L’Amant indiscret ou le Maître étourdi

Philippe QUINAULT, L’Amant indiscret ou le Maître étourdi, Paris, Quinet, 1656
(édition critique moderne : ed. by William Brooks, Liverpool Online Series, vol 7)

Le sujet de cette comédie est le même que celui de L’Etourdi.

 

Elle présente également des points de rencontre avec :

 

L’Ecole des maris
– *au sort d’être cocu son ascendant l’expose

 

L’Avare
– *tu manges tout mon bien

 

Don Juan ou le Festin de pierre
– *purésie

 

Pour une analyse détaillée des rapports entre L’Etourdi et L’Amant indiscret, voir C. Bourqui, Les Sources de Molière, Paris, SEDES, 1999, p. 69-73.

 

 

L’AMANT
INDISCRET,
OU
LE MAîTRE
ETOURDI.

 

COMEDIE.
Par le Sr QUINAULT.

 

A PARIS,?Chez TOUSSAINT QUINET, au Palais, sous la montée de la Cour des Aides.

 

M. DC. LVI.
Avec Privilège du Roi.

 

A MONSEIGNEUR
MONSEIGNEUR LE DUC
DE CANDALE
ET DE LA VALETTE,
PAIR ET COLONEL
Général de France, Gouverneur et Lieutenant Général pour le Roi en ses pays de Bourgogne, Bresse, haute et basse Auvergne, et Général des armées de sa Majesté en Catalogne, Roussillon et Cerdagne, etc.

 

MONSEIGNEUR,
La personne du Monde qui mérite le moins vôtre estime, oze ici vous demander l’honneur de vôtre protection. C’est un INDISCRET qui devient ambitieux et qui malgré ses faiblesses s’assure de se pouvoir rendre illustre en se consacrant à vous. Encore qu’il n’ait guère fait paraître de jugement depuis que je l’ai fait connaître en ce Royaume, il n’a pas laissé de remarquer que toute la France est fortement persuadée de la justesse du discernement que vous faites de toutes choses, et il n’a point été assez étourdi, pour ne se pas apercevoir qu’il doit tout le bruit qu’il s’est acquis sur notre Théâtre, à l’indulgence que vous avez eue pour ce qu’il a de défectueux ; il a bien reconnu que toute la Cour n’a trouvé son caractère plaisant, que parce que vous avez témoigné que vous ne le trouviez pas désagréable : et bien qu’il fasse toute sa gloire d’un défaut qui le rend indigne de toute sorte de bonnes fortunes, il s’est imaginé qu’il n’a qu’à se parer de l’éclat de votre Nom, pour se mettre dans une haute estime et passer même pour un AMANT à la mode. Pour moi, MONSEIGNEUR, je vous avouerai que d’abord son dessein m’a semblé téméraire ; mais ensuite il m’a paru si fort avantageux qu’il ne m’a pas été possible de le désapprouver. Ce n’est pas que je veuille prendre ici l’occasion de publier à votre gloire tout ce que l’on peut dire de merveilleux sur un sujet si brillant et si peu commun, je pourrais dire avec vérité, que vous descendez d’un nombre infini de Héros, dont les belles actions sont les plus riches ornements de l’Histoire ; mais que les superbes avantages que vous pouvez tirer de cette glorieuse naissance, ne sont pas vos qualité les plus illustres et que votre propre valeur vous peut donner assez de gloire pour n’avoir pas besoin de celle de vos Ancêtres, j’ajouterais encore sans vous flatter que la Fortune, quand elle vous serait extrêmement favorable, ne pourra jamais égaler en vous par ses faveurs, celles que le Ciel et la Nature vous ont faites, et que malgré toutes ses richesses elle sera toujours insolvable pour payer ce qu’elle doit à votre Mérite. Enfin MONSEIGNEUR, je pourrais m’étendre avec éclat sur les charmes de votre Personne, sur les lumières de votre Esprit, et sur la grandeur de votre Coeur si je n’étais assuré que ce sont des Merveilles au dessus des louanges les plus ingénieuses. Je n’ai garde de vouloir renfermer dans une simple lettre une matière dont un juste volume ne pourrait contenir que la moindre partie, et je ne doute pas que je ne pourrais entreprendre de faire ici votre Eloge, sans devenir autant Indiscret que celui que j’ose vous offrir. C’est ce qui m’oblige à vous dire que je borne tous mes desseins à prendre ici l’occasion de vous protester que je suis avec une passion très-ardente et des respects très profonds.

 

MONSEIGNEUR,

Votre très humble et très obéissant serviteur.
QUINAULT.

 

Extrait du Privilège du Roi.

 

PAR grâce et Privilège du Roi donné à Paris le 3. jour de Juin 1656 signé le Gros. Il est permis à Toussaint Quinet, Marchand Libraire en notre bonne Ville de Paris, de faire Imprimer, vendre et débiter par tous les lieux de notre obéissance une pièce de Théâtre intitulée, L’Amant Indiscret, ou le Maître Etourdi, Comédie du Sieur Quinault, pendant l’espace de cinq ans, à commencer du jour que ladite pièce sera achevée d’imprimer, et défenses sont faites à toutes personnes de l’imprimer, vendre ni débiter pendant ledit temps, sur peine de quinze cents livres d’amende, et de tous dépens, dommages et intérêts, comme il est plus amplement porté par lesdites lettres de Privilège.

 

 

Signé BALARD, Sindic.

Enregistré sur le livre de la Communauté, le neuvième de Juin 1656. Suivant l’Arrêt du Parlement du 9. Avril 1653.

Achevé d’imprimer pour la première fois le 26. Juin 1656.

Les Exemplaires ont été fournis.

 

 

ACTEURS.

CLEANDRE, amant de Lucresse.
PHILIPIN, valet de Cleandre.
CARPALIN, hôte de la Teste-noire.
COURCAILLET, hôte de l’Espée royale.
LISIPE, autre amant de Lucresse.
LUCRESSE, Maîtresse de Cleandre et de Lisipe.
ROSETTE, servante de Lucresse.
LIDAME, Mère de Lucresse.

 

La Scène est à Paris.
?
L’AMANT? INDISCRET,?OU ?LE MAISTRE ?ETOURDI.?

COMEDIE.

 

ACTE I.

SCENE PREMIERE.

 

CLEANDRE, PHILIPIN.

 

CLEANDRE.

Dis-moi mon espérance est-elle bien fondée ?
As-tu vu leur Bateau ?

 

PHILIPIN.

La Coche est abordée :
[2]
On avait mis la planche au bord on l’arrêtait,
Et quand je suis venu, tout le monde en sortait.

 

CLEANDRE.

Mais as-tu remarqué cette Beauté si chère ?

 

PHILIPIN.

J’ai vu distinctement Lucresse avec sa Mère.

 

CLEANDRE.

Ne me flattes-tu point ? de grâce dis-le moi,
As-tu vu cet Objet ?

 

PHILIPIN.

Tout comme je vous vois,

 

CLEANDRE.

Possible as-tu cru voir.

 

PHILIPIN.

Ha je ne suis pas dupe !
J’ai fort bien remarqué la couleur de sa Jupe,
J’ai fort bien discerné sa façon de marcher,
Et j’ai connu sa Mère à l’entendre cracher.
De plus j’ai dès l’abord observé dans la presse,
Qu’un certain Fanfaron conduit votre Maîtresse.

 

CLEANDRE.

C’est peut-être un parent.

 

PHILIPIN.

Ou quelque Amant transi ;
Mais bientôt sur ce point vous serez éclairci,

 

CLEANDRE.

Je vais donc les attendre en cette hôtellerie,
Ainsi que tu m’as dit !

 

PHILIPIN.

Dépêchez, je vous prie ;
Sur ce qu’on vous écrit vous pouvez bien juger
Qu’en cette hôtellerie elles viendront loger :
Je vais entretenir Rozette leur servante
Qui comme vous savez, n’est pas désobligeante :
Tandis preparez l’hoste, et donnez ordre à tout.
Nous les amenerons, nous en viendrons à bout.
Sur tout gardez, Monsieur ! de faire aucune faute.

 

CLEANDRE.

Je n’y manquerai pas ; va va ; mais voici l’hôte.

 

 

SCENE II.

 

CARPALIN, COURCAILLET, CLEANDRE.

 

CARPALIN.

Pour boire du meilleur, Monsieur ! entrés céans.
Nous ne débitons point de gros vin d’Orléans.
Nous avons du Chablis, de l’Arbois et du Beaune,
Et du bon Coindrieux qui croît au bord du Rhône.

 

COURCAILLET.

Monsieur ! l’on boit ici, mais du plus délicat
Du vin de Malaguet, Contepordrix, Muscat,
Du vin de Lasciotat et de la Malvoisie
Plus douce que Nectar, plus douce qu’Ambroisie.

 

CARPALIN.

Il a de ces boissons comme j’en ai dans l’oeil :
C’est du vin de Nanterre, ou du vin d’Argenteuil.
Qu’on ferait bien traité chez ce vilain chat maigre !
Pour les évanouis il a de bon vinaigre.

 

COURCAILLET.

De meilleur que le tien.

 

CARPALIN.

Tu n’es qu’un gargotier :
Qu’un frelateur de vin qui gâte le métier.

 

COURCAILLET.

O le gros fricasseur !

 

CARPALIN.
[4]
O l’impertinent drille,
C’est un palefrenier qui fait dancer l’estrille !

 

COURCAILLET.

Monsieur venez chez moi, c’est un écorche-veau.

 

CARPALIN.

Si tu ne sors d’ici, je frotte ton museau.

 

CLEANDRE.

Messieurs accordez-vous !

 

CARPALIN.

Rentre, ou je te bouchonne.

 

COURCAILLET.

Toi, si tu l’avais fait, il t’en coûterait bonne.

 

CLEANDRE.

En me tirant ainsi vous ne m’obligez point ;
Vous avez en trois lieux déchiré mon pourpoint.

 

CARPALIN.

Si je prends un bâton !

 

COURCAILLET.

C’est ce que je demande.

 

CLEANDRE.

Ne faites point ici de querelle plus grande,
Ce tumulte et ce bruit détourne les passants.
Allez j’entre en ce lieu.

 

 

SCENE III.

 

CARPALIN, CLEANDRE.

 

CARPALIN.
[5]
C’est parler de bon sens,
Monsieur ! assurément c’est à la Teste-noire
Que les honnêtes gens s’arrêteront pour boire.

 

CLEANDRE.

Ce n’est pas pour le vin que je m’arrête icy.
Avez-vous à manger ?

 

CARPALIN.

Nous en avons aussi
Nous fournirons des mets et des plus délectables
Qui se peuvent servir sur les meilleures tables,
Des Potages bien faits et bien assaisonnés.

 

CLEANDRE.

Il en faudra quelqu’un.

 

CARPALIN.

Et des mieux mitonnez
De Pigeonneaux farcis, de volailles bien faites,
Avec des champignons, beatils, andouillettes,
Cardes, marrons, pignons et fins palais de boeuf.
Couronnez de citron, grenade et jaune-d’oeuf.

 

CLEANDRE.

C’est assez.

 

CARPALIN.

S’il vous plaît, nous aurons bien l’adresse
D’en faire au riz de veau, d’en faire à la Princesse
[6]
Bisque et potage ensemble avec des pigeonneaux,
Avec poulets de grain, cailles et cailletteaux.

 

CLEANDRE.

Il n’en faut qu’un fort bon.

 

CARPALIN.

Si vous en voulez quatre,
Ce n’est rien que du prix dont il se faut débatre.
Vous serez bien servi, jamais l’Escu-d’argent
N’a vu de potager qui soit plus diligent,
Qui sache assaisonner d’une meilleure sorte.
J’ai des bras Dieu merci ! qui n’ont pas la main morte.

 

CLEANDRE.

Vous aurez quelque entrée ?

 

CARPALIN.

On l’entend bien ainsi.
Hachis, langues de boeuf, et boudins blancs aussi,
Des poulets fricassés, avec la sauce blanche,
Quelques pieds de mouton, de jambon mis en tranche,
Une capilotade avec croute de pain.

 

CLEANDRE.

C’est trop.

 

CARPALIN.

Ce n’est pas trop pour éveiller la faim,
Pour rôti nous aurons Chapons gras et Poulardes,
Gelinotes, Faisants, Tourtres, Perdris, Outardes,
Grives, Canards, Vanneaux, Cercelles et Ramiers,
Bécassinnes, Courlis, Halebrans et Pleuviers.

 

CLEANDRE.

Finissez ce récit mon Maître, je vous prie !

 

CARPALIN.

L’on ne manque de rien dans cette hôtellerie,
S’il faut des entremets, un hachis de chapon
En raisin de Corinte avec jus de mouton,
Un bassin d’ortolans, quelque autre de gelée,
La pistache en ragoût, l’amende rissolée ?

 

CLEANDRE.
[7]
Il n’en faudra pas tant.

 

CARPALIN.

Si vous voulez du fruit
J’ai tout ce que de bon la Touraine produit.

 

CLEANDRE.

C’est assez, c’est assez, ce long babil me tue !
Je ne demande point de chère superflue.

 

CARPALIN.

Si vous vouliez traiter en un jour de Poisson,
Nous en accommodons de plus d’une façon.
Nous pourrions vous donner pour le premier service
Potage de santé, potage d’écrevisse,
Potage de pois-verts, d’éperlans, de navets,
D’oignons, de tailladins, de ris, et de panets ;
Saumon, brochet, turbot, alose, truite, et sole
Soit fris au court-bouillon, en ragoût, en casserole,
Saumonés ou rôtis.

 

CLEANDRE.
C’est pour un autre jour.

 

CARPALIN.

Nous y pourrions mêler quelques pièces de four.
oeufs filez, oeufs mignons, champignons à la crême,
Lactances en ragoûts.

 

CLEANDRE.

Sa longueur est extreme.

 

CARPALIN.

Ramequins et bugnets, artichauts fricassez,
Gelée et blanc-manger.

 

CLEANDRE.

C’est assez, c’est assez,
Parlons pour le présent.

 

CARPALIN.

Monsieur c’est pour vous dire
Qu’entre les Cabarets le mien n’est pas le pire,

 

CLEANDRE.
[8]
Une troupe modeste en ce lieu doit venir,
Et de fort peu de mets sa table on peut fournir.
Sur tout vous payant bien, pourrez-vous bien vous taire,
De ?

 

CARPALIN.

De quoi ? Dites donc.

 

CLEANDRE.

D’un amoureux mystère.

 

CARPALIN.

D’un mystere amoureux ? me faire cet affront ?
Ha Monsieur la rougeur déjà m’en vient au front !
J’ai très sué d’anhan oyant cette parole.

 

CLEANDRE.

Sechez cette sueur avec cette pistole ;
Et croyez que chez vous si j’ai quelque bonheur,
J’y saurai conserver tout bien et tout honneur.

 

CARPALIN.

C’est ce que je demande, et j’abhorre le blâme ;
Vous pourriez bien ici conduire quelque Dame.

 

CLEANDRE.

Oui.

 

CARPALIN.

C’est tout va, j’apprends avecque les savants,
Que l’on peut aujourd’hui vivre avec les vivants.
Des affaires d’autrui je ne m’enquête guère.

 

CLEANDRE.

Ecoutez, nous aurons une fille et sa mère,
Quelques valets encor.

 

CARPALIN.

Ha je vous entends bien !
Ce sont en bon Français gens qui ne valent rien.

 

CLEANDRE.

Nullement, nullement ; votre discours m’irrite ;
Je vous parle de gens d’honneur et de mérite.

 

CARPALIN.

Qui méritent l’honneur d’avoir la Fleur-de-lys.

 

CLEANDRE.
[9]
Insolent parlez mieux !

 

CARPALIN.

Si ce n’est rien de pis.

 

CLEANDRE.

Ne vous imprimez point une peur ridicule.

 

CARPALIN.

Ma Maison jusqu’ici se trouve sans macule :
Lorsque j’y suis entré, je l’ai fait reblanchir ;
Je veux m’y conserver plutôt que m’enrichir  :
Mais quand on est instruit, on pêche sans scandale.

 

CLEANDRE.

Tout beau dans mes desseins il n’est rien qui soit sale ;
C’est une honnête amour qui règle mon désir.

 

CARPALIN.

Vivant en tout honneur vous me ferez plaisir.

 

CLEANDRE.

La marmite est au feu ?

 

CARPALIN.

Non ; mais il l’y faut mettre.

 

CLEANDRE.

Mais le temps est pressé, qui ne le peut permettre.
Avez vous un chapon bien gras et bien refait ?

 

CARPALIN.

Il m’en viendra du Mans qui seront à souhait.
S’ils ne sont d’une chair et délicate et tendre,
Fussent-ils en morceaux, je les veux bien reprendre.

 

CLEANDRE.

Mais vous n’en avez point ?

 

CARPALIN.

Non pas pour le présent.

 

CLEANDRE.

O qu’ici je rencontre un hôte mal plaisant !
Avez-vous des poulets pour mettre en fricassée ?

 

CARPALIN.

La porte de Paris n’est pas bien loin placée.
On ira promptement.

 

CLEANDRE.
[10]
N’avez-vous rien ici ?
Quoy ny boeuf, ny mouton ?

 

CARPALIN.

Il m’en vient de Poissy.

 

CLEANDRE.

N’avez-vous rien de cuit ? n’avez-vous rien pour cuire ?

 

CARPALIN.

J’aurais un pigeonneau qui pourrait bien vous duire.

 

CLEANDRE.

C’est trop peu qu’un pigeon.

 

CARPALIN.

Aussi bien cet oiseau
S’est noyé hier au soir buvant dans notre seau.
Hélas la pauvre bête elle est morte enragée !
Et nonobstant cela, ma femme l’a mangée.

 

CLEANDRE.

Avez-vous des pâtés ? où me suis je embourbé ?

 

CARPALIN.

Monsieur ! pour des pâtés notre four est tombé :
Mais j’attends le Maçon qui s’en va le refaire.

 

CLEANDRE.

Est-ce ainsi que chez vous on fait si bonne chère ?

 

CARPALIN.

Pour cette heure Monsieur ! vous m’avez pris sans vert :
S’il vous plaît toutes-fois une sauce-Robert.
Nous avons de porc frais, de fines cotelettes
Grasses, de bonne chair, tendres et bien douillettes.

 

CLEANDRE.

Cela ne suffit pas ; où m’a-t-on adressé ?

 

CARPALIN.

Donnez-moi de l’argent, si le cas est pressé,
J’irai prendre un chapon à la rôtisserie.

 

CLEANDRE.
[11]
Il est fort à propos ; faites donc, je vous prie,
Et que l’on ait encore la couple de poulets :
Tenez, envoyez donc, avez vous des valets ?

 

CARPALIN.

Trouve-t-on des valets sans vice et sans reproche ?
Non ; mais j’ai mon Barbet qui tourne bien la broche.
Il sera dans sa roue avant qu’il soit long-temps
Je reviendrai bientôt.

 

CLEANDRE.

Allez, je vous attends
Courez je vous supplie, et ne demeurez guère.
Ma Maîtresse en ce lieu fera mauvaise chère ;
Mais je la ferai bonne en voyant ses beaux yeux
Dont l’azur est plus clair que n’est celui des Cieux.
Quel homme vient ici ? sa présence importune
S’en va servir d’obstacle à ma bonne fortune.

 

 

SCENE IV.

 

CLEANDRE, LISIPE.

 

CLEANDRE.

Est-ce vous cher Lisipe ? est-ce vous que je vois ?
Ne m’abuse je point ?

 

LISIPE.

Non Cleandre, c’est moi.

 

CLEANDRE.

Quelle heureuse rencontre ! et quoi dans cette ville ?

 

LISIPE.
[12]
J’ai fait assez long-temps un métier invisible,
Où je n’ai rien gagné si ce n’est quelques coups :
Il est temps que chez moi je cherche un sort plus doux.
Je me sens tout usé d’avoir porté les Armes,
Et pour moi désormais le repos a des charmes.
Je suis prêt d’épouser une rare Beauté
Où je borne mes voeux et ma félicité :
Et j’ai fait de Paris le voyage avec elle,
Pour vider un procès qui dans ce lieu l’appelle.

 

CLEANDRE.

Depuis trois ans passez vous estes hors d’ici
Sans nous avoir écrit ?

 

LISIPE.

Cleandre il est ainsi :
Mais les mains qu’on emploie à servir aux armées,
D’écrire bien souvent sont désacoustumées :
Puis on a de la peine à les faire tenir.

 

CLEANDRE.

Et puis de ses amis on perd le souvenir.

 

LISIPE.

Point du tout, j’eus toujours Cleandre en ma mémoire.

 

CLEANDRE.

C’est m’obliger beaucoup que me le faire croire.

 

LISIPE.

He bien l’on m’a conté que vous jouez toujours !
Comment va la fortune ?

 

CLEANDRE.

Elle est dans le decours.
Ma Maison de Paris, depuis un mois vendue,
En beaux deniers comptant dans mes mains s’est fondue.

 

LISIPE.

Lorsque le malheur dure, il est bien affligeant.

 

CLEANDRE.
[13]
Quand je jette les dés, je jette mon argent ;
Et si je m’émancipe à dire tope ou masse,
Le malheur qui me suit, ne me fait point de grâce.
Si je joue au piquet avec quelque ostrogot
Il me fera vingt fois pic, repic et capot.
En dernier il aura deux quintes assorties,
Et vingt fois pour un point je perdrai des parties.

 

LISIPE.

Le jeu n’est pas plaisant lors que l’on perd ainsi.

 

CLEANDRE.

J’ai perdu le désir de plus jouer aussi
Et j’en ai fait serment au moins pour six semaines.

 

LISIPE.

Les serments d’un joueur sont des promesses vaines.
Je suis fort assuré que vous n’en ferez rien.

 

CLEANDRE.

Je prétends ménager le reste de mon bien,
Et n’irai plus tenter un hasard si nuisible.

 

LISIPE.

Ha ceste retenue est du tout impossible !
Votre âme pour le jeu sent trop d’émotion.

 

CLEANDRE.

Elle est pleine aujourd’hui d’une autre passion.

 

LISIPE.

D’ambition, d’amour ?

 

CLEANDRE.

C’est d’amour, cher Lisipe !

 

LISIPE.

Dans ce jeu bien souvent, comme aux autres on pipe,
Et parfois tel amant s’embarque avec chaleur
Qui perd souvent son fait et joue avec malheur.
Est-ce pour une veuve, ou bien pour une fille ?

 

CLEANDRE.

C’est pour l’unique enfant d’une bonne famille,
Pour une fille riche et belle au dernier point.

 

LISIPE.
[14]
Et qui souffre vos soins ?

 

CLEANDRE.

Et qui ne me hait point.

 

 

SCENE V

 

LISIPE, PHILIPIN, CLEANDRE.

 

LISIPE.

Est-elle de Paris ?

 

PHILIPIN à part.

Ha !

 

CLEANDRE.

Non, elle est d’Auxerre.

 

PHILIPIN à part.

C’est son rival.

 

LISIPE.

C’est-là que j’ai certaine terre :
M’apprendrez-vous comment se forma cet Amour ?

 

CLEANDRE.

J’étais dedans Auxerre, et dans un Temple un jour.

 

PHILIPIN à Cléandre.

Monsieur que pensez-vous d’en user de la sorte ?

 

CLEANDRE.

C’est un de mes amis.

 

PHILIPIN.

Il n’importe.

 

CLEANDRE.
[15]
Il n’importe ?
Quand je vis cet objet si charmant et si beau,
Que je dois l’adorer jusques dans le tombeau,

 

LISIPE.

Son nom ?

 

PHILIPIN.

Gardez-vous bien.

 

CLEANDRE.

On la nomme Lucresse.

 

PHILIPIN.

Hé Monsieur !

 

LISIPE à part.

C’est aussi le nom de ma maîtresse.

 

CLEANDRE.

Un de ses gants tomba, j’allai lui présenter,
Et lui fis compliment.

 

PHILIPIN.

Il va tout lui conter.

 

CLEANDRE.

A ce premier abord nos deux coeurs tressaillirent,
Nos âmes doucement dans nos yeux se perdirent,
Et mutuellement apprirent en ce jour
Quelle est l’émotion d’une première amour.
Je la suivis vingt pas ; mais redoutant sa mère.

 

PHILIPIN.

Arrestez.

 

CLEANDRE.

Ôte-toi qui parois fort sévère :
Elle me conjura de n’aller pas plus loin ;
Mais j’appris sa demeure avec beaucoup de soin,
Et depuis dans Auxerre en differents voyages
J’obtins de ses bontés d’assez grands témoignages.

 

PHILIPIN.

Que dira-t-il encor ?

 

CLEANDRE.

Mon valet par hasard
Connaissoit sa servante.

 

PHILIPIN.
[16]
Ha le Diable y ait part.

 

CLEANDRE.

Et ceste fille adroite et bien sollicitée
Avec beaucoup d’ardeur à m’aimer l’a portée,
Jusque à me protester et me donner sa foi
De n’accepter jamais d’autre mari que moi.

 

PHILIPIN.

Bon c’est bien debuté ! belle découverture !

 

LISIPE.

Ami ! voilà sans doute une belle aventure ;
Mais quelle occasion vous fait venir ici ?

 

CLEANDRE.

Ma Maîtresse bientôt s’y doit trouver aussi :
Car sa mère d’Auxerre avec elle l’amène.

 

PHILIPIN.

Que dites-vous ?

 

CLEANDRE.

Tais-toi.

 

PHILIPIN.

Votre fièvre quartaine !

 

CLEANDRE.

Dans cette hôtellerie elles viendront loger !
L’hôte est un homme adroit que j’ai su ménager.
Chez lui…

 

PHILIPIN.

Vous parlez mal.

 

CLEANDRE.

Maraud te veux-tu taire ?
Je verrai librement cette beauté si chere.

 

PHILIPIN.

J’enrage ;

 

LISIPE.

Avec sa mère il vous faudra traiter ?

 

CLEANDRE.

En parlant à Lidame on pourrait tout gâter.

 

PHILIPIN.
[17]
Ha voilà tout perdu !

 

LISIPE.

Sa mère est donc Lidame ?

 

CLEANDRE.

Vous la connaissez donc ?

 

LISIPE.

Oui, oui pour une femme
Qui prend de bons conseils, qui sait en bien user.
Et que malaisement vous pourrez abuser.
Je sais qu’homme vivant n’épousera sa fille
Qu’il ne soit de fort noble et fort riche famille,
Et malgré tous vos soins, je vous donne ma foi
Qu’elle n’aura jamais autre gendre que moi.

 

PHILIPIN.

Monsieur en tenez-vous ?

 

LISIPE.

Sur tout je vous proteste
Qu’elle hait un joueur comme elle fait la peste,
Avant qu’il soit longtemps, vous le pourrez savoir.

 

CLEANDRE.

Lisipe encor un mot !

 

LISIPE.

Adieu jusque au revoir.

[18]

 

 

SCENE VI.

 

PHILIPIN, CLEANDRE.

 

PHILIPIN.

Ma foi le trait est drôle : ô Dieu quelle imprudence !
Faire à vostre rival entière confidence !

 

CLEANDRE.

Que dis-tu, Philipin ? Lisipe est mon rival ?

 

PHILIPIN.

Rosette me l’a dit.

 

CLEANDRE.

O malheur sans égal !

 

PHILIPIN.

Moi, j’appelle cela sottise sans exemple.
Il a laissé Lucresse et sa mère en un Temple :
Cependant qu’en ces lieux il a voulu venir
Pour voir l’hôtellerie et pour la retenir ;
Et sans vostre rencontre et votre peu d’adresse,
Vous eussiez peu loger avec votre Maîtresse.
Vous étiez bien pressé de conter vos amours :
Lorsque je vous tirais, vous poursuiviez toujours :
En découvrant ainsi tout ce qui vous regarde
Vous avez contenté votre humeur babillarde.
Vous pourrez désormais vous adresser ailleurs :
Mes desseins sont rompus, faites en de meilleurs ;
Votre indiscrétion n’eut jamais de semblable.

 

CLEANDRE.
[19]
N’insulte point au sort d’un amant misérable.
Le désespoir qui suit mon indiscrétion,
Ne suffira que trop pour ma punition.
Crois que bientôt ma mort finira ma misère.

 

PHILIPIN.

Ha gardez-vous en bien ! vous ne sauriez pis faire :
Entrons pour vous servir je veux faire un effort,
On remédie à tout ; mais non pas à la mort.

 

Fin du premier Acte.

 

[20]

 

 

ACTE II.

 

SCENE PREMIERE.

 

LISIPE, LUCRESSE, ROSETTE.

 

LISIPE.

Voicy l’appartement, belle et chere Lucresse !
Que suivant mes desirs vostre mere vous laisse.

 

LUCRESSE.

Il y faut demeurer ; mais par quelle raison
Nous faites vous loger dedans cette maison ?
Cette chambre est petite, et de plus mal garnie.
Je serois beaucoup mieux dans l’autre hostellerie.

 

LISIPE.

Ouy vous y seriez mieux ; mais j’y serois plus mal,
Vous verriez vostre amant, je verrois mon rival.

 

LUCRESSE.

Quel rival ? ha Lisipe expliquez-vous de grace !

 

LISIPE.

Je m’explique assez-bien ; je sçay ce qui se passe.
Un galant dans ce lieu n’avoit pas rendez-vous ?

 

LUCRESSE.
[21]

Estes-vous insensé ?

 

LISIPE.

Non, mais je suis jaloux :
Vous ne m’aimez pas fort.

 

LUCRESSE.

Cela pourroit bien estre.

 

LISIPE.

Vous cognoissez Cleandre ?

 

LUCRESSE.

Hé-bien pour le connoistre ?
Un motif si leger vous peut-il alarmer ?
Est-ce un crime si grand ?

 

LISIPE.

C’en est un de l’aimer.

 

LUCRESSE à part.

Il sçait tout, quel malheur !

 

LISIPE.

Vous rougissez Lucresse ?

 

LUCRESSE.

Si l’on me void rougir c’est de vostre foiblesse,
De vos soupçons fâcheux injustement conceus.

 

LISIPE.

Ne vous emportez pas, respondez là dessus.
Pouvez-vous denier que vous aimez Cleandre,
Qu’en l’autre hostellerie il vous devoit attendre ?
Cleandre librement m’a tout dit aujourd’huy.

 

LUCRESSE.

Cleandre !

 

LISIPE.

Ouy Cleandre, ouy j’ay tout sçeu de luy.
De vostre affection il fait si peu de conte,
Qu’il s’en vante desja par tout à vostre honte.

 

LUCRESSE.

Dieu, que me dites-vous ?

 

LISIPE.
[22]
Je dis la verité.

 

LUCRESSE.

Ha quelle perfidie ! ha quelle lâcheté !

 

LISIPE.

C’est avecque raison que ce depit éclatte :
Pour punir cet ingrat cessez de m’estre ingratte.
Faites justice à tous, et payez en ce jour
Le mespris par la haine, et l’amour par l’amour.
Changez en un feu pur une ardeur criminelle.
Lisipe tout au moins, vaut bien un infidelle ;
Vostre mere m’attend, adieu pensez y bien :
Je suis assez discret pour ne luy dire rien.
Ce n’est pas sans regret qu’ainsi je me retire  :
Mais chez son Procureur je dois l’aller conduire.

 

 

SCENE II.

 

LUCRESSE, ROSETTE.

 

LUCRESSE.

J’ay fait sur l’apparence un jugement bien faux.
Ha qu’un homme bien fait a souvent de deffaux !
Que ce cruel mespris sensiblement me fâche !
Que je suis mal-heureuse ! et que Cleandre est lâche !

 

ROSETTE.

Mais……

 

LUCRESSE.

Ha ne me dis rien pour cet ingrat amant,
Et ne t’oppose point à mon ressentiment !

[23]
Je ne suis que trop foible encor contre ce traître ;
Mais que veut le valet de ce perfide Maistre ?

 

 

SCENE III.

 

PHILIPIN, LUCRESSE, ROSETTE.

 

PHILIPIN.

Rosette, Dieu te gard !

 

ROSETTE.

Où viens-tu malheureux ?
Si Lidame ou Lisipe.

 

PHILIPIN.

Ils sont sortis tous deux.

 

ROSETTE.

Chez nostre Procureur ils vont pour quelque affaire,
Il loge icy tout proche, ils ne tarderont guere.

 

PHILIPIN.

Je ne tarderay guere à m’en aller aussi.

 

LUCRESSE.

Que vous dit Philipin ? que cherche-t’il icy ?

 

PHILIPIN.

Je viens vous y chercher de la part de Cleandre.
Escoutez.

 

LUCRESSE.

De sa part je ne veux rien entendre.

 

PHILIPIN.

La fierté vous sied bien ; mais puis-je me flatter
Que de ma part au moins vous vouliez m’escouter ?

 

LUCRESSE.
[24]
Non, sortez.

 

PHILIPIN.

D’où luy vient cette humeur dedaigneuse ?
Je ne la vis jamais si triste et si grondeuse.

 

ROSETTE.

Elle en a bien raison ; ton Maistre….

 

PHILIPIN.

Qu’a-t-il fait ?

 

ROSETTE.

Ton maistre n’est ma foy qu’un insolent parfait.
Il sçait fort mal couvrir l’honneur d’une maistresse ;
Lisipe a sceu de luy les secrets de Lucresse.

 

LUCRESSE.

Mes bontez l’ont rendu trop vain et trop hardy.

 

PHILIPIN.

A dire vray, mon Maistre est assez estourdy ;
Mais sa franchise seule, et non pas sa malice
Luy rend souvent ainsi quelque mauvais office.
Lisipe est son amy ; mais je puis protester
Qu’il n’a rien sceu de luy qui vous doive irriter.

 

LUCRESSE.

Ce qu’il a dit pourtant n’est pas fort à ma gloire,

 

PHILIPIN.

Lisipe est son rival, on ne le doit pas croire.

 

LUCRESSE.

Son raport par le tien n’est que trop confirmé.
Commençant d’estre ingrat il cesse d’estre aimé.

 

PHILIPIN.

Ma foy si vous sçaviez comment de cette offence
Des-ja mon pauvre Maistre a fait la penitence,
Comme il se desespere, et jure en son transport
Que pour perdre Lisipe il differe sa mort,
D’une fiere tigresse eussiez vous la furie,
Je gage qu’à l’instant vous seriez attendrie,
Vous en auriez pitié.

 

LUCRESSE.
[25]
Je n’en dois point avoir.
Va dis luy que jamais il n’espere me voir.
Mon amour fut moins grand que ma colere est forte.

 

PHILIPIN.

C’est dont fait de sa vie.

 

LUCRESSE.

Il n’importe, il n’importe.

 

PHILIPIN.

Peste qu’elle est cruelle !

 

LUCRESSE.

Ouy : sors sans raisonner ;
Dis-luy que je ne puis jamais luy pardonner.

 

PHILIPIN.

Vous voulez donc qu’il meure ?

 

LUCRESSE.

Apres un tel outrage
Qu’il meure, il ne sçauroit m’obliger davantage.
Va, va l’en advertir ; va donc : mais quoy ? revien.

 

PHILIPIN.

Que luy diray-je enfin ?

 

LUCRESSE.

Dis-luy ; ne luy dis rien.

 

PHILIPIN.

Voila bien des façons pour n’avoir rien à dire.

 

LUCRESSE.

A ce juste courroux mon coeur ne peut soubscrire.
Tout criminel qu’il est, je ne le puis hair.
Je ne puis me vanger, quoy qu’il m’ait pû trahir.
Et s’il avoit pour moy, quelque tendresse encore,
Je luy pardonnerois.

 

PHILIPIN.

Madame il vous adore,
Et s’il n’a pas l’honneur de vous voir aujourd’huy,
Je le tiens assez sot pour en mourir d’ennuy.

 

LUCRESSE.

Helas ! comment le voir ?

 

PHILIPIN.
[26]
La chose est fort aisée.
Pour peu qu’à le souffrir vous soyez disposée,
Vous pouvez quelque-part luy donner rendez-vous.

 

ROSETTE.

Quelqu’un heurte à la porte : ha Dieu que ferons nous !
C’est vostre amant bouru ; je tremble en chaque membre.

 

LUCRESSE.

J’ouvriray, fais le entrer dedans cette antichambre.

 

 

SCENE IV.

 

LISIPE, LUCRESSE, PHILIPIN, ROSETTE.

 

LUCRESSE.

Vous revenez bien-tost ?

 

LISIPE.

Ce n’est pas sans raison.

 

LUCRESSE.

Comment ?…

 

LISIPE.

Le Procureur n’est pas à la maison.

 

LUCRESSE.

Ma mere pour l’attendre est elle demeurée ?

 

LISIPE.

Nullement, dans sa chambre elle s’est retirée.
Et je vais cependant chercher quelques papiers
Qu’il faut dans le procez produire les premiers.

 

LUCRESSE.
[27]
Où voulez-vous aller ?

 

LISIPE.

Prendre nostre valize,
Dedans cette anti-chambre où nostre hoste l’a mise.

 

LUCRESSE.

De grace demeurez !

 

PHILIPIN.

S’il me void, je suis mort.

 

LISIPE.

D’où vient qu’en m’arrestant vous vous troublez si fort ?

 

PHILIPIN.

Ma foy c’est à ce coup.

 

LUCRESSE.

Je vay vous en instruire :
Escoutez seulement, j’ay beaucoup à vous dire.
Je veux vous decouvrir un important complot :
Philipin est icy.

 

PHILIPIN.

Me voilà pris pour sot.

 

LISIPE.

Quel est ce Philipin ?

 

LUCRESSE.

Le valet de Cleandre.

 

PHILIPIN.

Je suis gasté sans doute, on luy va tout apprendre.

 

LUCRESSE.

Philipin est icy venu me conjurer
De donner rendez-vous.

 

PHILIPIN.

Où dois-je me fourer ?

 

LUCRESSE.

De ce discours encor je suis toute interditte.

 

PHILIPIN.

Pour un bras disloqué j’en voudrois estre quitte.

 

LISIPE.
[28]
Ha que ne tien-je icy ce maudit Philipin !

 

PHILIPIN.

Je ne me vis jamais si proche de ma fin.

 

LISIPE.

Qu’avez-vous respondu belle et chere Lucresse ?

 

LUCRESSE.

J’ay trompé ce valet.

 

PHILIPIN.

Ha la bonne traistresse !

 

LUCRESSE.

A tout ce qu’il a dit j’ay feint d’y consentir,
A dessein seulement de vous en advertir,
Et de me plaindre apres de vostre deffiance.

 

PHILIPIN.

Ha pauvre Philipin, songe à ta conscience !

 

LISIPE.

Le dessein de Cleandre est de vous enlever ;
Mais Madame ! en quel lieu le devez-vous trouver ?

 

LUCRESSE.

Dans la place Royalle.

 

PHILIPIN.

Elle donne le change.

 

LISIPE.

De ce lasche rival il faut que je me vange.

 

LUCRESSE.

Où courez-vous Lisipe !

 

LISIPE.

Ha ne m’arrestez-pas !
Je vais au rendez-vous le trouver de ce pas.
[29]

 

 

SCENE V.

 

LUCRESSE, ROSETTE, PHILIPIN.

 

LUCRESSE.

Fais venir Philipin.

 

ROSETTE.

Sors, sors en diligence.

 

PHILIPIN.

Vous venez d’exercer assez ma patience.
D’une fiebvre quartaine un importun frisson
Ne m’eust pas fait trembler de meilleure façon.
Mais pour revoir mon Maistre il est temps que je sorte ;
Ne vous verra-t-il point quelques-fois à la porte ?

 

LUCRESSE.

Ouy, dis-luy qu’il pourra me parler un moment,
Quand il verra sortir ma mere et mon amant.

 

PHILIPIN.

Pour vostre amant jaloux dans peu de temps j’espere
Qu’il n’obsedera plus ny vous ny vostre mere.

 

LUCRESSE.

Parles-tu tout de bon ?

 

PHILIPIN.

C’est un coup asseuré
Pour cet effect nostre hoste est des-ja preparé.
Il doit se deguiser et c’est pour un mistere
Qu’à mon maistre indiscret j’ay mesme voulu taire,
De crainte qu’il ne veinne encor nous tourmenter,
Et qu’en pensant bien faire il n’aille tout gaster :
Mais comme je cognois que vous estes

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