La constance n’est bonne que pour des ridicules

« La constance n’est bonne que pour des ridicules, toutes les belles ont droit de nous charmer, et l’avantage d’être rencontrée la première, ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu’elles ont toutes sur nos coeurs. »
Don Juan ou le Festin de pierre, I, 2

Le discrédit de la vertu de constance est formulé dans plusieurs oeuvres des années 1660 :

– à la sc. IV, 1 du Favori de Mlle Desjardins, comédie créée par la troupe de Molière le 13 juin 1665 (1)
– au livre XV du roman Tarsis et Zélie (1665) de Le Vayer de Boutigny (2)
– dans un sonnet non daté de Saint-Pavin (3)
– dans une lettre de Saint-Evremond publiée en 1709 (4) (voir également « les inclinations naissantes »)

 

Il avait fait auparavant l’objet d’un développement dans la première partie (1654) de la Clélie (5)

 

 


 

(1)

Au cours d’un dialogue en forme de débat sur le bien-fondé de la fidélité amoureuse, D. Elvire en vient à railler cette « folle vertu » :

LEONOR
[…]
Quoi ? votre coeur ressent une tendresse extrême,
Et puis sans autre peine il n’a qu’à le vouloir,
Vous changez d’un amant comme on fait d’un mouchoir?

 

D. ELVIRE
Et vous ne trouvez pas ma méthode admirable,
Mon coeur aima Moncade autant qu’il fut aimable,
Quand sa faveur rendait son amour précieux,
Que les jeux et les ris le suivaient en tous lieux;
Moi qui cherche partout la joie et l’allégresse,
A pouvoir l’acquérir je m’efforçais sans cesse:
Mais dans ce grand revers où l’on ne voit en lui
Qu’un esprit accablé de chagrins et d’ennui,
Qu’il est moins un objet de plaisir que de larmes,
Pourrais-je sans erreur lui voir les mêmes charmes,
Où serait mon esprit et mon discernement:
Là, soutenez un peu votre raisonnement?

 

LEONOR
Il serait à montrer un courage intrépide,
Une grande constance…

 

ELVIRE
Eh, cherchons du solide;
Fi de votre constance, on en est revenu,
Ce n’est qu’une chimère habillée en vertu:
Si nos pères ont eu cette folle manie,
Le siècle est bien guéri de cette maladie;
Croyez-moi, Leoonor, à présent à la Cour
On ne sait plus donner de chaînes à l’amour;
Comme il est un enfant, on croit qu’il aime à rire,
Et l’on traite de jeu ce qui fut un martyre.
( p. 41-42)

 

(2)

Vous me reprochez d’être inconstant, dit Isménias en s’adressant à Célémante : je vous ai cependant autrefois ouï dire à vous-même que c’est le don du ciel le plus précieux et le plus désirable. En effet, la confiance en amour ne fait que trop de malheureux. De tant d’amants traversés, en serait-il un seul qui eût sujet de se plaindre s’il pouvait changer d’inclination à son gré ? et n’aurais-je pas le même bonheur, si mon coeur en était capable ?
[…]
Crois-tu que ce soit toujours inconstance que d’aimer plusieurs Bergères à la fois ? Sache qu’on peut le faire aussi par raison. C’est inconstance, quand un coeur volage se laisse aller au premier objet qui le tente ; qu’il va et vient d’un amour à l’autre, selon qu’il est poussé par différentes passions qui se succèdent, et dont la dernière est toujours la plus forte. Mais ce n’est pas ainsi que je l’entends, quand je dis qu’il ne faut pas s’attacher à une seule maîtresse. Je ne veux pas que ce soient les objets qui nous attirent, ni les passions qui nous poussent ; il faut que ce soit la raison qui, considérant que la passion devient trop forte quand elle se donne à un seul objet, lui en procure plusieurs, pour faire diversion. Il y a donc cette différence entre le changement que je conseille et celui que pratique Isménias, que l’un se fait par passion, et que je veux moi qu’on le fasse uniquement pour s’en défendre ; c’est-à-dire qu’Isménias change par maladie, et que je le conseille comme un remède.
– Philosophe tant que tu voudras, mon cher Célémante, lui dit Ergate , c’est toujours changement ; et qui dit changement, dit inconstance.
– Hé de grâce reprit Célémante, apprends une fois pour toutes, que l’inconstance ne consiste que dans le changement de la volonté. Car comme ce n’est point un changement dans les yeux de voir différents objets, pourvu qu’ils n’en reçoivent aucune impression qui leur apporte quelque altération, comme serait celle de les rendre rouges, jaunes, ou de toute autre couleur ; aussi n’est-ce ni changement ni inconstance en nous d’aimer différentes personnes , pourvu que nous n’en recevions point diverses impressions de passion.

 

(3)

Aimer avec attachement
Est toujours d’une âme petite
La défiance du mérite
Fait la constance d’un amant.

 

L’amour craint tout engagement ;
Il ne peut souffrir de limite.
Qui le veut captiver l’irrite,
Il ne se plaît qu’au changement.

 

Ce tyran, sans choix de personne,
Aspire à plus d’une couronne ;
Et veut jouir du bien d’autrui.

 

Ce qu’il possède l’importune ;
Il ne met sa bonne fortune,
Qu’à tout ce qui n’est point lui.
(éd. de 1759, p. 41)

 

(4)

Il n’y a rien de si honnête qu’une ancienne amitié, et rien de si honteux qu’une vieille passion. Détrompez-vous du faux mérite d’être fidèle, et croyez que la constance est la chose du monde qui fait le plus de tort à la réputation d’une beauté. Qui sait si vous n’avez voulu aimer qu’une seule personne ou si vous n’avez pu avoir qu’un seul amant ? Vous pensez pratiquer une vertu, et vous nous faites soupçonner plusieurs défauts. Mais que d’ennuis accompagnent toujours cette vertu !

 

(5)

Comme je sais qu’il n’est pas trop réglé en ses amours, je lui ai fait une satire de ces amants réguliers qui soupirent un an avant que de dire qu’ils aiment et qui sont si constants qu’ils vieillissent au service d’une seule maîtresse. De sorte que croyant que tous ses sentiments étaient les miens, il m’a dit tout ce qu’un voluptueux, qui ne croit pas trop aux dieux et qui ne craint guère les hommes, peut dire au plus cher de ses amis, lorsqu’il lui veut raconter sa forme de vie. Mais il me l’a dit agréablement : car on ne peut guère voir un plus agréable libertin que Sextus ; et ce que j’ai admiré, c’est que, de la condition dont il est, il sait tout ce qu’il y a de belles femmes à Rome, depuis les Vestales jusqu’aux moindres esclaves.
( p. 1125).

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