Faire ce que je voudrai

« La sévérité de mon père m’a tenue jusques ici dans une sujétion la plus fâcheuse du monde. Il y a je ne sais combien que j’enrage du peu de liberté, qu’il me donne; et j’ai cent fois souhaité qu’il me mariât, pour sortir promptement de la contrainte, où j’étais avec lui, et me voir en état de faire ce que je voudrai. Dieu merci, vous êtes venu heureusement pour cela, et je me prépare désormais à me donner du divertissement, et à réparer comme il faut le temps que j’ai perdu. »
Le Mariage forcé, sc. II

Une des jeunes filles que courtise le pédant Gastrimargue dans le Polyandre (1648) de Charles Sorel exprime des idées semblables (voir également « qu’on tienne bien ma queue » et « je vous enverrai les marchands ») :

Elle dit qu’elle ne souhaitait d’être mariée que pour avoir plus de libertés avec un mari qu’auprès de son père, qui était vieil et mélancolique, et que lorsqu’elle aurait un mari, l’on pouvait s’assurer qu’il lui prendrait quelquefois envie, à l’issue de table, de le faire déguiser tantôt en Jodelet, tantôt en Gautier-Garguille, pour jouer des farces avec elle ; que s’il n’était point d’humeur à cela, il ne faudrait point qu’il trouvât mauvais si elle cherchait compagnie ailleurs ; qu’aussi bien était-ce une chose assez ennuyeuse de ne voir toujours qu’un seul homme devant ses yeux ; qu’elle croyait que c’était pour ce sujet que la plupart des femmes d’esprit aimaient tant le cours et la promenade du Luxembourg ou des Tuileries, étant bien aises de voir là tous les jours des hommes nouveaux ; que l’on se moquait aussi de celles qui étaient si badines, d’aller en ces lieux-là avec leurs maris ou leurs frères ; que d’aller ainsi en famille, il n’y avait rien de si bourgeois que cela, et que c’était être encore des bonnes gens du temps passé ; qu’étant en une telle compagnie, cela congédiait les galants de plus de trois lieues, et que par ce moyen l’on n’avait aucune part aux gentillesses du Monde.
( p. 573-574)

 

Callire, voyant qu’il découvrait ainsi ce qu’il pensait, commença de parler aussi plus ouvertement. « Je vois bien, dit-elle, que vous êtes plus accommodant que beaucoup d’autres. Si j’avais un tel mari que vous, je le laisserais vivre à sa mode, pourvu qu’il me laissât vivre à la mienne. Je ne suis pas si terrible comme l’on me fait. L’on sait bien comment j’ai accoutumé de vivre à plus de trois rues d’ici, et qu’étant assez bonne fille je puis devenir bonne femme. Je vous dirai librement ma petite humeur, dont j’ai déjà déclaré une partie. Si je reçois visite de quelque galant de cour ou de ville, qui semble être contraint devant un mari, j’entends que si le mien se trouve dans la chambre, il s’éclipse incontinent, sans avoir la curiosité de me demander à son retour, qui est celui qui m’a visitée ; car ces enquêtes lassent à la fin, et l’on aurait beau dire le nom de ceux qui pour nous avoir vues une fois à la porte ou à la promenade, ou à quelque assemblée prennent après la hardiesse de nous visiter, vu même que ceux que les femmes d’esprit connaissent en amènent souvent chez elles d’autres inconnus. Si je suis tard en ville, soit le jour soit la nuit, je ne prétends point non plus qu’un mari me gronde, ou qu’il s’informe si je viens d’un ballet ou d’une comédie, ou de quelque autre lieu. Toutes ces demandes ne font que témoigner des méfiances de l’honnêteté d’une femme, lesquelles seraient insultes envers une personne, qui vit comme moi. Bref le mari que j’aurai se gardera, s’il lui plaît, d’avoir quelque ombrage de ceux à qui je parlerai et que je fréquenterai, car à quoi bon tous ces soupçons, puisque celles qui ne sont pas nées au mal n’en font jamais, et que si elles en veulent faire, toutes les précautions du monde ne les en sauraient empêcher. Or je ne dis point tout ceci pour vous en particulier, Monsieur, continua-t-elle en se retournant vers Gastrimargue, car tout ce que l’on propose ne se fait pas. Mais c’est afin que si vous ou autre, vous avez néanmoins quelque pensée pour moi, vous considériez si vos inclinations pourront symboliser aux miennes, de même que je prétends d’éprouver aussi les vôtres.
( p. 582-585)

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