Le Festin de pierre de Thomas Corneille

Thomas CORNEILLE, Le Festin de Pierre. Comédie. Mise en Vers sur la Prose de feu M. de Moliere, Paris, 1683.
(une reproduction à l’identique de cette édition figure parmi les textes sur lesquels opère le dispositif de « visualisation des variantes textuelles », sur la barre de menu à gauche).

Créée au Théâtre Guénegaud en 1677, cette comédie reprend le texte de Don Juan ou le Festin de pierre de Molière en y apportant de nombreuses modifications.

 

 

LE FESTIN DE PIERRE.

 

COMEDIE.

 

Mise en Vers sur la Prose de feu Mr de Moliere.

 

 

1ere le Vendredi 12 février 1677.

 

 

[MOTIF PICTURAL.]

A PARIS,
Sur le Quay des Augustins, à la descente du Pont-Neuf, à l’image S. Loüis.

M. DC. LXXXIII.

 

 

Avec Privilege du Roy.

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[FRISE.]

LE LIBRAIRE
AU LECTEUR.

Cette Piece, dont les Comédiens donnent tous les ans plusieurs Représentations, est la mesme que feu Mr de Moliere fit joüer en Prose quelque temps avant sa mort. Celuy qui l’a mise en Vers, a pris le soin d’adoucir certaines expressions qui avoient blessé les Scrupuleux, et il a suivy la Prose dans tout le reste, à l’exception des Scenes du troisiéme et du cinquiéme Acte, où il fait parler des Femmes. Ce sont Scenes ajoûtées à cet excellent Original, et dont les defauts ne doivent point estre imputez au celebre Autheur, sous le nom duquel cette Comedie est toûjours représentée.

[petit motif pictural]

 

 

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ACTEURS.

 

D. LOUIS, Pere de D. Juan.
D. JUAN.
D. ELVIRE, ayant épousé D. Juan.
D. CARLOS, Frere d’Elvire.
ALONSE, Amy de D. Carlos.
THERESE, Tante de Leonor.
LEONOR.
PASCALE, Nourrice de Leonor.
CHALOTE , Païsane.
MATHURINE, autre Païsane.
PIERROT, Païsan.
LA RAMEE, Valet de Chambre de D. Juan.
GUSMAN, Domestique de D. Elvire.
SGANARELLE, Valet de D. Juan.
LA STATUE du Commandeur.
LA VIOLETE, Laquais.

[petit motif pictural]

 

[page 1 NP]

[FRISE A TÊTE DE MINERVE]

 

 

LE FESTIN DE PIERRE.

COMEDIE.

 

 

ACTE PREMIER.

 

SCENE PREMIERE.

 

SGANARELLE, GUSMAN.

 

SGANARELLE prenant du Tabac, et en offrant à Gusman.

Quoy qu’en dise Aristote, et sa digne Cabale,
Le Tabac est divin, il n’est rien qui l’égale,
Et par les Faineans pour fuir l’oisiveté,
Jamais amusement ne fut mieux inventé.
Ne sçauroit-on que dire, on prend la Tabatiere,
Soudain à gauche, à droit, par devant, par derriere ;

[bas de page 1 NP : A]
[page 2]
Gens de toutes façons, connus et non connus,
Pour y demander part, sont les tres-bien venus.
Mais c’est peu qu’à donner instruisant la Jeunesse,
Le Tabac l’accoûtume à faire ainsi largesse.
C’est dans la Medecine un remede nouveau ;
Il purge, réjoüit, conforte le cerveau,
De toute noire humeur promptement le délivre,
Et qui vit sans Tabac n’est pas digne de vivre.
O Tabac, ô Tabac, mes plus cheres amours !
Mais reprenons un peu nostre premier discours.
Si bien, mon cher Gusman, qu’Elvire ta Maistresse,
Pour D. Juan mon Maistre a pris tant de tendresse,
Qu’apprenant son départ, l’excés de son ennuy,
L’a fait mettre en campagne, et courir apres luy.
Le soin de le chercher est obligeant sans-doute,
C’est aimer fortement, mais tout Voyage couste,
Et j’ay peur, s’il te faut expliquer mon soucy,
Qu’on l’indemnise mal des frais de celuy-cy.

 

GUSMAN.

Et la raison encor ? Dy-moy, je te conjure,
D’où te vient une peur de si mauvais augure ?
Ton Maistre là-dessus t’a-t-il ouvert son coeur ?
T’a-t-il fait remarquer pour nous quelque froideur,
Qui d’un départ si prompt…

 

SGANAREELE .

Je n’en sçay point les causes.
Mais, Gusman, à peu prés je voy le train des choses,
Et sans que D. Juan m’ait rien dit de cela,
Tout franc, je gagerois que l’affaire va là.
Je pourrois me tromper, mais j’ay peine à le croire.

 

GUSMAN.

Quoy, ton Maistre feroit cette tache à sa gloire ?
[page 3]
Il trahiroit Elvire, et d’un crime si bas…

 

SGANARELLE.

Il est trop jeune encor, il n’oseroit.

 

GUSMAN.

Hélas !
Ny d’un si lâche tour l’infamie éternelle,
Ny de sa qualité…

 

SGANARELLE.

La raison en est belle ;
Sa qualité, c’est là ce qui l’arresteroit.

 

GUSMAN.

Tant de voeux…

 

SGANARELLE.

Rien pour luy n’est trop chaud ny trop froid.
Voeux, sermens, sans scrupule il met tout en usage.

 

GUSMAN.

Mais ne songe-t-il pas à l’Hymen qui l’engage ?
Croit-il le pouvoir rompre ?

 

SGANARELLE.

Hé mon pauvre Gusman,
Tu ne sçais pas encor quel Homme est D. Juan.

 

GUSMAN.

S’il est ce que tu dis, le moyen de connoistre,
De tous les Scelerats, le plus grand, le plus traistre ?
Le moyen de penser qu’apres tant de sermens,
Tant de transports d’amour, d’ardeurs, d’empressemens,
De protestations des plus passionnées,
De larmes, de soûpirs, d’assurances données,
Il ait réduit Elvire à sortir du Convent,
A venir l’épouser, et tout cela du vent ?

 

[Bas de page 3 : Aij]
[page 4]

SGANARELLE.

Il s’embarasse peu de pareilles affaires,
Ce sont des tours d’esprit qui luy sont ordinaires ;
Et si tu connoissois le Pelerin, croy-moy,
Tu ferois peu de fond sur le don de sa foy.
Ce n’est pas que je sçache avec pleine assurance,
Que déja pour Elvire il soit ce que je pense ;
Pour un dessein secret en ces lieux appellé,
Depuis son arrivée il ne m’a point parlé.
Mais par précaution je puis icy te dire,
Qu’il n’est devoirs si saints dont il ne s’ose rire.
Que c’est un Endurcy dans la fange plongé,
Un Chien, un Herétique, un Turc, un Enragé,
Qu’il n’a ny foy ny loy, que tout ce qui le tente…

 

GUSMAN.

Quoy, le Ciel ny l’Enfer n’ont rien qui l’épouvante ?

 

SGANARELLE.

Bon, parlez luy du Ciel, il répond d’un soûris ;
Parlez luy de l’Enfer, il met le Diable au pis,
Et parce qu’il est jeune, il croit qu’il est en âge,
Où la vertu sied moins que le libertinage.
Remontrance, reproche, autant de temps perdu,
Il cherche avec ardeur ce qu’il voit défendu ;
Et ne refusant rien à Madame Nature,
Il est ce qu’on appelle un Pourceau d’Epicure.
Ainsi ne me dis point, sur sa legereté,
Qu’Elvire par l’Hymen se trouve en seûreté ;
C’est peu par bon Contract qu’il en ait fait sa Femme,
Pour en venir à bout, et contenter sa flâme,
Avec elle au besoin par ce mesme Contract,
Il auroit épousé toy, son Chien et son Chat.
C’est un piege qu’il tend par tout à chaque Belle ;
Païsane, Bourgeoise, et Dame et Demoiselle,
[page 5]
Tout le charme, et d’abord pour leur donner leçon,
Un Mariage fait luy semble une Chanson.
Toûjours Objets nouveaux, toûjours nouvelles flâmes ;
Et si je te disois combien il a de Femmes,
Tu serois convaincu que ce n’est pas en vain
Qu’on le croit l’Epouseur de tout le Genre-Humain.

 

GUSMAN.

Quel abominable Homme !

 

SGANARELLE.

Et plus qu’abominable,
Il se moque de tout, ne craint ny Dieu ny Diable ;
Et je ne doute point, comme il est sans retour,
Qu’il ne soit par la Foudre écrasé quelque jour.
Il le mérite bien, et s’il te faut tout dire,
Depuis qu’en le servant je souffre le martyre,
J’en ay veu tant d’horreurs, que j’avouë aujourd’huy,
Qu’il vaudroit mieux cent fois estre au Diable qu’à luy.

 

GUSMAN.

Que ne le quites-tu ?

 

SGANARELLE.

Le quiter ! comment faire ?
Un grand Seigneur méchant est une étrange affaire :
Vois-tu, si j’avois fuy, j’aurois beau me cacher,
Jusques dans l’Enfer mesme il viendroit me chercher.
La crainte me retient, et ce qui me désole,
C’est qu’il faut avec luy faire souvent l’Idole,
Loüer ce qu’on déteste, et de peur du baston,
Chanter quand il luy plaist dessus son mesme ton.
Je croy dans ce Palais le voir qui se promene,
C’est luy, motus au moins.

 

GUSMAN.

Ne t’en mets point en peine.

[bas de page 5 : Aiij]
[page 6]

 

SGANARELLE.

Je t’ay conté sa vie un peu legerement ;
Garde-toy d’en rien dire à personne, autrement…

 

GUSMAN s’en allant.

Ne crains rien.

[FRISE.]

 

 

SCENE II.

 

D. JUAN, SGANARELLE.

 

D. JUAN.

Avec qui parlois tu ? pourroit-ce estre
Le bon Homme Gusman ? J’ay crû le reconnoistre.

 

SGANARELLE.

Vous avez fort bien crû, c’estoit luy-mesme.

 

D. JUAN.

Il vient
Demander quelle affaire en ces lieux nous retient ?

 

SGANARELLE.

Il est un peu surpris de ce que sans rien dire,
Vous avez pû si-tost abandonner Elvire.

 

D. JUAN.

Que luy fais-tu penser d’un départ si prompt ?

 

SGANARELLE.

Moy ?
Rien du tout, ce n’est point mon affaire.

 

D. JUAN.

Mais toy,
[page 7]
Qu’en penses-tu ?

 

SGANARELLE.

Je croy, sans trop juger en Beste,
Que vous avez encor quelque amourete en teste.

 

D. JUAN.

Tu le crois ?

 

SGANARELLE.

Oüy.

 

D. JUAN.

Ma foy, tu crois juste, et mon coeur
Pour un Objet nouveau sent la plus forte ardeur.

 

SGANARELLE.

Eh mon Dieu ! j’entrevois d’abord ce qui s’y passe.
Vostre coeur n’aime point à demeurer en place ;
Et sans luy faire tort sur la fidelité,
C’est le plus grand Coureur qui jamais ait esté ;
Tout est de vostre goust, Brune ou Blonde, n’importe.

 

D. JUAN.

Et n’ay-je pas raison d’en user de la sorte ?

 

SGANARELLE.

Et Monsieur…

 

D. JUAN.

Quoy ?

 

SGANARELLE.

Sans-doute, il est aisé de voir
Que vous avez raison si vous voulez l’avoir ;
Mais si, comme on n’est pas bon Juge dans sa cause,
Vous ne le vouliez pas, ce seroit autre chose.

 

D. JUAN.

Hé bien, je te permets de parler librement.

 

SGANARELLE.

En ce cas je vous dis tres-sérieusement,
[page 8]
Qu’on trouve fort vilain qu’allant de Belle en Belle,
Vous fassiez vanité par tout d’estre Infidelle.

 

D. JUAN.

Quoy, si d’un bel Objet je suis d’abord touché,
Tu veux que pour toûjours j’y demeure attaché,
Qu’un éternel amour de ma foy luy réponde,
Et me laisse sans yeux pour le reste du monde ?
Le rare et doux plaisir qui se trouve en aimant,
S’il faut s’ensevelir dans un attachement,
Renoncer pour luy seul à toute autre tendresse,
Et vouloir sotement mourir dés sa jeunesse !
Va, croy moy, la constance estoit bonne jadis,
Où les leçons d’aimer venoient des Amadis.
Mais à présent, on suit des loix plus naturelles,
On aime sans façon tout ce qu’on voit de Belles,
Et l’amour qu’en nos coeurs la premiere a produit,
N’oste rien aux appas de celle qui la suit.
Pour moy qui ne sçaurois faire l’inéxorable,
Je me donne par tout où je trouve l’aimable,
Et tout ce qu’une Belle a sur moy de pouvoir,
Ne me rend point ailleurs incapable de voir.
Sans me vouloir piquer du nom d’Amant fidelle,
J’ay des yeux pour une autre aussi bien que pour elle ;
Et dés qu’un beau visage a demandé mon coeur,
Je ne puis me résoudre à l’armer de rigueur.
Ravy de voir qu’il cede à la douce contrainte,
Qui d’abord laisse en luy toute autre flâme éteinte.
Je l’abandonne aux traits dont il aime les coups,
Et si j’en avois cent, je les donnerois tous.

 

SGANARELLE.

Vous-estes liberal.

 

D. JUAN.

Que de douceurs charmantes,
Font goûter aux Amans les passions naissantes :
[page 9]
Si pour chaque Beauté je m’enflâme aisément,
Le vray plaisir d’aimer est dans le changement,
Il consiste à pouvoir par d’empressez hommages,
Forcer d’un jeune coeur les scrupuleux ombrages,
A désarmer sa crainte, à voir de jour en jour
Par cent petits progrés avancer nostre amour ;
A vaincre doucement la pudeur innocente,
Qu’oppose à nos desirs une ame chancelante,
Et la réduire enfin, à force de parler,
A se laisser conduire où nous voulons aller.
Mais quand on a vaincu, la passion expire,
Ne souhaitant plus rien, on n’a plus rien à dire ;
A l’amour satisfait tout son charme est osté,
Et nous nous endormons dans sa tranquillité,
Si quelque Objet nouveau par sa conqueste à faire,
Ne réveille en nos coeurs l’ambition de plaire.
Enfin j’aime en amour les exploits diférens ;
Et j’ay sur ce sujet l’ardeur des Conquérans,
Qui sans cesse courant de Victoire en Victoire,
Ne peuvent se résoudre à voir borner leur gloire.
De mes vastes desirs le vol précipité,
Par cent Objets vaincus ne peut estre arresté.
Je sens mon coeur plus loin capable de s’étendre,
Et je souhaiterois, comme fit Aléxandre,
Qu’il fust un autre Monde encor à découvrir,
Où je pusse en amour chercher à conquerir.

 

SGANARELLE.

Comme vous débitez ! ma foy, je vous admire,
Vostre langue…

 

D. JUAN.

Qu’as-tu là-dessus à me dire ?

 

SGANARELLE.

A vous dire ? moy ? j’ay… mais que dirois-je ? rien ;
Car quoy que vous disiez, vous le tournez si bien,
[page 10]
Que sans avoir raison, il semble à vous entendre,
Qu’on soit quand vous parlez obligé de se rendre.
J’avois pour disputer des raisons dans l’esprit…
Je veux une autrefois les mettre par écrit,
Avec vous sans cela je n’aurois qu’à me taire,
Vous me broüilleriez tout.

 

D. JUAN.

Tu ne sçaurois mieux faire.

 

SGANARELLE.

Mais, Monsieur, par hazard, me seroit-il permis
De vous dire qu’à moy, comme à tous vos Amis,
Vostre genre de vie, un tant-soit-peu fait peine ?

 

D. JUAN.

Le Fat ! et quelle vie est-ce donc que je mene ?

 

SGANARELLE.

Fort bonne, assurément ; mais enfin… quelquefois….
Par exemple, vous voir marier tous les mois.

 

D. JUAN.

Est-il rien de plus doux ? rien qui soit plus capable…

 

SGANARELLE.

Il est vray, je conçois cela fort agreable ;
Et c’est, si sans peché, j’en avois le pouvoir,
Un divertissement que je voudrois avoir.
Mais sans aucun respect, pour les plus saints mysteres….

 

D. JUAN.

Ne t’embarasse point, ce sont-là mes affaires.

 

SGANARELLE.

On doit craindre le Ciel, et jamais Libertin
N’a fait encor, dit-on, qu’une méchante fin.

 

D. JUAN.

Je hay la remontrance, et quand on s’y hazarde…

 

SGANARELLE.

Oh, ce n’est pas à vous que j’en fais, Dieu m’en garde ;

[page 11]
J’aurois tort de vouloir vous donner des leçons.
Si vous vous égarez, vous avez vos raisons ;
Et quand vous faites mal, comme c’est l’ordinaire,
Du moins vous sçavez bien qu’il vous plaist de le faire.
Bon cela ; mais il est certains Impertinens,
A droit de fort esprit hardis, entreprenans,
Qui sans sçavoir pourquoy, traitent de ridicules
Les plus justes motifs des plus sages scrupules,
Et qui font vanité de ne trembler de rien,
Par l’entestement seul que cela leur sied bien.
Si j’avois par malheur un tel Maistre ; Ame crasse,
Luy dirois-je tout net, le regardant en face,
Osez-vous bien ainsi braver à tous momens.
Ce que l’Enfer pour vous amasse de tourmens ?
Un Rien, un Mirmidon, un petit Ver de terre,
Au Ciel impunément croit déclarer la guerre ?
Allez, malheur cent fois à qui vous applaudit,
C’est bien à vous (je parle au Maistre que j’ay dit)
A vouloir vous railler des choses les plus saintes,
A secoüer le joug des plus loüables craintes.
Pour avoir de grands biens et de la qualité,
Une Perruque blonde, estre propre, ajusté,
Tout en couleur de feu ; pensez-vous (Prenez garde.
Ce n’est pas vous au moins que tout cecy regarde)
Pensez-vous en avoir plus de droit d’éclater,
Contre les Veritez dont vous osez douter ?
De moy, vostre Valet, apprenez, je vous prie,
Qu’en vain les Libertins de tout font raillerie,
Que le Ciel tost ou tard pour leur punition…

 

D. JUAN.

Paix.

 

SGANARELLE.

Cà voyons. Dequoy seroit-il question ?

 

[page 12]

D. JUAN.

De te dire en deux mots qu’une flâme nouvelle,
Icy, sans t’en parler, m’a fait suivre une Belle.

 

SGANARELLE.

Et n’y craignez-vous rien pour ce Commandeur mort ?

 

D. JUAN.

Je l’ay si bien tué, chacun le sçait.

 

SGANARELLE.

D’accord.
On ne peut rien de mieux, et s’il osoit s’en plaindre
Il auroit tort, mais…

 

D. JUAN.

Quoy ?

 

SGANARELLE.

Ses Parens sont à craindre.

 

D. JUAN.

Laissons-là tes frayeurs, et songeons seulement
A ce qui me peut faire un destin tout charmant.
Celle qui me réduit à soûpirer pour elle,
Est une Fiancée aimable, jeune, belle.
Et conduite en ces lieux où j’ay suivy ses pas,
Par l’Heureux, à qui sont destinez tant d’appas.
Je la vis par hazard, et j’eus cet avantage,
Dans le temps qu’ils songeoient à faire leur voyage.
Il faut te l’avoüer. Jamais jusqu’à ce jour
Je n’ay veu deux Amans se montrer tant d’amour.
De leurs coeurs trop unis la tendresse visible,
Me frapant tout-à-coup, rendit le mien sensible,
Et les voyant céder aux transports les plus doux,
Si je devins Amant, je fus Amant jaloux.
Oüy, je ne pus souffrir sans un dépit extréme,
Qu’ils s’aimassent autant que l’un et l’autre s’aime,
[page 13]
Ce bizarre chagrin alluma mes desirs,
Je me fis un plaisir de troubler leurs plaisirs,
De rompre adroitement l’étroite intelligence,
Dont mon coeur délicat se faisoit une offence.
N’ayant pû réüssir, plus amoureux toûjours,
C’est au dernier remede enfin que j’ay recours.
Cet Epoux prétendu, dont le bonheur me blesse,
Doit aujourd’huy sur Mer régaler sa Maistresse.
Sans t’en avoir rien dit, j’ay dans mes intérests
Quelques Gens qu’au besoin nous trouverons tous prests.
Ils auront une Barque, où la Belle enlevée,
Rendra de mon amour la victoire achevée.

 

SGANARELLE.

Ah ! Monsieur.

 

D. JUAN.

Hen !

 

SGANARELLE.

C’est-là le prendre comme il faut.
Vous faites-bien.

 

D. JUAN.

L’amour n’est pas un grand défaut.

 

SGANARELLE.

Sottise ; il n’est rien tel que de se satisfaire.
La méchante ame !

 

D. JUAN.

Allons songer à cette affaire.
Voicy l’heure à peu prés où ceux… mais qu’est-ce cy ?
Tu ne m’avois pas dit qu’Elvire estoit icy.

 

SGANARELLE.

Sçavois-je que si-tost vous la verriez paroistre ?
[bas de page 13 : B]

 

 

 

[page 14]

[FRISE.]

SCENE III.

 

D. ELVIRE, D. JUAN, SGANARELLE, GUSMAN.

 

D. ELVIRE.

Don Juan voudra-t-il encor me reconnoistre,
Et puis-je me flater que le soin que j’ay pris…

 

D. JUAN.

Madame, à dire vray, j’en suis un peu surpris.
Rien ne devoit icy presser vostre Voyage.

 

D. ELVIRE.

J’y viens faire sans-doute un méchant Personnage,
Et par ce froid accüeil, je commence de voir
L’erreur où m’avoit mise un trop crédule espoir.
J’admire ma foiblesse et l’imprudence extréme
Qui m’a fait consentir à me tromper moy-mesme,
A démentir mes yeux sur une trahison,
Où mon coeur refusoit de croire ma raison.
Oüy, pour vous contre moy, ma tendresse séduite,
Quoy qu’on pust m’opposer, excusoit vostre fuite.
Cent soupçons qui devoient alarmer mon amour,
Avoient beau contre vous, me parler chaque jour,
A vous justifier toûjours trop favorable,
J’en rejetois la voix qui vous rendoit coupable,
Et je ne regardois dans ce trouble odieux,
Que ce qui vous peignoit innocent à mes yeux.
[page 15]
Mais un accüeil si froid et si plein de surprise,
M’apprend trop ce qu’il faut, que pour vous je me dise ;
Je n’ay plus à douter qu’un honteux repentir,
Ne vous ait sans rien dire obligé de partir.
J’en veux pourtant, j’en veux dans mon malheur extréme
Entendre les raisons de vostre bouche mesme.
Parlez donc, et sçachons par où j’ay mérité,
Ce qu’ose contre moy vostre infidelité.

 

D. JUAN.

Si mon éloignement m’a fait croire infidelle,
J’ay mes raisons, Madame, et voila Sganarelle
Qui vous dira pourquoy…

 

SGANARELLE.

Je le diray ? fort bien.

 

D. JUAN.

Il sçait…

 

SGANARELLE.

Moy, s’il vous plaist, Monsieur, je ne sçay rien.

 

D. ELVIRE.

Et bien, qu’il parle ; il faut souffrir tout pour vous plaire.

 

D. JUAN.

Allons, parle à Madame, il ne faut point se taire.

 

SGANARELLE.

Vous vous moquez, Monsieur.

 

D. ELVIRE.

Puis qu’on le veut ainsi,
Approchez, et voyons ce mystere éclaircy.
Quoy, tous deux interdits ! est-ce là pour confondre…

 

D. JUAN.

Tu ne répondras pas ?

[bas de page 15 : B ij]

 

[page 16]

SGANARELLE.

Je n’ay rien à répondre.

 

D. JUAN.

Veux-tu parler, te dis-je ?

 

SGANARELLE.

Et bien, allons tout doux.
Madame…

 

D. ELVIRE.

Quoy ?

 

SGANARELLE à D. Juan.

Monsieur.

 

D. JUAN.

Redoute mon couroux.

 

SGANARELLE.

Madame, un autre Monde avec quelqu’autre chose,
Comme les Conquérans, Aléxandre, est la cause,
Qui nous a fait en haste, et sans vous dire adieu,
Décamper l’un et l’autre, et venir en ce lieu.
Voila pour vous, Monsieur, tout ce que je puis faire.

 

D. ELVIRE.

Vous plaist-il, D. Juan, m’éclaircir ce mystere ?

 

D. JUAN.

Madame, à dire vray, pour ne pas abuser..

 

D. ELVIRE.

Ah, que vous sçavez peu l’art de vous déguiser !
Pour un Homme de Cour qui doit avec étude
De feindre, de tromper avoir pris l’habitude,
Demeurer interdit, c’est mal faire valoir
La noble effronterie où je vous devrois voir.
Que ne me jurez-vous que vous-estes le mesme ;
Que vous m’aimez toûjours autant que je vous aime,
Et que la seule mort dégageant vostre foy,
Rompra l’attachement que vous avez pour moy ?
[page 17]
Que ne me dites-vous qu’une affaire importante
A causé le départ, dont j’ay pris l’épouvante ;
Que si de son secret j’ay lieu de m’offencer,
Vous avez craint les pleurs qu’il m’auroit fait verser ;
Qu’icy d’un long sejour ne pouvant vous défendre,
Je n’ay qu’à vous quiter et vous aller attendre ;
Que vous me rejoindrez avec l’empressement,
Qu’a pour ce qu’il adore un veritable Amant,
Et qu’éloigné de moy, l’ardeur qui vous enflâme,
Vous rend ce qu’est un corps séparé de son ame ?
Voila par où du moins vous me feriez douter
D’un oubly que mes feux devroient peu redouter.

 

D. JUAN.

Madame, puis qu’il faut parler avec franchise,
Appprenez ce qu’en vain mon trouble vous déguise.
Je ne vous diray point que mes empressemens
Vous conservent toûjours les mesmes sentimens,
Et que loin de vos yeux, ma juste impatience,
Pour le plus grand des maux me fait compter l’absence.
Si j’ay pû me résoudre à fuir, à vous quiter,
Je n’ay pris ce dessein que pour vous éviter,
Non, que mon coeur encor, trop touché de vos charmes,
N’ait le mesme panchant à vous rendre les armes ;
Mais un pressant scrupule à qui j’ay deû ceder,
M’ouvrant les yeux de l’ame a sçeu m’intimider,
Et fait voir qu’avec vous, quelque amour qui m’engage,
Je ne puis, sans peché, demeurer davantage.
J’ay fait refléxion que pour vous épouser,
Moy-mesme trop longtemps, j’ay voulu m’abuser.
Que je vous ay forcée à faire au Ciel l’injure,
De rompre en ma faveur une sainte closture.
[bas de page 17 : B iij]
[page 18]
Où par des voeux sacrez vous aviez entrepris,
De garder pour le monde un eternel mépris.
Sur ces refléxions un répentir sincere,
M’a fait appréhender la celeste colere.
J’ay crû que vostre Hymen trop mal autorisé,
N’estoit pour tous les deux qu’un crime déguisé,
Et que je ne pouvois en éviter les peines,
Qu’en tâchant de vous rendre à vos premieres chaines.
N’en doutez point ; voila, quoy qu’avec mille ennuis,
Et pourquoy je m’éloigne, et pourquoy je vous fuis.
Par un frivole amour, voudriez-vous, Madame,
Combatre le remords qui déchire mon ame.
Et qu’en vous retenant, j’attirasse sur nous,
Du Ciel toûjours vangeur l’implacable couroux ?

 

D. ELVIRE.

Ah ! Scelerat, ton coeur aussi lâche que traistre,
Commence tout entier à se faire connoistre.
Et ce qui me confond dans les maux que j’attens,
Je le connois enfin lors qu’ils n’en est plus temps.
Mais sçache, à me tromper quand ce coeur s’étudie,
Que ta perte suivra ta noire perfidie,
Et que ce mesme Ciel, dont tu t’oses railler,
A me vanger de toy voudra bien travailler.

 

SGANARELLE.

Se peut-il qu’il resiste, et que rien ne l’étonne !
Monsieur…

 

D. JUAN.

De fausseté je voy qu’on me soupçonne.
Mais, Madame…

 

D. ELVIRE.

Il suffit, je t’ay trop écouté,
En oüir davantage est une lâcheté.
[page 19]
Et quoy qu’on ait à dire, il faut qu’on se surmonte,
Pour ne se faire pas trop expliquer sa honte.
Ne te figure point qu’en reproches en l’air,
Mon couroux contre toy vüeille icy s’exhaler,
Tout ce qu’il peut avoir d’ardeur, de violence,
Se reserve à mieux faire éclater ma vangeance.
Je te le dis encor, le Ciel armé pour moy,
Punira tost ou tard ton manquement de foy ;
Et si tu ne crains point sa justice blessée,
Crains du moins la fureur d’un Femme offencée.

 

Elle sort, et D. Juan la regarde partir.

 

SGANARELLE.

Il ne dit mot, il réve, et les yeux sur les siens…
Hélas ! si le remords le pouvoit prendre.

 

D. JUAN.

Viens,
Il est temps d’achever l’amoureuse entreprise,
Qui me livre l’Objet dont mon ame est éprise.
Suy-moy.

 

SGANARELLE.

Le detestable ! à quel Maistre maudit,
Malgré moy si longtemps mon malheur m’asservit !

 

Fin du Premier Acte.

 

 

[page 20]

[FRISE]

ACTE II.

 

SCENE PREMIERE.

 

CHARLOTE, PIERROT.

 

CHARLOTE.

NOSTRE -dinse, Piarrot, pour les tirer de peine,
Tu t’es l’a rencontré bien à point.

 

PIERROT.

Oh, marguenne,
Sans nou ç’en estoit fait.

 

CHARLOTE.

Je le croy bian.

 

PIERROT.

Vois-tu,
Il ne s’en falloit pas l’époisseur d’un festu,
Tous deux de se nayer eussiont fait la sotise.

 

CHARLOTE.

C’est donc l’vent d’a matin…

 

PIERROT.

Aga quien, sans feintise
Je te vas tout fin drait conter par le menu,
Comme en n’y pensant pas le hazard est venu.
[page 21]
Il aviont bien besoin d’un oeil comme le nostre,
Qui les vist de tout loin, car c’est moy, com’sdit l’autre,
Qui les ay le premier avisez. Tanquia don,
Sur le bord de la Mar bien leu prend que j’équion,
Où de tarre Gros-Jean me jettoit une mote,
Tout en batifolant, car com’ tu sçais, Charlote,
Pour v’nir batifoler Gros-Jean ne charche qu’ou,
Et moy par-fouas aussi je batifole itou.
En batifolant don, j’ay fait l’appercevance.
D’un groüillement sugliau, sans voir la diférence,
De squi pouvoit groüiller ; ç’a groüilloit à tous coups,
Et groüillant, par secousse alloit comme envars nous.
J’estas embarassé, s’n’estoit point stratageme,
Et tout com’ je te vois, je voyas ç’a de mesme,
Aussi fixiblement, et pis tout d’un coup, quien,
Je voyas qu’apres ça je ne voyas pu rien.
Eh, Gros-Jean, ç’ay je fait, stan pendant que je somme.
A niaiser parmy nous, je pens’ que vla de zhomme,
Qui nagiant tout la bas. Bon sm’a-t-il fait, vrament,
T’auras de queuque Chat veu le trépassement ;
T’as la veu’ trouble. Oh bian, ç’ay je fait, t’as biau dire,
Je n’ay point la veu’ trouble, et sn’est point jeu pour rire,
C’est la de zomme. Point, sm’a-t-il fait sn’en est pas,
Piarrot, t’as la barluë. Oh ! j’ay sque tu voudras,
C’ay je fait, mais gageon que j’n’ay point la barluë,
Et qu’ça qu,en voit la bas, c’ay je fait, qui remuë,
C’est de zomme, vois-tu, qui nageont vars icy.
Gag’ que non, sm’a-t-il fait. Oh margué, gag’ que si,
Dix sols. Oh, sm’a-t-il fait. je le veux bian, marguenne ;
Quien, mets argent su jeu, vla le mien. Palsanguenne
[page 22]
Je n’ay fait là-dessus l’Etourdy ny le Fou,
J’ay bravement bouté par tarre mes dix sou,
Quatre piece tapée et le restant en double,
Jarnigué, jé verron si j’avon la veu’ trouble.
C’ay je fait, les boutant… plus hardiment enfin
Que si j’eusse avalé queuque varre de Vin ;
Car je sis hazardeux moy, qu’en m’mette en boutade,
Je vas sans tant d’raisons tout à la débandade.
Je sçavas bian pourtant sque j’faisas d’en par la,
Queuque gniais ! Enfin don, j’n’on pas putost mis, vla,
Que j’voyon tout à plain com’ deu Zõme à la nage
Nous faision signe ; et moy, sans rien dir davantage,
De prendre les enjeux. Allon, Gros-Jean, allon,
C’ay je fait, vois-tu pas comme ils nous appellon ?
Ils s’vont nayer. Tant mieux, sm’a-t-il fait, je m’en gausse,
Ils m’ant fait pardre. A donc le tirant par lé chausse,
J’l’ay si bien sarmonné, qu’à la parfin vars eux,
J’avon dans une Barque avironné tous deux.
Et pis cahin caha, j’on tant fait que je somme
Venus tout contre, et pis j’les avon tiré comme
Il aviont quasi beû déja pu que de jeu,
Et pis j’les on cheu nous menez aupres du feu,
Où je l’zon veu tous nuds sécher leu Zoupelande,
Et pis il en est venu deux autres de leur bande.
Qui s’équian, vois-tu bian, sauvez tout seul, et pis
Mathurine est venuë à voir leu biaux Habits ;
Et pis ils liont conté qu’al n’estoit pas tant sote,
Qu’al avoit du mâlin dans l’oeil, et pis, Charlote,
Vla tout com’ça s’est fait pour te l’dire en un mot.

 

CHARLOTE.

Et ne m’disois-tu pas qu’glien avoit un, Piarrot,
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Qu’estoit bien pu mieux fait que tretous ?

 

PIERROT.

C’est le Maistre,
Queuque bian gros Monsieur, dé pu gros qui puisse estre ;
Car il n’a que du d’or par ila, par icy,
Et ceux qui le sarvont sont dé Monsieur aussi.
Stanpendant, si je n’eume esté la, palsanguenne
Il entenoit.

 

CHARLOTE.

Ardez un peu.

 

PIERROT.

Jamais marguenne,
Tout gros Monsieu qu’il est, il n’en fut revenu.

 

CHARLOTE.

Et cheu toy, dy Pierrot, est-il oncor tout nu ?

 

PIERROT.

Nannain tout devant nou qui le regardion faire,
Ils l’avon rabillé : Monguieu, combien d’affaire !
J’n’avois veu s’habiller jamais de Courtisans,
Ny leu Zangingorniaux, je me pardrois dedans.
Pour le zy faire entré comme n’en lé balote !
J’estas tout éboby de voir ça. Quien, Charlote,
Quand ils sont habillez, ils vou zant tout-à-point
De grands cheveux touffus, mais qui ne tenont point
A leu teste, et pis vla tout d’un coup qui l’y passe,
Ils boutont ça tout comme un bonnet de filace.
Leu Chemise qu’à voir j’éstas tout étourdy,
Ant de’manche ou tout deux j’entrerions tout bran-XXX.
En deglieu d’haut de chausse, il ant sartaine histoire,
Qui ne leu vient que la ; j’auras bian dequoy boire,
Si j’avas tout l’argent des Lisets de dessu,
Glien à tant, glien à tant qu’en n’an seroit voir pu
[page 24]
Il n’ant jusqu’au Colet qui n’va point en darriere,
Et qui leu pend devant basty d’une maniere,
Que je n’tel sérois dire, et si j’lay veu de prés.
Il ant au bout débras d’autres petits Colets,
Aveu des passemens faits de dantale blanche,
Qui veniant par le bout faison le tour démanche :

 

CHARLOTE.

Il faut que j’aille voir, Piarrot.

 

PIERROT.

Oh, si te plaist,
J’ay queuq’chose à te dire.

 

CHARLOTE.

Et bien dy, quest-que c’est ?

 

PIERROT.

Vois-tu, Charlote, il faut qu’aveu toy, com’sdit l’autre,
Je débonde mon coeur, il iroit trop du nostre,
Quand je somme pour estre à nou deux tout de bon,
Si je n’me plaignas pas.

 

CHARLOTE.

Quement ? quest-qu’iglia don ?

 

PIERROT.

Iglia que franchement tu me chagraignes l’ame.

 

CHARLOTE.

Et d’où vient ?

 

PIERROT.

Tastigué, tu dois estre ma Femme,
XXX m’aimes pas.

 

CHARLOTE.

Ah, ah, n’est-ce que ça ?

 

PIERROT.

Non, sn’est qu’ça, stanpendant c’est bian assez, viença.

 

[page 25]

CHARLOTE.

Mon guieu, toújou, Piarrot, tu m’dis la mesme chose.

 

PIERROT.

Si j’te la dis toûjou, cest toy qu’en est la cause,
Et si tu me faisois queuquefoüas autrement,
J’te diras autre chose.

 

CHARLOTE.

Apprens-moy donquement,
Tu voudrois que j’te fisse.

 

PIERROT.

Oh, je veux que tu m’aime.

 

CHARLOTE.

Es que je n’taime pas ?

 

PIERROT.

Non, tu fais tout de mesme,
Que si j’navion point fait no Zacordaille, et si
J’n’ay rien à me rprocher là-dessus, Dieu marcy.
Das qui passe un Marcier, tout aussi-tost j’tajette,
Lépu jolis lacets qui soient dans sa banete.
Pour t’aller dénicher dé Marle je ne sçay zou
Tout lé jours je m’azarde à me rompre le cou.
Je fais joüer pour toy lé Vielleux à ta Feste,
Et tou ça, contre un mur cest me batre la teste.
J’n’y gagne rien, vois-tu, ça n’est ny biau ny bon,
De n’vouloir pas aimer les Gens qui nous aimon.

 

CHARLOTE.

Mon guieu, je t’aime aussi, dequoy te mettre en peine !

 

PIERROT.

Oüy, tu m’aime, mais c’est d’une belle déguaine.

 

CHARLOTE.

Ques don qtu veux qu’en fasse ?

 

PIERROT.

Oh, je veux que tout haut,
L’en fasse ce qu’en fait pour aimer comme il faut.

[bas de page 25 : C]

 

[page 26]

CHARLOTE.

J’t’aime aussi comme il faut, pourquoy don q’tu t’étonne ?

 

PIERROT.

Non, ça s’voit quand il est, et toûjou zau parsonne,
Quand cest tout d’bon qu’en aime, en leu fait en passant,
Mil ptite singerie, et sis-je un innocent ?
Margué, je n’veux que voir com’ la grosse Tomasse
Fait au jeune Robain, al ne tient jamais en place,
Tantal n’est assotée, et dés qu’al l’voit passer,
Al n’attend point qui vienne, al s’en courtlagacer ;
Ly jett’ son Chapiau bas, et toujou sans reproche
Ly fait exprés queuq’niche, ou baille une taloche :
Et darrainment oncor que su zun Escabiau
Il regardoit danser, al s’en fut bian et biau
Ly tirer de dessus et l’mit à la renvarse.
Jarny vla sq’cest qu’aimer, mais margué l’en me barse ;
Quand droit comme un piquet j’voy q’tu viens te percher,
Tu n’me dis jamais mot, et j’ay biau tentincher,
En glieu de m’fair’présent d’une bonne égrat

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