Au cabinet

« C’est une rare pièce, et digne, sur ma foi,
Qu’on en fasse présent au cabinet d’un roi. »
L’Etourdi, III, 4 (v. 1102-1103)

 

« Franchement il est bon à mettre au cabinet »
Le Misanthrope, I, 2 (v. 376)

L’expression « mettre au cabinet » est utilisée à dessein de

– faire l’éloge d’une création littéraire, en la rangeant en un lieu où on conserve les objets précieux (1)
– signifier qu’une création littéraire trouve sa place dans un lieu de travail privé et n’est pas destinée à être montrée au public (2)
– déprécier une création littéraire
– *en la rangeant en un lieu où on entrepose les objets sans valeur (3)
– *en la jetant dans un lieu d’aisance (4).

 

La rime « sonnet / cabinet » est courante (5). On trouve aussi la version « net / cabinet » (6)

 

 


 

(1)

– Gaultier Garguille, « Songe arrivé à un homme d’importance sur les affaires de ce temps » (1634) :

Si jamais pièce de la Foire Saint-Germain mérite votre cabinet, c’est celle-ci.
(Chansons de Gaultier Garguille, éd. E. Fournier, Paris, 1858, p. 193)

 

– Mathurin Régnier, « Satire II » (1608) :

Les dames cependant se fondent en délices
Lisant leurs beaux écrits, et de jour et de nuit
Les ont au cabinet, sous le chevet du lit.
(Premières oeuvres, 1608, p. 7)

 

– François Maynard, « Manifeste » :

Les vers que mon esprit sublime
Si dextrement lime et relime
Ont je ne sais quoi de si net
Qu’ils sont tout l’entretien du Louvre
Et la Reine veut qu’on leur ouvre
La porte de son cabinet.
(Poésies : recueil de 1646 et choix de divers autres recueils, Paris, Garnier, 1927, p. 154-155)

 

– sonnet liminaire anonyme aux Nouvelles nouvelles (1663) de Donneau de Visé :

Ton ouvrage est rempli d’inventions si belles,
Et ton style est si doux, si coulant et si net,
Que qui le gardera dedans son cabinet,
N’aura jamais que de bonnes nouvelles

 

(2)

– Costar, Lettre à Conrart (1658) :

Je vous prie, Monsieur, que cette traduction ne soit que pour vous, et qu’elle ait votre cabinet pour prison.
(Lettres, I, p. 713)

 

Recueil de pièces en prose les plus agréables de ce temps (1662)

Cet excès d’amour-propre est si étrange, et si éloigné de l’humeur de celui dont vous allez voir ici quelques lettres, qu’il les eût abandonnées avec plus de deux mille autres semblables, à la poussière de son cabinet.
( p. 135)

 

– La Fontaine, Contes et nouvelles en vers (1665) :

Comme les miens [mes ouvrages] sont fort éloignés d’un si haut degré de perfection, la prudence veut que je les garde en mon cabinet.
( Préface de la 1e partie)

 

– Montreuil, Oeuvres (1666) :

Je voudrais qu’on fût assez judicieux pour se connaître et qu’on ne laissât pas sortir ses vers de son cabinet.
( p. 248)

 

– Hauteroche, L’Amant qui ne flatte point (1668), « Au lecteur » :

Je n’aurais jamais fait représenter cette comédie, sans la sollicitation de mes camarades. […] Je l’avais condamnée, dès sa naissance, à demeurer dans mon cabinet.
(Théâtre de Noël Le Breton, sieur de Hauteroche, 1772, t. I, p. 3)

 

(3)

– Charles Sorel, Le Berger extravagant (1627):

il serait besoin d’établir un censeur de livres qui ne donnât congé qu’aux bons d’aller de par le monde, et condamnât les autres à la poussière d’un cabinet.
(Préface, p. X)

 

La Mothe le Vayer, « D’une dispute » :

Les paradoxes, selon moi, ne sont bons que pour le cabinet.
(Oeuvres, VII, 1, p. 258)

 

(4)

La proximité avec le « lieu d’aisance » est soulignée par

 

– François Maynard, « Epigramme pour un mauvais poète » :

L’ouvrage le plus net
Qui se lime en ton cabinet
N’est que pour la chaise percée.

 

– Discret, dans l’épître dédicatoire de la réédition de 1664 de son Alizon :

Vous les posez avec tant d’équité que tel qui n’a pas un écu pour acheter un livre entier en voit du moins quelque petite partie à bon marché, puisque vous en donnez toujours quelque lambeau par-dessus les denrées que vous débitez , et par ce moyen il peut, pour peu d’argent qu’il ait, goûter les charmants entretiens de ces grands génies, s’il ne se sert de leurs oeuvres à autre usage dans le cabinet.
(n. p.) (indication aimablement fournie par F. Rey)

 

– le dictionnaire de Furetière (1690) :

« se prend quelquefois pour une garde-robe, ou le lieu secret où l’on va aux nécessités de nature. Ainsi Molière a dit dans Le Misanthrope, à propos d’un méchant sonnet, Franchement il n’est bon qu’à mettre au cabinet »
(article « cabinet »)

 

(5)

Pierre Corneille, Mélite ou les Fausses lettres (1633) :

Ma soeur, un mot d’avis sur un méchant sonnet
Que je viens de brouiller dedans mon cabinet.
( II, 5)

 

– Pierre Corneille, La Galerie du Palais ou L’Amie rivale (1637) :

C’est tout un autre jeu, le style d’un sonnet
Est fort extravagant dedans un cabinet.
( I, 7)

 

– François Maynard, Poésies (1646):

Ces rêveurs de cabinet,
Qu’une syllabe travaille,
Sont lions dans un sonnet,
Et cerfs dans une bataille.

 

– Jean Auvray, Le Banquet des muses (1636) :

Tel on a vu le col penché
Sous le faix d’un riche évêché
Qui n’avait fait qu’un anagrame :
L’autre emporta un cabinet
Pour avoir les yeux d’une Dame
Déifiés en un sonnet.
(« Le magnanime », Satires, p. 23)

 

(6)

À L’AUTEUR, SUR SES NOUVELLES.

 

Ton ouvrage est rempli d’inventions si belles,
Et ton style est si doux, si coulant et si net,
Que qui le gardera dedans son cabinet,
N’aura jamais que de bonnes nouvelles.
Donneau de Visé, Nouvelles Nouvelles (1663), pièce liminaire

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