Faux-monnayeurs en dévotion

« Les friponneries couvertes de ces faux-monnayeurs en dévotion »
Le Tartuffe, Premier Placet

La notion est à la mode ; des faux-monnayeurs font parler d’eux à Paris vers le milieu des années 1660 ; il en est fréquemment question

– dans la correspondance de G. Patin (voir en particulier, lettres d’avril 1666, p. 589-590)
– dans certaines lettres du gazetier Loret (voir les lettres XXI et XXV, respectivement du 31 mai et du 28 juin 1664, de sa Muse historique (1))

 

La métaphore jouit d’une certaine faveur dans le discours religieux. On la retrouve ainsi :

– dans le Directeur spirituel désintéressé (1632) de Jean-Pierre Camus (2)
– dans les Stances sur diverses vérités chrétiennes (1642) d’Arnauld d’Andilly (3)

 

 


 

(1)

Un Expert Faussaire, un Matois,
Qui depuis douze ans et deux mois,
En choses de Chancellerie
A fait mainte friponnerie,
Par fines suppositions,
Et par mille expositions
D’artificieuses quittances
Du marc d’or et d’autres finances,
Dont de maint Client indigent
Le Galant tirait grand argent :
Pour faire un profit punissable
Son adresse était admirable ;
Il poussait les plus fins à bout,
Il imitait, ou changeait tout,
Faisait de subtiles ratures,
Contrefaisait des écritures,
Enlevait des Sceaux, par son art,
Pour les ajuster autre part ;
Et par cet indigne commerce
(Vrai talent d’une âme perverse)
A fait cent et cent traits hardis,
Et cent fois plus que je n’en dis.

Monsieur le Chancelier de France,
Surpris de telle manigance,
Comme (soient grands ou soient petits)
Il hait fort les Gens pervertis
A voulu qu’une telle peste
Pérît par un trépas funeste,
Pour a de pareils Garnements
Faire craindre tels châtiments.
Pour découvrir sa forfaiture
Il a souffert double torture,
Dans laquelle il a confessé
Combien il avait malversé :
Bref, par un Arrêt équitable
Il fit hier amende honorable
Devant le Palais, ou Hôtel [de Messieurs les Maîtres des Requettes de l’Hôtel.]
De ce grand et sage Mortel,
Et pour pénitence finale
D’une avarice déloyale,
Selon le juste Arrêt rendu,
Il fut publiquement pendu ;
Et quoi qu’une fin si tragique
Rende souvent mélancolique
Tout spectateur, tout assistant,
Aucun ne le plaignit, pourtant.

Lecteur excuse cette Histoire
Que t’offre ici mon écritoire :
J’avais dessein de la laisser,
Mais je n’ai pu m’en dispenser.

 

Et :

Comme je n’avais pu me taire
D’un certain malheureux Faussaire,
Qui pour trop de dextérité,
Fut, l’autre jour, exécuté
A trente pas du logis nôtre,
Je vais encor parler d’un autre
Plus fin, plus subtil, plus adroit,
Qu’on pendit hier au même endroit ;
Il était natif de Bourgogne,
Il était de passable trogne,
On le nommait le sieur Guélin ;
Qui sur parchemin, ou vélin,
Avec esprit et hardiesse,
Faisait d’étranges coups d’adresse,
Témoin une Rémission
Autrement Abolition,
Qu’avec des finesses énormes
Il fit dans les meilleures formes,
Pour un Homme d’autorité, [Ci-devant M D R.]
Coupable aussi de fausseté,
Dont il eut, non pas mille oboles,
Mais mille effectives pistoles.

Il a confessé franchement,
Sans question et sans tourment,
Et sans même espérer de grâce,
Tous ses fins tours de passe-passe,
Déclarant, mêmement, les noms
De quantité de compagnons
Fauteurs, associés, complices
De ses frauduleux artifices,
Qui sont en prison, aujourd’hui,
Et feront même fin que lui ;
Monsieur le Chancelier de France,
Par justice et non par vengeance,
Voulant qu’à semblables forfaits
De pareils châtiments soient faits
Pour purger la Chancellerie
De ces tours de friponnerie,
Qui sont des malversations
Pires que des extortions.

Le supplice de ce coupable
N’est pas un sujet agréable,
Mais je vous fais un grand serment
Que j’écris cet événement
Par une pure complaisance,
Ou plutôt par obéissance.

 

(2)

Mon intention principale en ce petit travail, c’est de fournir aux âmes dévotes de pierre de touche pour discerner le vrai du faux directeur, par la marque de l’intérêt ou de sa charité désintéressée. Je fournis ici les industries pour reconnaître le franc aloi et les distinguer du sophistiqué, afin que nous soyons bons monnayeurs, selon le conseil que quelques anciens Pères disent être sorti de la bouche de Notre-Seigneur.
(« Avis », n. p.)

 

(3)

XXXIII
De la fausse doctrine
Quand du faux monnayeur le crime détestable
Même son vil métal au plus beau des métaux
Il se rend homicide, en trompant les travaux
Qui devraient soulager la fin du misérable :
Ainsi ces faux docteurs mêlant aux véritéq
Le ramas dangereux de mille faussetés
Qui remplissent l’esprit d’une fausse doctrine,
Empoisonnent ton âme au lieu de la guérir,
Et la laissent toujours dans la triste famine
Des pures vérités, qui la devraient nourrir.
( p. 20)

 

(voir également « la fausse monnaie à l’égal de la bonne »)

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