De moi si mortel ennemi

« Et ne suis point de moi si mortel ennemi,
Que je m’aille affliger sans sujet ni demi. »
Le Dépit amoureux, I, 1 (v. 58-59)

La Mothe le Vayer aborde le thème de l’ennemi de soi-même dans

– la Prose chagrine (1661) (1)
– le Petit traité sceptique sur cette commune façon de parler : n’avoir pas le sens commun (1646) (2)
– la Lettre XLIV, « De la modération d’esprit » (Petits Traités en forme de lettres, 1647) (3).

 

L’expression est également employée dans la lettre « De la chicane et des louanges » (4).

 

 


 

(1)

Le froid de la vieillesse doit éteindre l’ardeur de nos concupiscences, quand la raison ne le ferait pas. Je parle ainsi, parce qu’à moins d’être tout-à-fait déraisonnables, et ennemis de nous-mêmes, nous devons soigneusement éviter une débauche, qui jette bientôt les jeunes gens dans la décrépitude, et qui précipite irrémédiablement les vieillards dans le tombeau.
(éd. de 1661, p. 20-21)

 

Souvent nous n’avons point de plus grand adversaire que nous-mêmes, lorsque, selon le proverbe arabe, notre ennemi est entre nos deux côtés.
(Oeuvres, éd. de 1756, III, 1, p. 254 )

 

(2)

Les stoïciens raisonnaient bien autrement, lorsqu’ils posaient pour une maxime très certaine que personne ne pouvait être offensé que par soi-même. Aussi est-ce pourquoi leur sage était invulnérable, parce que, ne consentant jamais à l’injure, il était impossible qu’elle ne le pût pénétrer. Invulnerabile est non quod non feritur, sed quod non laeditur. N’est-ce pas lui donner une assiette pareille à celle du Tout-Puissant (pour parler comme ces philosophes).
( p. 5-6)

 

(3)

Mais à quoi est-ce nous réduire, si nous sommes obligés de nous inquiéter même dans les plus grandes prospérités par la crainte de l’avenir ? Et n’est-ce pas nous condamner à une continuelle perplexité durant tout le cours de notre vie ? En vérité ce serait s’imposer de trop rudes lois, se rendre malheureux de peur de le devenir, et pratiquer une philosophie dont les voies et les adresses nous éloigneraient de sa fin principale, qui ne peut pas être autre que notre félicité. La raison doit modérer paisiblement nos défiances, et quoique nous prévoyions tous les mauvais tours de la Fortune, convertir à notre usage ce qu’elle nous offre d’agréable ou d’utile présentement. car s’il n’y a rien de si contraire à notre être que les soucis cuisants, et si le Poète les a placés fort à propos à l’entrée de l’Averne, comme ceux qui contribuent plus que tout autre chose à nous y précipiter […], ne serions-nous pas artisans de notre propre malheur, ou pour mieux dire homicides de nous-mêmes, si nous faisions servir nos plus grandes félicités de matière à nos déplaisirs, sur l’appréhension de ceux qui nous peuvent arriver ?
(Oeuvres, éd. de 1756, VI, 2, p. 119-120)

 

(4)

J’avoue que vous seriez bien malheureux, et bien ennemi de vous-même, si vous aviez à contre coeur les louanges, au même temps que vous faites cent choses qui vous les attirent de tous côtés.
(Ibid., VII, 1, p. 223)

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