La médisance est un trait de caractère traditionnel de la prude, comme l’expliquent les Scudéry
– dans la seconde partie de la Clélie (1654) :
Et ce qu’il y a d’étrange, ajouta Damon, c’est que ces dames scrupuleuses qui ne voudraient pas seulement voir l’amour en peinture, déchirent toutes les femmes, condamnent légèrement les actions les plus innocentes, ne peuvent souffrir les plaisirs qu’elles n’ont pas, n’épargnent pas même leurs plus chères amies, trouvent à redire à tout ce qu’elles ne font point, et expliquent en mal tout ce qui se fait hors de leur présence, et tout ce qu’elles n’entendent pas. D’ailleurs elles sont étrangement curieuses, elles veulent savoir tout ce qui s’est passé dans les autres cabales, pour en médire dans la leur, elles portent même envie à des plaisirs qu’elles ne peuvent pas prendre, et elles sont si persuadées de leur prétendue vertu, qu’elles traitent toutes les autres dames de profanes, qui ne sont pas dignes de leur société. Mais pour moi je n’estimerai jamais vertueuses celles qui ne se servent de la vertu que pour avoir de l’orgueil, et pour mépriser tout ce qui ne leur ressemble pas.
(éd. Morlet-Chantalat, t. II, p. 94)
– dans la huitième partie (1656) du Grand Cyrus :
Isalonide croit aussi qu’il ne faut que n’être point Galante, pour être la plus vertueuse Femme de son Siècle. Cependant il résulte de cette belle opinion, qu’elle fait enrager son Mary par ses Caprices : qu’elle met le désordre dans toute sa Famille par sa sévérité et par son orgueil ; qu’elle reprend avec aigreur tout ce qu’elle a de Parentes qui sont jeunes ; qu’elle censure toutes les Femmes de la Ville où elle est ; quelle méprise tout ce qui l’approche ; qu’elle fait cent jugements injustes ; qu’elle ne met point de différence, entre être un peu Galante, ou être très criminelle ; et qu’elle condamne enfin tout ce qu’elle voit, et tout ce qu’elle ne voit pas ; lui semblant qu’il n’appartient qu’à elle seule de se vanter d’être vertueuse : aussi paraît-il une telle présomption dans son esprit, qu’on ne la saurait endurer.
(Partie VIII, livre III, p. 618)