La plaisanterie selon laquelle c’est le médecin qui provoque la mort, entre autres, dans
– Le Mariage de rien (1660) de Montfleury (1)
– « La-Maladie-de-Scaramouche / La maladia di Scaramuza » (vers 1680) (2)
– le ballet « Les Divers Entretiens de la Fontaine de Vaucluse » (1649) (3)
– deux des « visions » de Quevedo, parues dans la traduction des Oeuvres de 1647 (4)
– deux historiettes de L’Elite des contes (1641) de d’Ouville (5)
– la Prose chagrine (1661) de La Mothe le Vayer (6)
– la « Satire VIII » (1668) de Boileau (7)
– dans des recueils de plaisanteries des années 1650 (8)
– dans l’Ovide bouffon de Richer (1649, rééd. 1665) (9)
– dans une épigramme du chevalier d’Aceilly (1671) (10)
– dans le dialogue VII (« Un médecin, un capitaine ») des Dialogues satiriques et moraux (1668) de Louis Petit (11)
Elle apparaît dans la lettre de Robinet du 5 juillet 1670 qui déplore la mort de Madame (Henriette d’Angleterre, passée dans l’autre monde le 30 juin) (12).
Dans sa Relation d’un voyage fait au Levant (1664) Jean Thévenot affirme que les Turcs attribuent aux médecins la responsabilité de la mort des patients (12)
(1)
[…] je tiens la médecine
Plus à craindre que la famine,
Que la peste, le feu ni l’eau,
Qu’elle en met plus dans le tombeau
Que toutes ces choses ensemble,
Qu’il n’est point d’art qui lui ressemble;
De plus, que qui dit médecin
Dit putrefait, dit assassin,
Sale, meurtrier, homicide,
Homme de sang humain avide,
Homme ennemi de la santé,
Ami de la mortalité.
(sc. IX, p. 42)
(2)
J’arrive que Scaramouche est dans son fauteuil et je lui dis que le médecin m’a ordonné de lui dire qu’il ne s’avise pas de mourir avant qu’il lui ait rendu sa visite, parce que c’est à lui de l’expédier.
(éd. D. Gambelli, Arlecchino a Parigi. Lo scenario di Domenico Biancolelli, Rome, Bulzoni, 1993, t. II, p. 702)
(3)
Margot, dont le regard superbe,
Semble n’être charmant que pour assassiner,
Cessez de plus m’importuner
Et dire que je suis médecin en herbe.
Bientôt je veux m’évertuer
De prendre lettres pour tuer,
Et dans cet illustre exercice,
Etant un parfait médecin,
Sans appréhender la justice,
Je ferai, comme vous, un parfait assassin.
( p. 22-23)
(4)
O larrons, ô meurtriers, c’est vous qui êtes l’heure ; car, dès l’instant que vous entrez dans la chambre d’un malade, on peut bien dire qu’il mourra et que son heure est venue Cruels, ne vous suffit-il pas d’ôter la vie à un homme et de vous faire payer sa mort comme font les bourreaux, sans encore excuser votre ignorance sur le déshonneur et infamie des pauvres défunts.
(Les oeuvres de Don Francisco Vilegas, 1647 « Vision sixième », « De l’enfer », p. 234)
A un côté étaient amassées les disgrâces, les infortunes, les pestes, les ennuis, qui criaient contre les médecins ; la peste avouait bien d’en avoir frappé plusieurs , mais que les médecins les avaient dépêchés. La mélancolie et les disgrâces disaient de leur part qu’elles n’avaient tué personne sans l’aide des médecins, et les infortunes qu’elles n’en avaient point mis en terre qu’avec les consultations et les mains des médecins. Par ainsi messieurs de la Faculté demeurèrent chargés de rendre compte des morts.
(« Vision troisième : Du jugement final », p. 73)
Ils en furent empêchés par ce médecin que j’ai dit au commencement de ce récit, qui fut mené par force devant le tribunal, où il se présenta accompagné d’un apothicaire et d’un barbier. Et lors un diable, qui tenait les ordonnances de l’un et les parties de l’autre, commença à dire : » La plupart des trépassés qui paraissent ici y sont venus par la conduite de Monsieur le docteur que voilà, par l’aide de ce pipeur d’apothicaire et de ce glorieux barbier, associés pour cet effet, si bien qu’on leur est redevable de la bonne assemblée qui se voit ici.
(« Vision troisième : Du jugement final », p. 80)
(5)
Brocard contre un médecin
Un laboureur, ayant un fils unique et lui voulant faire apprendre quelque métier pour avec le temps le pousser dans la ville, il le mit chez un de ses amis bouchers, qui allait en tous les marchés vendre de la viande. Comme il eut été quelque temps avec lui et qu’il commençait à devenir grand et qu’il savait plus que médiocrement ce qu’il fallait savoir de ce métier pour le village, son père le voulut mettre chez un maître boucher de la ville, et comme il recherchait celui qui avait le plus de pratique, et où la tuerie était plus grande, où il pourrait apprendre et profiter davantage en son métier, il s’en conseilla à un des bourgeois de la ville, qui était fort son ami, qui lui dit : « Je vous conseille de le mettre chez le médecin un tel ; il n’y en a pas en toute la ville qui en tue tant que lui ».
La préséance de l’Avocat, et du Médecin.
Un Avocat, et un Médecin disputaient ensemble pour la préséance, l’Avocat soutenait qu’il devait précéder le Médecin, à cause qu’il était Docteur en Jurisprudence, qui est une science si noble qu’un Empereur Romain, qui était Justinian, en a été comme le restaurateur. Le Médecin disait qu’il était Docteur en Médecine, qui était si nécessaire pour la santé du monde, et qu’on se passerait bien plutôt d’Avocats que de Médecins. Enfin, ne se pouvant accorder, ils remirent leur différend à une personne très habile, et de haute condition. Comme ils eurent chacun d’eux déduit leurs raisons, il prononça en faveur de l’Avocat, disant : »Quand on mène un malfaiteur au gibet, le larron va toujours devant, et le bourreau après. Il est raisonnable que l’Avocat comme larron aille devant, et le Médecin comme bourreau de la vie des hommes aille après », et par ce moyen leur différend fut vidé.
(p. 422, deuxième partie).
(6)
Je connais des personnes qui protestent ne craindre pas moins un médecin qu’une maladie. Pétrarque a établi cet excellent aphorisme Nulla est aegro rectior ad salutem via quam medico caruisse. Et il adjuge le triomphe aux plus employés de ceux dont nous parlons pour avoir fait mourir plus de milliers d’hommes qu’il n’en fallait avoir tué autrefois à un général d’armée pour l’obtenir. C’est avec la même animosité que Juvénal pour exprimer un nombre infini, a fabriqué ce vers : Quot Themiston aegros autumno occiderit uno.
(éd. des Oeuvres de 1756, III, 1, p. 333)
(7)
Les animaux ont-ils des universités ?
Y voit-on fleurir chez eux les quatre facultés ?
Non, sans doute ; et jamais chez eux un médecin
N’empoisonna les bois de son art assassin.
( p. 8)
[…]
Que dit-il, quand il voit, avec la mort en housse,
Courir chez un malade un assassin en housse ?
( p. 13)
(8)
Des Médecins
Un certain homme disait extrêmement mal des médecins, les appelant bourreaux du genre humain, et autres qualités qu’on a accoutumé de leur donner ; ce qu’oyant un médecin il lui dit, pourquoi dis-tu tant de mal des médecins ? Tu ne les as jamais éprouvés ; si je les avais éprouvés, répondit-il, je ne dirais jamais de mal d’eux ; car je ne serais plus en vie : mais dit le médecin, pas un de ceux que j’ai traités ne se plaignent de moi ; ils n’ont garde de se plaindre de toi, lui répondit, car tu les as tous tués ; en effet, on doit avoir plus peur des médecins, que de la maladie, car pas un médecin ne se sert de la recette de son compagnon, sans y retrancher ou ajouter quelque chose ; il ne se faut pas étonner, car la plupart d’eux ne connaissent ni les simples, ni les composés, à quoi servent les médecins ? Ils servent, lui répondit-on, en ceci, que si un malade doit mourir, il meurt plus tôt, et s’il doit guérir, il guérit plus tard.
(Le Courrier facétieux, ou recueil des meilleures rencontres de ce temps, Lyon, Claude de la Rivière, 1650, p. 307)
Réplique d’un seigneur à un médecin
Un seigneur étant visité par un médecin, qui lui demandait s’il se portait bien, lui répondit oui, Dieu merci, parce que je ne me sers pas de vous, et le médecin répondit, pourquoi me blâmez-vous, si vous ne m’avez pas expérimenté. Le Seigneur dit, si je vous avais expérimenté, je n’aurais garde de vous blâmer, car je serais mort.
(Les Divertissements curieux, ou Le Trésor des meilleures rencontres et mots subtils de ce temps, Lyon, Jean Huguetan, 1650, p. 94)
(9)
Un jour qu’elle [Ocyroé] était par excès
De son bon démon possédée,
(Possible était-elle guedée)
Elle dit à ce nourrisson [Esculape] ;
Allez, soyez gentil garçon ;
Si vous vivez toujours bien sage :
Sans doute vous aurez de l’âge,
Mais vous vivez jusqu’à la fin,
Et vous serez grand médecin ;
Vous enseignerez les mystères
Des vomitifs et des clystères,
Tant laxatifs que restringents,
Dont on envoyera les gens
Le plus souvent en l’autre monde.
(Richer, Ovide bouffon [1649], éd. de 1665, p. 192-193)
(10)
Roc, médecin peu docte et poète savant,
Fait des épitaphes souvent,
Où des morts il compte l’histoire :
Les maux que fit un art l’autre sait les guérir ;
Roc poète fait vivre au temple de Mémoire
Ceux que Roc médecin vient de faire mourir.
( p. 126)
(11)
LE MEDECIN.
Me le demandez vous, vous qui commettez tant de meurtres ?
LE CAPITAINE.
Vraiment, il vous sied bien de m’en accuser, vous dis-je, qui tuez tant de monde impunément. Parlez, je vous prie, n’en périt-il pas davantage par vos Ordonnances, que par le fer ?
LE MEDECIN.
Qui n’a jamais eu intention de tuer, ne peut pas être accusé de meurtre. C’est donc à vous une grande injustice de dire que je tue les Malades qui meurent entre mes mains, moi qui ne travaille qu’à les guérir ; ils meurent, parce que l’heure de mourir est venue pour eux.
LE CAPITAINE.
Vulgairement on appelle tuer, ce que vous appelez mourir entre vos mains.
( p. 74)
LE MEDECIN.
Le terme est un peu violent. Mais aprés tout, l’on ne nous a jamais traités comme des Criminels, parce qu’on sait bien que nous tuons de bonne foi, par pure ignorance, sans malice, et sans la moindre intention de tuer.
LE CAPITAINE.
On peut donc définir la Médecine, un Art de tuer les Gens impunément ?
( p. 81)
(12)
La Médecine, et ses Agents,
Plus fameux, plus intelligents,
Et qui, des Têtes Couronnées,
Conservent les grandes Journées,
Employèrent tous leurs Secrets,
En vain, aussi, contre les Traits
De la félonne Meurtrière,
Pour lui faire perdre carrière.
Comme ils sont ses Dupes, souvent,
Dans leur Art, un peu, décevant,
Et que, par leurs Remèdes mêmes,
Notamment, lorsqu’ils sont extrêmes,
Et si précipitamment, faits,
Elle accélère ses Progrès,
En dépit d’eux, elle eût la gloire
D’établir sa pleine Victoire,
Et peut-être plus promptement,
Selon ce mien raisonnement.
(13)
Enfin il n’y a point là de fortune à faire pour les Médecins, à cause comme j’ai dit, qu’ils sont peu sujets aux maladies, outre qu’ils paient assez mal ceux qui les guérissent, et si les Médecins ne réussissent pas, et que le malade meurt, bien loin de les payer, ils leur font souvent de la peine, et quelquefois coûter de l’argent, les accusant d’avoir tué le malade, comme si la vie ou la mort des hommes était entre les mains des Médecins, et non pas de Dieu.
( p.71).