Une critique radicale du pyrrhonisme avait été énoncée dans la Logique de Port-Royal (1662) :
Il s’en trouve d’autres au contraire qui ayant assez de lumière pour connaître, qu’il y a quantité de choses obscures et incertaines, croient qu’il est plus court de s’imaginer qu’il n’y a rien de certain : ils se déchargent ainsi de la peine de les examiner ; et sur ce mauvais principe ils mettent en doute les vérités les plus constantes et la Religion même. C’est la source du Pyrrhonisme qui est une autre extravagance de l’esprit humain, qui paraissant contraire à la témérité de ceux qui croient et décident tout, vient néanmoins de la même source, qui est le défaut d’attention. Car comme les uns ne veulent pas se donner la peine de discerner les erreurs, les autres ne veulent pas prendre celle d’envisager la vérité avec le soin nécessaire pour en apercevoir l’évidence. La moindre lueur suffit aux uns pour les persuader de choses très fausses ; et elle suffit aux autres pour les faire douter des choses les plus certaines : mais dans les uns et dans les autres, c’est le même défaut d’application qui produit des effets si différents.
La vraie raison place toutes choses dans le rang qui leur convient ; elle fait douter de celles qui sont douteuses, rejeter celles qui sont fausses, et reconnaître de bonne foi celles qui sont évidentes, sans s’arrêter aux vaines raisons des Pyrrhoniens qui ne détruisent pas l’évidence raisonnable que l’on a des choses certaines, non pas même dans l’esprit de ceux qui les proposent. Personne ne douta jamais sérieusement s’il y a une Terre, un Soleil et une Lune, ni si le tout est plus grand que la partie. On peut bien faire dire extérieurement à sa bouche qu’on en doute, parce que l’on peut mentir ; mais on ne le peut pas faire dire à son esprit. Ainsi le Pyrrhonisme n’est pas une secte de gens qui soient persuadés de ce qu’ils disent ; mais c’est une secte de menteurs.
( p. 11-13)