La Gazette, 21 février 1670

N° 22
MAGNIFICENCES
du Divertissement qui a été pris par Leurs Majestés, pendant le Carnaval.

 

Qu’on ne nous vante plus les Jeux Olympiques et les autres Divertissements des Grecs, ni les Cirques et les autres Spectacles des Romains. Ceux qui ont été les mieux réglés et les plus éclatants doivent perdre toute la réputation que l’Histoire leur donne, auprès des Fêtes de la première Cour du Monde. Si elle l’établit sur l’étendue des Lieux où ils se passaient, dont quelques-uns pouvaient [page 170] contenir jusqu’à soixante mille Personnes, où sur la Pompe, qui allait jusqu’à employer le Marbre dans la construction des Loges des Animaux destinés à ces Spectacles, et à couvrir les Arènes de poudre d’or et d’argent, la plupart avaient des Circonstances, qui les rendaient plus terribles qu’agréables. Le Plaisir y était, toujours, mêlé de crainte, ou même d’horreur ; et, bien souvent, ce n’étaient que des Sacrifices pompeux, ou des Supplices magnifiques. Toute la Grâce et la Galanterie était réservée aux Réjouissances d’un Monarque, qui sert, en cela, d’exemple même à tous les Princes les plus polis de son Siècle, et qui est le premier dans la belle manière de ces Divertissements, comme il est le plus grand en Puissance et en Gloire ; et qui, enfin, ne s’entend pas moins, à honorer les Jours de la Paix, qu’il a, si généreusement, donnée à l’Europe, par des Magnificences et des Allégresses surprenantes, qu’à signaler les Jours de la Guerre par des Victoires et des Conquêtes toutes merveilleuses. C’est ce qu’ont prouvé tant de Fêtes [page 171] qu’il a déjà données à sa Cour, où l’on n’a rien vu que d’extraordinaire et digne d’être consacré à la Postérité ; et c’est ce qu’a confirmé ce dernier Divertissement, dont Sa Majesté l’a voulu, encor, régaler à ce Carnaval, dans le relâche des grands soins qu’Elle prend, incessamment, pour le bonheur de ses Peuples, et pour la gloire de son État.
Le Sujet qui avait été choisi pour celui-ci était de deux Princes Rivaux qui, par une belle émulation, régalaient une Princesse de tout ce que l’Imagination pouvait leur fournir de plus galant, et qui s’exécutait avec une Pompe qui épuisait, aussi, ce qu’on peut imaginer de plus superbe.
Elle paraissait jusque dans le Rideau qui fermait le Théâtre, lequel représentait, dans un Tableau, bordé d’une grande Frise de Trophées, un Soleil au milieu, avec le mot d’Horace, Aliusque, et idem.
Du côté droit de ce Soleil, on découvrait Apollon, dans les Airs, sur un Nuage, en la manière qu’il est dépeint, après avoir terrassé à coups de Flèches les Cyclopes et le Serpent [page 172] Python, que l’on voyait, aussi, renversés sur les croupes de plusieurs Montagnes, qui se tournaient vers l’éloignement.
À gauche, le même Dieu paraissait au sommet du Parnasse, environné des Muses, et répandant des Fleurs sur tous les Arts, qui étaient au pied de cette célèbre Montagne, l’Auteur ayant cru pouvoir, heureusement, attribuer l’Inscription ci-dessus, tant au Soleil qu’à Apollon, qui a été, différemment, adoré parmi les Gentils, comme Guerrier, et comme Protecteur des Sciences et des Arts, et toujours le même en grandeur de Courage, et de Génie.
Il est aisé d’appliquer toute cette belle Allégorie, en considérant les grandes Qualités de notre auguste Potentat, qui a si justement choisi pour sa Devise le Soleil, et qui était aussi représenté en cette Fête sous l’équipage du même Apollon, son Caractère étant trop éclatant, pour ne pas reconnaître qu’il n’y a que lui qui puisse y être désigné.
Cette magnifique et mystérieuse Toile se levant, les Spectateurs étaient agréablement [page 173] surpris de se trouver proche d’une Mer, si naturellement représentée qu’on se persuadait presque qu’on avait été transporté, par quelque Enchantement, sur le Rivage d’une Mer véritable : celle-ci s’ouvrant dans l’Horizon, à perte de vue, avec des Rochers, des deux côtés, où l’Art avait si bien imité la Nature qu’il semblait qu’elle eût travaillé avec lui pour la perfection de son Ouvrage.
Les Dieux de plusieurs Fleuves étaient élevés à la cime de ces Rochers, appuyés sur leurs Urnes, ainsi qu’on les dépeint d’ordinaire : et on voyait, aussi, des Tritons rangés aux deux côtés, avec des Amours montés sur des Dauphins. Au milieu paraissait Eole, sur des Nuages, commandant à tous les Vents de se retirer en leur Cavernes, à la réserve des Zéphirs qui, seuls, devaient avoir le privilège d’être de cette belle Fête ; et cette Décoration produisait un effet d’autant plus surprenant que cette Mer occupait tout le Théâtre, et qu’on n’en avait point vu, jusqu’alors, de si bien représentée.
Les Flots du devant, ayant disparu en un [page 174] instant, faisaient place à une Île des plus agréables, où se découvraient des Pêcheurs, sortis avec elle du sein des ondes, chargés de Nacres et de branches de Corail, et qui dansaient dans la première Entrée d’un Ballet, qui faisait partie du Divertissement.
Ensuite, Neptune, dont la venue avait été annoncée par une excellente Musique, paraissait sur une Coquille, portée par quatre Chevaux Marins, accompagnée de plusieurs Divinités de son Empire, avec lesquelles il faisait, aussi, une Danse très bien concertée, étant représenté par le Comte d’Armagnac en la place du Roi ; et toutes ces choses entremêlées de Récits étaient une des Galanteries dont l’un des Prince régalait la Princesse, dans sa Promenade sur la Mer.
Alors le Théâtre se changeait en un verdoyant Paysage de la délicieuse Vallée de Tempé, en vue du Fleuve Pénée ; et dans cette Décoration se commençait une Comédie, qui faisait l’autre partie du Spectacle, représentée par la Troupe du Roi, avec tous les ornementes, et les agréments imaginables. [page 175]
Au troisième Intermède, on apercevait, dans le fond de ce Paysage, un charmant Berceau de Vigne, soutenu par des Statues, représentant toutes les Nations, rehaussées d’or et debout, sur des Piédestals enrichis de plusieurs ornements, avec de grands Festons de Fruits et de Fleurs par dessus, le tout à perte de vue.
Une petite Comédie en Musique, des plus belles et des plus galantes, pour régaler encore la Princesse, était représentée sur cette fleurissante Scène, dont le Sujet étaient les Amours d’un Berger et d’une Bergère ; ce qui commençait par un Prologue que faisait la Nymphe de Tempé, et finissait par la Danse de plusieurs Faunes et Dryades, lesquels, sortaient de Vase d’Orangers et de Grenadiers, qui bordaient le Théâtre des deux côtés ; ensuite de quoi, les Dryades rentraient dans leurs Arbres, qui se refermaient et disparaissaient en même temps.
Au quatrième Intermède, cette Décoration se changeait, soudainement, en une Grotte d’Architecture, très magnifique, aboutissant à [page 176] une grande Perspective de Cascades, dans un Jardin qui avait tous les embellissements les plus délicieux : et la Princesse y allant à la Promenade, y rencontrait huit Statues assises, chacune avec un Flambeau, et qui faisaient, à leur tour, une Entrée.
Ensuite, le fonds de la Voûte, s’ouvrant, avec la promptitude que se faisaient tous ces admirables changements, une Divinité se montrait au milieu des Nuages, extraordinairement, éclatant, accompagnée, à ses côtés, de quatre autres, avec autant de petits Amours : et cette merveilleuse Machine, en descendant, s’avançait jusqu’au milieu de la Scène, où cette principale Divinité faisait un très beau Récit.
À peine l’avait elle achevée, qu’elle était emportée dans une petite Nue, par dessus l’ouverture du Théâtre : que deux des Amours s’envolaient aux deux coins de la même Ouverture : et que les deux autres, après quelques tours en l’Air, se cachaient, aussi, dans la Nue : la Machine se retirant, cependant, avec une vitesse surprenante, au fonds de ladite voûte, [page 177] dont le Plafond se refermait en son premier état : par où l’on peut juger des beautés qu’avaient ces galantes choses, et tous ces mouvements si prompts.
Après tant de changements, le Théâtre prenait, encor, la Figure d’une vaste Forêt, qui n’était pas moins bien représentée, ni moins agréable que ce qui l’avait devancée : et la grande Comédie s’y terminait, avec tout le plaisir qu’il est facile d’imaginer.
La dernière Décoration était une vaste Salle, disposée en manière d’Amphithéâtre, enrichie d’une fort belle Architecture, avec un Plafond de même, et une grande Arcade, dans le fond : au dessus de laquelle était une Tribune, et, dans l’éloignement, un Autel.
Cette Salle était remplie de Spectateurs peints, vêtus à la Grecque, de diverses manières, lesquels étaient là, assemblés pour voir la Fête des Jeux Pythiens, qui s’y devaient célébrer en l’honneur d’Apollon : et six Homme demi nus, portant des Haches, sur les Épaules, comme les Ministres du Sacrifice, [page 178] entraient par le Portique, suivis de deux Sacrificateurs, Musiciens, et d’une Prêtresse Musicienne, tous, pareillement, vêtus à la Grecque, avec des riches habits.
Ces trois derniers chantaient un Air sur les louanges de ce Dieu, après lequel, les Hommes portant des Haches, formaient une Danse, en laquelle ils témoignaient faire l’essai de leurs forces : puis six Voltigeurs faisaient paraître leur adresse, sur des chevaux de bois, apportés par des Esclaves, et quatre Femmes, avec autant d’Hommes, armés à la Grecque, faisaient, aussi, ensemble, une Cadence guerrière : tout cela si bien concerté, et si bien exécuté, qu’il ne se pouvait rien voir de plus divertissant, et de plus agréable que ces Entrées.
À la dernière, qui se faisait dans le fond du Théâtre, la Tribune s’ouvrait : et il paraissait un Héraut, avec six Trompettes, et un Timbalier, qui, par le bruit de leurs Instruments, annonçaient la venue d’Apollon, ainsi qu’un Choeur, par un Air, encor, des plus charmants, et qui réveillait agréablement, l’attention des [page 179] Spectateurs.
Ce Dieu représenté par le Marquis de Villeroi, aussi, en la place de Sa Majesté, entrait, en même temps, par un Portique de dessous, aux fanfares des Trompettes, et au son des Violons, devancé par une belle Jeunesse, portant des Trophées de Lauriers, avec un Soleil d’or, et la Devise Royale.
Rien ne manquait à la Troupe, pour bien représenter ce Dieu de la Clarté, et des Sciences, et, sous sa Figure, le Grand Monarque, partout, désigné dans cette Allégorie : tellement que cette Entrée, qui était la plus considérable, comme la dernière, faisait avouer à la Compagnie, que rien ne pouvait mieux sentir le Caractère magnifique du premier Potentat de l’Europe.
Cette Jeunesse ayant porté ses Trophées à ceux qui portaient les Haches, commençaient, avec Apollon, une Danse Héroïque : à laquelle se mêlaient, aussi, les Hommes, qui tenaient les Trophées, avec les Femmes, et les Hommes armés, les premiers ayant leurs Timbres, et les autres des Tambours. [page 180]
Les Trompettes, le Timbalier, les Sacrificateurs, la Prêtresse, et le Choeur de Musqiue, les accompagnaient, se mêlant, par reprises, dans leur Danse : et de cette sorte, se terminait la Solennité des Jeux Pythiens, ainsi que tout le Divertissement, appelé Royal, avec beaucoup de raison, puisque outre qu’il était destiné pour nos Majestés, il n’y avait rien qui ne fût d’une magnificence extraordinaire, et propre, seulement, à l’auguste Monarque qui le donnait.
On ne peut oublier, en faisant part aux Nations Étrangères, d’un si merveilleux Spectacle, de leur marquer, aussi, que tant de Machines, et de Mouvements, étaient conduits par le Sieur Vigarani, Gentilhomme Modénois, Ingénieur du Roi : qui en ayant donné le Dessein, le fit exécuter, avec son succès ordinaire, dans tous les Spectacles de notre Cour.

 

À Paris, du Bureau d’Adresse, aux Galeries du Louvre, devant la rue S. Thomas, le 21 Février 1670.
Avec Privilège.

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