Dervis

« Le Mufti, quatre Dervis, six turcs dansant, six Turcs musiciens, et autres joueurs d’instruments à la turque, sont les acteurs de cette cérémonie. »
Le Bourgeois gentilhomme, IV, 5

Le dervi, religieux musulman membre d’une confrérie mystique, apparaît dans les textes des XVIe-XVIIe siècles sous une acception généralement négative.

 

Leurs démonstrations de foi et pratiques cultuelles extrêmes souvent incomprises des voyageurs occidentaux au Levant en sont la principale raison (1)

 

A l’époque de Molière, une catégorie bien particulière de derviches attire l’attention : les Derviches tourneurs. Jean Thévenot (2), Du Loir (Voyage du sieur Du Loir, 1654, p. 156-157) et Rycaut (Histoire de l’état présent de l’empire ottoman, 1668 ; trad. de 1670, p. 439 et suiv.) s’attachent tout particulièrement à la décrire.

 

Par ailleurs, le nom « dervi » était connu du public de Molière pour avoir figuré au titre d’une nouvelle de Madame de Villedieu, « Les princes dervis », publiée, la même année 1670, dans Les Annales galantes ( éd. de 1741)

 

(1)

Beaucoup plus étrange et bestiale est la vie et façon de faire des Dervis, en tout diverse, et autre que celle des Giomailers, et Calenders. Car ceux-ci vont la tête nue, et se font raser les cheveux, et la barbe, et généralement toutes les autres parties du corps ayant poil, et en outre se brûlent et cautérisent les Temples avec un fer chaud ou vieil drap brûlé, ayant les oreilles percées, ou ils portent pendus certains gros anneaux de Jaspe en diverses couleurs de très rare beauté. Pour tous habits ils ne se vêtent que de deux peaux de mouton, ou de chèvre, avec le poil séché au Soleil, mettant l’une devant, et l’autre derrière, embrassant le corps en forme de ceinture. Les autres parties du corps restent toutes nues, soit hiver ou été. Ils habitent hors des villes par les faubourgs, et villages en divers lieux de la Turquie. Et tout l’été vont courant le pays d’un lieu en autre, perpétrant sous couleur de sainteté et de religion, infinies méchancetés et voleries. […] Combien que pour couvrir leur orde turpitude, et adombrer leur hypocrisie, et pour faire apparaître en eux quelque divinité, mangent en cheminant par pays, d’une herbe par eux appelée Matslach. Laquelle par sa violente opération les fait devenir maniaques, enragés et hors du sens, en tel dénuement que par certaine fureur, ils se déraillent avec un couteau, ou un rasoir les bras, le col, l’estomac, et les cuisses, jusques à ce qu’ils sont pleins de très horrible plaies. Pour lesquelles consolider appliquent un champignon, le laissant sur la blessure, tant qu’il soit du tout consumé, et réduit en cendres en tolérant ce pendant un extrême douleur avec merveille patience. Et cela font-ils pour se montrer vrais imitateurs de leur Prophète Mahomet, disant que pendant qu’il était dans la caverne ou spelonque, par les grandes abstinences qu’il faisait, vint un jour en telle fureur, qu’il se voulut précipiter de la sommité d’icelle.
(Nicolay, p. 118 et sqq. texte partiellement repris dans l’Histoire générale de la religion des Turcs (1625) de Michel Baudier, III, 8, « Des dervis, religieux turcs », p. 185)

 

(2)

Les Derviches vivent en communauté, et ont leurs Supérieurs comme nos Religieux, ils vont fort simplement vêtus, et portent sur leur tête un bonnet de feutre blanc environ comme nos bonnets de nuit. Ces Religieux font tous les Mardis et les Vendredis une danse qui est assez agréable à voir. Aux jours qu’ils doivent danser ils s’assemblent en une grande salle, qui est leur Mosquée, dont le milieu est fermé en carré d’un ballustre, qui laisse de l’espace tout à l’entour pour ceux de dehors ; dans cette enceinte qui est encor assez grande, est le Keblé, où il y a deux chaires à prêcher jointes ensemble sur un marchepied, dans l’une se met le Supérieur, tournant le dos au midi, et dans l’autre, qui est à la main droite du Supérieur, se met le Vicaire ; puis vis-à-vis d’eux à l’autre bout de la salle hors la balustrade est un petit échafaud, sur lequel sont plusieurs Derviches joueurs de flûtent et de tambours, les autres Derviches sont dans l’enceinte de la balustrade. Je me mis sur l’échafaud des musiciens, étant avec un Français qui les connaissait. Après qu’ils ont tous ensemble chanté quelques prières, le Supérieur lit un peu d’Alcoran en Arabe, qui servent de thème au discours que le Supérieur fait en faite en langue Turquesque. Ayant fini son sermon, il descend de la charte, et avec le Vicaire et les autres Derviches fait deux tours dans la salle, pendant qu’un des musiciens chante quelques versets de l’Alcoran d’un ton assez agréable, après il fait un petit concert de tous leurs instruments, durant lequel les Derviches commencent leur danse. Ils passent devant le Supérieur l’un après l’autre, le saluent fort humblement, puis ayant fait un saut comme un premier pas de ballet, ils se mettent à tourner avec les pieds nus, le pied gauche servant de pivot, car ils ne le lèvent point de terre, mais ils lèvent l’autre, dont ils se servent pour tourner si adroitement, qu’on se lasse plutôt à les regarder qu’eux à tourner, et si ils sont la plupart vieux et ont leur grandes robes. Ce tournement se fait au son des tambours et des flûtes. Après qu’ils se sont arrêtés, le Supérieur qui durant cette danse est assis avec son Vicaire aux pieds de leurs grandes chaires, se lève, puis faisant deux pas s’incline vers le Midi, et les Derviches s’étant aussi inclinés, passent devant lui, le saluent humblement, et recommencent à tourner jusqu’à quatre fois, la dernière étant plus longue que les autres. Ils tournent vite comme de moulins qui ont plein vent, et toujours en cadence, cependant ils ont les bras étendus, et quelques fois les yeux fermés, sans jamais se toucher l’un l’autre, quoi qu’ils se suivent d’assez près, et fassent toujours la balustrade en tournant, et dès que la musique finit, ils s’arrêtent tout court où ils se trouvent, sans faire aucun faux pas, non plus que s’ils ne s’étaient point remués. L’auteur de cette danse fut un Hazreti Mewlana Derviche, qui est tenu parmi eux pour Saint. Tous les Derviches et Santons généralement sont de grands hypocrites, car ils se font passer pour des gens adonnés entièrement à la contemplation de Dieu, et cependant ils sont accomplis en tous vices sans exception.
(Relation d’un voyage fait au Levant, 1665, p. 102-103 )

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