMENE, ET DAPHNE’.
Bergers laissons-là tes feux,
Voilà Flore qui nous appelle.

TIRCIS, ET DORILAS.
Mais au moins dy-moy, cruelle.

TIRCIS.
Si d’un peu d’amitié tu payeras mes vœux  ?

DORILAS.
Si tu sera sensible à mon ardeur fidelle  ?

CLIMENE, ET DAPHNE’.
Voilà Flore qui nous appelle.

TIRCIS, ET DORILAS.
Ce n’est qu’un mot, un mot, un seul mot que je veux.

TIRCIS.
Languiray-je toûjours dans ma peine mortelle  ?

DORILAS.
Puis-je esperer qu’un jour tu me rendras heureux  ?

CLIMENE, ET DAPHNE’.
Voilà Flore qui nous appelle.

ENTRE’E DE BALLET. Toute la Trouppe des Bergers et des Bergeres, va se placer en cadence autour de Flore.

CLIMENE.
Quelle nouvelle parmy nous,
Déesse, doit jetter tant de réjoüissance  ?

DAPHNE’.
Nous brûlons d’apprendre de vous
Cette nouvelle d’importance.

DORILAS.
D’ardeur nous en soûpirons tous.

TOUS ENSEMBLE.
Nous en mourons d’impatience.

FLORE.
La voicy, silence, silence.
Vos vœux sont exaucez, LOUIS est de retour.
Il ramène en ces lieux les Plaisirs et l’Amours.
Et vous voyez finir vos mortelles alarmes,
Par ces vastes Exploits son bras voit tout soûmis,
Il quitte les armes
Faute d’ennemis.

TOUS.
Ah quelle douce nouvelle  !
Qu’elle est grande  ! qu’elle est belle  !
Que de plaisirs  ! que de ris  ! que de jeux  !
Que de succez heureux  !
Et que le Ciel a bien rempli nos vœux,
Ah quelle douce nouvelle  !
Qu’elle est douce  ! qu’elle est belle  !

AUTRE ENTRE’E DE BALLET. Tous les Bergers et Bergeres, expriment par des Danses les transports de leur joye.

FLORE.
De vos Flutes bocageres
Réveillez les plus beaux sons  ;
LOUIS offre à vos Chansons
La plus belle des matieres.
Aprés cent combats,
Où cueille son bras
Une ample victoire  :
Formez entre vous
Cent combats plus doux,
Pour chanter sa gloire.

TOUS.
Formons entre-nous
Cent combats plus doux,
Pour chanter sa gloire.

FLORE.
Mon jeune Amant dans ce bois,
Des presens de mon empire
Prepare un prix à la voix,
Qui sçaura le mieux nous dire
Les vertus et les Exploits
Du plus Auguste des Rois.

CLIMENE.
Si Tircis a l’avantage.

DAPHNE’.
Si Dorilas est vainqueur.

CLIMENE.
A le cherir je m’engage.

DAPHNE’.
Je me donne à son ardeur.

TIRCIS.
O trop chere esperance  !

DORILAS.
O mot plein de douceur  !

TOUS-DEUX.
Plus beau sujet, plus belle récompense
Peuvent-ils animer un cœur  ? Les Violons joüent un Air pour animer les deux Bergers au combat, tandis que Flore comme Juge va se placer au pied d’un bel arbre, qui est au milieu du Theatre, avec deux Zephirs, et que le reste comme Spectateurs va occuper les deux costez de la Scene.

TIRCIS.
Quand la neige fondüe enfle un torrent fameux,
Contre l’effort soudain de ses flots écumeux
Iln’est rien d’assez solide  ;
Digues,Chasteaux, Villes, et Bois,
Hommes,et Troupeaux à la fois,
Toutcede au courant qui le guide,
Tel,qui plus fier et plus rapide,
MarcheLOUIS dans ses Exploits.

BALLET. Les Bergers et Bergeres du costé de Tircis, dansent autour de luy sur une Ritornelle, pour exprimer leurs applaudissemens.

DORILAS.
Le foudre menaçant qui perce avec fureur
L’affreuse obscurité de la nuë enflammée,
Fait d’épouvente et d’horreur
Trembler le plus ferme cœur  :
Mais à la teste d’une armée
LOUIS jette plus de terreur.

BALLET. Les Bergers et Bergeres du costé de Dorilas font de mesme que les autres.

TIRCIS.
Des fabuleux Exploits que la Grece a chantez,
Par un brillant amas de belles veritez
Nous voyons la gloire effacée,
Et tous ces fameux demy-dieux,
Que vante l’Histoire passée
Ne sont point à nostre pensée,
Ce que LOUIS est à nos yeux  :

BALLET.
Les Bergers et Bergeres de son costé, font encore la mesme chose.

DORILAS.
LOUIS fait à nos temps par ses fait inoüis
Croire tous les beaux faits que nous chante l’histoire
Des Siecles évanoüis  :
Mais nos Neveux dans leur gloire,
N’auront rien qui fasse croire
Tous les beaux faits de LOUIS.

BALLET. Les Bergeres de son costé font encore de mesme, aprés quoy les deux partis se meslent.

PAN,

suivy de six Faunes.
Laissez, laissez, Bergers, ce dessein temeraire,
Hé, que voulez-vous faire  ?
Chanter sur vos chalumeaux,
Ce qu’Apollon sur sa Lyre
Avec ses chants les plus beaux,
N’entreprendroit pas de dire  ?
C’est donner trop d’essor au feu qui vous inspire,
C’est montrer vers les Cieux sur les ailes de cire,
Pour tomber dans le fonds des Eaux.
Pour chanter de LOUIS l’intrepide courage  ;
Il n’est point d’assez docte voix,
Point de mots assez grands pour en tracer l’Image  ;
Le silence est le langage
Qui doit loüer ses Exploits.
Consacrez d’autres soins à sa pleine Victoire,
Des loüanges n’ont rien qui flate ses desirs,
Laissez, laissez-là sa gloire
Ne songez qu’à ses plaisirs.

TOUS.
Laissons, laissons-là sa gloire,
Ne songeons qu’à ses plaisirs.

FLORE.
Bien que pour étaler ses vertus immortelles
La force manque à vos esprits.
Ne laissez-pas tous-deux de recevoir le prix.
Dans les choses grandes et belles
il suffit d’avoir entrepris.

ENTRE’E DE BALLET. Les deux Zephirs dansent avec deux couronnes de Fleurs à la main, qu’ils viennent donner aux deux Bergers.

CLIMENE ET DAPHNE’,

en leur donnant la main.
Dans les choses grandes et belles
Il suffit d’avoir entrepris.

TIRCIS ET DORILAS.
Ha  ! que d’un doux succés nostre audace est suivie.

FLORE ET PAN.
Ce qu’on fait pour LOUIS, on ne le perd jamais.

LES QUATRE AMANS.
Au soin de ses plaisirs donnons-nous desormais.

FLORE ET PAN.
Heureux, heureux, qui peut luy consacrer sa vie.

TOUS.
Joignons tous dans ces bois.
Nos flutes et nos voix,
Ce jour nous y convie,
Et faisons aux Echo redire mille fois,
LOUIS est le plus grand des Rois.
Heureux, heureux, qui peut luy consacrer sa vie.

DERNIER ET GRANDE ENTRE’E DE BALLET. Faunes, Bergers et Bergeres tous se meslent, et il se fait entr’eux des jeux de danse, aprés quoy ils se vont preparer pour la Comedie.

 

 

 

AUTRE PROLOGUE.

Vostre plus haut sçavoir n’est que pure chimere,
Vains et peu sages Medecins,
Vous ne pouvez guerir par vos grands mots Latins
La douleur qui me desespere.
Vostre plus haut sçavoir n’est que pure chimere.

Hélas  ! hélas  ! je n’ose découvrir
Mon amoureux martyre,
Au Berger pour qui je soûpire,
Et qui seul peut me secourir.
Ne pretendez pas le finir,
Ignorans Medecins, vous ne sçauriez le faire,
Vostre plus haut sçavoir n’est que pure chimere.

Ces remedes peu seurs, dont le simple vulgaire
Croit que vous connoissez l’admirable vertu,
Pour les maux que je sens n’ont rien de salutaire,
Et tout vostre caquet ne peut estre reçû,
Que d’un MALADE IMAGINAIRE.
Vostre plus haut sçavoir n’est que pure chimere, Le Theatre change et represente une Chambre.

 

 

 

ACTE I.

SCENE I.
La Scene est à Paris.ARGAN

seul dans sa chambre assis, une table devant luy, compte des Parties d’Apotiquaire avec des jettons  ; il fait parlant à luy-mesme les dialogues suivans.
Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt. Trois et deux font cinq. Plus du vingt-quatriéme, un petit Clystere insinuatif, préparatif, et remolliant pour amollir, humecter, et rafraîchir les entrailles de Monsieur. Ce qui me plaist, de Monsieur Fleurant mon Apothiquaire, c’est que ses parties sont toûjours fort civiles. Les entrailles de Monsieur, trente sols. Oüy, mais Monsieur Fleurant, ce n’est pas tout d’estre civil, il faut estre aussi raisonnable, et ne pas écorcher les Malades. Trente sols un lavement, je suis vostre Serviteur, je vous l’ay déja dit. Vous ne me les avez mis dans les autres Parties qu’à vingt sols, et vingt sols en langage d’Apothiquaire, c’est à dire dix sols  ; les voilà dix sols. Plus dudit jour, un bon Clystere détersif, composé avec catholicon double, rhubarbe, miel rosat, et autres, suivant l’ordonnance, pour balaye, laver, et nettoyer le bas ventre de Monsieur trente sols  ; avec vôtre permission dix sols. Plus dudit jour le soir un julep hepatique, soporatif, et somnifere, composé pour faire dormir Monsieur, trente cinq sols  ; je ne me plains pas de celuy-là, car il me fit bien dormir. Dix, quinze, seize et dix sept sols six deniers. Plus du vingt-cinquiéme, une bonne medecine purgative et corroborative, composée de casse récente avec sené levantin, et autres, suivant l’ordonnance de Monsieur Purgon, pour expulser et évacuer la bile de Monsieur, quatre livres. Ah  ! Monsieur Fleurant, c’est se mocquer, il faut vivre avec les Malades. Monsieur Purgon ne vous a pas ordonné de mettre quatre francs. Mettez, mettez trois livres, s’il vous plaist. Vingt et trente sols. Plus dudit jour, un potion anodine, et astringente pour faire reposer Monsieur, trente sols. Bon.. dix, et quinze sols. Plus du vingt-sixiéme, un clystere carminatif pour chasser les vents de Monsieur, trente sols. Dix sols, Monsieur Fleurant. Plus le clystere de Monsieur reïteré le soir, comme dessus, trente sols. Monsieur Fleurant, dix sols. Plus du vingt-septiéme, une bonne medecine composée pour haster d’aller, et chasser dehors les mauvaises humeurs de Monsieur, trois livres. Bon, vingt, et trente sols  ; je suis bien aise que vous soyez raisonnable. Plus du vingt-huitième, une prise de petit lait clarifié, et dulcoré, pour adoucir, lenifier, temperer, et rafraîchir le sang de Monsieur, vingt sols. Bon, dix sols. Plus une potion cordiale et préservative, composée avec douze grains de bezoard, sirops de limon et grenade, et autres suivant l’ordonnance, cinq livres. Ah  ! Monsieur Fleurant, tout doux, s’il vous plaist, si vous en usez comme cela, on ne voudra plus estre malade, contentez-vous de quatre francs  ; vingt et quarante sols. Trois, et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt. Soixante et trois livres quatre sols six deniers. Si bien donc, que de ce mois j’ay pris une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept et huit medecines  ; et un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze, et douze lavemens  ; et l’autre mois il y avait douze medecines, et vingt lavemens. Je ne m’étonne pas, si je ne me porte pas si bien ce mois-cy, que l’autre. Je le diray à Monsieur Purgon, afin qu’il mette ordre à cela. Allons, qu’on m’oste tout cecy, il n’y a personne  ; j’ay beau dire, on me laisse toûjours seul  ; il n’y a pas moyen de les arrester icy. Il sonne une sonnette pour faire venir ses gens.
Ils n’entendent point, et ma sonnette ne fait pas assez de bruit. Drelin, drelin, drelin, point d’affaire. Drelin, drelin, drelin, ils sont sourds. Toinette. Drelin, drelin, drelin. Tout comme si je ne sonnois point. Chiene, coquine, drelin, drelin, drelin  ; j’enrage. Il ne sonne plus, mais il crie.
Drelin, drelin, drelin. Carogne, à tous les diables. Est-il possible qu’on laisse comme cela un pauvre malade tout seul  ! Drelin, drelin, drelin  ; voilà qui est pitoyable  ! Ah  ! mon Dieu, ils me laisseront icy mourir. Drelin, drelin, drelin.

 

 

SCENE II.
TOINETTE, ARGAN.

TOINETTE en entrant dans la chambre.
On y va

ARGAN.
Ah  ! chienne  ! ah carogne….

TOINETTE faisant semblant de s’estre cognée la teste.
Diantre soit fait de vostre impatience, vous pressez si fort les personnes, que je me suis donné un grand coup de la teste contre la carne d’un volet.

ARGAN en colere.
Ah  ! traistresse….

TOINETTE pour l’interrompre et l’empescher de crier, se plaint toûjours, en disant.
Ha  !

ARGAN.
Il y a….

TOINETTE.
Ha  !

ARGAN.
Il y a une heure….

TOINETTE.
Ha  !

ARGAN.
Tu m’as laissé….

TOINETTE.
Ha  !

ARGAN.
Tay toy donc, coquine, que je te querelle.

TOINETTE.
C’amon, ma foy, j’en suis d’avis, après ce que je me suis fait.

ARGAN.
Tu m’as fait égosiller, carogne.

TOINETTE.
Et vous avez bien fait, vous, casser la teste, l’un vaut bien l’autre. Quitte, à quitte, si vous voulez.

ARGAN.
Quoy, coquine….

TOINETTE.
Si vous querellez, je pleureray.
ARGAN.
Me laisser, traistresse…..

TOINETTE toûjours pour l’interrompre.
Ha  !

ARGAN.
Chienne, tu veux….

TOINETTE.
Ha  !

ARGAN.
Quoy il faudra encore que je n’aye pas le plaisir de la quereller  ?

TOINETTE.
Querellez tout vostre soû, je le veux bien.

ARGAN.
Tu m’en empesches, chienne, en m’interrompant à tous coups.

TOINETTE.
Si vous avez le plaisir de quereller, il faut bien que de mon costé j’aye le plaisir de pleurer  ; chacun le sien ce n’est pas trop. Ha  !

ARGAN.
Allons, il faut en passer par-là. Oste-moy cecy, coquine, ostre-moy cecy. Argan se leve de sa chaise.
Mon lavement d’aujourd’huy a-t-il bien opéré  ?

TOINETTE.
Vostre lavement  ?

ARGAN.
Oüy. Ay-je bien fait de la bile  ?

TOINETTE.
Ma foy je ne me mesle point de ces affaires-là, c’est à Monsieur Fleurant à y mettre le nez, puisqu’il en a le profit.

ARGAN.
Qu’on ait soin de me tenir un boüillon prest, pour l’autre que je dois tantost prendre.

TOINETTE.
Ce Monsieur Fleurant-là, et ce Monsieur Purgon s’égayent bien sur vostre corps  ; ils ont en vous une bonne vache à lait  ; et je voudrois bien leur demander quel mal vous avez, pour vous faire tant de remedes.

ARGAN.
Taisez-vous, ignorante, ce n’est pas à vous à contrôler les ordonnances de la Medecine. Qu’on me fasse venir ma fille Angelique, j’ay à luy dire quelque chose.

TOINETTE.
La voicy qui vient d’elle-mesme  ; elle a deviné vostre pensée.

 

 

SCENE III.
ANGELIQUE, TOINETTE, ARGAN.

ARGAN.
Approchez, Angelique, vous venez à propos  ; je voulois vous parler.

ANGELIQUE.
Me voilà preste à vous oüir.

ARGAN courant au bassin.
Attendez. Donnez-moy mon bâton. Je vay revenir tout à l’heure.

TOINETTE en le raillant.
Allez viste, Monsieur, allez. Monsieur Fleurant nous donne des affaires.

 

 

SCENE IV.
ANGELIQUE, TOINETTE.

ANGELIQUE la regardant d’un œil languissant, luy dit confidemment.
Toinette.

TOINETTE.
Quoy  ?

ANGELIQUE.
Regardez-moy un peu.

TOINETTE.
Hé bien je vous regarde.

ANGELIQUE.
Toinette.

TOINETTE.
Hé  bien, quoy, Toinette  ?

ANGELIQUE.
Ne devines-tu point dequoy je veux parler  ?

TOINETTE.
Je m’en doute assez, de nostre jeune Amant  ; car c’est sur luy depuis six jours que roulent tous nos entretiens  ; et vous n’estes point bien si vous n’en parlez à toute heure.

ANGELIQUE.
Puisque tu connois cela, que n’es-tu donc la premiere à m’en entretenir, et que ne m’épargnes-tu la peine de te jetter sur ce discours.

TOINETTE.
Vous ne m’en donnez pas le temps, et vous avez des soins là-dessus, qu’il est difficile de prévenir.

ANGELIQUE.
Je t’avouë, que je ne sçaurois me lasser de te parler de luy, et que mon cœur profite avec chaleur de tous les momens de s’ouvrir à toy. Mais dy-moy, condamnes-tu, Toinette, les sentimens que j’ay pour luy  ?

TOINETTE.
Je n’ay garde.

ANGELIQUE.
Ay-je tort de m’abandonner à ces douces impressions  ?

TOINETTE.
Je ne dis pas cela.

ANGELIQUE.
Et voudrois-tu que je fusse insensible aux tendres protestations de cette passion ardente qu’il témoigne pour moy  ?

TOINETTE.
A Dieu ne plaise.

ANGELIQUE.
Dy-moy un peu, ne trouves-tu pas comme moy, quelque chose du Ciel, quelque effet du destin, dans l’avanture inopinée de nostre connoissance  ?

TOINETTE.
Oüy.

ANGELIQUE.
Ne trouves-tu pas que cette action d’embrasser ma défence sans me connoistre, est tout à fait d’un honneste homme  ?

TOINETTE.
Oüy.

ANGELIQUE.
Que l’on ne peut pas en user plus genereusement  ?

TOINETTE.
D’accord.

ANGELIQUE.
Et qu’il fit tout cela de la meilleure grace du monde  ?

TOINETTE.
Oh, oüy.

ANGELIQUE.
Ne trouves-tu pas Toinette, qu’il est bien fait de sa personne  ?

TOINETTE.
Assurement.

ANGELIQUE.
Qu’il a l’air le meilleur du monde.

TOINETTE.
Sans doute.

ANGELIQUE.
Que ses discours, comme ses actions, ont quelque chose de noble.

TOINETTE.
Cela est seur.

ANGELIQUE.
Qu’on ne peut rien entendre de plus passionné que tout ce qu’il me dit  ?

TOINETTE.
Il est vray.

ANGELIQUE.
Et qu’il n’est rien de plus fâcheux, que la contrainte où l’on me tient, qui bouche tout commercer aux doux empressemens de cette mutuelle ardeur que le Ciel nous inspire  ?

TOINETTE.
Vous avez raison.

ANGELIQUE.
Mais, ma pauvre Toinette, crois-tu qu’il m’ayme autant qu’il me le dit  ?

TOINETTE.
Eh, eh, ces choses-là par fois sont un peu sujettes à caution. Les grimaces d’amour ressemblent fort à la verité  ; et j’ay veu de grands Comediens là-dessus.

ANGELIQUE.
Ah  ! Toinette, que dis-tu-la  ? helas  ! de la façon qu’il parle, seroit-il bien possible qu’il ne me dist pas vray  ?

TOINETTE.
En tout cas vous en serez bien-tost éclaircie , et la resolution où il vous écrivit hier, qu’il estoit de vous faire demander en Mariagen est une prompte joye à vous faire connoistre s’il vous dit vray, ou non. C’en sera-là la bonne preuve.

ANGELIQUE.
Ah  ! Toinette, si celuy-là me trompe, je ne croyray de ma vie aucun homme.

TOINETTE.
Voilà vostre Pere qui revient.

 

 

SCENE V.
ARGAN, ANGELIQUE, TOINETTE.

ARGAN se met dans sa chaise.
O c’a, ma Fille, je vay vous dire une nouvelle, où peut-estre ne vous attendez-vous pas. On vous demande en Mariage. Qu’est-ce que cela  ? vous riez. Cela est plaisant, oüy, ce mot de Mariage. Il n’y a rien de plus drôle pour les jeunes Filles. Ah  ! nature, nature  ! A ce que je puisvoir, ma Fille, je n’ay que faire de vous demander si vous voulez bien vous marier.

ANGELIQUE.
Je dois faire, mon Pere, tout ce qu’il vous plaira de m’ordonner.

ARGAN.
Je suis bien aise d’avoir une Fille si obeïssante, la chose est donc conclüe, et je vous ay promise.

ANGELIQUE.
C’est à moy, mon Pere, de suivre aveuglement toutes vos volontez.

ARGAN.
Ma femme, vostre belle-Mere, avoit envie qu’on je vous fisse Religieuse, et vostre petite sœur Louyson aussi  ; et de tout temps elle a esté aheurtée à cela.

TOINETTE tout bas.
La bonne beste a ses raisons.

ARGAN.
Elle ne vouloit point consentir à ce Mariage, mais je l’ay emporté, et ma parole est donnée.

ANGELIQUE.
Ah  ! mon Pere, que je vous suis obligée de toutes vos bontez.
TOINETTE.
En verité je vous sçay bon gré de cela, et voilà l’action la plus sage que vous ayez faire de vôtre vie.

ARGAN.
Je n’ay point encore vue la personne  ; mais on m’a dit que j’en serois content, et toy aussi.

ANGELIQUE.
Assurement, mon Pere.

ARGAN.
Comment l’as-tu veu  ?

ANGELIQUE.
Puisque vostre consentement m’authorise à vous pouvoir ouvrir mon cœur, je ne feindray point de vous dire, que le hazard nous a fait connoistre il y a six jours, et que la demande qu’on vous a faite, est un effet de l’inclination, que dés cette premiere veuë nous avons prise l’un pour l’autre.

ARGAN.
Ils ne m’ont pas dit cela, mais j’en suis bien aise, et c’est tant mieux que les choses soient de la sorte. Ils disent que c’est un grand jeune garçon bien fait.

ANGELIQUE.
Oüy, mon Pere.

ARGAN.
De belle taille.

ANGELIQUE.
Sans doute.

ARGAN.
Agreable de sa personne.

ANGELIQUE.
Assurement.

ARGAN.
De bonne phisionomie.

ANGELIQUE.
Tres-bonne.

ARGAN.
Sage, et bien né.

ANGELIQUE.
Tout-à-fait.

ARGAN.
Fort honneste.

ANGELIQUE.
Le plus honneste du monde.

ARGAN.
Qui parle bien Latin, et Grec.

ANGELIQUE.
C’est ce que je ne sçay pas.

ARGAN.
Et qui sera receu Medecin dans trois jours.

ANGELIQUE.
Luy, mon Pere  ?

ARGAN.
Oüy. Est-ce qu’il ne te l’a pas dit  ?

ANGELIQUE.
Non vrayment. Qui vous l’a dit à vous  ?

ARGAN.
Monsieur Purgon.

ANGELIQUE.
Est-ce que Monsieur Purgon le connoist  ?

ARGAN.
La belle demande  ; il faut bien qu’il le connoisse, puisque c’est son neveu.

ANGELIQUE.
Cleante, neveu de Monsieur Purgon.

ARGAN.
Quel Cleante  ? Nous parlons de celuy pour qui l’on t’a demandée en mariage.

ANGELIQUE.
Hé, oüy.

ARGAN.
Hé bien, c’est le neveu de Monsieur Purgon, qui est le fils de son beaufrere le Medecin, Monsieur Dyafoirus  ; et ce fils s’appelle Thomas Dyafoirus, et non pas Cleante  ; et nous avons conclu ce Mariage-là ce matin, Monsieur Purgon, Monsieur Fleurant et moy, et demain ce gendre prétendu doit m’estre amené par son Pere. Qu’est-ce  ? vous voilà tout ébaudie  ?

ANGELIQUE.
C’est, mon Pere, que ne connois que vous avez parlé d’un personne, et j’ay entendu une autre.

TOINETTE.
Quoy, Monsieur, vous auriez fait ce dessein burlesque  ? et avec tout le bien que vous avez, vous voudriez marier vostre Fille avec une Medecin  ?

ARGAN.
Oüy. Dequoy te mesles-tu, coquine, impudente que tu es  ?

TOINETTE.
Mon Dieu tout doux, vous allez d’abord aux invectives. Est-ce que nous ne pouvons pas raisonner ensemble sans nous emporter  ? Là, parlons de sang froid. Quelle est vostre raison, s’il vous plaist, pour un tel Mariage  ?

ARGAN.
Ma raison est, que me voyant infirme, et malade comme je suis, je veux me faire un gendre, et des alliez Medecins, afin de m’appuyer de bon secours contre ma maladie, d’avoir dans ma famille les sources des remedes qui me sont necessaires, et d’estre à mesme des consultations, et des ordonnances.

TOINETTE.
Hé bien, voilà dire une raison, et il y a plaisir à se répondre doucement les uns aux autres. Mais, Monsieur, mettez la main à la conscience. Est-ce que vous este malade  ?

ARGAN.
Comment, coquine, si je suis malade  ? si je sui malade, impudente  ?

TOINETTE.
Hé bien oüy, Monsieur, vous estes malade, n’ayons point de querelle là-dessus. Oüy, vous estes fort malade, j’en demeure d’accord, et plus malade que vous ne pensez  ; voilà qui est fait. Mais vostre Fille doit épouser un mary pour elle  ; et n’estant point malade, il n’est pas necessaire de luy donner un Medecin.

ARGAN.
C’est pour moy que je luy donne ce Medecin  ; et une Fille de bon naturel doit estre ravie d’épouser ce qui est utile à la santé de son Pere.

TOINETTE.
Ma foy, Monsieur, voulez-vous qu’en amie je vous donne un conseil  ?

ARGAN.
Quel est-il ce conseil  ?

TOINETTE.
De ne point songer à ce Mariage-là.

ARGAN.
Hé la raison  ?

TOINETTE.
La raison, c’est que vostre Fille n’y consentira point.

ARGAN.
Elle n’y consentira point  ?

TOINETTE.
Non.

ARGAN.
Ma Fille  ?

TOINETTE.
Vostre Fille. Elle vous dira qu’elle n’a que faire de Monsieur Dyafoirus, ny de son fils Thomas Dyafoirus, ny de tous les Dyafoirus du monde.

ARGAN.
J’en ay affaire, moy, outre que le party est plus avantageux qu’on ne pense, Monsieur Dyafoirus n’a que ce fils-là pour tout heritier  ; et de plus Monsieur Purgon, qui n’a ny femme, ny enfans, luy donne tout son bien, en faveur de ce Mariage  ; et Monsieur Purgon est un homme qui a huit mille bonnes livres de rente.

TOINETTE.
Il faut qu’il ait tué bien des gens, pour s’estre fait si riche.

ARGAN.
Huit mille livres de rente sont quelque chose, sans conter le bien du Pere.

TOINETTE.
Monsieur, tout cela est bel et bon  ; mais j’en reviens toûjours-là. Je vous conseille entre-nous de luy choisir un autre mary, et elle n’est point faite pour estre Madame Dyafoirus..

ARGAN.
Et je veux, moy, que cela soit.

TOINETTE.
Eh fy, ni dites pas cela.

ARGAN.
Comment, que je ne dise pas cela  ?

TOINETTE.
Hé non.

ARGAN.
Et pourquoy ne le diray-je pas  ?

TOINETTE.
On dira que vous ne songez pas à ce que vous dites.

ARGAN.
On dira ce qu’on voudra, mais je vous dis que je veux qu’elle execute la parole que j’ay donnée.

TOINETTE.
Non, je suis seure qu’elle ne le fera pas.

ARGAN.
Je l’y forceray bien.

TOINETTE.
Elle ne le fera pas, vous dy-je.

ARGAN.
Elle le fera, ou je la mettray dans un Convent.

TOINETTE.
Vous  ?

ARGAN.
Moy.

TOINETTE.
Bon.

ARGAN.
Comment, bon  ?

TOINETTE.
Vous ne la mettrez point dans un Convent.

ARGAN.
Je ne la mettray point dans un Convent  ?

TOINETTE.
Non.

ARGAN.
Non.

TOINETTE.
Non.

ARGAN.
Oüais, voicy qui est plaisant. Je ne mettray pas ma Fille dans un Convent, si je veux  ?

TOINETTE.
Non, vous dis-je.

ARGAN.
Qui m’en empeschera  ?

TOINETTE.
Vous-mesme.

ARGAN.
Moy  ?

TOINETTE.
Oüy. Vous n’aurez pas ce cœur-là.

ARGAN.
Je l’auray.

TOINETTE.
Vous vous mocquez.

ARGAN.
Je ne me mocque point.

TOINETTE.
La tendresse paternelle vous prendra.

ARGAN.
Elle ne me prendra point.

TOINETTE.
Une petite larme, ou deux, des bras jettez au coû, un mon petit Papa mignon, prononcé tendrement, sera assez pour vous toucher.

ARGAN.
Tout cela ne fera rien.

TOINETTE.
Oüy, oüy.

ARGAN.
Je vous dis que je n’en démordray point.

TOINETTE.
Bagatelles.

ARGAN.
Il ne faut point dire bagatelles.

TOINETTE.
Mon Dieu je vous connois, vous estes bon naturellement.

ARGAN avec emportement.
Je ne suis point bon, et je suis méchant quand je veux.

TOINETTE.
Doucement, Monsieur, vous ne songez pas que vous estes malade.

ARGAN.
Je luy commande absolument de se préparer à prendre le mary que je dis.

TOINETTE.
Et moy je luy défens absolument d’en faire rien.

ARGAN.
Où est-ce donc que nous sommes  ? et quelle audace est-ce-là à une coquine de Servante, de parler de la sorte devant son Maistre  ?

TOINETTE.
Quand un Maistre ne songe pas à ce qu’il fait, une Servante bien sensée est en droit de le redresser.

ARGAN court aprés Toinette.
Ah  ! insolente, il faut que je t’assomme.

TOINETTE se sauve de luy.
Il est de mon devoir de m’opposer aux choses qui vous peuvent des-honorer.

ARGAN en colere, court aprés elle autour de sa chaise son bâton à la main.
Vien, vien, que je t’apprenne à parler.

TOINETTE courant, et se sauvant du costé de la chaise où n’est Argan.
Je m’interesse, comme je doy, à ne vous point laisser faire de folie.

ARGAN.
Chienne  !

TOINETTE.
Non, je ne consentiray jamais à ce Mariage.

ARGAN.
Pendarde  !

TOINETTE.
Je ne veux point qu’elle épouse vostre Thomas Dyafoirus.

ARGAN.
Carogne  !

TOINETTE.
Et elle m’obeïra plûtost qu’à vous.

ARGAN.
Angelique, tu ne veux pas m’arrester cette coquine-là  ?

ANGELIQUE.
Eh, mon Pere, ne vous faites point malade.

ARGAN.
Si tu ne me l’arreste, je te donneray ma malediction.

TOINETTE.
Et moy je la desheriteray, si elle vous obeït.

ARGAN se jette dans sa chaise, estant las de courir aprés elle.
Ah  ! ah  ! je n’en puis plus. Voilà pour me faire mourir.

 

 

SCENE VI.
BELINE, ANGELIQUE, TOINETTE, ARGAN.

ARGAN.
Ah  ! ma femme approchez.

BELINE.
Qu’avez-vous, mon pauvre mary  ?

ARGAN.
Venez-vous en icy à mon secours  ?

BELINE.
Qu’est-ce que c’est donc qu’il y a, mon petit fils  ?

ARGAN.
Mamie.

BELINE.
Mon amy.

ARGAN.
On vient de me mettre en colere.

BELINE.
Helas  ! pauvre petit mary. Comment donc mon amy  ?

ARGAN.
Vostre coquine de Toinette est devenuë plus insolente que jamais.

BELINE.
Ne vous passionnez donc point.

ARGAN.
Elle m’a fait enrager, mamie.

BELINE.
Doucement, mon fils.

ARGAN.
Elle a contrequarré une heure durant les choses que je veux faire.

BELINE.
Là, là, tout doux.

ARGAN.
Et a eu l’effronterie de me dire que je ne suis point malade.

BELINE.
C’est une impertinente.

ARGAN.
Vous sçavez, mon cœur, ce qui en est.

BELINE.
Oüy, mon cœur, elle a tort.

ARGAN.
Mamour, cette coquine-là me fera mourir.

BELINE.
Eh là, eh là.

ARGAN.
Elle est cause de toute la bile que je fais.

BELINE.
Ne vous fâchez point tant.

ARGAN.
Et il y a je ne sçay combien que je vous dis de me la chasser.

BELINE.
Mon Dieu, mon fils, il n’y a point de Serviteurs, et de Servantes qui n’ayent leurs défauts. On est contraint parfois de souffrir leurs mauvaises qualitez, à cause, des bonnes. Celle-cy est adroite, soigneuses, diligente, et sur tout fidelle  ; et vous sçavez qu’il faut maintenant de grandes précautions pour les gens que l’on prend. Hola, Toinette.

TOINETTE.
Madame.

BELINE.
Pourquoy donc est-ce que vous mettez mon mary en colere  ?

TOINETTE d’un ton doucereux.
Moy, Madame, helas  ! je ne sçay pas ce que vous me voulez dire, et je ne songe qu’à complaire à Monsieur en toutes choses.

ARGAN.
Ah  ! la traitresse.

TOINETTE.
Il nous a dit qu’il vouloit donner sa Fille en Mariage au fils de Monsieur Dyafoirus  ; je luy ay répondu que je trouvois le party avantageux pour elle  ; mais que je croyois qu’il feroit mieux de la mettre dans un Convent.
BELINE.
Il n’y a pas grand mal à cela, et je trouve qu’elle a raison.

ARGAN.
Ah  ! mamour, vous la croyez  ; c’est une scelerate. Elle m’a dit cent insolences.

BELINE.
Hé bien je vous crois, mon amy. Là remettez-vous. Ecoutez, Toinette, si vous fâchez jamais mon mary, je vous mettray dehors. C’a, donnez-moy son manteau fourré, et des oreillers, que je l’accommode dans sa chaise. Vous voilà je ne sçay comment. Enfoncez bien vostre bonnet jusques sur vos oreilles  ; il n’y a rien qui enrhume tant, que de prendre l’air par les oreilles.

ARGAN.
Ah  ! mamie, que je vous suis obligé de tous les soins que vous prenez de moy.

BELINE accommodant les oreillers qu’elle met autour d’Argan.
Levez-vous que je mette cecy sous vous. Mettons celuy-cy pour vous appuyer, et celuy-là de l’autre costé. Mettons celuy-cy derriere vostre dos, et cet autre-là pour soûtenir vostre teste.

TOINETTE luy mettant rudement un oreiller sur la teste, et puis fuyant.
Et celuy-cy pour vous garder du serein.

ARGAN se leve en colere, et jette les oreillers à Toinette.
Ah  ! coquine, tu veux m’étouffer.

BELINE.
Eh là, eh là. Qu’est-ce que c’est donc  ?

ARGAN tout essoufflé se jette dans sa chaise.
Ah, ah, ah  ! je n’en puis plus.

BELINE.
Pourquoy vous emporter ainsi  ? Elle a crû faire bien.

ARGAN.
Vous ne connoissez pas, mamour, la malice de la pendarde. Ah  ! elle m’a mis tout hors de moy  ; et il faudra plus de huit medecines, et de douze lavemens, pour reparer tout cecy.

BELINE.
Là, là, mon petit amy, appaisez-vous un peu.

ARGAN.
Mamie, vous estes tout ma consolation.

BELINE.
Pauvre petit fils.

ARGAN.
Pour tâcher de reconnoistre l’amour que vous me portez, je veux, mon cœur, comme je vous ay dit, faire mon Testament.

BELINE.
Ah  ! mon amy, ne parlons point de cela, je vous prie, je ne sçaurois souffrir cette pensée  ; et le seul mot de Testament me fait faillir de douleur.

ARGAN.
Je vous avois dit de parler pour cela à vostre Notaire.

BELINE.
Le voilà là-dedans, que j’ay amené avec moy.

ARGAN.
Faites-le donc entrer mamour.

BELINE.
Helas  ! mon amy, quand on ayme bien un mary, on n’est guères en estat de songer à tout cela.

 

 

SCENE VII.

Cette Scene entiere n’est point dans les Editions precedentes, de la Prose de Monsieur Moliere, la voicy restablie sur l’original de l’Autheur.LE NOTAIRE, BELINE, ARGAN.

ARGAN.
Approchez, Monsieur de Bonnefoy, approchez. Prenez un siege, s’il vous plaist. Ma femme m’a dit, Monsieur, que vous estiez fort honneste homme, et tout-à-fait de ses amis  ; et je l’ay chargée de vous parler, pour un Testament que je veux dire.

BELINE.
Hélas  ! je ne suis point capable de parler de ces choses-là.

LE NOTAIRE.
Elle m’a, Monsieur, expliqué vos intentions, et le dessein où vous estes pour elle  ; et j’ay à vous dire là-dessus, que vous ne sçauriez rien donner à vostre femme par vostre Testament.

ARGAN.
Mais pourquoy  ?

LE NOTAIRE.
La Coûtume y resiste. Si vous estiez en païs de Droit écrit, cela se pourroit faire  ; mais à Paris, et dans les païs Coûtumiers, au moins dans la pluspart, c’est ce qui ne se peut, et la disposition seroit nulle. Tout l’avantage qu’homme et femme conjoints par Mariage se peuvent faire l’un à l’autre, c’est un don mutuel entre-vifs  ; encore faut-il qu’il n’y ait enfans, soit des deux conjoints, ou de l’un d’eux, lors du decés du premier mourant.

ARGAN.
Voilà une Coûtume bien impertinente, qu’un mary ne puisse rien laisser à une femme, dont il est aymé tendrement, et qui prend de luy tant de soin. J’aurois envie de consulter mon Avocat, pour voir comment je pourrois faire.

LE NOTAIRE.
Ce n’est point à des Avocats qu’il faut aller, car ils sont d’ordinaire serveres là-dessus, et s’imaginent que c’est un grand crime, que de disposer en fraude de la Loy. Ce sont gens de difficultez, et qui sont ignorans des détours de la conscience. Il y a d’autres personnes à consulter, qui sont bien plus accommodantes  ; qui ont des expediens pour passer doucement par dessus la Loy, et rendre juste ce qui n’est pas permis  ; qui sçavent applanir les difficultez d’une affaire, et trouver des moyens d’éluder la Coûtume, par quelque avantage indirect. Sans cela, où en serions-nous tous les jours  ; il faut de la facilité dans les choses, autrement nous ne serions rien, et je ne donnerois pas un soû de nostre mestier.

ARGAN.
Ma femme m’avoit bien dit, Monsieur, que vous estiez fort habile, et fort honneste homme. Comment puis-je faire, s’il vous plaist, pour luy donner mon bien, et en frustrer mes enfans  ?

LE NOTAIRE.
Comment vous pouvez faire  ? Vous pouvez choisir doucement un amy intime de vostre femme, auquel vous donnerez en bonne forme par vôtre Testament tout ce que vous pouvez  ; et cet amy en suite, luy rendra tout. Vous pouvez encore contracter un grand nombre d’obligations, non suspectes, au profit de divers Creanciers, qui presteront leur nom à vostre femme, et entre les mains de laquelle ils mettront leur déclaration, que ce qu’il en ont fait n’a esté que pour lui faire plaisir. Vous pouvez aussi, pendant que vous estes en vie, mettre entre ses mains de l’argent comptant, ou des billets que vous pourrez avoir, payables au porteur.

BELINE.
Mon Dieu, il ne faut point vous tourmentez de tout cela. S’il vient faute de vous, mon fils, je ne veux plus rester au monde.

ARGAN.
Mamie.

BELINE.
Oüy, mon amy, si je suis assez mal-heureuse, pour vous perdre.

ARGAN.
ma chere femme  !

BELINE.
La vie ne me fera plus de rien.

ARGAN.
Mamour  !

BELINE.
Et je suivray vos pas, pour vous faire connoistre la tendresse que j’ay pour vous.

ARGAN.
Mamie, vous me fendez le cœur. Consolez-vous je vous prie.

LE NOTAIRE.
Ces larmes sont hors de saison, et les choses n’en sont point encore-là.

BELINE.
Ah  ! Monsieur, vous ne sçavez pas ce que c’est qu’un mary, qu’on ayme tendrement.

ARGAN.
Tout le regret que j’auray, si je meurs, mamie, c’est de n’avoir point un enfant de vous. Monsieur Purgon m’avoit dit qu’il m’en feroit faire un.

LE NOTAIRE.
Cela pourra venir encore.

ARGAN.
Il faut faire mon Testament, mamour, de la façon que Monsieur dit  ; mais par précaution, je veux vous mettre entre les mains vingt mille francs en or, que j’ay dans le lambris de mon alcove, et deux billets payables au porteur, qui me sont dûs, l’un par Monsieur Damon, et l’autre par Monsieur Gerante.

BELINE.
Non, non, je ne veux point de tout cela. Ah  ! combien dites-vous qu’il y a dans vostre alcove  ?

ARGAN.
Vingt mille francs, mamour.

BELINE.
Ne me parler point de bien, je vous prie. Ah  ! de combien sont les deux billets  ?

ARGAN.
Ils sont, mamie, l’un de quatre mille francs, et l’autre de six.

BELINE.
Tous les biens du monde, mon amy, ne me sont rien, au prix de vous.

LE NOTAIRE.
Voulez-vous que nous procedions au Testament  ?

ARGAN.
Oüy, Monsieur  ; mais nous serons mieux dans mon petit cabinet. Mamour, conduisez-moy, je vous prie.

BELINE.
Allons, mon pauvre petit fils.

 

 

SCENE VIII.

Cette Scene n’est point dans les Editions precedentes de la Prose de Monsieur de Moliere  ; la voicy restablie sur l’original de l’Autheur.ANGELIQUE, TOINETTE.

TOINETTE.
Les voilà avec un Notaire, et j’ay oüy parler de Testament. Vostre belle-Mere ne s’endort point, et c’est sans doute quelque conspiration contre vos interests, où elle pousse vostre Pere.

ANGELIQUE.
Qu’il dispose de son bien à sa fantaisie, pourveu qu’il ne dispose point de mon cœur. Tu vois, Toinette, les desseins violens que l’on faut sur luy. Ne l’abandonne point, je te prie, dans l’extremité où je suis.

TOINETTE.
Moy  ? vous abandonner, j’aymerois mieux mourir. Vostre belle-Mere a beau me faire sa confidente, et me vouloir jetter dans ses interest, je n’ay jamais pû avoir d’inclination pour elle, et j’ay toûjours esté de vostre party. Laissez-moy faire, j’employray toute chose pour vous servir avec plus d’effet, je veux changer de batterie, couvrir le zele que j’ay pour vous, et feindre d’entrer dans les sentimens de vostre Pere, et de vostre belle-Mere.

ANGELIQUE.
Tâche, je t’en conjure, de faire donner avis à Cleante du Mariage qu’on a conclu.

TOINETTE.
Je n’ay personne à employer à cet office, que le vieux usurier Polichinelle, mon Amant, et il m’en coûtera pour cela quelques paroles de douceur, que je veux bien despencer pour vous. Pour aujourd’huy il est trop tard  ; mais demain du grand matin, je l’envoiray querir, et il sera ravy de….

BELINE.
Toinette.

TOINETTE.
Voilà qu’on m’appelle. Bonsoir. Reposez-vous sur moy. Fin du premier Acte.

 

Le Theatre change et represente une Ville.

PREMIER INTERMEDE.

Polichinelle dans la nuit vient pour donner une Serenade à sa Maistresse. Il est interrompu d’abord par des Violons, contre lesquels il se met en colere, et ensuite par le Guet composé de Musiciens et de Danceurs.

POLICHINELLE.
O Amour, amour, amour, amour  : pauvre Polichinelle, quelle Diable de fantaisie t’es-tu allé mettre dans la cervelle  ? A quoy t’amuses-tu, miserable insensé que tu es  ? Tu quitte le soin de ton negoce, et tu laisses aller tes affaires à l’abandon. Tu ne mange plus, tu ne bois presque plus, tu pers le repos la nuit, et tout cela pour qui  ? Pour une Dragonne, franche Dragonne  ; une Diablesse qui te rembarre, et se mocque de tout ce que tu peux luy dire. Mais il n’y a point à raisonner là-dessus  : Tu le veux, amour  ; il faut estre comme beaucoup d’autres. Cela n’est pas le mieux du monde à un homme de mon âge  : mais qu’y faire  ? on n’est pas sage quand on veut, et les vieilles cervelles se démontent comme les jeunes.
Je viens voir si je ne pourray point adoucir ma tigresse par une Serenade. Il n’y a rien par fois qui soit si touchant qu’un Amant qui vient chanter ses doleances aux gons et aux verroux de la porte de sa Maistresse. Voicy dequoy accompagner ma voix. O nuit, ô chere nuit, porte mes plaintes amoureuses jusques dans le lit de mon inflexible. Il chante ces paroles.
Notte’ e dì v’ amo’ e v’ adoro
Cerco’ un si per mio ristoro,
Ma se voi dite di nò
Bell’ ingrata jo morirò
Fra la speranza
S’afflige’ il cuore,
In lontananza
Consum a l’hore  ;
Si dolce’ inganno,
Che mi figura
Breve l’affanno,
Ahi troppo dura,
Cosi per tropp’ amar languisco e muoro
Notte’ e dì v’ amo’ e v’ adoro
Cerco’ un si per mio ristoro,
Mà se voi dite di nò
Bell’ ingrata jo morirò

Se non dormite,
Al men pensate
Alle ferite
Ch’al cuor mi fate  ;
Deh almen fingete
Permio conforto,
Se m’uccideto,
D’haver il torto  :
Vostra pietà mi si emera’ il martoro
Notte’ e di v’ amo’ evadoro
Cerco’ un si per mio ristoro,
Mà se voi dite di nò
Bell’ ingrata jo morirò. Une vieille se presente à la fenestre, et répond au Seignor Polichinelle en se mocquant de luy.
Zerbinetti ch’ogn’hor confinti sguardi,
Mentiti desiri,
Fallaci sospiri,
Accenti Buggiardi,
Difede vi preggiate,
Ah che non m’ingannate.
Che gia sò per prova,
Ch’in voi non si trova
Constanza ne fede  ;
Oh quanto’ è pazza colei che vi crede.

Quei sguardi languidi
Non m’innamorano,
Quei sospiri fervidi
Più non m’infiammano
Vel giuro’ a fé.
Zerbino misero,
Del vostro piangere
Il mio cor libero
Vuol semper ridere
Credet’à mè
Chegiasò per prova,
Chin voi non si trova
Constanza ne fede  ;
Oh quanto è pazza colei che vi crede. Violons.

POLICHINELLE.
Quelle impertinente harmonie vient interrompre icy ma voix  ? Violons.

POLICHINELLE.
Paix-là, taisez-vous, Violons. Laissez-moy me plaindre à mon aise des cruautez de mon inexorable. Violons.

POLICHINELLE.
Taisez-vous, vous dis-je. C’est moy qui veux chanter. Violons.

POLICHINELLE.
Paix-donc. Violons.

POLICHINELLE.
Oüais  ! Violons.

POLICHINELLE.
Ahy. Violons.

POLICHINELLE.
Est-ce pour rire  ? Violons.

POLICHINELLE.
Ah que de bruit. Violons.

POLICHINELLE.
Le Diable vous emporte. Violons.

POLICHINELLE.
J’enrage. Violons.

POLICHINELLE.
Vous ne vous tairez pas  ? Ah Dieu soit loüé. Violons.

POLICHINELLE.
Encore  ? Violons.

POLICHINELLE.
Peste des Violons. Violons.

POLICHINELLE.
La sotte Musique que voilà  ! Violons.

POLICHINELLE.
La, la, la, la, la, la. Violons.

POLICHINELLE.
La, la, la, la, la, la. Violons.

POLICHINELLE.
La, la, la, la, la, la. Violons.

POLICHINELLE.
La, la, la, la, la, la. Violons.

POLICHINELLE.
La, la, la, la, la, la. Violons.

POLICHINELLE

avec un Luth, dont il ne jouë que des lévres et de la langue, en disant, plin tan plan, etc.
Par ma foy cela me divertit. Poursuivez, Messieurs les Violons, vous me ferez plaisir. Allons donc, continuez. Je vous prie. Voilà le moyen de les faire taire. La Musique est accoûtumée à ne point faire ce qu’on veut. Hò sus à nous. Avant que de chanter il faut que je prélude un peu, et jouë quelque piece, afin de mieux prendre mon ton. Plan, plan, plan. Plin, plin, plin. Voilà un temps fâcheux pour mettre un Luth d’accord. Plin, plin, plin. Plin, tan, plan. Plin, plin. Les cordes ne tiennent point par ce temps-là. Plin, plan. J’entens du bruit, Mettons mon Luth contre la porte.

ARCHERS, passans dans la ruë accourent au bruit qu’ils entendent, et demandent  :
Qui va-là, qui va-là  ?

POLICHINELLE, tout bas.
Qui diable est-ce là  ? est-ce que c’est la mode de parler en Musique  ?

ARCHERS.
Qui va là, qui va là, qui va là  ?

POLICHINELLE épouvanté.
Moy, moy, moy.

ARCHERS.
Qui va là, qui va là  ? vous dis-je.

POLICHINELLE.
Moy, moy, vous dis-je.

ARCHERS.
Et qui toy, et qui toy  ?

POLICHINELLE.
Moy, moy, moy, moy, moy, moy.

ARCHERS.
Dy ton nom, dy ton nom, sans davantage attendre.

POLICHINELLE, feignant d’estre bien hardy.
Mon nom est, va te faire pendre.

ARCHERS.
Icy camarades, icy.
Saisissons l’insolents qui nous répond ainsi.

ENTRE’E DE BALLET. Tout le Guet vient qui cherche Polichinelle dans la nuit.

Violons et Danseurs.

POLICHINELLE.
Qui va là  ? Violons et Danseurs.

POLICHINELLE.
Qui sont les coquins que j’entens  ? Violons et Danseurs.

POLICHINELLE.
Euh  ! Violons et Danseurs.

POLICHINELLE.
Holà mes laquais, mes gens. Violons et Danseurs.

POLICHINELLE.
Par la mort. Violons et Danseurs.

POLICHINELLE.
Par le sang. Violons et Danseurs.

POLICHINELLE.
J’en jetteray par terre.
Violons et Danseurs.

POLICHINELLE.

Champagne, Poitevin, Picard, Basque, Breton.
Violons et Danseurs.

POLICHINELLE.

Donnez-moy mon Mousqueton.
Violons et Danseurs.

POLICHINELLE

tire un coup de Pistolet.

Pouë.
Ils tombent tous et s’enfuyent.

POLICHINELLE,

en se mocquant.
Ah, ah, ah, ah, comme je leur ay donné l’épouvante. Voilà de sottes gens d’avoir peur de moy qui ay peur des autres. Ma foy il n’est que de jouër d’adresse en ce monde. Si je n’avois tranché du grand Seigneur, et n’avois fait le brave, ils n’auroient pas manqué de me haper  : Ah, ah, ah. Les Archers se rapprochent, et ayant entendu ce qu’il disoit, ils le saisissent au collet.

ARCHERS.
Nous le tenons, à nous, Camarades, à nous, Despeschez, de la lumiere.

BALLET. Tout le Guet vient avec des lanternes.

ARCHERS.
Ah traistre, ah fripon, c’est donc vous,
Faquin, maraut, pendart, impudent, temeraire,
Insolent, effronté, coquin, filou, voleur,
Vous osez nous faire peur  ?

POLICHINELLE.
Messieurs, c’est que j’estois yvre.

ARCHERS.
Non, non, point de raison,
Il faut vous apprendre à vivre,
En prison viste, en prison.

POLICHINELLE.
Messieurs, je ne suis point voleur.

ARCHERS.
En prison.

POLICHINELLE.
Je suis un Bourgeois de la Ville.

ARCHERS.
En prison.

POLICHINELLE.
Qu’ay-je fait  ?

ARCHERS.
En prison viste, en prison.

POLICHINELLE.
Messieurs, laissez-moy aller.

ARCHERS.
Non.

POLICHINELLE.
Je vous prie.

ARCHERS.
Non.

POLICHINELLE.
Eh  !

ARCHERS.
Non.

POLICHINELLE.
De grace.

ARCHERS.
Non, non.

POLICHINELLE.
Messieurs.

ARCHERS.
Non, non, non.

POLICHINELLE.
S’il vous plaist.

ARCHERS.
Non, non.

POLICHINELLE.
Par charité.

ARCHERS.
Non, non.

POLICHINELLE.
Au nom du Ciel.

ARCHERS.
Non, non.

POLICHINELLE.
Misericorde.

ARCHERS.
Non, non, non, point de raison.
Il faut vous apprendre à vivre,
En prison, viste, en prison.

POLICHINELLE.
Eh, n’est-il rien, Messieurs, qui soit capable d’attendrir vos ames  ?

ARCHERS.
Il est aisé de nous toucher,
Et nous sommes humains plus qu’on ne sçauroit croire,
Donnez-nous doucement six pistoles pour boire  ;
Nous allons vous lâcher.

POLICHINELLE.
Helas, Messieurs, je vous assure que je n’ay pas un sol sur moy.

ARCHERS.
Au deffaut de six pistoles,
Choisissez donc sans façon
D’avoir trente croquignoles,
Ou douze coups de bâton.

POLICHINELLE.
Si c’est une nécessité, et qu’il faille en passer par là, je choisis les croquignoles.

ARCHERS.
Allons, preparez-vous,
Et comptez bien le coups.

BALLET. Les Archers Danseurs luy donnent des croquignoles en cadence.

POLICHINELLE.
Un et deux. Trois et quatre. Cinq et six. Sept et huit. Neuf et dix. Onze et douze et treize, et quatorze et quinze.

ARCHERS.
Ah  ! ah  ! vous en voulez passer  ;
Allons, c’est à recommencer.

POLICHINELLE.
et vous venez de me la rendre comme une pomme cuite. J’ayme mieux encore les coups de bâtons, que de recommencer.

ARCHERS.
Soit, puisque le bâton est pour vous plus charmant,
Vous en aurez contentement.

BALLET. Les Archers Danseurs luy donnent des coups de bâtons en cadence.

POLICHINELLE.
Un, deux, trois, quatre, cinq, six, ah, ah, ah, je n’y sçaurois plus resister. Tenez, Messieurs, voilà six pistoles que je vous donne.

ARCHERS.
Ah l’honneste homme  ! ah l’ame noble et belle  !
Adieu, Seigneur, adieu, Seigneur Polichinelle.

POLICHINELLE.
Messieurs, je vous donne le bon-soir.

ARCHERS.
Adieu, Seigneur, adieu, Seigneur Polichinelle.

POLICHINELLE.
Vostre serviteur.

ARCHERS.
Adieu, Seigneur, adieu, Seigneur Polichinelle.

POLICHINELLE.
Tres-humble valet.

ARCHERS.
Adieu Seigneur, adieu, Seigneur Polichinelle.

POLICHINELLE.
Jusqu’au revoir.

BALLET. Ils dansent tous en réjoüissance de l’argent qu’ils ont receu.

Le Theatre change, et represente encore une Chambre.

 

 

ACTE II.

SCENE PREMIERE.
TOINETTE, CLEANTE.

TOINETTE.
Que demandez-vous, Monsieur  ?

CLEANTE.
Ce que je demande  ?

TOINETTE.
Ah, ah, c’est-vous  ? Quelle surprise  ! Que venez-vous faire ceans  ?

CLEANTE.
Sçavoir ma destinée  ; parler à l’aymable Angelique  ; consulter les sentimens de son cœur  ; et luy demander ses resolutions sur ce Mariage fatal, dont on m’a averty.

TOINETTE.
Oüy, mais on ne parle pas comme cela de but en blanc à Angelique  ; il y faut des mysteres, et l’on vous a dit l’étroite garde où elle est retenuë. Qu’on ne la laisse, ny sortir, ny parler à personne, et que ce ne fut que la curiosité d’une vielle Tante, qui nous fit accorder la liberté d’aller à cette Comedie, qui donna lieu à la naissance de vostre passion, et nous nous sommes bien gardez de parler de cette avanture.

CLEANTE.
Aussi ne viens-je pas icy comme Cleante, et sous l’apparence de son Amant, mais comme amy de son Maistre de Musique, dont j’ay obtenu le pouvoir de dire qu’il m’envoye à sa place.

TOINETTE.
Voicy son Pere. Retirez-vous un peu, et me laissez luy dire que vous estes-là.

 

 

SCENE II.
ARGAN, TOINETTE, CLEANTE.

ARGAN.
Monsieur Purgon m’a dit de me promener le matin dans ma chambre douze allées, et douze venuës  ; mais j’ay oublié à luy demander, si c’est en long, ou en large.

TOINETTE.
Monsieur, voilà un….

ARGAN.
Parle bas, pendarde, tu viens m’ébranler tout le cerveau, et tu ne songes pas qu’il ne faut point parler si haut à des malades.

TOINETTE.
Je voulois vous dire Monsieur….

ARGAN.
Parle bas, te dy-je.

TOINETTE.
Monsieur…..

ARGAN.
Eh  !

TOINETTE.
Je vous dis que….

ARGAN.
Qu’est-ce que tu dis  ?

TOINETTE.
Je dis que voilà un homme qui veut parler à vous.

ARGAN.
Qu’il vienne. Toinette fait signe à Cleante d’avancer.

CLEANTE.
Monsieur……

TOINETTE.
Ne parlez pas si haut, de peur d’ébranler le cerveau de Monsieur.

CLEANTE.
Monsieur, je suis ravy de vous trouver debout, et de voir que vous vous portez mieux.

TOINETTE feignant d’estre en colere.
Comment qu’il se porte mieux  ? cela est faux, Monsieur se porte toûjours mal.

CLEANTE.
J’ay oüy dire que Monsieur estoit mieux, et je luy trouve bon visage.

TOINETTE.
Que voulez-vous dire avec vostre bon visage  ? Monsieur l’a fort mauvais, et ce sont des impertinens qui vous ont dit qu’il estoit mieux. Il ne s’est jamais si mal porté.

ARGAN.
Elle a raison.

TOINETTE.
Il marche, dort, mange, et boit tout comme les autres  ; mais cela n’empesche pas qu’il ne soit fort malade.

ARGAN.
Cela est vray.

CLEANTE.
Monsieur, j’en suis au desespoir. Je viens de la part du Maistre à chanter de Mademoiselle vôtre Fille. Il s’est veu obligé d’aller à la Campagne pour quelques jours  ; et comme son amy intime, il m’envoye à sa place pour luy continuer ses leçons, de peur qu’en les interrompant elle ne vinst à oublier ce qu’elle sçait déja.

ARGAN.
Fort bien. Appellez Angelique.

TOINETTE.
Je croy, Monsieur, qu’il sera mieux de mener Monsieur à sa chambre.

ARGAN.
Non, faites-la venir.

TOINETTE.
Il ne pourra luy donner leçon, comme il faut  ; s’ils ne sont en particulier.

ARGAN.
Si fait, si fait.

TOINETTE.
Monsieur, cela ne fera que vous étourdir, et il ne faut rien pour vous émouvoir en l’estat où vous estes, et vous ébranler le cerveau.

ARGAN.
Point, point, j’ayme la Musique, et je seray bien aise de…. Ah  ! la voicy. Allez vous-en voir vous, si ma femme est habillée.

 

 

SCENE III.
ARGAN, ANGELIQUE, CLEANTE.

ARGAN.
Venez, ma Fille, vostre Maistre de Musique est allé aux champs, et voilà une personne qu’il envoye à sa place pour vous montrer.

ANGELIQUE.
Ah, Ciel  !

ARGAN.
Qu’est-ce  ? D’où vient cette surprise  ?

ANGELIQUE.
C’est…..

ARGAN.
Quoy  ? Qui vous émeut de la sorte  ?

ANGELIQUE.
C’est, mon Pere, une avanture surprenante qui se rencontre icy.

ARGAN.
Comment  ?

ANGELIQUE.
J’ay songé cette nuit que j’estois dans le plus grand embarras du monde, et qu’une personne faite tout comme Monsieur, s’est presentée à moy, à qui j’ay demandé secours, et qui m’est venu tirer de la peine où j’estois  ; et ma surprise a esté grande, de voir inopinément en arrivant icy, ce que j’ay eu dans l’idée toute la nuit.

CLEANTE.
Ce n’est pas estre mal-heureux que d’occuper vôtre pensée, soit en dormant, soit en veillant  ; et mon bon-heur seroit grand sans doute, si vous estiez dans quelque peine, dont vous me jugeassiez digne de vous tirer  ; et il n’y a rien que je ne fisse pour….

 

 

SCENE IV.
TOINETTE, CLEANTE, ANGELIQUE, ARGAN.

TOINETTE par dérision.
Ma foy, Monsieur, je suis pour vous maintenant, et je me dédis de tout ce que je disois hier. Voicy Monsieur Dyafoirus le Pere, et Monsieur Dyafoirus le Fils, qui viennent vous rendre visite. Que vous serez bien engendré  ! vous allez voir le garçon le mieux fait du monde, et le plus spirituel. Il n’a dit que deux mots, qui m’on ravie, et vostre Fille va estre charmée de luy.

ARGAN à Cléante, qui feint de vouloir s’en aller.
Ne vous en allez point, Monsieur. C’est que je marie ma Fille, et voilà qu’on luy ameine son prétendu mary, qu’elle n’a point encore veu.

CLEANTE.
C’est m’honorer beauoup, Monsieur, de vouloir que je sois témoin d’une entrevue si agreable.

ARGAN.
C’est le fils d’un habile Medecin, et le Mariage se fera dans quatre jours.

CLEANTE.
Fort bien.

ARGAN.
Mandez-le un peu à son Maistre de Musique, afin qu’il se trouve à la Nopce.

CLEANTE.
Je n’y manqueray pas.

ARGAN.
Je vous y prie aussi.

CLEANTE.
Vous me faites beaucoup d’honneur.

TOINETTE.
Allons qu’on se range, les voicy.

 

 

SCENE V.
Mr DYAFOIRUS, THOMAS DYAFOIRUS, ARGAN, ANGELIQUE, CLEANTE, TOINETTE.

ARGAN mettant la main à son bonnet sans l’oster.
Monsieur Purgon, Monsieur, m’a défendu de découvrir ma teste. Vous este du métier, vous sçavez les consequences.

MONSIEUR DYAFOIRUS.
Nous sommes dans toutes nos visites pour porter secours aux malades, et non pour leur porter de l’incommodité.

ARGAN.
Je reçois, Monsieur. Ils parlent tous eux en mesme temps, s’interrompent et confondent.

MONSIEUR DYAFOIRUS.
Nous venons icy, Monsieur….

ARGAN.
Avec beaucoup de joye.

MONSIEUR DYAFOIRUS.
Mon fils Thomas, et moy.

ARGAN.
L’honneur que vous me faites.

MONSIEUR DYAFOIRUS.
Vous témoigner, Monsieur.

ARGAN.
Et j’aurois souhaité.

MONSIEUR DYAFOIRUS.
Le ravissement où nous sommes.

ARGAN.
De pouvoir aller chez-vous.

MONSIEUR DYAFOIRUS.
De la grace que vous nous faites.

ARGAN.
Pour vous en assurer.

MONSIEUR DYAFOIRUS.
De vouloir bien nous recevoir.

ARGAN.
Mais vous sçavez, Monsieur.

MONSIEUR DYAFOIRUS.
Dans l’honneur, Monsieur.

ARGAN.
Ce que c’est qu’un pauvre malade.

MONSIEUR DYAFOIRUS.
De vostre alliance.

ARGAN.
Qui ne peut faire autre chose.

MONSIEUR DYAFOIRUS.
Et vous assurer.

ARGAN.
Que de vous dire icy.

MONSIEUR DYAFOIRUS.
Que dans les choses qui dépendront de nostre mestier.

ARGAN.
Qu’il cherchera toutes les occasions.

MONSIEUR DYAFOIRUS.
De mesme qu’en toute autre.

ARGAN.
De vous faire connoistre, Monsieur.

MONSIEUR DYAFOIRUS.
Nous serons toûjours prests, Monsieur.

ARGAN.
Qu’il est tout à vostre service.

MONSIEUR DYAFOIRUS.
A vous témoigner nostre zele. Il se retourne vers son fils, et luy dit :
Allons, Thomas, avancez. Faites vos complimens.

THOMAS DYAFOIRUS est un grand benest nouvellement sorty des Escoles, qui fait toutes choses de mauvaise grace, et à contre-temps.
N’est-ce pas par le Pere qu’il convient commencer  ?

MONSIEUR DYAFOIRUS.
Oüy.

THOMAS DYAFOIRUS.
Monsieur, je viens salüer, reconnoistre, cherir, et reverer en vous un second Pere  ; mais un second Pere, auquel j’ose dire que je me trouve plus redevable qu’au premier. Le premier m’a engendré  ; mais vous m’avez choisy. Il m’a reçeupar necessité  ; mais vous m’avez accepté par grace. Ce que je tiens de luy est un ouvrage de son corps  ; mais ce que je tiens de vous est un ouvrages de vostre volonté  ; et d’autant plus que les facultez spirituelles, sont au dessus des corporelles, d’autant plus je vous dois, et d’autant plus je tiens precieuse cette future filiation, dont je viens aujourd’huy vous rendre par avance les tres-humbles, et tres-respectueux hommages.

TOINETTE.
Vive les Colleges, d’où l’on sort si habile homme.

THOMAS DYAFOIRUS.
Cela a-t-il bien esté, mon Pere  ?

MONSIEUR DYAFOIRUS.
Optime.

ARGAN à Angelique.
Allons, saluez Monsieur.

THOMAS DYAFOIRUS.
Baiseray-je  ?

MONSIEUR DYAFOIRUS.
Oüy, oüy.

THOMAS DYAFOIRUS à Angelique.
Madame, c’est avec justice, que le Ciel vous a concedé le nom de belle-Mere, puisque l’on….

ARGAN.
Ce n’est pas ma femme, c’est ma Fille à qui vous parlez.

THOMAS DYAFOIRUS.
Où donc est-elle  ?

ARGAN.
Elle va venir.

THOMAS DYAFOIRUS.
Attendray-je, mon Pere, qu’elle soit venuë  ?

MONSIEUR DYAFOIRUS.
Faites toûjours le compliment de Mademoiselle.

THOMAS DYAFOIRUS.
Mademoiselle, ne plus, ne moins que la statuë de Memnon, rendoit un son harmonieux, lorsqu’elle venoit à estre éclairée des rayons du Soleil  : Tout de mesme me sens-je animé d’un doux transport à l’apparition du Soleil de vos beautez. Et comme les Naturalistes remarquent que la fleur nommée Heliotrope tourne sans cesse vers cet Astre du jour, aussi mon cœur dores-en-avant tournera-t-il toûjours vers les Astres resplandissans de vos yeux adorables, ainsi que vers son Pôle unique. Souffrez-donc, Mademoiselle, que j’appande aujourd’huy à l’autel de vos charmes l’offrande de ce cœur, qui ne respire, et n’ambitionne autre gloire, que d’estre toute sa vie, Mademoiselle, vostre tres-humble, tres-obeïssant, et tres-fidelle serviteur, et mary.

TOINETTE en le raillant.
Voilà ce que c’est que d’étudier, on apprend à dire de belles choses.

ARGAN.
Eh  ! que dites-vous de cela  ?

CLEANTE.
Que Monsieur fait merveilles, et que s’il est aussi bon Medecin, qu’il est bon Orateur, il y aura plaisir à estre de ses malades.

TOINETTE.
Assurement. Ce sera quelque chose d’admirable, s’il fait d’aussi belles cures, qu’il fait de beaux discours.

ARGAN.
Allons viste ma chaise, et des sieges à tout le monde. Mettez-vous là, ma Fille. Vous voyez, Monsieur, que tout le monde admire Monsieur vostre fils, et je vous trouve bien heureux de vous voir un garçon comme cela.

MONSIEUR DYAFOIRUS.
Monsieur, ce n’est pas par ce que je suis son Pere, mais je puis dire que j’ay sujet d’estre content de luy, et que tous ceux qui le voyent, en parlent comme d’un garçon qui n’a point de méchanceté. Il n’a jamais eu l’imagination bien vive, ny ce feu d’esprit qu’on remarque dans quelques-uns, mais c’est par-là que j’ay toûjours bien auguré de sa judiciaire, qualité requise pour l’exercice de nostre Art. Lors qu’il estoit petit, il n’a jamais esté, ce qu’on appelle miévre, et éveillé. On le voyoit toûjours doux, paisible, et taciturne, ne disant jamais mot, et ne jouant jamais à tous ces petits jeux, que l’on nomme enfantins. On eut toutes les peines du monde à luy apprendre à lire, et il avoit neuf ans qu’il ne connoissoit pas encore ses lettres. Bon, disois-je en moy-mesme  ; les arbres tardifs, sont ceux qui portent les meilleurs fruits. On grave sur le marbre bien plus mal-aisément que sur le sable  ; mais les choses y sont conservées bien plus long-temps, et cette lenteur à comprendre, cette pesanteur d’imagination, est la marque d’un bon jugement à venir. Lors que je l’envoyay au College il trouva de la peine  ; mais il se roidissoit contre les difficultez, et ses Regens se loüoient toûjours à moy de son assiduité, et de son travail. Enfin, à force de battre le fer, il en est venu glorieusement à avoir ses Licences  ; et je puis dire sans vanité, que depuis deux ans qu’il est sur les bancs, il n’y a point de Candidat qui ait fait plus de bruit que luy dans toutes les disputes de nostre Ecole. Il s’y est rendu redoutable, et il ne s’y passe point d’Acte où il n’aille argumenter à outrance pour la proposition contraire. Il est ferme dans la dispute, fort comme un Turc sur ses principes  ; ne démord jamais de son opinion, et poursuit un raisonnement jusques dans les dernies recoins de la Logique. Mais sur toutes choses, ce qui me plaist en luy, et en quoy il suit mon exemple, c’est qu’il s’attache aveuglement aux opinions de nos Anciens, et que jamais il n’a voulu comprendre, ny écouter les raisons, et les experiences des prétenduës découvertes de nostre siecle, touchant la Circulation du sang, et autres opinions de mesme farine.

THOMAS DYAFOIRUS. Il tire une grands Thèse roulée de sa poche, qu’il presente à Angelique.
J’ay contre les Circulateurs soûtenu une These, qu’avec la permission de Monsieur, j’ose presenter à Mademoiselle, comme un hommage que je luy dois des prémices de mon esprit.

ANGELIQUE.
Monsieur, c’est pour moy un meuble inutile, et je ne me connois pas à ces choses-là.

TOINETTE.
Donnez, donnez, elle est toûjours bonne à prendre pour l’image, cela servira à parer nostre chambre.

THOMAS DYAFOIRUS.
Avec la permission aussi de Monsieur, je vous invite à venir voir l’un de ces jours pour vous divertir la dissection d’une Femme, surquoy je dois raisonner.

TOINETTE.
Le divertissement sera agreable. Il y en a qui donnent la Comedie à leurs Maistresses, mais donner une dissection, est quelque chose de plus galand.

MONSIEUR DYAFOIRUS.
Au reste, pour ce qui est des qualitez requises, pour le Mariage et la propagation, je vous assure que selon les regles de nos Docteurs, il est tel qu’on le peut souhaiter. Qu’il possede en un degré loüable la vertu prolifique, et qu’il est du temperamment qu’il faut pour engendrer, et procréer des enfans bien conditionnez.

ARGAN.
N’est-ce pas vostre intention, Monsieur, de le pousser à la Cour, et d’y ménager pour luy une charge de Medecin  ?

MONSIEUR DYAFOIRUS.
A vous en parler franchement, nostre Mestier auprés des Grands ne m’a jamais paru agreable, et j’ay toûjours trouvé, qu’il valoit mieux, pour nous autres, demeurer au public. Le public est commode. Vous n’avez à répondre de vos actions à personne, et pouveu que l’on suive le courant des regles de l’Art, on ne se met point en peine de tout ce qui peut arriver. Mais ce qu’il y a de fâcheux auprés des Grands, c’est que quand ils viennent à estre malades, ils veulent absolument que leurs Medecins les guerissent.

TOINETTE.
Cela est plaisant, et ils sont bien impertinens de vouloir que vous autres Messieurs vous les guerissiez  ; vous n’estes point auprés d’eux pour cela  ; vous n’y estes que pour recevoir vos pensions, et leur ordonner des remedes, c’est à eux à guerir s’ils peuvent.

MONSIEUR DYAFOIRUS.
Cela est vray. On n’est obligé qu’à traiter les gens dans les formes.

ARGAN.
Monsieur, faites un peu chanter ma Fille, devant la compagnie.

CLEANTE.
J’attendois vos ordres, Monsieur, et il m’est venu en pensée, pour divertir la compagnie, de chanter avec Mademoiselle, une Scene d’un petit Opera qu’on a fait depuis peu. Tenez voilà vôtre Partie.

ANGELIQUE.
Moy  ?

CLEANTE.
Ne vous défendez point, s’il vous plaist, et me laissez vous faire comprendre ce que c’est que la Scene que nous devons chanter. Je n’ay pas une voix à chanter  ; mais icy il suffit que je me fasse entendre, et l’on aura la bonté de m’excuser par la necessité où je me trouve, de faire chanter Mademoiselle.

ARGAN.
Les Vers en sont-ils beaux  ?

CLEANTE.
C’est proprement icy un petit Opera impromptu, et vous n’allez entendre chanter, que de la Prose cadencée, ou des manieres de Vers libres tels que la passion, et la necessité peuvent faire trouver à deux personnes, qui disent les choses d’eux-mesmes, et parlent sur le champ.

ARGAN.
Fort bien. Ecoutons.

CLEANTE sous le nom d’un Berger, explique à sa Maistresse son amour depuis leur rencontre, et ensuite ils s’appliquent leurs pensées l’un à l’autre, en chantant.
Voicy le sujet de la Scene. Un Berger estoit attentif aux beautez d’un Spectacle, qui ne faisoit que de commencer, lors qu’il fut tiré de son attention, par un bruit qu’il entendit à ses costez. Il se retourne, et voit un brutal, qui de paroles insolentes mal-traitoit une Bergere. D’abord il prend les interests d’un sexe à qui tous les hommes doivent hommage  ; et aprés avoir donné au brutal le chastiment de son insolence, il vient à sa Bergere, et voit une jeune personne, qui des deux plus beaux yeux qu’il eust jamais veus, versoit des larmes, qu’il trouva les plus belles du monde. Helas  ! dit-il en luy-mesme, est-on capable d’outrager une personne si aymable  ? Et quel inhumain, quel barbare ne seroit touché par de telles larmes  ? Il prend soin de les arrester, ces larmes, qu’il trouve si belles  ; et l’aymable Bergere prend soin en mesme temps de le remercier de son leger service  ; mais d’une maniere si charmante, si tendre, et si passionnée, que le Berger n’y peut resister, et chaque mot, chaque regard, est un trait plein de flâme, dont son cœur se sent penetré. Est-il, disoit-il, quelque chose qui puisse meriter les aymables paroles d’un tel remerciment  ? Et que ne voudroit-on pas faire  ; à quels services, à quels dangers, ne seroit-on pas ravy de courir, pour s’attirer un seul moment des touchantes douceurs d’une ame si reconnoissante  ? Tout le Spectacle passe sans qu’il y donne aucune attention  ; mais il se plaint qu’il est trop court, parce qu’en finissant il le separe de son adorable Bergere, et de cette premiere veuë, de ce premier moment il emporte chez-luy tout ce qu’un amour de plusieurs années peut avoir de plus violent. Le voilà aussi-tost à sentir tous les maux de l’absence, et il est tourmenté de ne plus voir ce qu’il a si peu veu. Il fait tout ce qu’il peut pour se redonner cette veuë, dont il conserve nuit et jour, une si chere idée  ; mais la grande contrainte où l’on tient sa Bergere, luy en oste tous les moyens. La violence de sa passion le fait resoudre à demander en Mariage l’adorable beauté, sans laquelle il ne peut plus vivre, et il en obtient d’elle la permission, par un billet qu’il a l’adresse de luy faire tenir. Mais dans le mesme temps on l’avertit que le pere de cette belle a conclu son Mariage avec un autre, et que tout se dispose pour en celebrer la ceremonie. Jugez quelle atteinte cruelle au cœur de ce triste Berger. Le voilà accablé d’une mortelle douleur. Il ne peut souffrir l’effroyable idée de voir tout ce qu’il ayme entre les bras d’un autre, et son amour au desespoir luy fait trouver moyen de s’introduire dans la maison de sa Bergere pour apprendre ses sentimens, et sçavoir d’elle la destinée à laquelle il doit se resoudre. Il y rencontre les apprests de tout ce qu’il craint  ; il y voit venir l’indigne Rival ridicule auprés de l’aymable Bergere, ainsi qu’auprés d’une conqueste qui luy est assurée, et cette veuë le remplit d’un colere, dont il a peine à se rendre le maistre. Il jette de douloureux regards sur celle qu’il adore, et son respect, et la presence de son Pere, l’empeschent de luy rien dire que des yeux. Mais enfin, il force toute contrainte, et le transport de son amour l’oblige à luy parler ainsi. Il chante.
Belle Philis, c’est trop, c’est trop souffrir,
Rompons ce dur silence, et m’ouvrez vos pensées,
Apprenez-moy ma destinée,
> Faut-il vivre  ? Faut-il mourir  ?

ANGELIQUE répond en chantant.
Vous me voyez, Tircis, triste et melancolique,
Aux apprests de l’Hymen, dont vous vous allarmez,
Je leve au Ciel les yeux, je vous regarde, je soûpire,
C’est vous en dire assez.

ARGAN.
Oüais, je ne croyois pas que ma Fille fust si habile, que de chanter ainsi à Livre ouvert sans hesiter.

CLEANTE.
Helas  ! belle Philis,
Se pourroit-il, que l’amoureux Tircis,
Eust assez de bon-heur,
Pour avoir quelque place dans vostre cœur  ?

ANGELIQUE.
Je ne m’en défends point, dans cette peine extrême,
Oüy, Tircis, je vous ayme.

CLEANTE.
O  ! parole pleine d’appas,
Ay-je bien entendu, helas  !
Redites-la, Philis, que je n’en doute pas.

ANGELIQUE.
Oüy, Tircis, je vous ayme.

CLEANTE.
De grace encor, Philis.

ANGELIQUE.
Je vous ayme.

CLEANTE.
Recommencez cent fois, ne vous en lassez pas.

ANGELIQUE.
Je vous ayme, je vous ayme,
Oüy, Tircis, je vous ayme.

CLEANTE.
Dieux, Roys, qui sous vos pieds regardez tout le monde,
Pouvez-vous comparer vostre bon-heur au mien  ?
Mais, Philis, une pensée,
Vient troubler ce doux transport,
Un Rival, un Rival….

ANGELIQUE.
Ah  ! je le hay plus que la mort,
Et sa presence, ainsi qu’à vous
M’est un cruel supplice.

CLEANTE.
Mais un Pere à ses vœux vous veut assujettir.

ANGELIQUE.
Plûtost, plûtost mourir,
Que de jamais y consentir,
Plûtost, plûtost mourir, plûtost mourir.

ARGAN.
Et que dit le Pere à tout cela  ?

CLEANTE.
Il ne dit rien.

ARGAN.
Voilà un sot Pere, que ce Pere-là, de souffrir toutes ces sottises-là, sans rien dire.

CLEANTE.
Ah  ! mon amour….

ARGAN.
Non, non, en voilà assez. Cette Comedie-là est de fort mauvais exemple. Le Berger Tircis est un impertinent, et la Bergere Philis, une impudente, de parler de la sorte devant son Pere. Montrez-moy ce papier. Ha, ha. Ou sont donc les paroles que vous avez dites  ? il n’y a là que de la Musique écrite  ?

CLEANTE.
Est-ce que vous ne sçavez pas, Monsieur, qu’on a trouvé depuis peu l’invention d’écrire les paroles avec les Notes-mesmes  ?

ARGAN.
Fort bien. Je suis vostre serviteur, Monsieur, jusqu’au revoir. Nous nous serions bien passez de vostre impertinent d’Opera.

CLEANTE.
J’ay creu vous divertir.

ARGAN.
Les sottises ne divertissent point. Ah  ! voicy ma femme.

 

 

SCENE VI.
BELINE, ARGAN, TOINETTE, ANGELIQUE, M r DYAFOIRUS, THOMAS DYAFOIRUS.

ARGAN.
Mamour, voilà le fils de Monsieur Dayfoirus

THOMAS DYAFOIRUS commence un compliment qu’il avoit étudié, et la memoire luy manquant il ne peut le continuer.
Madame, c’est avec justice que le Ciel vous a concedé le nom de belle-Mere, puisque l’on voit sur vostre visage….

BELINE.
Monsieur, je suis ravie d’estre venuë icy à propos pour avoir l’honneur de vous voir.

THOMAS DYAFOIRUS.
Puisque l’on voit sur vostre visage……..
Puisque l’on voit sur vostre visage…. Madame, vous m’avez interrompu dans le milieu de ma Periode, et cela m’a troublé la memoire.

MONSIEUR DYAFOIRUS.
Thomas, reservez cela pour une autre fois.

ARGAN.
Je voudrois, mamie, que vous eussiez esté icy tantost.

TOINETTE.
Ah  ! Madame, vous avez bien perdu de n’avoir point esté au second Pere, à la statuë de Memnon, et à la fleur nommée Heliotrope.

ARGAN.
Allons, ma Fille, touchez dans la main de Monsieur, et luy donnez vostre foy, comme à vostre mary.

ANGELIQUE.
Mon Pere.

ARGAN.
Hé bien, mon Pere. Qu’est-ce que cela veut dire  ?

ANGELIQUE.
De grace, ne precipitez pas les choses. Donnez-nous au moins le temps de nous connoistre, et de voir naistre en nous l’un pour l’autre, cette inclination si necessaire à composer une union parfaite.

THOMAS DYAFOIRUS.
Quant à moy, Mademoiselle, elle est déja toute née en moy, et je n’ay pas besoin d’attendre davantage.

ANGELIQUE.
Si vous estes si prompt, Monsieur, il n’en est pas de mesme de moy, et je vous avouë que vostre merite n’a pas encore fait assez d’impression dans mon ame.

ARGAN.
Ho bien, bien, cela aura tout le loisir de se faire quand vous serez mariez ensemble.

ANGELIQUE.
Eh mon Pere, donnez-moy du temps, je vous prie. Le Mariage est une chaîne, où l’on ne doit jamais soûmettre un cœur par force  ; et si Monsieur est honneste homme, il ne doit point vouloir accepter une personne, qui seroit à luy par contrainte.

THOMAS DYAFOIRUS.
Nego consequentiam , Mademoiselle  ; et je puis estre honneste homme, et vouloir bien vous accepter des mains de Monsieur vostre Pere.

ANGELIQUE.
C’est un méchant moyen de se faire aymer de quelqu’un, que de luy faire violence.

THOMAS DYAFOIRUS.
Nous lisons, des Anciens, Mademoiselle, que leur coûtume estoit d’enlever par force de la maison des Peres les Filles qu’on menoit marier, afin qu’il ne semblast pas que ce fust de leur consentement, qu’elles convoloient dans les bras d’un homme.

ANGELIQUE.
Les Anciens, Monsieur, sont les Anciens, et nous sommes les gens de maintenant. Les grimaces ne son point necessaires dans nostre siecle, et quand un Mariage nous plaist, nous sçavons fort bien y aller, sans qu’on nous y traisne. Donnez-vous patience, si vous m’aymez, Monsieur, vous devez vouloir tout ce que je veux.

THOMAS DYAFOIRUS.
Oüy, Mademoiselle, jusqu’aux interests de mon amour exclusivement.

ANGELIQUE.
Mais la grande marque d’amour, c’est d’estre soûmis aux volontez de celle qu’on ayme.

THOMAS DYAFOIRUS.
Distingo , Mademoiselle  ; dans ce qui ne regarde point sa possession, Concordo   ; mais dans ce qui la regarde, Nego .

TOINETTE.
Vous avez beau raisonner. Monsieur est frais émoulu du College, et il vous donnera toûjours vostre reste. Pourquoy tant resister, et refuser le gloire d’estre attachée au Corps de la Faculté  ?

BELINE.
Elle a peut-estre quelque inclination en teste.

ANGELIQUE.
Si j’en avois, Madame, elle seroit telle que la raison, et l’honnesteté pourroient me la permettre.

ARGAN.
Oüais, je jouë icy un plaisantant personnage.

BELINE.
Si j’estois que de vous, mon fils, je ne la forcerois point à se marier, et je sçay bien ce que je ferois.

ANGELIQUE.
Je sçay, Madame, ce que vous voulez dire, et les bontez que vous avez pour moy  ; mais peut-estre que vos conseil ne seront pas assez heureux pour estre executez.

BELINE.
C’est que les Filles bien sages, et bien honnestes comme vous, se mocquent d’estre obeïssantes, et soûmises aux volontez de leurs Peres. Cela estoit bon autrefois.

ANGELIQUE.
Le devoir d’une Fille a des bornes, Madame, et la raison et les loix ne l’étendent point à toutes sortes de choses.

BELINE.
C’est à dire que vos pensées ne sont que pour le Mariage  ; mais vous voulez choisir un époux à vostre fantaisie.

ANGELIQUE.
Si mon Pere ne veut pas me donner un mary qui me plaise, je le conjureray, au moins, de ne me point forcer à en épouser un que je puisse pas aymer.

ARGAN.
Messieurs, je vous demande pardon de tout cecy.

ANGELIQUE.
Chacun a son but en se mariant. Pour moy qui ne veux un mary que pour l’aymer veritablement, et qui pretends en faire tout l’attachement de ma vie, je vous avouë que j’y cherche quelque précaution. Il y en a d’aucunes qui prennent des maris seulement pour se tirer de la contrainte de leurs Parens, et se mettre en estat de faire tout ce qu’elle voudront. Il y en a d’autres, Madame, qui font du Mariage un commerce de pur interest  ; qui ne se marient que pour gagner des Doüaires  ; que pour s’enrichir par la mort de ceux qu’elles épousent, et courent sans scrupule de mary en mary, pour s’approprier leurs dépoüilles. Ces personnes-là à la verité n’y cherchent pas tant de façons, et regardent peu la personne.

BELINE.
Je vous trouve aujourd’huy bien raisonnante, et je voudrois bien sçavoir ce que vous voulez dire par-là.

ANGELIQUE.
Moy, Madame, que voudrois-je dire que ce que je dis  ?

BELINE.
Vous estes si sotte, mamie, qu’on ne sçauroit plus vous souffrir.

ANGELIQUE.
Vous voudriez bien, Madame, m’obliger à vous répondre quelque impertinence, mais je vous avertis que vous n’aurez pas cet avantage.

BELINE.
Il n’est rien d’égal à vostre insolence.

ANGELIQUE.
Non, Madame, vous avez beau dire.

BELINE.
Et vous avez un ridicule orgüeil, une impertinente presomption qui fait hausser les épaules à tout le monde.

ANGELIQUE.
Tout cela, Madame, ne servira de rien, je seray sage en dépit de vous  ; et pour vous oster l’esperance de pouvoir reüssir dans ce que vous voulez, je vais m’oster de vostre veuë.

ARGAN.
Ecoute, il n’y a point de milieu à cela. Choisy d’épouser dans quatre jours, ou Monsieur, ou un Convent. Ne vous mettez pas en peine, je la rangeray bien.

BELINE.
Je suis fâchée de vous quitter, mon fils, mais j’ay une affaire en Ville, dont je ne puis me dispenser. Je reviendray bien-tost.

ARGAN.
Allez mamour, et passez chez vostre Notaire, afin qu’il expedie ce que vous sçavez.

BELINE.
Adieu, mon petit amy.

ARGAN.
Adieu, mamie. Voilà une femme qui m’ayme…. Cela n’est pas croyable.

MONSIEUR DYAFOIRUS.
Nous allons, Monsieur, prendre congé de vous.

ARGAN.
Je vous prie, Monsieur, de me dire un peu comme je suis.

MONSIEUR DYAFOIRUS luy taste le poux.
Allons, Thomas, prenez l’autre bras de Monsieur, pour voir si vous sçaurez porter un bon jugement de son poux. Quid dicis  ?

THOMAS DYAFOIRUS.
Dico , que le poux de Monsieur, est le poux d’un homme qui ne se porte point bien.

MONSIEUR DYAFOIRUS.
Bon.

THOMAS DYAFOIRUS.
Qu’il est duriuscule, pour ne pas dire dur.

MONSIEUR DYAFOIRUS.
Fort bien.

THOMAS DYAFOIRUS.
Repoussant.

MONSIEUR DYAFOIRUS.
Bene .

THOMAS DYAFOIRUS.
Et mesme un peu caprisant.

MONSIEUR DYAFOIRUS.
Optime .

THOMAS DYAFOIRUS.
Ce qui marque une intemperie dans le paranchyme splenique, c’est à dire la ratte.

MONSIEUR DYAFOIRUS.
Fort bien.

ARGAN.
Non, Monsieur Purgon dit que c’est mon foye, qui est malade.

MONSIEUR DYAFOIRUS.
Eh oüy, qui dit paranchyme, dit l’un et l’autre, à cause de l’étroite sympathie qu’ils sont ensemble, par le moyen du vas breve du pylore , et souvent des meats cholidoques . Il vous ordonne sans doute de manger force rosty.

ARGAN.
Non, rien que du boüilly.

MONSIEUR DYAFOIRUS.
Eh oüy, rosty, boüilly, mesme chose. Il vous ordonne fort prudemment, et vous pouvez estre e de meilleures mains.

ARGAN.
Monsieur, combien est-ce qu’il faut mettre de grains de sel dans un œuf  ?

MONSIEUR DYAFOIRUS.
Six, huit, dix, par les nombres pairs, comme dans les medicamens, par les nombres impairs.

ARGAN.
Jusqu’au revoir, Monsieur.

 

 

SCENE VII.
BELINE, ARGAN.

BELINE.
Je viens, mon fils, avant que de sortir, vous donner avis d’une chose, à laquelle il faut que vous preniez garde. En passant pardevant la chambre d’Angelique, j’ay veu un homme avec elle, qui s’est sauvé d’abord qu’il m’a veuë.

ARGAN.
Un jeune homme avec ma Fille  ?

BELINE.
Oüy. Vostre petite Fille Loüyson estoit avec eux, qui pourra vous en dire des nouvelles.

ARGAN.
Envoyez-la icy, mamour  ; envoyez-la icy. Ah  ! l’éfrontée  ; je ne m’étonne plus de sa resistance.

 

 

SCENE VIII.
LOUYSON, ARGAN.

LOUYSON.
Qu’est-ce que vous voulez, mon Papa, ma belle Maman, m’a dit que vous me demandez.

ARGAN.
Oüy, venez ça. Avancez-là. Tournez-vous. Levez les yeux. Regardez-moy. Eh  !

LOUYSON.
Quoy, mon Papa  ?

ARGAN.
La  ?

LOUYSON.
Quoy  ?

ARGAN.
N’avez-vous rien à me dire  ?

LOUYSON.
Je vous diray, si vous voulez, pour vous desennuyer, le conte de peau d’Asne, ou bien la Fable du Corbeau, et du Renard, qu’on m’a apprise depuis peu.

ARGAN.
Ce n’est pas-là ce que je demande.

LOUYSON.
Quoy donc  ?

ARGAN.
Quoy donc  ?

ARGAN.
Ah  ! rusée, vous sçavez bien ce que je veux dire.

LOUYSON.
Pardonnez-moy, mon Papa.

ARGAN.
Est-ce-là comme vous m’obeïssez.

LOUYSON.
Quoy  ?

ARGAN.
Ne vous ay-je pas recommandé de me venir dire d’abord tout ce que vous voyez  ?

LOUYSON.
Oüy, mon Papa.

ARGAN.
L’avez-vous fait  ?

LOUYSON.
Oüy, mon Papa. Je vous suis venu dire tout ce que j’ay veu.

ARGAN.
Et n’avez-vous rien veu aujourd’huy  ?

LOUYSON.
Non, mon Papa.

ARGAN.
Non  ?

LOUYSON.
Non, mon Papa.

ARGAN.
Assurement  ?

LOUYSON.
Assurement.

ARGAN.
Oh ça, je m’en vay vous faire voir quelque chose, moy. Il va prendre une poignée de verges.

LOUYSON.
Ah  ! mon Papa.

ARGAN.
Ah, ah, petite masque, vous ne me dites pas que vous avez veu un homme dans la chambre de vostre Sœur  ?

LOUYSON.
Mon Papa.

ARGAN.
Voicy qui vous apprendra à mentir.

LOUYSON se jette à genoux.
Ah  ! mon Papa, je vous demande pardon. C’est que ma Sœur m’avoit dit de ne pas vous le dire  ; mais je vay vous dire tout.

ARGAN.
Il faut premierement que vous ayez le foüet pour avoir menty. Puis aprés nous verrons au reste.

LOUYSON.
Pardon, mon Papa.

ARGAN.
Non, non.

LOUYSON.
Mon pauvre Papa, ne me donnez pas le foüet.

ARGAN.
Vous l’aurez.

LOUYSON.
Au nom de Dieu, mon Papa, que je ne l’aye pas.

ARGAN la prenant pour la foüetter.
Allons, allons.

LOUYSON.
Ah  ! mon Papa, vous m’avez blessée. Attendez je suis morte. Elle contrefait la morte.

ARGAN.
Hola. Qu’est-ce-là  ? Loüyson, Loüyson. Ah  ! mon Dieu  ; Loüyson. Ah  ! ma Fille. Ah  ! malheureux, ma pauvre Fille est morte. Qu’ay-je fait, miserable  ? Ah  ! chiennes de verges. La peste soit des verges. Ah  ! ma pauvre Fille  ; ma pauvre petite Loüyson.

LOUYSON.
Là, là, mon Papa, ne pleurez point tant, je ne suis pas morte tout-à-fait.

ARGAN.
Voyez-vous la petite rusée. Oh ça, ça, je vous pardonne pour cette fois-cy, pourveu que vous me disiez bien tout.

LOUYSON.
Ho, oüy, mon Papa.

ARGAN.
Prenez-y bien garde au moins, car voilà un petit doigt qui sçait tout, qui me dira si vous mentez.

LOUYSON.
Mais, mon Papa, ne dites pas à ma sœur que je vous l’ay dit.

ARGAN.
Non, non.

LOUYSON.
C’est, mon Papa, qu’il est venu un homme dans la chambre de ma Sœur comme j’y estois.

ARGAN.
Hé bien  ?

LOUYSON.
Je luy ay demandé ce qu’il demandoit, et il m’a dit qu’il estoit son Maistre à chanter.

ARGAN.
Hon, hon. Voilà l’affaire. Hé bien  ?

LOUYSON.
Ma Sœur est venuë aprés.

ARGAN.
Hé bien  ?

LOUYSON.
Elle luy a dit sortez, sortez, sortez, mon Dieu sortez, vous me mettez au desespoir.

ARGAN.
Hé bien  ?

LOUYSON.
Et luy, il ne vouloit pas sortir.

ARGAN.
Qu’est-ce qu’il luy disoit  ?

LOUYSON.
Il luy disoit je ne sçay combien de choses.

ARGAN.
Et quoy encore  ?

LOUYSON.
Il luy disoit tout-cy, tout-çan qu’il l’aymoit bien, et qu’elle estoit la plus belle du monde.

ARGAN.
Et puis aprés  ?

LOUYSON.
Et puis aprés, il se mettoit à genoux devant elle.

ARGAN.
Et puis aprés  ?

LOUYSON.
Et puis aprés, il luy baisoit les mains.

ARGAN.
Et puis aprés  ?

LOUYSON.
Et puis aprés, ma belle Maman est venuë à la porte, et il s’est enfuy.

ARGAN.
Il n’y a point autre chose  ?

LOUYSON.
Non, mon Papa.

ARGAN.
Voilà mon petit doigt pourtant qui gronde quelque chose. Il met son doigt à son oreille.
Attendez. Eh  ! ah, ah  ; oüy  ? oh, oh  ; voilà mon petit doigt qui me dit quelque chose qu vous avez veu, et que vous ne m’avez pas dit.

LOUYSON.
Ah  ! mon Papa. Vostre petit doigt est un menteur.

ARGAN.
Prenez garde.

LOUYSON.
Non, mon Papa, ne le croyez pas, il ment, je vous assure.

ARGAN.
Oh bien, bien, nous verrons cela. Allez vous-en, et prenez bien garde à tout, allez. Ah  ! il n’y a plus d’enfans. Ah  ! que d’affaires  ; je n’ay pas seulement le loisir de songer à ma maladie. En verité je n’en puis plus. Il se remet dans sa chaise.

 

 

SCENE IX.
BERALDE, ARGAN.

BERALDE.
He’ bien, mon Frere, qu’est-ce, comment vous portez-vous  ?

ARGAN.
Ah  ! mon Frere, fort mal.

BERALDE.
Comment fort mal  ?

ARGAN.
Oüy, je suis dans une foiblesse si grande, que cela n’est pas croyable.

BERALDE.
Voilà qui est fâcheux.

ARGAN.
Je n’ay pas seulement la force de pouvoir parler.

BERALDE.
J’estois venu icy, mon Frere, vous proposer un party pour ma Niéce Angelique.

ARGAN parlant avec emportement, et se levant de sa chaise.
Mon Frere, ne me parlez point de cette coquine-là. C’est une frippone, une impertinenete, une effrontée, que je mettray dans un Convent avant qu’il soit deux jours.

BERALDE.
Ah  ! voilà qui est bien. Je suis bien aise que la force vous revienne un peu, et que ma visite vous fasse du bien. Oh ça, nous parlerons d’affaires tantost. Je vous amene icy un divertissement, que j’ay rencontré, qui dissipera vostre chagrin, et vous rendra l’ame mieux disposée aux choses que nous avons à dire. Ce sont des Egyptiens vestus en Mores, qui font des danses meslées de chansons, où je suis seur que vous prendrez plaisir, et cela vaudra bien une ordonnance de Monsieur Purgon. Allons. Fin du second Acte.

 

 

SECOND INTERMEDE.

Le Frere du Malade Imaginaire , luy améne pour le divertir, plusieurs Egyptiens et Egyptiennes vêtus en Mores, qui font des Danses entre-meslées de Chansons.

Premiere Femme More.
Profitez du Printemps
De vos beaux ans,
Aimable jeunesse  ;
Profitez du Printemps
De vos beaux ans,
Donnez-vous à la tendresse.

Les plaisirs les plus charmans  ;
Sans l’amoureuse flâme,
Pour contenter une ame
N’ont point d’attraits assez puissants.

Profitez du Printemps
De vos beaux ans,
Aimable jeunesse  ;
Profitez du Printemps
De vos beaux ans,
Donnez-vous à la tendresse.
Ne perdez point ces precieux momens  ;
La beauté passe,
Le temps l’efface
L’âge de glace
Vient à sa place,
Qui nous oste le goust de ces doux passe-temps.

Profitez du Printemps
De vos beaux ans,
Aimable jeunesse  ;
Profitez du Printemps
De vos beaux ans,
Donnez-vous à la tendresse.

Seconde Femme More.
Quand d’aymer on nous presse,
A quoy songez-vous  ?
Nos cœurs dans la jeunesse
N’ont vers la tendresse
Qu’un panchant trop doux  ;
L’amour a pour nous prendre
De si doux attraits,
Que de soy, sans attendre,
On voudroit se rendre
A ses premiers traits  :
Mais tout ce qu’on écoute,
Des vives douleurs
Et des pleurs qu’il nous couste,
Fait qu’on en redoute
Toutes les douceurs.

Troisiéme Femme More.
Il est doux à nostre âge
D’aimer tendrement
Un Amant
Qui s’engage  :
Mais s’il est volage
Helas  ! quel tourment  ?

Quatriéme Femme More.
L’Amant qui se dégage
N’est pas le mal-heur,
La douleur
Et la rage  ;
C’est que le volage
Garde nostre cœur.

Seconde Femme More.
Quel party faut-il prendre
Pour nos jeunes cœurs  ?

Quatriéme Femme More.
Devons-nous nous y rendre
Malgré ses rigueurs  ? Ensemble.
Oüy, suivons ses ardeurs,
Ses transports, ses caprices.
Ses douces langueurs  ;
S’il a quelques supplices,
Il a cent délices
Qui charment les cœurs.

ENTRE’E DE BALLET. Tous les Mores dansent ensemble, et font sauter des Singes qu’ils ont amenez avec eux.

 

 

ACTE III.

SCENE PREMIERE.

Cet Acte entier n’est point dans les Editions precedentes de la Prose de Monsieur Moliere  ; le voicy restably sur l’original de l’Autheur.

BERALDE, ARGAN, TOINETTE.

BERALDE.
He’ bien, mon Frere, qu’en dites-vous  ? cela ne vaut-il pas bien un prise de casse  ?

TOINETTE.
Hon, de bonne casse est bonne.

BERALDE.
Oh ça, voulez-vous que nous parlions un peu ensemble  ?

ARGAN.
Un peu de patience, mon Frere, je vais revenir.

TOINETTE.
Tenez, Monsieur, vous ne songez pas que vous ne sçauriez marcher sans bâton.

ARGAN.
Tu as raison.

 

 

SCENE II.
BERALDE, TOINETTE.

TOINETTE.
N’abandonnez pas, s’il vous plaist, les interests de vostre Niéce.

BERALDE.
J’emploiray toutes choses pour luy obtenir ce qu’elle souhaite.

TOINETTE.
Il faut absolument empescher ce Mariage extravagant, qu’il s’est mis dans la fantaisie, et j’avois songé en moy-mesme, que ç’auroit esté une bonne affaire, de pouvoir introduire icy un Medecin à nostre poste, pour le dégoûter de son Monsieur Purgon, et luy décrier sa conduite. Mais comme nous n’avons personne en main pour cela, j’ay resolu de joüer un tour de ma teste.

BERALDE.
Comment  ?

TOINETTE.
C’est une imagination burlesque. Ceal sera peut-estre plus heureux que sage. Laissez-moy faire  ; agissez de vostre costé. Voicy nostre homme.

 

 

SCENE III.
ARGAN, BERALDE.

BERALDE.
Vous voulez bien, mon Frere, que je vous demande avant toute chose, de ne vous point échauffer l’esprit dans nostre conversation.

ARGAN.
Voilà qui est fait.

BERALDE.
De répondre sans nulle aigreur aux choses que je pourray vous dire.

ARGAN.
Oüy.

BERALDE.
Et de raisonner ensemble sur les affaires dont nous avons à parler, avec un esprit détaché de toute passion.

ARGAN.
Mon Dieu oüy. Voilà bien du préambule.

BERALDE.
D’où vient, mon Frere, qu’ayant le bien que vous avez, et n’ayant d’enfans qu’un Fille  ; car je ne conte pas la petite  : D’où vient, dis-je, que vous parlez de la mettre dans un Convent  ?

ARGAN.
D’où vient, mon Frere, que je suis maistre dans ma famille, pour faire ce que bon me semble.

BERALDE.
Vostre femme ne manque pas de vous conseiller de vous défaire ainsi de vos deux Filles, et je ne doute point, que par un esprit de charité elle fût ravie de les voir toutes deux bonnes Religieuses.

ARGAN.
Oh ça, nous y voicy. Voilà d’abord la paure femme en jeu. C’est elle qui fait tout le mal, et tout le monde luy en veut.

BERALDE.
Non, mon Frere, laissons-la là  ; c’est une femme qui a les meilleures intentions du monde pour vostre famille, et qui est détachée de toute sorte d’interest  ; qui a pour vous une tendresse merveilleuse, et qui montre pour vos enfans, une affection et une bonté, qui n’est pas concevable, cela est certain. N’en parlons point, et revenons à vostre Fille. Sur quelle pensée, mon Frere, la voulez-vous donner en mariage au fils d’un Medecin  ?

ARGAN.
Sur la pensée, mon Frere, de me donner un gendre tel qu’il me faut.

BERALDE.
Ce n’est point-là, mon Frere, le fait de vostre Fille, et il se presente un party plus sortable pour elle.

ARGAN.
Oüy, mais celuy-cy, mon Frere, est plus sortable pour moy.

BERALDE.
Mais le mary qu’elle doit prendre, doit-il estre, mon Frere, ou pour elle, ou pour vous  ?

ARGAN.
Il doit estre, mon Frere, et pour elle, et pour moy, et je veux mettre dans ma famille les gens dont j’ay besoin.

BERALDE.
Par cette raison-là, si vostre petite estoit grande, vous luy donneriez en mariage un Apothiquaire.

ARGAN.
Pourquoy non  ?

BERALDE.
Est-il possible que vous serez toûjours embeguiné de vos Apothiquaires, et de vos Medecins, et que vous vouliez estre malade en dépit des gens, et de la nature  ?

ARGAN.
Comment l’entendez-vous, mon Frere  ?

BERALDE.
J’entens, mon Frere, que je ne vois point d’homme, qui soit moins malade que vous, et que je ne demanderois point une meilleure constitution que la vostre. Une grande marque que vous vous portez bien, et que vous avez un corps parfaitement bien composé  ; c’est qu’avec tous les soins que vous avez pris, vous n’avez pû parvenir encore à gâter la bonté de vostre temperamment, et que vous n’estes point crevé de toutes les medecines qu’on vous a fait prendre.

ARGAN.
Mais sçavez-vous, mon Frere, que c’est cela qui me conserve, et que Monsieur Purgon dit que je succomberois, s’il estoit seulement trois jours sans prendre soin de moy  ?

BERALDE.
Si vous n’y prenez garde, il prendra tant de soin de vous, qu’il vous envoyera en l’autre monde.

ARGAN.
Mais raisonnons un peu, mon Frere. Vous ne croyez donc point à la Medecine  ?

BERALDE.
Non, mon Frere, et je ne voy pas que pour son salut, il soit necessaire d’y croire.

ARGAN.
Quoy vous ne tenez pas veritable une chose établie par tout le monde, et que tous les siecles ont reverée  ?

BERALDE.
Bien loin de la tenir veritable, je la trouve entre nous, une des plus grandes folies qui soit parmy les hommes  ; et à regarder les choses ne Philosophe, je ne voy point de plus plaisante mommerie  ; je ne voy rien de plus ridicule, qu’un homme qui se veut mesler d’en guerir un autre.

ARGAN.
Pourquoy ne voulez-vous pas, mon Frere, qu’un homme puisse guerir par un autre  ?

BERALDE.
Par la raison, mon Frere, que les ressorts de nôtre machine sont des mysteres jusques icy, où les hommes ne voyent goute  ; et que la nature nous a mis au devant des yeux des voiles trop épais pour y connoistre quelque chose.

ARGAN.
Les Medecins ne sçavent donc rien à vostre conte  ?

BERALDE.
Si fait, mon Frere. Ils sçavent la pluspart de fort belles humanitez  ; sçavent parler en beau Latin, sçavent nomme en Grec toutes les maladies, les definir, et les diviser  ; mais pour ce qui est de les guerir, c’est ce qu’il ne sçavent point du tout.

ARGAN.
Mais toûjours faut-il demeurer d’accord, que sur cette matiere les Medecins en sçavent plus que les autres.

BERALDE.
Ils sçavent, mon Frere, ce que je vous ay dit, qui ne guerit pas de grand’chose, et toute l’excellence de leur Art consiste en un pompeux galimatias, en un specieux babil, qui vous donne des mots pour des raisons, et des promesses pour des effets.

ARGAN.
Mais enfn, mon Frere, il y a des gens aussi sages, et aussi habiles que vous  : et nous voyons que dans la maladie tout le monde a recours aux Medecins.

BERALDE.
C’est une marque de la foiblesse humaine, et non pas de la verité de leur Art.

ARGAN.
Mais il faut bien que les Medecins croyent leur Art veritable, puis qu’ils s’en servent pour eux-mesmes.

BERALDE.
C’est qu’il y en a parmy eux, qui sont eux-mesmes dans l’erreur populaire, dont ils profitent, et d’autres qui en profitent sans y estre. Vostre Monsieur Purgon, par exemple, n’y sçait point de finesse  ; c’est un homme tout Medecin, depuis la teste jusqu’aux pieds. Un homme qui croit à ses regles, plus qu’à toutes les démonstrations des Mathematiques, et qui croyroit du crime à les vouloir examiner  ; qui ne voit rien d’obscur dans la Medecine, rien de douteux, rien de difficile  ; et qui avec une impétuosité de prévention, une roideur de confiance, une brutalité de sens commun et de raison, donne au travers des purgations et des saignées, et ne balance aucune chose. Il ne luy faut point vouloir mal de tout ce qu’il pourra vous faire, c’est de la meilleure foy du monde, qu’il vous expediera, et il ne fera, en vous tuant, que ce qu’il a fait à sa femme et à ses enfans, et ce qu’un besoin il feroit à luy-mesme.

ARGAN.
C’est que vous avez, mon Frere, une dent de lait contre luy. Mais enfin, venons au fait. Que faire donc, quand on est malade  ?

BERALDE.
Rien, mon Frere.

ARGAN.
Rien  ?

BERALDE.
Rien. Il ne faut que demeurer en repos. La nature d’elle-mesme, quand nous la laissons faire, se tire doucement du desordre où elle est tombée. C’est nostre inquietude, c’est nostre impatience qui gaste tout, et persque tous les hommes meurent de leurs remedes, et non pas de leurs maladies.

ARGAN.
Mais il faut demeurer d’accord, mon Frere, qu’on peut ayder cette nature par de certaines choses.

BERALDE.
Mon Dieu, mon Frere, ce sont pures idées, dont nous aymons à nous repaistre  ; et de tout temps il s’est glissé parmy les hommes de belles imaginations que nous venons à croire, parce qu’elle nous flattent, et qu’il seroit à souhaiter qu’elle fussent veritables. Lors qu’un Medecin vous parle d’ayder, de secourir, de soulager la nature, de luy oster ce qui luy nuit, et luy donner ce qui luy manque, de la restablir, et de la remettre dans une pleine facilité de ses fonctions  : Lors qu’il vous parle de rectifier le sang, de temperer les entrailles, et le cerveau, et dégonfler la ratte, de racommoder la poitrine, de reparer le foye, de fortifier le cœur, de rétablir et conserver la chaleur naturelle, et d’avoir des secrets pour étendre la vie à de longues années  ; il vous dit justement le Roman de la Medecine. Mais quand vous en venez à la verité, et à l’experience, vous ne trouvez rien de tout cela, et il en est comme de ces beaux songes, qui ne vous laissent au réveil que le déplaisir de les avoir creus.

ARGAN.
C’est à dire, que toute la science du monde est renfermée dans vostre teste, et vous voulez en sçavoir plus que tous les grands Medecins de nôtre siecle.

BERALDE.
Dans les discours, et dans les choses, ce sont deux sortes de personnes, que vos grands Medecins. Entendez-les parler, les plus habiles gens du monde  ; voyez-les faire, les plus ignorans de tous les hommes.

ARGAN.
Hoy. Vous estes un grand Docteur, à ce que je voy, et je voudrois bien qu’il y eust icy quelqu’un de ces Messieurs pour rembarrer vos raisonnemens, et rabaisser vostre caquet.

BERALDE.
Moy, mon Frere, je ne prens point à tâche de combatre la Medecine, et chacun à ses perils, et fortune, peut croire tout ce qu’il luy plaist. Ce que j’en dis n’est qu’entre nous, et j’aurois souhaité de pouvoir un peu vous tirer de l’erreur où vous estes  ; et pour vous divertir vous mener voir sur ce chapitre quelqu’une des Comedies de Moliere.

ARGAN.
C’est un bon impertinent que vostre Moliere avec ses Comedies, et je le trouve bien plaisant d’aller joüer d’honnestes gens comme les Medecins.

BERALDE.
Ce ne sont point les Medecins qu’il jouë, mais le ridicule de la Medecine.

ARGAN.
C’est bien à luy à faire de se mesler de contrôler la Medecine  ; voilà un bon nigaut, un bon impertinent, de se mocquer des consultations et des ordonnances, de s’attaquer au Corps des Medecins, et d’aller mettre sur son Theatre des personnes venerables comme ces Messieurs-là.

BERALDE.
Que voulez-vous qu’il y mette, que les diverses Professions des hommes  ? On y met bien tous les jours les Princes et les Roys, qui sont d’aussi bonne maison que les Medecins.

ARGAN.
Par la mort-non-de-diable, si j’estois que des Medecins je me vangerois de son impertinence, et quand il sera malade je le laisserois mourir sans secours. Il auroit beau faire et beau dire, je ne luy ordonnerois pas la moindre petite saignée, le moindre petit lavement  ; et je luy dirois, creve, creve, cela t’apprendra une autre fois à te joüer à la Faculté.

BERALDE.
Vous voilà bien en colere contre luy.

ARGAN.
Oüy, c’est un mal-avisé, et si les Medecins sont sages, il feront ce que je dis.

BERALDE.
Il sera encore plus sage que vos Medecins, car il ne leur demandera point de secours.

ARGAN.
Tant pis pour luy, s’il n’a point recours aux remedes.

BERALDE.
Il a ses raisons pour n’en point vouloir, et il soûtient que cela n’est permis qu’aux gens vigoureux et robustes, et qui ont des forces de reste pour porter les remedes avec la maladie  ; mais que pour luy il n’a justement de la force, que pour porter son mal.

ARGAN.
Les sottes raisons que voilà. Tenez, mon Frere, ne parlons point de cet homme-là davantage, car cela m’échauffe la bile, et vous me donneriez mon mal.

BERALDE.
Je le veux bien, mon Frere, et pour changer de discours, je vous diray que sur une petite repugance que vous témoigne vostre Fille, vous ne devez point prendre les resolutions violentes de la mettre dans un Convent. Que pour le choix d’un gendre, il ne vous faut pas suivre aveuglement la passion qui vous emporte, et qu’on doit sur cette matiere s’accommoder un peu à l’inclination d’une Fille, puisque c’est pour toute la vie, et que de-là dépend tout le bon-heur d’un Mariage.

 

 

SCENE IV.
Mr FLEURANT une seringue à la main . ARGAN, BERALDE.

ARGAN.
Ah  ! mon Frere, avec vostre permission.

BERALDE.
Comment, que voulez-vous faire  ?

ARGAN.
Prendre ce petit lavement-là, ce sera bien-tost fait.

BERALDE.
Vous vous mocquez. Est-ce que vous ne sçauriez estre un moment sans lavement, ou sans medecine  ? Remettez cela à une autre fois, et demeurez un peu en repos.

ARGAN.
Monsieur Fleurent, à ce soi, ou à demain au matin.

MONSIEUR FLEURANT à Beralde.
Dequoy vous meslez-vous de vous opposer aux ordonnances de la Medecine, et d’empescher Monsieur de prendre mon clystere  ; vous estes bien plaisant d’avoir cette hardiesse-là  ?

BERALDE.
Allez, Monsieur, on voit bien que vous n’avez pas accoûtumé de parler à des visages.

MONSIEUR FLEURANT.
On ne doit point ainsi se joüer des remedes, et me faire perdre mon temps. Je ne suis venu icy que sur une bonne ordonnance, et je vay dire à Monsieur Purgon, comme on m’a empesché d’executer ses ordres, et de faire ma fonction. Vous verrez, vous verrez….

ARGAN.
Mon Frere, vous serez cause icy de quelque malheur.

BERALDE.
Le grand mal-heur de ne pas prendre un lavement, que Monsieur Purgon a ordonné. Encore un coup, mon Frere, est-il possible qu’il n’y ait pas moyen de vous guerir de la maladie des Medecins, et que vou vouliez estre toute vostre vie ensevely dans leurs remedes  ?

ARGAN.
Mon Dieu, mon Frere, vous en parlez comme un homme qui se porte bien  ; mais si vous estiez à ma place, vous changeriez bien de langage. Il est aisé de parler contre la Medecine, quand on est en pleine santé.

BERALDE.
Mais quel mal avez-vous  ?

ARGAN.
Vous me feriez enrager. Je voudrois que vous l’eussiez, mon mal, pour voir si vous jaseriez tant. Ah  ! voicy Monsieur Purgon.

 

 

SCENE V.
MONSIEUR PURGON, ARGAN, BERALDE, TOINETTE.

MONSIEUR PURGON.
Je viens d’apprendre là bas à la porte de jolies nouvelles. Qu’on se mocque icy de mes ordonnances, et qu’on a fait refus de prendre le remede que j’avois prescrit.

ARGAN.
Monsieur, ce n’est pas…..

MONSIEUR PURGON.
Voilà une hardiesse bien grande, une étrange rebellion d’un malade contre son Medecin.

TOINETTE.
Cela est épouvantable.

MONSIEUR PURGON.
Un clystere que j’avois pris plaisir à composer moy-mesme.

ARGAN.
Ce n’est pas moy….

MONSIEUR PURGON.
Inventé, et formé dans toutes les regles de l’Art.

TOINETTE.
Il a tort.

MONSIEUR PURGON.
Et qui devoit faire dans des entrailles un effet merveilleux.

ARGAN.
Mon Frere  ?

MONSIEUR PURGON.
Le renvoyer avec mépris  !

ARGAN.
C’est luy….

MONSIEUR PURGON.
C’est une action exorbitante.

TOINETTE.
Cela est vray.

MONSIEUR PURGON.
Un attentat énorme contre la Medecine.

ARGAN.
Il est cause….

MONSIEUR PURGON.
Un crime de leze-Faculté, qui ne se peut assez punir.

TOINETTE.
Vous avez raison.

MONSIEUR PURGON.
Je vous déclare que je romps commerce avec vous.

ARGAN.
C’est mon Frere….

MONSIEUR PURGON.
Que je ne veux plus d’alliance avec vous.

TOINETTE.
Vous ferez bien.

MONSIEUR PURGON.
Et que pour finir toute liaison avec vous, voilà la donation que je faisois à mon Neveu en faveur du Mariage.

ARGAN.
Faites-le venir, je m’en vay le prendre.

MONSIEUR PURGON.
Je vous aurois tiré d’affaire avant qu’il fust peu.

TOINETTE.
Il ne le merite pas.

MONSIEUR PURGON.
J’allois nettoyer vostre corps, et en évacuer entierement les mauvaises humeurs.

ARGAN.
Ah mon Frere  !

MONSIEUR PURGON.
Et je ne voulois plus qu’ une douzaine de medecines, pour vuider le fond du sac.

TOINETTE.
Il est indigne de vos soins.

MONSIEUR PURGON.
Mais puisque vous n’avez pas voulu guerir par mes mains.

ARGAN.
Ce n’est pas ma faute.

MONSIEUR PURGON.
Puisque vous vous estes déclaré rebelle aux remedes que je vous ordonnois.

ARGAN.
Hé point du tout.

MONSIEUR PURGON.
J’ay à vous dire que je vous abandonne à vostre mauvaise constitution, à l’intemperie de vos entrailles, à la corruption de vostre sang, à l’acreté de vostre bile, et à la fœculence de vos humeurs.

TOINETTE.
C’est fort bien fait.

ARGAN.
Mon Dieu  !

MONSIEUR PURGON.
Et je veux qu’avant qu’il soit quatre jours, vous deveniez dans un estat incurable.

ARGAN.
Ah  ! misericorde.

MONSIEUR PURGON.
Que vous tombiez dans la Bradypépsie.

ARGAN.
Monsieur Purgon.

MONSIEUR PURGON.
De la Bradypépsie dans la Dyspépsie.

ARGAN.
Monsieur Purgon.

MONSIEUR PURGON.
De la Dyspépsie, dans l’Apépsie.

ARGAN.
Monsieur Purgon.

MONSIEUR PURGON.
De l’Apépsie dans la Lienterie.

ARGAN.
Monsieur Purgon.

MONSIEUR PURGON.
De la lienterie dans la Dyssentierie.

ARGAN.
Monsieur Purgon.

MONSIEUR PURGON.
De la Dyssenterie, dans l’Hydropisie.

ARGAN.
Monsieur Purgon.

MONSIEUR PURGON.
Et de l’Hydropisie dans la privation de la vie, où vous conduira vostre folie.

 

 

SCENE VI.
ARGAN, BERALDE.

ARGAN.
Ah  ! mon Dieu, je suis mort. Mon Frere vous m’avez perdu.

BERALDE.
Quoy  ? qu’y a-t-il  ?

ARGAN.
Je n’en puis plus. Je sens déja que la Medecine se vange.

BERALDE.
Ma foy, mon Frere, vous estes fou, et je ne voudrois pas pour beaucoup de choses qu’on vous vist faire ce que vous faites. Tâtez-vous un peu, je vous prie  ; revenez à vous-mesme  ; et ne donnez point tant à vostre imagination.

ARGAN.
Vous voyez, mon Frere, les étranges maladies dont il m’a menacé.

BERALDE.
Le simple homme que vous estes  !

ARGAN.
Il dit que je deviendray incurable avant qu’il soit quatre jours.

BERALDE.
Et ce qu’il dit, que fait-il à la chose  ? Est-ce un Orable qui a parlé  ? Il semble à vous entendre, que Monsieur Purgon tienne dans ses mains le filet de vos jours, et que d’authorité suprême il vous l’allonge, et vous le racourcisse comme il luy plaist. Songez que les principes de vostre vie sont en vous-mesme, et que le courroux de Monsieur Purgon est aussi peu capable de vous faire mourir, que ses remedes de vous faire vivre. Voicy une avanture si vous voulez à vous défaire des Medecins, ou si vous estes né à ne pouvoir vous en passer, il est aisé d’en voir un autre, avec lequel, mon Frere, vous puissiez courir un peu moins de risque.

ARGAN.
Ah  ! mon Frere, il sçait tout mon temperamment, et la maniere dont il faut me gouverner.

BERALDE.
Il faut vous avoüer que vous estes un homme d’une grande prévention, et que vous voyez les choses avec d’étranges yeux.

 

 

SCENE VII.
TOINETTE, ARGAN, BERALDE.

TOINETTE.
Monsieur, voilà un Medecin qui demande à vous voir.

ARGAN.
Et quel Medecin  ?

TOINETTE.
Un Medecin de la Medecine.

ARGAN.
Je te demande qui il est  ?

TOINETTE.
Je ne le connois pas  ; mais il me ressemble comme deux goutes d’eau, et si je n’estoi seure que ma mere estoit honneste femme, je dirois que ce seroit quelque petit frere, qu’elle m’auroit donné depuis le trépas de mon pere.

ARGAN.
Fay-le venir.

BERALDE.
Vous estes servy à souhait. Un Medecin vous quitte, un autre se presente.

ARGAN.
J’ay bien peur que vous ne soyez cause de quelque mal-heur.

BERALDE.
Encore  ! Vous en revenez toûjours-là  ?

ARGAN.
Voyez-vous, j’ay sur le cœur toutes ces maladies-là que je ne connois point, ces…..

 

 

SCENE VIII.
TOINETTE en Medecin . ARGAN, BERALDE.

TOINETTE.
Monsieur, agréez que je vienne vous rendre visite, et vous offrir mes petits services pour toutes les saignées, et les purgations, dont vous avez besoin.

ARGAN.
Monsieur, je vous suis fort obligé. Par ma foy, voilà Toinette elle-mesme.

TOINETTE.
Monsieur, je vous prie de m’excuser, j’ay oublié de donner une commission à mon Valet, je reviens tout à l’heure.

ARGAN.
Eh  ! ne diriez-vous pas que c’est effectivement Toinette  ?

BERALDE.
Il est vray que la ressemblance est tout-à-fait grande. Mais ce n’est pas la premiere fois qu’on a veu de ces sortes de choses, et les Histoires ne sont pleines que de ces jeux de la nature.

ARGAN.
Pour moy j’en suis surpris, et….

 

SCENE IX.
TOINETTE, ARGAN, BERALDE.

TOINETTE quitte son habit de Medecin si promptement, qu’il est difficile de croire que ce soit elle qui a paru en Medecin.
Que voulez-vous, Monsieur  ?

ARGAN.
Comment  ?

TOINETTE.
Ne m’avez-vous pas appellée  ?

ARGAN.
Moy  ? non.

TOINETTE.
Il faut donc que les oreilles m’ayent corné.

ARGAN.
Demeure un peu icy pour voir comme ce Medecin te ressemble.

TOINETTE en sortant dit :
Oüy, vrayment, j’ai affaire là bas, et je l’ay assez veu.

ARGAN.
Si je ne les voyois point tous deux, je croyrois que ce n’est qu’un.

BERALDE.
J’ay leu des choses surprenantes de ces sortes de ressemblances, et nous en avons de nôtre temps, où tout le monde s’est trompé.

ARGAN.
Pour moy j’aurois esté trompé à celle-là, et j’aurois juré que c’est la mesme personne.

 

 

SCENE X.
TOINETTE en Medecin . ARGAN, BERALDE.

TOINETTE.
Monsieur, je vous demande pardon de tout mon cœur.

ARGAN.
Cela est admirable  !

TOINETTE.
Vous ne trouverez pas mauvais, s’il vous plaist, la curiosité que j’ay euë de voir un illustre malade comme vous estes, et vostre reputation qui s’étend par tout, peut excuser la liberté que j’ay prise.

ARGAN.
Monsieur, je suis vostre serviteur.

TOINETTE.
Je voy, Monsieur, que vous me regardez fixement. Quel âge croyez-vous bien que j’aye  ?

ARGAN.
Je croy que tout au plus vous pouvez avoir vingt-six, ou vingt-sept ans.

TOINETTE.
Ah, ah, ah, ah, ah  ! J’en ay quatre vingt-dix.

ARGAN.
Quatre vingt-dix  ?

TOINETTE.
Oüy. Vous voyez un effet des secrets de mon Art, de me conserver ainsi frais et vigoureux.

ARGAN.
Par ma foy voilà un beau jeune Vieillard pour quatre-vingt dix ans.

TOINETTE.
Je suis Medecin passager, qui vais de Ville en Ville, de Province en Province, de Royaume en Royaume, pour chercher d’illustres matieres à m’occuper, capables d’exercer les grands, et beaux secrets que j’ay trouvez dans la Medecine. Je dédagne de m’amuser à ce menu fatras de maladies ordinaires, à ces bagatelles de rhumatisme et défluxions, à ces fiévrotes, à ces vapeurs, et à ces migraines. Je veux des maladies d’importance, de bonnes fiévres pourprées, de bonnes pestes, de bonnes hidropisies formées, de bonnes pleurésies, avec des inflammations de poitrine, c’est-là que je me plais, c’est-là que je triomphe  ; et je voudrois, Monsieur, que vous eussiez toutes les maladies que je viens de dire, que vous fussiez abandonné de tous les Medecins, desesperé, à l’agonie, pour vous montrer l’excellence de mes remedes, et l’envie que j’aurois de vous rendre service.

ARGAN.
Je vous suis obligé, Monsieur, des bontez que vous avez pour moy.

TOINETTE.
Donnez-moy vostre poux. Allons donc que l’on bate comme il faut. Ahy, je vous feray bien aller comme vous devez. Hoy, ce poux-là fait l’impertinent  ; je voy que vous ne me connoissez pas encore. Qui est vostre Medecin  ?

ARGAN.
Monsieur Purgon.

TOINETTE.
Cet homme-là n’est point écrit sur mes tablettes entre les grands Medecins. Dequoy, dit-il, que vous estes malade  ?

ARGAN.
Il dit que c’est du foye, et d’autres disent que c’est de la ratte.

TOINETTE.
Ce sont tous des ignorans, c’est du poulmon que vous estes malade.

ARGAN.
Du poulmon  ?

TOINETTE.
Oüy. Que sentez-vous  ?

ARGAN.
Je sens de temps en temps des douleurs de teste.

TOINETTE.
Justement, le poulmon.

ARGAN.
Il me semble parfois que j’ay un voile devant les yeux.

TOINETTE.
Le poulmon.

ARGAN.
J’ay quelquefois des maux de cœur.

TOINETTE.
Le poulmon.

ARGAN.
Je sens parfois des lassitudes par tous les membres.

TOINETTE.
Le poulmon.

ARGAN.
Et quelquefois il me prend des douleurs dans le ventre, comme si c’estoit des coliques.

TOINETTE.
Le poulmon. Vous avez appetit à ce que vous mangez  ?

ARGAN.
Oüy, Monsieur.

TOINETTE.
Le poulmon. Vous aymez à boire un peu de vin  ?

ARGAN.
Oüy, Monsieur.

TOINETTE.
Le poulmon. Il vous prend un petit sommeil aprés le repas, et vous estes bien aise de dormir  ?

ARGAN.
Oüy, Monsieur.

TOINETTE.
Le poulmon, le poulmon, vous dis-je. Que vous ordonne vostre Medecin pour vostre nourriture  ?

ARGAN.
Il m’ordonne du potage.

TOINETTE.
Ignorant.

ARGAN.
De la volaille.

TOINETTE.
Ignorant.

ARGAN.
Du veau.

TOINETTE.
Ignorant.

ARGAN.
Des boüillons.

TOINETTE.
Ignorant.

ARGAN.
Des œufs frais.

TOINETTE.
Ignorant.

ARGAN.
Et le soir de petits pruneaux pour lâcher le ventre.

TOINETTE.
Ignorant.

ARGAN.
Et sur tout de boire mon vin fort trempé.

TOINETTE.
Ignorantus, ignoranta, ignorantum. Il faut boire vostre vin pur  ; et pour épaissir vostre sang qui est trop subtil, il faut manger de bon gros Bœuf, de bon gros Porc, de bon fromage de Hollande, du gruau et du ris, et des marons et des oublies, pour coler, et conglutiner. Vostre Medecin est une beste. Je veux vous en envoyer un de ma main, et je viendray vous voir de temps en temps, tandis que je seray en cette Ville.

ARGAN.
Vous m’obligez beaucoup.

TOINETTE.
Que diantre faites-vous de ce bras-là  ?

ARGAN.
Comment  ?

TOINETTE.
Voilà un bras que je me ferois couper tout à l’heure, si j’estois que de vous.

ARGAN.
Et pourquoy  ?

TOINETTE.
Ne voyez-vous pas qu’il tire à soy toute la nourriture, et qu’il empesche de costé-là de profiter  ?

ARGAN.
Oüy, mais j’ay besoin de mon bras.

TOINETTE.
Vous avez-là aussi un œil droit que je me ferois crever, si j’estois en vostre place.

ARGAN.
Crever un œil.

TOINETTE.
Ne voyez-vous pas qu’il incommode l’autre, et luy dérobe sa nourriture  ? Croyez-moy, faites-vous-le crever au plûtost, vous en verrez plus clair de l’œil gauche.

ARGAN.
Cela n’est pas pressé.

TOINETTE.
Adieu. Je suis fâché de vous quitter si-tost, mais il faut que je me trouve à une grande Consultation qui se doit faire, pour un homme qui mourut hier.

ARGAN.
Pour un homme qui mourut hier  ?

TOINETTE.
Oüy, pour aviser, et voir ce qu’il auroit falu luy faire pour le guerir. Jusqu’au revoir.

ARGAN.
Vous sçavez que les malades ne reconduisent point.

BERALDE.
Voilà un Medecin vrayment, qui paroist fort habile.

ARGAN.
Oüy, mais il va un peu bien viste.

BERALDE.
Tous les grands Medecins sont comme cela.

ARGAN.
Me couper un bras, et me crever un œil, afin que l’autre se porte mieux  ? J’ayme bien mieux qu’il ne se porte pas si bien. La belle operation, de me rendre borgne et manchot  !

 

 

SCENE XI.
TOINETTE, ARGAN, BERALDE.

TOINETTE.
Allons, allons, je suis vostre servante. Je n’ay pas envie de rire.

ARGAN.
Qu’est-ce que c’est  ?

TOINETTE.
Vostre Medecin, ma foy, qui me vouloit tâter le poux.

ARGAN.
Voyez un peu à l’âge de quatre-vingt dix ans.

BERALDE.
Oh ça, mon Frere, puisque voilà vostre Monsieur Purgon broüillé avec-vous, ne voulez-vous pas bien que je vous parle du party, qui s’offre pour ma Niéce  ?

ARGAN.
Non, mon Frere, je veux la mettre dans un Convent, puis qu’elle s’est opposée à mes volontez. Je voy bien qu’il y a quelque amourette là dessous, et j’ay découvert certaine entre-veuë secrette, qu’on ne sçait pas que j’aye découverte.

BERALDE.
Hé bien, mon Frere, quand il y auroit quelque petite inclination, cela seroit-il si criminel, et rien peut-il vous offencer, quand tout ne va qu’à des choses honnestes, comme le Mariage  ?

ARGAN.
Quoy qu’il en soit, mon Frere, elle sera Religieuse, c’est une chose resoluë.

BERALDE.
Vous voulez faire plaisir à quelqu’un.

ARGAN.
Je vous entends. Vous en revenez toûjours-là, et ma femme vous tient au cœur.

BERALDE.
Hé  ! bien oüy, mon Frere, puisqu’il faut parler à cœur ouvert, c’est vostre femme que je veux dire  ; et non plus que l’entestement de la Medecine, je ne puis vous souffrir l’entestement où vous estes pour elle, et voir que vous donniez teste baissée dans tous les piéges qu’elle vous tend.

TOINETTE.
Ah  ! Monsieur, ne parlez point de Madame c’est une femme sur laquelle il n’ya rien à dire  ; une femme sans artifice, et qui ayme Monsieur, l’ayme…. On ne peut pas dire cela.

ARGAN.
Demandez-luy un peu les caresses qu’elle me fait.

TOINETTE.
Cela est vray.

ARGAN.
L’inquietude que luy donne ma maladie.

TOINETTE.
Assurement.

ARGAN.
Et les soins, et les peines qu’elle prend autour de moy.

TOINETTE.
Il est certain. Voulez-vous que je vous convainque, et vous fasse voir tout à l’heure comme Madame ayme Monsieur. Monsieur, souffrez que je luy montre son bec jaune, et le tire d’erreur.

ARGAN.
Comment  ?

TOINETTE.
Madame s’en va revenir. Mettez-vous tout étendu dans cette chaise, et contrefaites le mort. Vous verrez la douleur où elle sera, quand je luy diray la nouvelle.

ARGAN.
Je le veux bien.

TOINETTE.
Oüy, mais ne la laissez pas long-temps dans le desespoir, car elle en pourroit bien mourir.

ARGAN.
Laissez-moy faire.

TOINETTE à Beralde.
Cachez-vous, vous, dans ce coin-là.

ARGAN.
N’y a-t-il point quelque danger à contrefaire le mort  ?

TOINETTE.
Non, non. Quel danger y auroit-il  ? Etendez-vous-là seulement, bas . Il y aura plaisir à confondre vostre Frere. Voicy Madame. Tenez-vous bien.

 

 

SCENE XII.
BELINE, TOINETTE, ARGAN, BERALDE.

TOINETTE s’écrie.
Ah  ! mon Dieu  ! ah mal-heur  ! quel étrange accident  !

BELINE.
Qu’est-ce, Toinette  ?

TOINETTE.
Ah, Madame  !

BELINE.
Qu’y a-t-il  ?

TOINETTE.
Vostre mary est mort.

BELINE.
Mon mary est mort  ?

TOINETTE.
Helas oüy. Le pauvre défunt est trépassé.

BELINE.
Assurement  ?

TOINETTE.
Assurement. Personne ne sçait encore cet accident-là, et je me suis toruvé icy toute seule. Il vient de passer entre mes bras. Tenez, le voilà tout de son long dans cette chaise.

BELINE.
Le Ciel en soit loüé. Me voilà délivrée d’un grand fardeau. Que tu est sotte, Toinette, de t’affliger de cette mort  !

TOINETTE.
Je pensois, Madame, qu’il falust pleurer.

BELINE.
Va, va, cela n’en vaut pas la peine. Quelle perte est-ce que la sienne, et dequoy servoit-il sur la terre  ? un homme incommode à tout le monde, mal propre, dégoûtant, sans cesse un lavement, ou une medecine dans le ventre, mouchant, toussant, crachant toûjours, sans esprit, ennuyeux, de mauvaise humeur, fatigant sans cesse les gens, et grondant jour et nuit Servantes, et Valets.

TOINETTE.
Voilà une belle Oraison funebre.

BELINE.
Il faut, Toinette, que tu m’aydes à executer mon dessein, et tu peux croire qu’en me servant ta recompense est seure. Puisque par un bon-heure personne n’est encore averty de cla chose, portons le dans son lit, et tenons cette mort, cachée, jusqu’à ce que j’aye fait mon affaire. Il y a des papiers, il y a de l’argent, dont je veux me saisir, et il n’est pas juste que j’aye passé sans fruit auprés de luy mes plus belles années. Vien, Toinettte, prenons auparavant toutes ses clefs.

ARGAN se levant brusquement.
Doucement.

BELINE surprise, et épouvantée.
Ahy  !

ARGAN.
Oüy, Madame ma femme, c’est ainsi que vous m’aymez  ?

TOINETTE.
Ah, ah, le défunt n’est pas mort.

ARGAN à Beline qui sort.
Je suis bien aise de voir vostre amitié, et d’avoir entendu le beau Panégyrique que vous avez fait de moy. Voilà un avis au Lecteur, qui me rendrea sage à l’avenir, et qui m’empeschera de faire bien des choses.

BERALDE sortant de l’endroit où il estoit caché.
Hé bien, mon Frere, vous le voyez.

TOINETTE.
Par ma foy, je n’aurois jamais creu cela. Mais j’entens vostre Fille, remettez-vous comme vous estiez, et voyons de quelle maniere elle recevra vostre mort. C’est une chose qu’il n’est pas mauvais d’éprouver  ; et puisque vous estes en train, vous connoistrez par là les sentimens que vostre famille a pour vous.

 

 

SCENE XIII.
ANGELIQUE, ARGAN, TOINETTE, BERALDE.

TOINETTE
s’écrie.
O Ciel  ! ah fâcheuse avanture  ! mal-heureuse journée  !

ANGELIQUE.
Qu’as-tu, Toinette, et dequoy pleures-tu  ?

TOINETTE.
Helas  ! j’ay de tristes nouvelles à vous donner.

ANGELIQUE.
Hé quoy  ?

TOINETTE.
Vostre Pere est mort.

ANGELIQUE.
Mon Pere est mort, Toinette  ?

TOINETTE.
Oüy, vous le voyez-là. Il vient de mourir tout à l’heure d’une foiblesse qui luy a prise.

ANGELIQUE.
O Ciel  ! quelle infortune  ! quelle atteinte cruelle. Helas  ! faut-il que je perde mon Pere, la seule chose qui me restoit au monde  ; et qu’encore pour un surcroist de desespoir, je le perde dans un moment où il estoit irrité contre moy  ? Que deviendray-je, mal-heureuse, et quelle consolation trouver aprés une si grande perte  ?

 

 

SCENE XIV. Et derniere.
CLEANTE, ANGELIQUE, ARGAN, TOINETTE, BERALDE.

CLEANTE.
Qu’avez-vous donc belle Angelique  ? et quel mal-heur pleurez-vous  ?

ANGELIQUE.
Helas  ! je pleure tout ce que dans la vie je pouvois perdre de plus cher, et de plus precieux. Je pleure la mort de mon Pere.

CLEANTE.
O Ciel  ! quel accident  ! quel coup inopiné  ! helas  ! aprés la demande que j’avois conjuré vostre Oncle de luy faire pour moy, je venois me presenter à luy, et tâcher par mes respects et par mes prieres, de disposer son cœur à vous accorder à mes vœux.

ANGELIQUE.
Ah  ! Cleante, ne parlons plus de rien. Laissons-là toutes les pensées du Mariage. Aprés la perte de mon Pere, je ne veux plus estre du monde, et j’y renonce pour jamais. Oüy, mon Pere, si j’ay resisté tantost à vos volontez, je veux suivre du moins une de vos intentions, et reparer par là le chagin que je m’accuse de vous avoir donné. Souffrez, mon Pere, que je vous en donne icy ma parole, et que je vous embrasse, pour vous témoigner mon ressentiment.

ARGAN se leve.
Ah  ! ma Fille.

ANGELIQUE épouvantée.
Ahy  !

ARGAN.
Vien. N’aye point de peur, je ne suis pas mort. Va, tu es mon vray sang, ma veritable Fille, et je suis ravy d’avoir veu ton bon naturel.

ANGELIQUE.
Ah  ! quelle surprise agreable, mon Pere, puisque par un bon-heur extrême le Ciel vous redonne à mes vœux, souffrez qu’icy je me jette à vos poeds pour vous supplier d’une chose. Si vous n’estes pas favorable au panchant de mon cœur, si vous me refusez Cleante pour époux, je vous conjure, au moins, de ne me point forcer d’en épouser un autre. C’est toute la grace que je vous demande.

CLEANTE se jette à genoux.
Eh, Monsieur, laissez-vous toucher à ses prieres et aux miennes  ; et ne vous montrez point contraire aux mutuels empressemens d’une si belle inclination.

BERALDE.
Mon Frere, pouvez-vous tenir là-contre  ?

TOINETTE.
Monsieur, serez-vous insensible à tant d’amour  ?

ARGAN.
Qu’il se fasse Medecin, je consens au Mariage. Oüy, faites-vous Medecin, je vous donne ma Fille.

CLEANTE.
Tres-volontiers, Monsieur, s’il ne tient qu’à cela pour estre vostre gendre, je me feray Medecin, Apothiquaire mesmes, si vous voulez. Ce n’est pas une affaire que cela, et je ferois bine d’autres choses pour obtenir la belle Angelique.

BERALDE.
Mais, mon Frere, il me vient une pensée. Faites-vous Medecin vous-mesme. La commodité sera encore plus grande, d’avoir en vous tout ce qu’il vous faut.

TOINETTE.
Cela est vray. Voilà le vray moyen de vous guerir bien-tost  ; et il n’y a point de maladie si osée, que de se joüer à la personne d’un Medecin.

ARGAN.
Je pense, mon Frere, que vous vous mocquez de moy. Est-ce que je suis en âge d’étudier  ?

BERALDE.
Bon étudier. Vous estes assez sçavant  ; et il y en a beaucoup parmy eux, qui ne sont pas plus habiles que vous.

ARGAN.
Mais il faut sçavoir bien parler Latin, connoistre les maladies, et les remedes qu’il y faut faire.

BERALDE.
En recevant la robe et le bonnet de Medecin, vous apprendrez tout cela, et vous serez aprés plus habile que vous ne voudrez.

ARGAN.
Quoy l’on sçait discourir sur les maladies quand on a cet habit-là  ?

BERALDE.
Oüy. L’on n’a qu’à parler, avec une robe, et un bonnet, tout galimatias devient sçavant, et toute sottise devient raison.

TOINETTE.
Tenez, Monsieur, quand il n’y auroit que vostre barbe, c’est déjà beaucoup, et la barbe fait plus de la moitié d’un Medecin.

CLEANTE.
En tout cas, je suis prest à tout.

BERALDE.
Voulez-vous que l’affaire se fasse tout à l’heure  ?

ARGAN.
Comment tout à l’heure  ?

BERALDE.
Oüy, et dans vostre maison.

ARGAN.
Dans ma maison  ?

BERALDE.
Oüy. Je connois une Faculté de mes amies, qui viendra tout à l’heure en faire la ceremonie dans vostre sale. Cela ne vous coûtera rien.

ARGAN.
Mais, moy que dire, que répondre  ?

BERALDE.
On vous instruiraen deux mots, et l’on vous donnera par écrit ce que vous devez dire. Allez-vous-en vous mettre en habit decent, je vay les envoyer querir.

ARGAN.
Allons, voyons cela.

CLEANTE.
Que voulez-vous dire, et qu’entendez-vous avec cette faculté de vos amies….

TOINETTE.
Quel est donc vostre dessein  ?

BERALDE.
De nous divertir un peu ce soir. Les Comediens ont fait un petit Intermede de la reception d’un Medecin, avec des danses et de la Musique, je veux que nous en prenions ensemble le divertissement, et que mon Frere y fasse le premier Personnage.

ANGELIQUE.
Mais, mon Oncle, il me semble que vous vous joüez un peu beaucoup de mon Pere.

BERALDE.
Mais, ma Niéce, ce n’est pas tant le joüer, que s’accommoder à ses fantaisies. Tout cecy n’est qu’entre-nous. Nous y pouvons aussi prendre chacun un Personnage, et nous donner ainsi la Comedie les uns aux autres. Le Carnaval authorise cela. Allons viste preparer toutes choses.

CLEANTE à Angelique.
Y consentez-vous.

ANGELIQUE.
Oüy, puisque mon Oncle nous conduit.
Fin du dernier Acte.

TROISIE’ME INTERMEDE.

C’est une Ceremonie Burlesque d’un homme qu’on fait Medecin, en Recit, Chant et Danse.

ENTRE’E DE BALLET.

Plusieurs Tapissiers viennent preparer la Salle, et placer les bancs en cadence. Ensuite dequoy toute l’Assemblée, composée de huit Porte-Seringues, six Apotiquaires, vingt-deux Docteurs, et celuy qui se fait recevoir Medecin, huit Chirurgiens dansans, et deux chantans, chacun entre et prend ses places selon son rang.

PRÆSES.
Scavantissimi Doctores,
Medicinæ Professores,
Qui hic assemblati estis  ;
Et vos altri Messiores,
Sententiarum Facultatis
Fideles executores,
Chirurgiani et Apothicari.
Atque tota Compania aussi,
Salus, honor, et argentum,
Atque bonum appetitum.

Non possum Docti confréri,
En moy satis admirari,
Qualis bona inventio,
Est Medici professo  :
Quam bella chosa est et bene trovata,
Medicina illa benedicta,
Quæ suo nomine solo
Surprenanti miraculo,
Depuis si longo tempore
Facit à gogo vivere
Tant de gens omni genere.

Per totam terram videmus
Grandam vogam ubi sumus  ;
Et quod grandes et petiti
Sunt de nobis infatui  :
Totus mundus currens ad nostros remedios,
Nos regardat sicut Deos,
Et nostris Ordonnanciis
Principes et Reges soumissos videtis.

Donque il est nostræ sapientiæ,
Boni sensus atque prudentiæ,
De fortement travaillare,
A nos bene conservare
In tali credito, voga, et honore  ;
Et prandere gardam à non recevere
In nostro docto corpore
Quam personas capabiles,
Et totas dignas ramplire
Has plaças honorabiles.

C’est pour cela que nunc convocatis estis,
Et credo quod trovabitis
Dignam matieram medici,
In sçavanti homine que voicy  :
Lequel in chosis omnibus
Dono ad interrogandum,
Et à fond examinandum
Vostris capacitatibus.

PRIMUS DOCTOR.
Si mihi licentiam dat Dominus Præses,
Et tanti docti Doctores,
Et assistantes illustres,
Tres-sçavanti Bacheliero
Quem estimo et honoro,
Domandabo causam et rationem, quare
Opium facit dormire  ?

BACHELIERUS.
Mihi à docto Doctore
Domandatur causam et rationem , quare
Opium facit dormire  ?
A quoy respondeo,
Quia est in eo
Virtus dormitiva.
Cujus es natura
Sensus assoupire.

CHORUS.
Bene, bene, bene, bene respondere
Dignus, dignus est entrare
In nostro docto corpore.
Bene, bene respondere.

SECONDUS DOCTOR.
Cum permissione Domini Præsidis,
Doctissimæ facultatis,
Et totius his nostris actis
Compania assistantis,
Domandabi tibi, docte Bacheliere,
Quæ sunt remedia,
Quæ in maladia
Ditte hidropisia
Convenit facere.

BACHELIERUS.
Clisterium donare,
Postea seignare,
Ensuitta purgare.

CHORUS.
Bene, bene, bene, bene responder
Dignus, dignus est entrare
In nostro docto corpore.

TERTIUS DOCTOR.
Si bonum semblatur Domino Præsidi,
Doctissimæ facultati
Et Companiæ præsenti,
Domandabo tibi, docte Bacheliere,
Quæ remedia Eticis,
Pulmonicis atque Asmaticis
Trovas à propos facere.

BACHELIERUS.
Clisterium donare,
Postea seignare,
Ensuitta purgare.

CHORUS.
Bene, bene, bene, bene respondere  :
Dignus, dignus est entrare
In nostro docto corpore.

QUARTUS DOCTOR.
Super illas maladias,
Doctus Bachelierus dixit maravillas  :
Mais si non ennuyo Dominum Præsidem,
Doctissimam Facultatem,
Et totam honorabilem
Companiam écoutantem  ;
Faciam illi unam questionem,
Dez hiero maladus unus
Tombavit in meas manus  :
Habet grandam fiévram cum redoublamentis
Grandam dolorem capitis,
Et grandum malum au costé,
Cum granda difficultaté
Et pena respirare  :
Veillas mihi dire,
Docte Bacheliere,
Quid illi facere.

BACHELIERUS.
Clisterium donare,
Postea seignare,
Ensuitta purgare.

QUINTUS DOCTOR.
Mais si maladia
Opiniatra,
Non vult se garire,
Quid ili facere  ?

BACHELIERUS.
Clisterium donare,
Postea seignare,
Ensuitta purgare, reseignare, repurgare,
Et rechlitterisare.

CHORUS.
Bene, bene, bene, bene respondere
Dignus, dignus est entrare
In nostro docto corpore.

PRÆSES.
Juras gardare statuta
Per Facultatem præscripta,
Cum sensu et jugeamento  ?

BACHELIERUS.
Juro.

PRÆSES.
Essere in omnibus
Consultationibus
Ancieni aviso  ;
Aut bono,
Aut mauvaiso  ?

BACHELIERUS.
Juro.

PRÆSES.
De non jamais te servire
De remediis aucunis,
Quam de ceux seulement doctæ facultatis  ;
Maladus deust-il crevare
Et mori de suo malo  ?

BACHELIERUS.
Juro.

PRÆSES.
Ego cum isto boneto
Venerabili et docto,
Dono tibi et concedo
Virtutem et puissanciam,
Medicandi,
Purgandi,
Seignandi,
Perçandi,
Taillandi,
Coupandi,
Et occidendi
Impune per totam terram.

ENTRE’E DE BALLET. Tous les Chirurgiens et Apotiquaires viennent luy faire la reverence en cadence.

BACHELIERUS.
Grandes Doctores doctrinæ,
De la Rhubarbe et du Sené  :
Ce seroit sans douta à moy chosa foila,
Inepta et rificula,
Si j’alloibam m’engageare
Vobis loüangeas donare,
Et entreprenoibam adjoûtare
Des lumieras au Soleillo,
Et des Etoilas au Cielo,
Des Ondas à l’Oceano  ;
Et des Rosas au Printanno  ;
Agreate qu’avec uno moto
Pro toto remerciemento
Randam gratiam corpori tam docto,
Vobis, vobis debeo,
Bien plus qu’à naturæ, et qu’à parti meo,
Natura et pater meus
Hominem me habent factum  :
Mais vos me, ce qui est bien plus,
Avetis factum Medicum,
Honor, favor, et gratia,
Qui in hoc corde que voilà,
Imprimant ressentimenta
Qui dureront in secula.

CHORUS.
Vivat, vivat, vivat, vivat, cent fois vivat
Novus Doctor, qui tam bene parlat,
Mille, mille annis, et manget et bibat,
Et seignet et tuat.

ENTRE’E DE BALLET. Tous les Chirurgiens et les Apotiquaires dansent au son des Instrumens et des Voix, et des battemens de mains, et des Mortiers d’Apotiquaires.

CHIRURGUS.
Puisse-t’il voir doctas
Suas Ordonnancias,
Omnium Chirurgorum,
Et Apotiquarum
Rmplire boutiquas

CHORUS.
Vivat, vivat, vivat, vivat, cent fois vivat
Novus Doctor, qui tam bene parlat,
Mille, mille annis, et manget et bibat,
Et seignet et tuat.

CHIRURGUS.
Puisse toti anni,
Luy essere boni
Et favorabiles,
Et n’habere jamais
Quam pestas, verolas,
Fiévras, pluresias,
Fluxus de sang et dissenterias.

CHORUS.
Vivat, vivat, vivat, vivat, cent fois vivat
Novus Doctor, qui tam bene parlat,
Mille, mille annis, et manget et bibat,
Et seignet et tuat.

DERNIERE ENTRE’E DE BALLET. Des Medecins, des Chirurgiens et des Apotiquaires, qui sortent tous selon leur rang en Ceremonie comme ils sont entrez.

Fin du Malade Imaginaire, et des Oeuvres de Monsieur de Moliere.

PRIVILEGE DU ROY.
LOUIS, PAR LA GRACE DE DIEU, ROY DE FRANCE ET DE NAVARRE  : A nos amez et feaux Conseillers, les Gens tenans nos Cours au Parlement, Maistres des Requestes ordinaires de nostre Hostel, grand Conseil, Baillids, Seneschaux, Prevosts, leurs Lieutenans, et à tous autres nos Justiciers et Officiers qu’il appartiendra  : SALUT. Nostre cher, et bien amé DENIS THIERRY, Marchand Libraire, Imprimeur, et ancien Consul des Marchands à Paris, Nous a fait remontrer, qu’il a traité avec la Veuve de feu Jean Baptiste Poclin de Moliere, d’un Manuscrit intitulé, Recüeil des Oeuvres Posthumes de I. B. P., contenant de Dom Garcie de Navarre, ou le Prince jaloux   ; l’Impromptu de Versailles   ; Dom Juan, ou le Festin de Pierre   ; Melicerte   ; Les Amans Magnifiques   ; La Comtesse d’Escarbagnas   ; et le Malade Imaginaire , reveu, corrigé et augmenté  : Lequel Recüeil il desiroit Imprimer, s’il avoit nos Lettres de permisson sur ce necessaires  ; et pour cet effet il a esté conseillé d’avoir recours à nous, et de nous supplier tres-humblement de les luy vouloir accorder. A CES CAUSES, voulant favorablement traiter ledit Exposant, Nous luy avons permis et accordé, permettons et accordons par ces presentes, d’Imprimer, ou faire Imprimer, vendre et débiter en tous les lieux de nostre Royaume, Païs, Terres et Seigneuries de nostre obeïssance, ledit Recüeil des Oeuvres Posthumes de I. B. P. de Moliere , ensemble, ou separement, en telle marge et caractere, et autant de fois que bon luy semblera, durant le temps de six années consecutives, à comper du jour que chaque Piece sera achevée d’imprimer pour la premiere fois. Pendant lequel temps nous faisons tres-expresses inhibitions, et défenses à toutes personnes, de quelque qualité, ou condition qu’elles soient, Imprimeurs, Libraires et autres, d’imprimer, faire imprimer, vendre et distribuer ledit Livre, sous pretexte d’augmentation, correction, changement de titre, fausses marques, ou autrement, en quelque sorte de maniere que ce soit, ny mesme d’en faire des extraits, ou abregez. Et à tous les Marchands étrangers d’en apporter, ny distribuer en ce Royaume, d’autres impressions, que de celles qui auront esté faites du consentement de l’Exposant, à peine de trois mille livres d’amende, payable par chacun des contrevenans, et applicable un tiers à nou, un tiers à l’Hospital General de nostre bonne ville de Paris, et l’autre tiers à l’Exposant, de confiscation des Exemplaires contrefaits, et de tous dépens, dommages et interests. A condition qu’il sera mis deux Exemplaires desdits Libres dans nostre Bibliothèque publique, un en celle du Cabinet de nos Livres en nostre Chasteau du Louvre, et un en celle de nostre tres-cher et feal le Sieur le Tellier, Chevalier Chancelier de France, avant que de les exposer en vente, à la charge aussi que l’Impression en sera faite dans le Royaume, et non ailleurs  ; et que lesdits Livres seront imprimez sur de beau et bon papier, et de belle impression  : Et ce suivant ce qui est porté par le Reglement fait pour la Librairie et Imprimerie, au mois de Juin 1618. enregistré en nostre Cour de Parlement de Paris le 9. Juillet ensuivant, à peine de nullité des presentes, lequelles seront registrées dans le registre de la Communauté des Imprimeurs et Libraires de nostre bonne Ville de Paris. Si vous mandons et enjoignons, que du contenu en icelles, vous fassiez joüir pleinement et paisiblement ledit Exposant, ou ceux qui auront droit de luy, sans souffrir qu’il leur soit fait ou donné aucun empeschement. Voulons aussi qu’en mettant au commencement, ou à la fin desdits Livres une coppie des presentes, ou extraits d’icelles, elles soient tenuës pour bien et duëment signifiées, et que foy y soit ajoûtée  : et aux copies collationnées par l’un de nos amez et feaux Conseillers et Secretaires, comme à l’original. Commandons au premier nostre Huissier, ou Sergent sur ce requis, de faire pour l’execution d’icelles tous exploits, saisies, et autres actes necessaires, sans demander autre permission, nonobstant toutes oppositions, ou appellations quelconques, Clameur de Haro, Chartre Normande, et autres Lettres à ce contraires. CAR tel est nôtre plaisir. Donné à Chaville le vingtiéme jour d’Aoust, l’an de grace mil six cens quatre-vingt-deux, et de nostre regne le quarantiéme. Par le Roy en son Conseil, LE PETIT.
Registré sur le Livre de la Communauté des Libraires et Imprimeurs de Paris, le vingt-sixiéme Aoust 1682. suivant l’Arrest du Parlement du 8. Avril 1653. et celuy du Conseil Privé du Roy, du vingt-septiéme Février 1665.
ANGOT, Syndic.
Ledit THIERRY a associé audit Privilege, Claudre Barbin, et Pierre Traboüllette.
Achevé d’imprimer pour la premiere fois, le dernier jour d’Octobre mil six cens quatre-vingt deux.

Ressources complémentaires

Les spectacles et la vie de cour selon les gazetiers
Chronologie moliéresque
Textes du XVIIe siècle en version intégrale
Textes de Molière en version diplomatique

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