« j’ai pensé plus de vingt fois oublier ma résolution, pour me jeter à ses pieds et lui faire un aveu sincère de l’ardeur que je sens pour elle »
La Princesse d’Elide, III, 2
Dans l’Almahide (1661) des Scudéry, un débat s’engageait sur la question de savoir ce qui est le plus difficile, « ou de feindre d’aimer et n’aimer point, ou d’aimer et feindre de n’aimer pas » :
Pour moi Madame, lui répondit Caratin, je crois que c’est le premier : car comment est-il possible de se pouvoir donner pour une personne indifférente tous ces petits soins qu’il faut avoir pour une personne que l’on chérit ? […] Il est vrai que l’on me dira, qu’étant nécessaire de feindre, en l’une et l’autre de ces choses, la difficulté y paraît égale ; mais que j’y trouve pourtant de différence, et que j’y vois peu de comparaison ! Car enfin, lorsque l’on feint de n’aimer pas ce que l’on aime, c’est pour lui plaire, ou de peur de le fâcher : et lequel que ce soit des deux, l’âme n’a point de peine à le faire ; le coeur n’a point de difficulté à s’y porter. […] Je trouve en votre discours [reprit Rodrigue], beaucoup de belles paroles, et peu de raison. En effet, comme ceux qui feignent d’aimer et qui n’aiment point se possèdent tout entiers, et conservent toute la liberté de leur esprit, il leur est aisé de bien jouer ; il leur est facile de bien feindre […] Mais il n’en est pas de même d’aimer et de feindre de n’aimer pas : car quelque précaution que l’on apporte à cacher ses pensées les plus secrètes […], le moyen de faire qu’il n’échappe pas quelque regard passionné, ou quelque parole passionnée, qui trahisse notre secret, et qui découvre l’état de notre âme ? Comme le feu ne se cache pas aisément, l’amour, qui est un véritable feu, éclate toujours, avec quelque soin qu’on le couvre.
(VI, 2636-2643)